Chapitre 2 Quelques temps plus tard, alors qu’il donnait son cours, le professeur Nelson put constater, comme il l’avait redouté, que ses élèves n’avaient strictement rien à faire de ce qu’il racontait. Il regrettait souvent d’avoir choisi ce métier, il s’était imaginé des élèves avides de savoir, qui viendraient demander conseils, lui les aidant du mieux qu’il pouvait, mais il était loin du compte. Regardez-moi tous ces abrutis, je leur donnerais un cour de maths qu’ils ne s’en rendraient même pas compte, pourquoi continuer à me fatiguer puisqu’il n’y en a pas un qui… À ce moment il se rendit compte que si, il y en avait quand même deux ou trois qui l’écoutaient, il y en avait même un qui avait l’air aussi attentif qu’intéressé par ce qu’il disait. Voilà qui était rassurant, cela atténua son énervement et pour ces quelques élèves il continuerait à enseigner de la manière la plus intéressante possible, après tout il était là pour ça. Fatigué cependant de s’être angoissé, il leur donna à tous un travail à effectuer durant la deuxième heure de cour, il y eut quelques protestations et soupirs mais la plupart s’appliquèrent à leur tâche. L’enseignant s’était dit que ce serait par la même occasion un bon moyen pour apprendre à mieux les connaître et aussi retenir le nom des plus attentifs, ils étaient tellement nombreux, comment aurait-il pu se souvenir de celui de chacun autrement ? Les jours s’écoulèrent et les cours s’installèrent dans une routine paisible, sans perturbation particulière. Un vendredi soir, après une compétition amicale à la piscine, Julien retrouva ses amis qui étaient venus l’encourager comme promis. Même Simon était là, mais Julien le soupçonnait fort de n’être présent que pour draguer ses nombreuses fans. Ensemble, ils se mirent d’accord sur leur sortie du week-end, qui serait comme ils en avaient eu l’habitude au cours de l’année précédente, tous chez Angelo le samedi soir. Angelo était le patron de Julien, ils s’entendaient très bien et il aimait beaucoup avoir cette petite bande de jeunes dans son établissement, ils mettaient toujours de l’ambiance tout en restant très corrects. « Ouais, toujours pareil, vous vous amuserez pendant que moi je ferai le service ! Ingrats ! » plaisanta Julien. « On sacrifie notre sortie pour te tenir compagnie tu veux dire ! Et voilà comment on est remercié », rétorqua Tristan, prenant un air faussement dramatique. « T’inquiète frangin, on va se venger demain et le traiter comme notre esclave !! » railla Lucie. Ils se mirent tous à rire, car ils savaient bien qu’en fait Julien était vraiment très heureux qu’ils passent toutes leurs soirées du samedi à ses côtés. La soirée du lendemain se déroula donc dans la bonne humeur à un détail près ; depuis la rentré, Tristan était étrange, toujours dans la lune et l’air peu dans son assiette. Ce soir là c’était encore pire, il détournait même le regard lorsqu’il croisait celui des autres. Julien ne comprenait pas très bien ce qui arrivait à son ami, cependant il décida d’ignorer la situation, se disant que les jumeaux en parleraient entre eux. C’est exactement ce qui arriva, non sans que Lucie l’ait un peu forcé. Elle feignit un mal de ventre pour rentrer chez elle et bien sûr, étant inséparable, Tristan la suivit. De retour à leur domicile, ils se préparèrent pour aller se coucher et Tristan s’installa dans la chambre de sa sœur pour lui demander si elle se sentait mieux. « Tristan, si tu te décidais une bonne fois pour toutes à me dire ce qui ne va pas, ça te ferait du bien. En plus on ne s’est jamais rien caché je n’aimerais pas que ça commence », l’attaqua-t-elle. « Tu n’es pas malade du tout en fait, hein ? » sourit-il. « C’est pour toi que j’ai voulu rentrer, je voyais bien que tu étais de plus en plus mal. Je m’inquiète, Tristan », avoua-t-elle, tout en soutenant son regard pour qu’il ne se dérobe pas. « Merci mais en fait, on en a déjà parlé. Tu sais bien que je suis gay… » répondit son frère en baissant les yeux. « Et alors ? Ce n’est pas nouveau… Tu ne te comportais pas aussi bizarrement pour autant », insista Lucie. « À moins que… Es-tu amoureux Tristan ? » ajouta-t-elle après un moment de réflexion. « …Oui », avoua son jumeau, embarrassé. Son regard était triste, Lucie le prit par la main mais ne dit rien, et se contenta de le fixer pour bien lui faire comprendre qu’elle attendait la suite. Il soupira, sachant qu’il n’y échapperait pas… « Julien », dit-il simplement. « Quoi Julien ? » questionna sa sœur. « Ne fais pas semblant de ne pas comprendre », se fâcha