Chamane 3 : Le voyageur.
A sa sortie de l'aéroport, Harry fit signe à un taxi et demanda au chauffeur de le conduire à un hôtel. Celui-ci lui proposa aussitôt le Sun International, le Grand Palm ou le Cresta mais Harry se mit à rire et précisa « un hôtel simple pour routard ». L'autre hocha la tête et sourit. Encore un de ces fous de voyage qui venaient au Botswana parce que leur télévision leur avait fait découvrir les merveilles de l'Okavango ! C'était bon pour le pays, le tourisme, mais souvent, les bourlingueurs ne roulaient pas sur l'or. Ce client n'avait qu'un sac à dos pour tout bagage. Enfin il avait un beau sourire et des yeux verts derrière des petites lunettes rondes. Sympathique, vraiment ! Le taxi embraya avec un bruit de casserole et prit la route qui reliait l'aéroport à la capitale.
Harry se retrouva donc devant le Gaborone Lodge, le genre d'endroit où les touristes qui faisaient des safaris photos s'installaient pendant quelques jours avant leur départ pour l'aventure. Le chauffeur fut tout de même surpris quand son client lui tendit un gros billet en pulas, lui dit de garder la monnaie et lui demanda s'il pouvait revenir le lendemain pour le conduire à Molepolole. Cette petite ville ne faisait pas partie des circuits touristiques habituels. Il n'y avait pas grand chose à visiter. Mais le client est roi, le taxi promit de revenir le lendemain à neuf heures.
Harry voyageait léger. Il n'avait en effet qu'un sac à dos peu encombrant pour tout bagage mais ce que les Moldus ignoraient évidemment, c'est qu'il était assorti de quelques sortilèges. Ainsi, l'intérieur était extensible comme autrefois le petit sac à main d'Hermione. Son linge, ses vêtements de rechange, ses affaires de toilette et quelques médicaments indispensables y étaient rangés. De plus ce sac possédait au dos une poche secrète où le jeune sorcier rangeait ses affaires précieuses, en particulier sa baguette magique, et dans des pochettes soumises à un Reducto, des gallions d'or, des cartes bancaires et de l'argent moldu utilisable partout dans le monde. Pour ne pas être pris au dépourvu, il en changeait toujours une petite partie en monnaie locale sur place, dans les bureaux de change des aéroports. Il voyageait depuis plus de deux ans et il savait parfaitement se débrouiller en chemin.
La poche secrète contenait aussi sa cape d'invisibilité. Il avait découvert qu'elle ne le rendait pas seulement invisible, mais aussi qu'elle le protégeait du froid, de la chaleur et des bestioles rampantes ou volantes. C'était bien utile quand on se trouvait chez les sorciers yakoutes en Sibérie ou dans un ashram, à Bénarès en Inde. Quand il avait entrepris son périple, il ne pensait pas aller si loin et rester absent si longtemps mais il avait découvert qu'il aimait voyager et découvrir ainsi le monde et ses habitants, sorciers ou moldus. Il n'avait même pas besoin de connaître les langues étrangères, il utilisait la Légilimencie et laissait son esprit ouvert pour que les autres sorciers communiquent avec lui par les images. Il apprenait assez vite les mots de base et se débrouillait ensuite sans trop de peine. Il voyageait donc insouciant et tranquille.
L'après-guerre avait été difficile pour lui comme pour beaucoup de combattants jeunes ou vieux. Ses blessures physiques avaient guéri assez vite mais il avait beaucoup souffert dans son esprit et dans son âme. Il ne pouvait oublier facilement tous ceux qui étaient morts avant ou pendant la grande bataille. Les visages de Remus et de Nymphadora, ceux de Fred et de Colin Crivey avaient hanté longtemps ses nuits d'insomnie et il avait dû suivre une magicothérapie pour soigner une dépression post-traumatique.
Il en était sorti guéri mais différent. Il voulait vivre une autre vie, sans le souvenir de son enfance malheureuse ou de son adolescence sous la menace de Voldemort et surtout sans l'horreur de la bataille finale. D'autant que sa relation avec Ginny Weasley s'était petit à petit transformée en simple et sincère amitié, aussi bien pour elle que pour lui. Il ne reniait pas son amour de jeunesse mais cela lui semblait lointain, presque enfantin. Il avait changé, vieilli aussi. Il n'était plus ce jeune garçon peu sûr de lui, courageux mais inexpérimenté, qui assumait dans la douleur son rôle de Sauveur du monde. C'était un homme maintenant, un adulte mûri par les malheurs successifs et ouvert d'esprit grâce aux voyages.
