Chamane 25 La cérémonie de guérison
Le jour précédent la cérémonie de guérison.
Ce jour fut activement occupé par toutes les personnes concernées. Il provoqua aussi du remue-ménage dans tout Ghanzi-Sa. A croire que les nouvelles y voyageaient plus vite que le vent. Plusieurs personnes se proposèrent pour aider les Maîtres Guérisseurs dans leurs préparations ou pour veiller pendant la nuit. La cité sorcière bourdonnait de cour en cour. On palabra beaucoup ce jour-là ! La question qui revenait le plus souvent était : « Maître Harry gardera-t-il son pouvoir de chamane après sa guérison ? » Mais tous souhaitaient sincèrement la réussite de la cérémonie.
Harry resta toute la journée dans sa case en compagnie de Neville. Draco était arrivé en même temps que le Griffondor mais il ne pouvait rester. Il avait plusieurs personnes à visiter, avait-il expliqué, et il passerait plus tard. Cela chagrina un peu le malade mais les deux anciens camarades avaient beaucoup à se dire. Heureusement car ainsi le temps passait plus vite. Ils étaient tous les deux nerveux comme on l'est toujours avant une bataille. En plus Harry avait faim car il devait rester à jeun toute la journée. Mais vers midi, Ama Déolida et Ada Siwo lui apportèrent une cruche de grès remplie d'une eau bien fraîche tirée du puits magique. Le jeune homme pourrait y puiser avec son gobelet et il se sentirait mieux dès qu'il en boirait.
Ce ne furent pas les seules visites que Harry reçut. Les personnes qu'il connaissait passaient le voir, restaient un petit moment puis repartaient en prononçant la même phrase en tswana', un vœu de bonne santé d'après Maître Dlima. Plusieurs parents dont Harry avait guéri les enfants entraient avec un air intimidé, ils apportaient des petits cadeaux, des fleurs, des fruits. « Pour après, » lui dit la mère du garnement spécialiste des bêtises en laissant un petit panier rempli de gâteaux odorants.
Iméo arriva, tout sourire, et coiffa Harry sans toucher ses cheveux en lui racontant le dernier potin du jour. Les deux épouses de Maître Félaro s'étaient disputées ! Cela ne leur arrivait jamais. Mais l'aînée voulait un chat et l'autre n'en voulait pas … L'adolescent avait une façon bien à lui de raconter des histoires, cela détendit l'atmosphère. Boréa passa, tenant délicatement Uuuiiu entre ses mains. Il y avait sur son dos un message pour Maître Ndiapo. Elle voulait savoir où se trouvait le guérisseur. La jeune fille parlait maintenant anglais et tswana'. Elle était parfaitement intégrée dans la cité. Mais elle prononça ses souhaits de guérison par une longue invocation chantante dans son ancienne langue.
Il y eut un répit en début d'après-midi. Neville en profita pour aller déjeuner et Harry pour faire une petite sieste. Ils avaient eu le temps de se donner des nouvelles du pays. Ils avaient parlé de Ron et d'Hermione. La jeune femme attendait un deuxième enfant et elle menaçait Harry de quelques sortilèges bien choisis s'il ne se décidait pas à guérir et à revenir à temps pour en être le parrain. Le couple était heureux, tout comme Luna et Rolf avec leurs adorables jumeaux, « des bébés-lumen, Harry ! Tu te rends compte ? » Et Parvati Patil avait épousé Roger Davies, le joueur de Quidditch. Et Hannah Abott allait reprendre le Chaudron Baveur car Tom se faisait vieux. Il l'aimait bien Hannah, c'était une gentille fille. Et Minerva MacGonagall parlait de prendre sa retraite car les élèves de Poudlard étaient de plus en plus remuants, surtout les Griffondors … des noms que Harry n'avait pas entendu prononcer depuis bien longtemps et qui le rendaient nostalgique.