Tristan. Elle se demanda alors si Julien avait appris que Tristan était gay et qu’il l’avait mal pris mais connaissant son ami, elle était certaine qu’il n’aurait jamais réagi de cette manière. Simon peut-être mais pas Julien. Alors quoi… Soudain, elle comprit. « Tu… Tu es amoureux de Julien ?? Mais, on se connaît depuis tellement longtemps… C’est venu comme ça tout d’un coup ? Est-ce qu’il le sait ? » hurla-t-elle en le secouant par les épaules. « Oui c’est venu comme ça et non il ne le sait pas. Je ne lui dirai jamais d’ailleurs, il ne doit pas savoir. J’ai trop peur de le perdre », souffla le jeune homme tristement. Il tenta un sourire mais ne réussit qu’un rictus qui ressemblait plutôt à une grimace. Lucie, peinée pour son frère, décida cependant de rester objective. Elle savait que Tristan n’apprécierait pas qu’elle lui dise simplement les paroles qu’il avait envie d’entendre pour le réconforter. « Je ne crois pas qu’il réagirait mal mais c’est un vrai papillon, un ami formidable mais un petit ami exécrable, tu vois bien comment il traite les filles, il s’en fout royalement… Il n’est pas question que tu laisses un gars te traiter comme ça. Tu as raison, c’est peut-être mieux de ne rien lui dire mais il ne faut pas que ça te détruise non plus », lui expliqua la jeune fille. « Je sais tout ça, de toute façon les mecs ne l’intéressent pas et tu imagines le bordel dans notre petit groupe intouchable ? » se moqua Tristan. « Toi au moins tu as eu la chance de l’avoir à toi pour une nuit. J’en rêve… » jalousa-t-il. « Tristan… ça ne voulait rien dire, tu le sais bien, c’est mon meilleur ami, on avait bu et on avait envie d’essayer en sachant très bien que c’était juste comme ça », se justifia sa sœur. « En tous cas, il m’obsède de plus en plus, j’espère que ça ne finira pas par se voir parce que là je serais vraiment mal ! Tu ne lui en parleras jamais hein ? Ni à lui ni à personne ? » supplia le jeune homme. « Bien sûr que non, gros bêta, ne t’inquiète pas. Et quand tu as besoin d’en parler je suis là, ça aide quand même un peu tu trouves pas ? Tu vas péter un câble si tu gardes toujours tout pour toi », affirma la jumelle. « Oui c’est vrai, merci Lucie. Je t’adore », conclut Tristan. « Moi aussi je t’adore, allez viens près de moi, je te kidnappe pour la nuit ! » lança-t-elle. « Mmmm, j’adore quand tu joues les ravisseurs ! » gloussa-t-il, avant de se blottir dans les bras de sa soeur. Ils s’endormirent rapidement, la tension qui avait régné pendant cette conversation les avait tout deux épuisés. Mais le corps chaud serré contre le sien n’arrangea en rien les rêves de Tristan, qui garda un sourire béat sur le visage jusqu’au petit matin. Le lendemain, Julien et Simon passèrent les voir pour prendre des nouvelles de Lucie, Simon plus inquiet qu’il n’aurait dû l’être, comme à chaque fois que cela concernait la jeune fille. Julien se demandait si ces deux-là allaient attendre d’être à l’hospice pour se déclarer, parce qu’il était certain que Lucie n’était pas, elle non plus, insensible au charme de leur ami. Cette dernière se portait comme un charme, vu qu’elle avait simulé et Tristan avait l’air mieux aussi, parler avec sa sœur lui avait fait du bien et il dissimulait mieux son trouble. Le lundi qui suivit, Julien se leva très tôt ; il avait mal dormi, une nuit de cauchemars comme cela lui arrivait de temps en temps. Il était de mauvaise humeur pour la journée, c’était certain. Quand ça lui arrivait, la seule envie qu’il avait était de rester seul mais il devait se rendre à ses cours. Il décida alors de partir directement pour l’université, ainsi il aurait le temps de se planquer avant qu’une horde de filles l’assaille comme pratiquement chaque matin. Aucune envie de leur parler aujourd’hui, il voulait la paix. Manque de chance, quand il arriva une de ses ex était déjà là avec ses copines, elles ne l’avaient pas vu et il en profita pour se glisser par la fenêtre entrouverte de la bibliothèque ; il ne serait pas dérangé puis qu’elle était encore fermée à cette heure-ci. Il s’installa confortablement et ressassa ses cauchemars jusqu’à ce qu’il entende de légers bruits provenant d’une allée un peu plus loin de celle ou il se trouvait. Qui d’autre que lui pouvait bien se cacher à la bibliothèque à cette heure ? Il avança prudemment vers les sanglots, car c’en étaient, pour en découvrir l’auteur. Le professeur Nelson était adossé à une étagère, les jambes repliées. N’ayant jamais vu un enseignant pleurer, Julien resta figé de surprise, jusqu’à ce que François Nelson, se