Le Ministère de la Magie, qui cherchait pour lui un travail digne du héros qu'il était pour le peuple sorcier, lui avait proposé de visiter les communautés étrangères pour nouer des liens avec elles, un poste d'ambassadeur itinérant en quelque sorte. C'était vague et suffisant pour Harry. Il avait tout pouvoir pour choisir ses destinations et faire ce qu'il voulait pendant ses voyages. Juste glisser de temps en temps un petit mot pour son pays et faire de la réclame pour Poudlard. L'heure était aux échanges d'étudiants, dans le genre de l'Erasmus des Moldus. D'ailleurs, Erasme était sorcier, c'était bien connu ! Et Harry était parti courir le monde pendant que Ron et Hermione fondaient une famille, que Luna épousait Rolf Scamander à la surprise générale et que Neville devenait chercheur en pharmacopée magique.
Présentement, le jeune voyageur posait son sac au Gaborone Lodge et comptait trouver facilement le guérisseur Ndiapo dès le lendemain.
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Le taxi fut exact au rendez-vous. Pendant le trajet, Harry lui demanda des tuyaux sur les possibilités d'aller dans le désert du Kalahari, plus précisément dans la province de Ghanzi. « Allons bon pensait le chauffeur tout en surveillant la route, ce client est vraiment bizarre. Il ne vient pas pour les Big Five : lion, léopard, rhino noir, buffle et éléphant, même pas pour les magnifiques paysages et les multiples oiseaux de l'Okavango ! Qu'est-ce qu'il espère trouver dans le désert ? Il n'y a rien que du sable, de la pierraille et des buissons épineux ! Sans compter qu'il y fait froid la nuit, qu'on s'y perd parfois et que certains endroits sont infestés de serpents ! Enfin chacun ses goûts ! »
A Molepolole, ce fut encore autre chose ! Son client n'avait pas l'adresse de son contact, juste un vague renseignement : l'homme habitait dans une case à l'ancienne et il était herboriste, sans doute guérisseur Mais pratiquement toute la ville était construite en dur. Sa fondation était récente, elle n'avait rien d'un village traditionnel. De plus, elle était étendue et les rues n'avaient pas toutes un nom bien défini.
Pas de problème ! On était en Afrique, on n'était pas pressé, on avait le temps de prendre son temps. Le chauffeur se renseigna, des pulas changèrent de main. Il y eut des surprises. La première « case » était tout simplement une boutique de souvenirs : bracelets en poils de lion, bague en corne d'antilope, colliers de perles multicolores, tapis tissés et paniers tressés main, animaux en bois sculpté de provenances diverses pas toujours très authentiques, des bibelots pour les touristes … La seconde se dressait dans un quartier pauvre, elle abritait tant bien que mal une famille qui venait d'arriver en ville et se logeait comme elle pouvait.
Ce qu'on voyait partout, c'étaient des petites maisons carrées, blanchies à la chaux ou peintes de couleurs vives, construites au fond d'une cour toujours ombragée par un arbre. De case traditionnelle point. Harry commençait à désespérer et se demandait s'il avait bien saisi l'image transmise par le sorcier Ndébélé.
Puis le chauffeur cessa de parler de « case » et demanda simplement où on pouvait trouver un guérisseur. Cette fois, il eut plus de chance. Au fond d'une ruelle fermée par une barre de bois, un gamin lui indiqua trois petites maisons basses donnant sur une cour. Harry sentit immédiatement la magie qui rayonnait de ce lieu et il eut la même surprise que Draco en passant la barrière. Il pria le taxi de l'attendre et partit à la rencontre d'une nouvelle connaissance magique.
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Ndiapo Mongafa était un herboriste réputé, non seulement au Botswana, mais aussi dans les pays limitrophes. Il connaissait des centaines de plantes et d'ingrédients divers et savait en faire usage pour les décoctions, les fumigations, les pommades et autres remèdes. C'était un guérisseur reconnu, même par les médecins moldus qui lui envoyaient leurs patients réfractaires aux médicaments courants. Il accompagnait ses soins de rituels et d'incantations et étrangement, les malades se sentaient tout de suite mieux. Leur guérison en était accélérée.