Ama Saé et trois des libres sorcières apparurent à l'heure du thé. Les jeunes femmes firent les yeux doux à Neville et aussi à Harry. Le jeune sorcier serait bientôt guéri. Plus rien ne s'opposait à quelques amourettes de passage. Mais c'étaient juste des plaisanteries joyeuses pour alléger les moments d'attente. Elles ne s'attardèrent pas. Le dernier à apparaître fut Madibo qui offrit à Harry une noix de palmier sculptée par son petit ami du moment. Car le jeune homme était volage. Il avait assez rapidement quitté le chanteur qui l'emmenait en promenade sous les étoiles. Mais cette première aventure l'avait mûri. Il était beau, gay sans complexe et heureux de vivre. Il n'avait pas encore trouvé le grand amour de sa vie alors il papillonnait. Le jeune artiste qu'il fréquentait en ce moment avait dégagé l'ivoire végétal de son écorce sur une moitié de la noix et y avait gravé un lion, symbole de force et de chance. « Pour votre guérison, Maître Harry ! avait dit Madibo avec enthousiasme. Maître Draco n'est pas là ? »
Non, Maître Draco n'était pas là et Harry commençait à trouver le temps long.
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Draco avait eu beaucoup à faire. Il ne l'avait pas dit à Harry mais il devait partir impérativement le surlendemain de sa nuit de guérison. La vente de pierres précieuses en Afrique du Sud serait annoncée dans ces moments-là et il lui fallait être sur place car Egmont Solman avait des vues sur un des diamants, sans doute pour une commande particulière. Mais ici, à Ghanzi-Sa, Draco avait un autre achat à faire, un rachat serait plus exact. Sa première visite avait donc été pour la case des pierres. Il avait fait demander à Ama Déolida et à Ada Siwo s'ils pouvaient le recevoir.
La jeune servante était venu le chercher et quand il avait suivi le couloir circulaire, il avait entendu de la musique. Demblé était présent. Il ne portait qu'une longue robe bleue et ses pieds étaient nus. Il tenait sa flûte en main et jouait un petit air obsédant par ses notes répétitives. Puis il posa son instrument et chanta une courte mélodie sans paroles, avec juste quelques sons modulés. Draco était resté à la porte. Il connaissait la cérémonie.
La case ronde était sombre. Les globes bleus brillaient faiblement. Devant les deux Gardiens des pierres se trouvaient des coupelles contenant chacune une grosse bille de verre marbré ornée d'une bande colorée enroulée comme un ruban, rouge pour Ama Déolida, jaune pour Ada Siwo. Le jeune sorcier blond était surpris. Cela ressemblait aux billes des enfants moldus, ce qu'ils appelaient des agates calots. Un cadeau bizarre de la part d'un musicien ! Mais quand le jeune homme eut fini de chanter, il prit entre ses doigts chacune des billes et la fit tourner dans sa coupelle. La rouge répéta le morceau de musique à la flûte, la jaune la chanson. Les billes étaient des enregistreurs magiques !
« Elles servent à éveiller les esprits, expliqua Demblé. J'ai appris à les enchanter avec un griot qui avait parcouru presque toute l'Afrique et qui voulait transmettre son savoir. Il est mort quelques temps après. Si un jour, un jeune sorcier hésite sur ce qu'il doit faire, faites tourner les billes devant lui. Il trouvera son chemin comme le vieux sorcier le faisait pendant ses voyages. Elles ne connaissent malheureusement qu'un seul morceau de musique, celui que je viens de jouer et celui que j'ai chanté. Mais si un jour je reviens à Ghanzi-Sa, je leur en apprendrai d'autres.
-C'est un superbe cadeau, dit Ada Siwo. La cité te remercie.
-Cela aidera peut-être de jeunes sorciers à trouver leur pierre, reprit Ama Déolida avec gravité. Es-tu prêt à chercher la tienne ?
-Oui Ama. Voici mon bâton.
Il fit un pas pour se trouver sur le cercle de bois au dessus du puits et la colonne de lumière bleue l'enveloppa. Au premier tour qu'il fit sur lui-même, une pierre répondit à son appel. Une pierre opaque de la grosseur des billes magiques mais irrégulière, qui s'éleva de la dernière étagère et se posa sur le bâton en produisant une douce lumière orangée traversée parfois par un éclair d'un bleu-vert intense.