rendant enfin compte de sa présence, se mette brutalement en colère. « La bibliothèque est fermée à cette heure, monsieur Polet ! Vous n’avez rien à faire ici ! Vous êtes entré par la fenêtre ? Ça vous amuse d’épier vos professeurs ? Foutez le camp d’ici tout de suite ! » s’égosilla-t-il. « Je » eut à peine le temps de commencer Julien. « Je ne veux rien savoir ! Dehors ! » hurla le professeur. Julien repartit sans insister, ça ne servait visiblement à rien. Il était vraiment très embêté que son professeur ait cru qu’il l’espionnait, ce n’était décidément pas son jour. Apparemment ce n’était pas celui de Monsieur Nelson non plus, que lui était-il arrivé ? Julien se sentait peiné pour lui, il avait toujours eu bon cœur et appréciait beaucoup son enseignant. Il essayerait à un autre moment de lui faire comprendre qu’il ne l’espionnait en rien. Entre temps, ses amis étaient arrivés et il alla les rejoindre. De son côté, le professeur était encore plus démoralisé qu’auparavant, un élève l’avait surpris ! Voilà qu’en plus de ses problèmes, il allait devenir la risée du campus. Il devrait maintenant faire face à une bande de sales gosses hilares d’avoir appris une telle faiblesse de sa part. Car pour lui, il n’y avait aucun doute qu’ils étaient en ce moment même occupés à en rire. François était quelqu’un de très pessimiste et de terriblement mal dans sa peau. L’heure de son cours avec la classe de Julien était arrivée et les élèves l’attendaient, Julien perdu dans ses pensées. Lucie lui ayant fait remarquer qu’elle le trouvait bien étrange ce jour là, il lui répondit simplement qu’il était de mauvaise humeur et qu’il avait passé une mauvaise nuit. Elle n’insista pas, le connaissant elle savait qu’il préférait être tranquille dans ces moments là. Le professeur arriva, mal à l’aise, prêt à voir des sourires moqueurs autour de lui, mais rien. Comme lors de ses cours précédent tout avait l’air normal. Était-il possible que ce garçon n’ait parlé de cet incident à personne ? Il le chercha du regard et remarqua que, contrairement à ce qu’il croyait, c’était de l’inquiétude et de l’embarras qu’il pouvait lire dans ses yeux et aucunement de l’amusement. Cet élève n’était décidément pas ordinaire. Tout au long du cours, Julien ne le quitta pas des yeux mais il fut moins attentif que les autres jours. Il prit conscience qu’en fait Monsieur Nelson avait toujours l’air tellement triste, il n’y avait jamais fait attention auparavant. Cela l’intrigua, s’il avait des problèmes, pouvait-il l’aider ? Pourquoi cela le tracassait-il tant, ce n’était qu’un prof après tout, pas un copain… Mais pour une fois qu’ils avaient un super prof… C’était décidé, il ne savait pas encore très bien comment mais il allait faire de son mieux pour essayer de lui venir en aide, d’une façon ou d’une autre. Ça lui prendrait probablement beaucoup de temps car avait dans l’idée que le professeur ne se laisserait pas approcher facilement. Le cours se termina et Julien fit signe à Lucie qu’ils se verraient le lendemain ; elle lui rendit son geste et le laissa. Elle savait de toute façon que s’il en avait besoin, il viendrait la voir de lui-même. Dès que tous les élèves furent sortis, Julien s’approcha du bureau de son professeur. « Monsieur Nelson, je peux vous parler un instant ? » tenta-t-il. François le regarda et se dit qu’après tout il avait su tenir sa langue. « J’ai été un peu dur avec vous ce matin, je vous présente mes excuses », répondit l’enseignant. « Oh, il ne faut pas ! Je comprends… Je voulais juste vous dire que je ne vous espionnais pas du tout ce matin, je ne savais pas que vous étiez là. Je voulais juste être un peu seul », s’expliqua Julien. « Je suis content de m’être trompé sur votre compte dans ce cas. N’en parlons plus, oubliez ce qui s’est passé. Bonne soirée Monsieur Polet, à demain », conclut le professeur. Oublier ! Julien n’en avait aucune intention mais bon, il devrait se contenter de ces quelques paroles pour aujourd’hui. Il salua le professeur à son tour et lui dit en sortant : « J’espère sincèrement que les choses s’arrangeront pour vous et que vous vous sentez mieux, Monsieur. À demain. » François resta bouche bée un instant, seul dans l’auditorium. Il n’en revenait pas, ce garçon était sûrement la première personne qui s’inquiétait pour lui. Décidément c’était vraiment quelqu’un de bien. Il sourit en pensant à lui, avant de quitter la salle à son tour. Ils ne se reparlèrent pas les jours qui suivirent mais échangèrent de temps à autre quelques regards et sourires. À suivre... |