Cependant, il savait reconnaître les maladies graves qui dépassaient ses compétences et il envoyait à l'hôpital les gens qui avaient visiblement besoin d'une opération ou d'un traitement lourd. Les cancéreux, les victimes du sida ou les blessés graves trouvaient auprès de lui consolation et soulagement des douleurs mais il ne leur promettait jamais de guérison impossible. Par contre, il avait d'excellents résultats quand il traitait des maladies plus psychologiques que physiques. On venait de loin pour lui amener des « possédés », des enfants ou des jeunes gens qu'on disait habités par un ou plusieurs démons. Il faisait fonction d'exorciste. Les séances étaient éprouvantes mais couronnées la plupart du temps de succès.
Les Moldus le croyaient seulement guérisseur mais dès qu'un sorcier approchait de sa maison, il en sentait immédiatement l'aura magique. C'est ce qui s'était passé pour Harry. On comprenait mieux alors sa réussite. Il mêlait subtilement une dose de magie à ses soins et influençait les esprits tout en soignant les corps. Bien sûr il se faisait payer mais s'il demandait beaucoup aux riches, il exigeait peu des pauvres « Juste une pièce sinon le remède n'agira pas ! » Il était bon psychologue et savait qu'on ne doit jamais « échanger quelque chose contre rien ». C'était faire offense à la fois au « fournisseur » et au « receveur ».
Tous les membres de sa famille étaient sorciers. La tribu familiale partageant la cour comprenait Maître Ndiapo, le patriarche, sa mère, Dame Lofoté, âgée mais vaillante malgré une jambe raide, sa fille aînée Gammla encore célibataire, ses quatre fils plus jeunes,Demblé, Offentsé, Dirang et Baomo, plus Dame Ndiama, la sœur cadette du guérisseur et ses deux jeunes enfants, un garçon de cinq ans et une petite fille de quatre ans. En tout, cela faisait dix personnes. Heureusement que les maisons étaient magiques donc extensibles. Il envisageait cependant d'ajouter un bâtiment car les jeunes grandissaient et ils avaient besoin d'intimité.
Maître Ndiapo était veuf. Comme tous les sorciers de sa lignée, il était monogame et quelques années auparavant, il avait perdu, dans de tristes circonstances, une épouse qu'il aimait tendrement. Après cinq grossesses sans problèmes, elle était enceinte de leur sixième enfant, attendu avec joie par toute la famille. Mais l'accouchement s'était très mal passé, l'enfant était mort-né et une grave hémorragie s'était déclarée. La jeune femme n'avait pu être sauvée ni par lui, ni par l'hôpital où on l'avait emmenée d'urgence.
Il avait accepté ce coup du sort avec fatalisme et n'envisageait pas de se remarier dans l'immédiat. Il lui fallait pour cela trouver une sorcière de haut niveau mais soit elles étaient déjà mariées, soit elles désiraient rester libres car leur position de magiciennes leur permettait d'être indépendantes et respectées. Il avait donc demandé à sa sœur nouvellement divorcée d'un « mauvais mari » de venir tenir son ménage.
Gammla, sa fille aînée âgée de vingt ans, avait hérité de ses dons. Il lui avait passé tout son savoir et puisque c'était une femme et qu'elle aurait à soigner des maladies particulières, il l'avait envoyée pendant douze lunes dans la communauté sorcière de Ghanzi, auprès des matrones chevronnées qui devaient compléter sa formation. Elle était belle, savante, parée de tous les dons et il lui cherchait un époux digne d'elle. Il ne se pressait pas car puisqu'elle était magicienne, elle avait son mot à dire et pouvait refuser tout prétendant qui ne lui conviendrait pas.
Son premier fils, Demblé, dix-sept ans, avait choisi une autre voie que celle son père. Il voulait être musicien et fréquentait trois après-midi par semaine l'école de musique de la capitale. Ses compétences particulières lui serviraient plus tard pour les chants et les incantations magiques dans les cérémonies communautaires. Par contre, les trois autres garçons, quatorze ans, dix ans, sept ans, suivaient la trace du maître herboriste. En plus de l'enseignement de base qu'ils recevaient à l'école moldue de leur quartier, ils étudiaient avec leur père les noms, les vertus et les dangers des différents ingrédients de la pharmacopée magique et ils aimaient ça plus que la lecture, le calcul et l'apprentissage de la langue anglaise. Mais Maître Ndiapo, qui ne savait ni lire ni écrire, tenait à ce que ses enfants soient instruits. Toutefois, Offentsé qui venait d'avoir quatorze ans partirait bientôt lui aussi pour Ghanzi-Sa, la cité magique, et se perfectionnerait pendant douze lunes comme l'avait fait Gammla.