« Une opale de feu ! pensa Draco avec stupeur. Comment est-elle arrivée là ! Normalement on ne les trouve qu'au Mexique. En tout cas, Demblé a de la chance ! Sa pierre est magnifique et c'est la seule opale à ne pas avoir mauvaise réputation. Elle lui convient bien, je pense, parce qu'elle est double, comme lui, un côté Saé, un côté N'Saé. »
-Félicitations, lui dit-il sincèrement en entrant dans la case … Ama, Ada, je viens pour le diamant rose.
Demblé partit avec un large sourire. La transaction suivante fut simple. A peine Draco était-il monté, pieds nus, sur le cercle de bois que la pierre perdue et retrouvée se précipita vers Ada Siwo et son livre. La page se tourna d'elle-même. La pierre dansait au-dessus de la phrase écrite sur le parchemin cinquante ans auparavant, comme si elle attendait sa délivrance. Draco posa les dix gallions d'or et le diamant des Black sauta dans sa main. Avec soulagement, il le rangea dans une pochette de velours noir qu'il ferma par un cordon. La bague de Narcissa retrouverait bientôt sa splendeur. Il sourit en repensant aux Bloemenekeurk d'Anvers. Qu'allait faire sa mère ?
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Pour ses autres visites, Draco avait fait appeler une carriole taxi. Il se rendait en premier chez Ama Zié à la Porte du Sud. Il ne connaissait pas le conducteur qui avait un joyeux caractère et faisait des réflexions amusantes sur les curiosités à voir dans les rues qu'ils empruntaient. Il ne perdit pas sa bonne humeur quand ils longèrent le quartier maudit où Voldemort avait vécu dans sa jeunesse.
« C'est ici qu'habite Ama Boréa, la Gardienne des animaux, raconta-t-il. Elle a soigné mon âne quand il s'est mis à boiter. Il avait une petite pierre coupante coincée sous son sabot et ça ne se voyait pas. Mais elle l'a su tout de suite et elle l'a guéri en posant juste son doigt sur la blessure et en marmonnant un sortilège. Depuis qu'elle vit ici, les oiseaux chantent de nouveau et il y a de l'eau dans le puits. Plusieurs personnes voudraient revenir dans le quartier mais ils ont encore peur. Moi j'ai repéré une petite maison vide avec une étable. Je vais la racheter à son propriétaire. Du moment que Ama Boréa habite ici, il n'y a aucun danger …
Draco se laissait bercer par son bavardage. Il n'avait ressenti aucune douleur en passant près du quartier presque désert qui avait perdu son aspect sinistre. Il se sentait bien, heureux même quand il repensait à la visite de Harry la veille au soir. Ce baiser, si innocent … si brûlant. Il fut surpris quand soudain, le conducteur s'arrêta et qu'il se mit à crier. Il reconnut le verger des Mirabilis mais les petits arbres étaient dépouillés de leurs fruits et les Namibiens étaient partis.
« Qu'est-ce que tu fais là, garnement, disait le conducteur d'une voix forte. Tu vas encore te blesser et ta mère devra te conduire à la case hôpital ! N'approche pas des arbres ! Ils sont dangereux ! Sors de là !
Le gamin lui tira la langue en mettant ses deux mains écartées de chaque côté de son visage. Il ne sortit pas du verger mais il alla s'asseoir dans un coin d'où il pouvait voir une branche portant encore quelques fruits trop mûrs. Tout le monde le connaissait dans la cité. C'était le fameux intrépide qui ne ratait aucune bêtise. Le conducteur fit repartir son âne en secouant la tête. Pauvre mère ! Elle était bien accablée avec cet enfant ! Heureusement qu'elle n'en avait qu'un !
Ils passèrent la Porte du Sud. Le gardien nota leur passage et leur montra par où était partie Ama Zié. Ils la trouvèrent avec Faron dans un nouveau champ de grandes fleurs. Ils étaient si petits que seules leurs têtes dépassaient. Une demi-heure plus tard, ils étaient tous réunis sous l'un des arbres, devant la Maison du Miel. Il y avait du thé et des galettes. Draco avait sorti de son sac plusieurs sachets et les présentait à la Gardienne de abeilles. Il y avait en premier les graines de tournesol qu'elle lui avait demandées.