Grâce à l'exploitation du cuivre et des diamants, le Botswana se modernisait, construisait des routes, des écoles, des hôpitaux et agrandissait son aéroport. Les longs courriers pouvaient déjà se poser sur les pistes. Le pays était en paix avec ses proches voisins, la Namibie, l'Afrique du Sud, le Zimbabwe, l'Angola et la Zambie. Il y avait quelques trafics bien sûr, comme dans tout pays en voie de développement, mais dans l'ensemble, les habitants vivaient tranquilles et Maître Ndiapo ne faisait pas exception à la règle. C'était un grand sorcier mais il n'en faisait pas étalage. Seuls ses confrères étaient au courant de l'étendue de son savoir
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Dès qu'il avait aperçu Harry au portail de sa cour, il avait senti l'aura magique qui entourait son visiteur. D'ailleurs le jeune homme avait gardé son esprit ouvert et ne s'opposait pas à son rapide examen par Légilimencie. Il venait en ami et non en quémandeur, recommandé par un sorcier Ndébélé de sa connaissance. Maître Ndiapo était ravi, cela promettait de belles et longues palabres. Il fit apporter le thé par Gammla dans la case herboristerie et commença par demander des nouvelles des différents peuples sorciers que son visiteur venait de rencontrer. Harry fut content de constater que son hôte parlait anglais. La communication en fut facilitée.
Au bout d'une heure, le guérisseur, totalement mis en confiance, invita Harry à rester pour partager le repas de la famille qui aurait lieu en fin d'après-midi et se prolongerait par une veillée avec des chants, des histoires à raconter des deux côtés et la dégustation d'une boisson à la fois enivrante et relaxante qui provoquerait quelques moments exaltants suivis d'une nuit paisible. Harry sortit donc et dit au taxi de rentrer à Gaborone et de venir le rechercher le lendemain en fin de matinée. Il était enchanté de la bonne tournure que prenait cette visite.
Le guérisseur prit plaisir à lui montrer ses multiples ingrédients et les différents chaudrons de cuivre de toutes tailles qu'il utilisait pour préparer ses potions. Tout était parfaitement rangé sur les étagères, il n'y avait pas trace de poussière et les tapis sur le sol avaient certainement été brossés le jour même. L'odeur était particulière car les parfums se mélangeaient, quelquefois suaves, quelquefois âcres, selon l'endroit où on se trouvait dans la case.
Du feu montait une senteur de résine et de paille. Manifestement, on économisait le combustible qui devait être rare dans la région. Il n'y avait pas de flammes, seulement des braises rouges dans un cercle de pierres. Des chaudrons étaient posés juste à côté et fumaient doucement. Les préparations devaient demander du temps. Mais le guérisseur concoctait beaucoup de ses remèdes à l'avance et les conservait dans les pots de terre vernissée. Il avait montré à Harry les boîtes, les fioles et les sachets où il rangeait ses préparations. Il en avait autant que Severus Snape, autrefois, dans son armoire à Poudlard.
Dans l'après-midi, deux malades se présentèrent au portail. Maître Ndiapo les reçut sous l'arbre et les examina à la lumière du jour puis il les emmena dans l'herboristerie pour les soigner. Le premier visiteur était un Moldu blanc dont l'avant-bras droit était enflé et rouge. Le guérisseur diagnostiqua la piqûre d'une sorte de gros scarabée venimeux. Le remède était un emplâtre composé d'une terre fine, de plantes dont se nourrissait l'insecte en question, hachées menu et écrasées au pilon, et de certaines parties de l'animal réduites en poudre : ses élytres, ses antennes et ses pattes, le tout délayé dans un peu d'eau tiède. Une fois le cataplasme sec, il fallait le laisser sur le bras jusqu'au lendemain. La douleur et le gonflement devaient disparaître dans la nuit.
C'est ce que Maître Ndiapo expliqua à Harry une fois le visiteur parti. Hé oui, le scarabée était à la fois la cause du mal et le moyen de la guérison. Le jeune homme était stupéfait, il reconnaissait là l'une des bases de la pharmacopée, magique ou non. Toute chose était à la fois bonne et mauvaise. Mais bien sûr ce savoir demandait une longue pratique et beaucoup d'expérience. Le guérisseur méritait amplement sa réputation. Cependant, Harry l'avait entendu prononcer des incantations quand il avait étalé l'emplâtre sur le bras du malade. Le Moldu n'avait pas compris l'intervention magique mais la mélopée des mots avait agi inconsciemment sur son esprit et il était ainsi mieux disposé à la guérison.
Le second malade était sorcier. Cela simplifia les choses. Il souffrait des oreilles. « Il entendait sans arrêt siffler des serpents et des abeilles bourdonnaient dans sa tête. Sûr que son voisin avec qui il était en froid lui avait jeté un sort pour se venger … Ses chèvres ne donnaient plus de lait … Sa réserve de millet était pillée par des petits démons qui couinaient la nuit … Sa femme passait plus de temps à palabrer avec les voisines qu'à s'occuper de lui … »
Le cas était sérieux, enfin pas pour Harry qui souriait en entendant de loin les jérémiades du pauvre sorcier. C'était sans doute un homme trop crédule qui voyait des malédictions partout. Il suffisait qu'une petite calamité lui tombe dessus et il se croyait maudit. Mais apparemment pour le guérisseur, c'était autre chose. Il emmena le malade dans sa case et la consultation dura une bonne heure. Pendant un long moment, on entendit une mélopée chantée sur deux notes et accompagnée d'un bruit rythmé, le son assourdi d'un objet dur frappant un récipient creux.
Puis le visiteur sortit en chancelant un peu mais avec un grand sourire aux lèvres. Il tenait à la main une boîte ronde en bois. Harry le vit glisser une liasse de billets dans la main de Maître Ndiapo qui n'avait pas l'air très en forme non plus. Le guérisseur alla s'asseoir sous son arbre et resta un long moment sans bouger, les yeux fermés. Harry, qui avait passé l'heure à bavarder avec Demblé et Gammla et à regarder la mère et la sœur du sorcier préparer le repas du soir, s'assit près de lui et respecta son silence. Il était curieux de connaître le remède qui, semblait-il, avait guéri le malade. Le guérisseur ouvrit les yeux et lut le scepticisme dans le regard de Harry.
« Tu ne l'as pas cru n'est-ce pas ? Tu penses qu'il imaginait toutes ces histoires ? Tu as tort, jeune homme, tu as jugé trop vite. Ce sorcier était empoisonné. Oh pas par son voisin ! Mais par l'eau d'un puits. C'est un marchand de sel et pour son négoce, il est allé dans une région où se trouvent des marécages saumâtres. Au cours de son voyage, il a dû boire l'eau de certains puits contaminés par de mauvaises réserves profondes On ne sait d'où vient le mal, certains parlent de démons souterrains, d'autres disent qu'on a entreposé par là des résidus des mines. On ne sait. Le pays est grand et on dit beaucoup de choses. Heureusement, j'ai reconnu les signes.
-Les signes d'un empoisonnement? Mais il aurait dû avoir plutôt mal au ventre qu'aux oreilles !
-Son esprit était empoisonné, pas son corps. Cet homme était menacé de folie. C'est pour cela qu'il entendait des bourdonnements et des sifflements. Et les malheurs qu'il racontait étaient les images des visions qui hantaient sa tête.
-Des hallucinations, c'est ça ? En effet, je reconnais mon erreur, c'était très grave. Comment l'avez-vous soigné ?
-Ce n'étaient pas des hallucinations mais de mauvaises interprétations de la réalité. J'ai dû agir sur deux maux : le premier réel avec les bruits dans ses oreilles, le deuxième plus difficile à cerner à cause des images qui l'obsédaient. Je lui ai d'abord préparé une tisane d'herbes euphorisantes et j'ai ajouté la poudre d'antidote. J'en ai toujours en réserve, ce n'est pas le premier cas que je vois. Mais n'espère pas que je te donne la recette, c'est un secret que je ne partage qu'avec mes enfants.
-C'est tout à fait normal. Chez les Yakoutes, un chamane sorcier a eu le malheur de révéler à un voyageur le secret d'un lichen qui guérissait certaines maladies de peau réputées incurables. Cet homme a vendu la recette à un gros laboratoire pharmaceutique. Résultat, cette entreprise a déposé un brevet concernant le lichen et en a fait interdire la cueillette par les gens du pays. Depuis, la tribu erre dans les steppes de Sibérie à la recherche d'un autre champ de la précieuse plante. Veillez tout de même à ne pas laisser perdre ce renseignement. Tant de remèdes ont été oubliés par manque de transmission. Toutes nos préparations sont décrites dans nos livres magiques. Je n'en ai vu aucun dans la case d'herboristerie. Connaissez-vous tous vos remèdes par cœur ?