Puis, sachant que tout pouvait pousser grâce à l'eau magique, il avait apporté de la lavande vraie, du trèfle incarnat, de la bruyère, de la mélisse, de l'angélique, du colza, du sarrasin, toutes sortes de plantes que lui avait recommandées un grainetier moldu, spécialiste de l'agriculture bio. Inutile de polluer Ghanzi-Sa avec des graines enrobées ou génétiquement modifiées ! Chaque espèce était représentée en photo, avec à côté son mode de culture et ses propriétés. Faron traduisait les explications de Draco et Ama Zié souriait, caressant les sachets comme si elle voulait à l'avance leur communiquer sa magie.
Bilem se joignit à eux et il montra le palmier où s'était installé l'essaim sauvage. Maître Ndiapo était venu de bonne heure le matin chercher de la cire et du miel pour la guérison de Maître Harry … Dès que ce nom fut prononcé, ils dirent tous l'invocation en tswana' que Faron traduisit par « un vœu de bonne santé ». Ama Zié ajouta alors une autre phrase. Le jeune garçon la regarda avec surprise et hésita avant de reprendre :
« Elle a dit : « Cheveux de lune pour cheveux de nuit. L'ombre sera profonde mais la lumière montrera le chemin.» Je ne sais pas ce que ça veut dire. Quelquefois, notre mère voit les choses à venir. Savez-vous de quoi elle parle ?
Draco était surpris. Il avait totalement oublié ce que Ama Zié lui avait dit lors de sa première visite. Tout à coup, les mots prenaient un autre sens. L'Ama des abeilles avait-elle deviné à ce moment-là qu'il serait attiré par Harry ? Qu'il l'était peut-être déjà ? Il regarda son visage. Elle lui souriait d'un air serein. Ses yeux brillaient sous son front d'ébène. Ses cheveux frisés faisaient autour de sa tête comme un halo. Elle ressemblait à une icône, à l'image d'une divinité bienfaisante et paisible. Il lui rendit son sourire et répondit :
-Je crois que je sais. C'est un bon présage. Merci Ama.
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La dernière visite de Draco était pour Dame Elizéa, la chamelière. Il avait un service à lui demander. Il voulait troquer son voyage de retour de la Porte de l'Est à la barrière magique à dos de droma. Le jour de son départ, il lui faudrait faire vite car il avait déjà retenu son vol vers Johannesburg où se tiendrait la vente. Tout avait été planifié à l'avance. Il transplanerait depuis les trois arbres épineux – et il ne reposerait pas à leur ombre cette fois-ci ! - jusqu'à la cour de Maître Ndiapo. Un taxi bus le mènerait directement à l'aéroport. L'avion partait en fin d'après-midi et atterrirait dans la soirée. La chambre d'hôtel était réservée. Une très bonne organisation à la moldue, précise et efficace.
« Quand comptez-vous partir ? demanda la jeune femme tout en passant dans ses mains la longue lanière de cuir ouvragée, ornée de pompons de laine, que Draco avait achetée chez un sellier.
Il lui avait offert un grand châle de cachemire, très léger et très chaud en même temps, et quelques accessoires décoratifs pour ses droma. Son voyage était largement payé mais il tenait à lui faire plaisir. Il n'avait pas oublié sa rencontre avec Maître Epofa.
-Ce n'est pas encore décidé, répondit-il prudemment. Il savait que s'il précisait le jour, tout Ghanzi-Sa serait très vite au courant et il ne voulait pas que Harry le sache.
-Mais pas tout de suite ! reprit Dame Elizéa. Il y aura une fête pour la guérison de notre chamane. Vous ne pouvez pas rater ça !
-Si je vous préviens le soir par les pierres, est-ce que je peux compter sur vous ? La route est longue, vous aviez raison la fois dernière.
-Bien entendu ! Je ne manque jamais à ma parole. Mais vous aurez le temps de me refaire une petite visite j'espère ? Comment trouvez-vous ma case ? Reprenez donc un peu de café. J'y ai pris goût avec Maître Epofa …
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Il était déjà tard dans l'après-midi quand Draco regagna la case hôtel pour se rafraîchir un peu, avant de rejoindre Harry et Londubat à la Grande Case. Plusieurs personnes s'activaient déjà en vue de la cérémonie de guérison. Le lit de Harry avait été transporté dans la cour, près du palmier Hyphaène magique. On y avait posé le matelas et plusieurs coussins pour soutenir le dos du malade qui serait à demi assis pour pouvoir avaler les remèdes sans s'étrangler. Une grande pièce de tissu en soie grège recouvrait le tout. On pourrait en replier une partie sur le corps étendu s'il faisait froid mais quatre feux étaient prêts à être allumés à quelques mètres du lit, orientés vers les quatre points cardinaux. Les guérisseurs les utiliseraient aussi s'ils avaient besoin de chauffer certains remèdes.
Maître Ndiapo avait déjà posé son chaudron personnel près du feu de l'Est. Il avait préparé tout ce qui était nécessaire pour s'occuper du bras de Harry : un petit coussin en fibre de palme pour le soutenir, des tampons en feuilles sèches et des petits carrés de soie pour éponger le sang et bien sûr, tout le monde porterait des gants. Maître Félaro en avait acheté tout un stock. Ils étaient en soie noire et conviendraient aux mains des guérisseurs mieux que les blancs de Harry.
Tout autour du lit, on avait disposé des tapis. Sur l'un d'eux se trouvait déjà l'écritoire de Maître Dlima. Il noterait tout ce qui se ferait, se dirait ou se passerait pendant la cérémonie. Ce récit serait précieux si plus tard on avait de nouveau besoin de soigner une piqûre d'oursin. Neville et Draco s'installeraient non loin de lui, à la tête du lit. De l'autre côté, un tapis spécial, rouge et or, était destiné à Demblé. Cela n'avait rien à voir avec Griffondor, c'étaient juste les couleurs porteuses d'espoir et de chance réservées aux invocations et aux chants de guérison mais Neville trouvait que c'était de bon augure. Les Guérisseurs s’assoiraient au pied du lit entre deux médications. Les potions, baumes et ustensiles étaient disposés sur la table basse juste devant la porte de la case. Tout était prêt. On n'attendait plus que la lune.
La nuit tomba d'un coup, comme toujours dans les pays proches de l'équateur et des tropiques. Mais un quart d'heure passa avant que l'astre de la nuit n'apparaisse au dessus de l'horizon. Tout le monde s'était assis. Seul Harry était à demi étendu sur le drap clair. Il ne portait que son boxer de soie. Les Guérisseurs auraient préféré qu'il soit nu pour être entièrement exposé aux rayons lunaires mais ils avaient finalement accepté qu'il porte un léger vêtement. Il avait confié ses lunettes à Neville et les minuscules morceaux de tissu magique qui protégeaient son nez et la peau de son visage avaient rejoint la cape rangée dans le coffre. Les feux étaient allumés mais ils flambaient doucement, sans éclairer ou chauffer beaucoup. Dans le ciel les étoiles scintillaient, une brise légère agitait un peu les feuilles du palmier.
Personne n'avait mangé, la faim tiendrait les esprits éveillés pendant cette nuit qui serait longue. Il y avait seulement du thé non sucré et de l'eau du puits magique. On discutait à mi-voix, de tout, de rien. Demblé frappait du bout des doigts sur son petit tambour et chantonnait des airs sans paroles. C'était l'attente mais tout était calme. Il était trop tard pour reculer ou changer quelque chose. La nuit passerait et Harry serait guéri au petit matin. On ne pouvait envisager autre chose sous peine d'attirer le mauvais sort. Quand enfin la lune fut assez haute, presque pleine, blanche et brillante, tout était prêt. La cérémonie de guérison pouvait commencer.
Ama Saé apparut, seule, portant une longue robe bleue, parée autour du cou, aux bras et dans les cheveux de nombreux bijoux faits de cuivre, d'ivoire et de perles, et tenant à la main son bâton-sorcier. L'occasion était assez solennelle pour qu'elle affiche tout ce qui faisait d'elle la Gardienne des Saé. Tout le monde se leva, sauf Harry. Les autres sorciers, Demblé compris, saisirent leur bâton en main. Draco et Neville prirent aussi leur baguette magique mais celle de Harry resta posée sur le coussin à côté de lui. Tout se bousculait un peu dans sa tête, c'était la dernière appréhension avant le grand saut.