Maître Ndiapo se mit à rire. Il regardait Harry avec indulgence.
-J'ai en effet une excellente mémoire, jeune Harry. Mais ne t'inquiète pas. Gammla a entrepris de copier mes recettes sur un gros registre. Il est enchanté et seuls les Mongafa de ma lignée peuvent le voir. Je suis fier d'elle. C'est la première fille de ma famille à avoir fréquenté l'école moldue. Elle est si savante que je ne lui trouve pas d'époux digne d'elle. Toi, tu pourrais l'être. Ta puissance magique et la sienne sont comparables. Mais vous êtes trop différents. Et puis, il faudrait qu'elle te trouve à son goût. Il y a deux jours, elle a eu un coup de cœur pour un sorcier blond qui venait troquer avec moi. Un Anglais envoyé par les vendeurs de potions Slou et Jiggi. Tu le connais peut-être ?
Et Maître Ndiapo fit apparaître dans l'esprit de Harry un visage qu'il avait en effet bien connu et que la magicothérapie avait estompé de ses souvenirs. Malfoy ! Il n'y avait pas pensé depuis … très longtemps. Bizarrement, cette évocation ne provoqua aucune amertume, aucun sentiment de rejet. C'était du passé et c'était tellement loin de sa vie actuelle, si riche d'aventures et de belles rencontres ! Cela n'avait plus d'importance.
Ainsi l'ancien Mangemort était sorti d'Azkaban et avait trouvé du travail chez les apothicaires. Tant mieux pour lui. Tous ceux et toutes celles qui avaient connu les années de guerre, quel que soit leur camp, avaient seulement eu le malheur de vivre à une terrible époque. Ils étaient jeunes et ne pouvaient être tenus pour responsables de la folie de leurs aînés … Malfoy ! Ça faisait presque plaisir de penser à lui. Harry sourit et répondit d'une voix paisible :
-Je l'ai bien connu en effet. Nous avons fréquenté la même école de sorcellerie mais pas dans la même Maison … C'est un peu particulier. Ce soir, j'aimerais parler de Poudlard à vos enfants. Ils voudront peut-être savoir comment est enseignée la magie dans mon pays. Mais revenons aux soins que vous avez donnés au sorcier empoisonné. Vous avez chanté une longue incantation en vous accompagnant sur un tambour. Pouvez-vous m'en dire un peu plus ?
-Bien sûr. Le chant servait à balayer toutes les images mauvaises qui encombraient sa tête et à faire le vide dans son esprit. Il fallait aussi agir sur ses oreilles et combattre les sifflements et les bourdonnements, qui étaient bien réels et le rendaient fou. Mais ce n'était pas un tambour que j'utilisais. Je frappais en rythme sur une jarre avec mon bâton-sorcier … Je te montrerai ce soir à la veillée. Le son est comme un serpent qui se contracte et étouffe petit à petit sa proie. Il a détruit la cause de la maladie, le poison qui pourrissait sa tête.
-En effet, il était tout réjoui quand il est sorti de la case. Un peu faible encore. Comme vous d'ailleurs. Vous aviez l'air épuisé.
-Je l'étais, jeune Harry. C'était long et difficile mais je devais réussir. C'est mon obligation. Le « don » est en même temps une bénédiction des dieux et une charge. On ne peut se dérober à son pouvoir. Il est dans ma famille depuis mes plus lointains ancêtres. Demblé en a hérité aussi mais d'une façon différente. Chacun de nous doit le cultiver selon ses possibilités. Tu le sais d'ailleurs. Toi aussi tu as dû travailler dur pour développer tes dons. Tu y as sacrifié ta jeunesse. Mais je ne veux pas assombrir cette belle journée par d'anciennes images. Reprenons un thé avant de manger tous ensemble. Parle-moi encore des peuples que tu as rencontrés …
Le soleil orange descendait lentement vers l'horizon. L'ombre de l'arbre s'allongeait dans la cour. Les jeunes enfants jouaient en lançant en l'air et en rattrapant au vol des petites pierres rondes. La mère, la sœur et la fille de Ndiapo étaient rentrées dans la deuxième case qui semblait être l'habitation principale. La palabre continuait entre les deux sorciers, enrichissante des deux côtés. Demblé se joignit à eux mais resta silencieux la plupart du temps. Il souriait, battant d'un doigt une mesure lente sur son genou. Il rêvait probablement à la musique …
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