Puis Ama Saé leva haut son bâton et elle traça en l'air un geste circulaire en prononçant une invocation d'une voix forte. Une fine ligne lumineuse courut d'un feu à l'autre, ranimant les flammes qui montèrent en gerbes d'étincelles. On y voyait comme en plein jour. Elle refit le même geste avec une autre invocation. Le cercle de feu disparut et les flammes diminuèrent jusqu'à n'être plus que des braises rougeoyantes. Le chef des Guérisseurs s'inclina dans sa direction, les autres firent de même et la Gardienne des Saé s'en alla, digne et sereine. Il régna pendant quelques instants un grand calme. La blanche lueur de la lune enveloppa le corps pâle de Harry, reposant sur son lit de soie, et il se sentit envahi par une grande paix intérieure. Il regarda Draco et Neville qui le regardaient aussi et il sourit. Il était prêt.
« Elle nous a mis sous protection, chuchota Maître Dlima à l'adresse des sorciers étrangers. Rien ni personne ne pourra venir troubler la cérémonie. Asseyons-nous, laissons faire les Guérisseurs.
Neville et Draco s'installèrent côte à côte près de la tête du lit. Ils étaient spectateurs et n'avaient rien de particulier à faire, sauf veiller sur Harry, pensaient-ils tous les deux. Le jeune greffier reprit son écritoire et s'assit non loin d'eux pour pouvoir leur communiquer les différentes étapes de la séance car toute la cérémonie se déroulerait en tswana'. Les Guérisseurs ne parleraient anglais que lorsqu'ils s'adresseraient à Harry. Ada Ohalva leva son bâton et prononça une invocation d'une voix grave. Aussitôt, Demblé la reprit plusieurs fois en chantant en sourdine. Ada Gbiso s'approchait de Harry avec le bol contenant la tisane aux trois fleurs. Le jeune sorcier eut juste un haut-le-cœur mais déjà le somnifère agissait et il s'apaisa. Il n'était pas complètement endormi, juste assoupi, assez conscient pour faire ce qu'on lui demandait et pour répondre par monosyllabes aux questions posées mais trop somnolent pour ressentir la douleurs ou l'envie de vomir.
A partir de là, tout se passa dans le plus grand calme. Harry dut boire à trois reprises la potion contenant entre autres le jus de mirabilis et la cendre d'épines. « De plus en plus concentrée » glissa Maître Dlima à ses voisins. Les trois Guérisseurs de la cité guettaient l'effet produit. Demblé prononçait diverses incantations, les répétant parfois après Ama Kélabélé qui, elle, surveillait la course de la lune. Le temps s'écoulait, il y avait de longues pauses pendant lesquelles le musicien jouait de la flûte ou effleurait son petit tambour du bout des doigts « Pour garder l'esprit de Harry en éveil » souffla le jeune greffier qui notait scrupuleusement tout ce qui se passait.
A la troisième fois, Harry se mit à gémir. Draco et Neville remarquèrent de minuscules boules remontant le bras gauche et les jambes de Harry le long de ses veines et se dirigeant vers son bras droit. Maître Ndiapo, portant des gants en peau de crocodile, appliqua aussitôt son emplâtre à base de cire sur la tache rosâtre, à l'endroit où le malade avait été piqué par l'oursin. Le sang se mit à couler de chaque point où les crochets de la bête s'étaient enfoncés. Mais il fut vite remplacé par de minuscules gouttes noires. Maître Ndiapo les épongeait avec des tampons de fibres en se servant d'une pince de bois et en prenant beaucoup de précautions. Le venin sortait enfin du corps de Harry, mélangé à du plasma sanguin.
Cela dura longtemps. Les incantations avaient repris, chantées alternativement par les Guérisseurs et par le musicien. L'atmosphère devenait soudain plus fébrile. D'après Ama Kélabélé, la lune était à son apogée et son rayonnement au maximum. Les remèdes des uns et des autres agissaient. Les tampons imprégnés de venin étaient jetés au feu. Le flux faiblissait, Maître Ndiapo utilisait maintenant les carrés de soie. Tout semblait de dérouler comme prévu. Harry était de nouveau paisible. Neville et Draco se détendaient. Le sorcier blond en particulier avait cessé de serrer si fort ses poings que ses ongles entraient dans ses paumes. C'étaient maintenant de fines gouttelettes de sang qui sourdaient du bras de Harry. Puis elles cessèrent tout à fait. Tout le monde était dans l'attente. Seul le tambour résonnait à petits coups. Enfin Maître Ndiapo se redressa, il rejoignit les Guérisseurs et ils se saluèrent tous en se félicitant les uns les autres. La première partie de la cérémonie était terminée à la satisfaction de tous.
Il restait à vérifier si l'effet du poison était complètement dissipé. C'était le moment de faire ingurgiter à Harry la bouillie contenant les œufs d'oursins mélangés au miel de palmier. Mais ce ne fut pas facile. Harry fut pris d'un hoquet pénible. Cette fois encore, les invocations à la lune de Ama Kélabélé l'aidèrent à se calmer mais il fut pris de frissons et ses dents claquaient un peu. On lui redonna une bonne rasade de la potion aux mirabilis et à la cendre d'épines. Le hoquet s'atténua puis cessa et Harry reposa enfin tranquillement sur son drap de soie. Il ouvrit même les yeux et tenta de sourire. Il restait une vérification à faire. Quelqu'un devait toucher le malade pour voir s'il ressentait encore une brûlure. Quand Maître Ndiapo fit cette proposition, il regardait Draco mais celui-ci se tourna vers Neville. Le Griffondor se leva et posa doucement sa main sur l'épaule de son camarade de Maison en lui demandant s'il ressentait une douleur.
« Non, je ne sens rien, répondit le malade d'une voix lente et pâteuse.
Puis il referma les yeux. Il y eut de grands soupirs de soulagement. Mais Maître Ndiapo ne semblait pas tout à fait satisfait. Il posa à son tour sa main dégantée sur Harry et dit quelque chose à ses collègues. « Sa peau est froide, il faut qu'il se réchauffe » glissa Maître Dlima aux deux sorciers étrangers. Les Guérisseurs discutaient entre eux. Il fut décidé de redonner à Harry un peu de potion de sommeil, de l'envelopper dans son drap de soie, de poser sur lui une fourrure et de le laisser se reposer pendant une heure ou deux, jusqu'à ce que la lune se couche. Chacun veillerait à son tour. Les autres pouvaient prendre un peu de repos. Demblé se proposa en premier, il passerait ensuite le relais à son père. On distribua des couvertures apportées en cas de refroidissement. La veillée avait été longue et incertaine. Certains s'allongèrent, d'autres restèrent assis. Le dernier à céder au sommeil fut Draco mais, alors que Ada Gbiso prenait son tour de veille, il piqua du nez à son tour.
Il se réveilla brusquement. Il se sentait ankylosé de partout. Qu'est-ce qu'il faisait dehors, assis en tailleur, la tête posée sur ses bras, protégé par une couverture ? Puis tout lui revint en mémoire. Quelqu'un l'avait appelé. Peut-être était-ce à son tour de veiller ? Mais quand il regarda autour de lui, il vit que tout le monde dormait sauf Ada Ohalva qui se servait du thé sur la table basse et ne faisait pas attention à lui. Pourtant, il en était sûr, quelqu'un avait prononcé son nom. Quelqu'un ? Non, c'était la voix de Harry. Draco se leva d'un bond et s'approcha du lit. Le sorcier aux cheveux bruns toujours aussi ébouriffés reposait sous son drap de soie et sa fourrure. Il semblait dormir profondément mais quelque chose n'allait pas. Il était aussi blanc que la lune qui se couchait, énorme, à l'horizon et il respirait lentement, si lentement …
« Harry … murmura-t-il en le prenant par l'épaule et en le secouant légèrement.
Ada Ohalva accourut. Il prit le bras du malade et tâta son pouls. Il eut aussitôt l'air inquiet et appela les autres Guérisseurs. En un instant tout le monde était réveillé, sauf Harry que le bruit soudain n'avait même pas fait tressaillir.
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