Chapitre 4 Un samedi matin Julien décida d’aller peindre dans le parc, il faisait beau et il avait besoin de se changer les idées. Au cours de la semaine, il avait pris son crayon pour entamer un croquis, et à chaque fois, c’était le visage de Monsieur Nelson qui lui était venu à l’esprit, il avait donc abandonné en repensant à la conversation qu’il avait eue avec Tristan. Il était décidé, aujourd’hui, ça serait les oiseaux du parc qu’il dessinerait. Il se prépara un casse-croûte pour midi et laissa un mot à sa mère qui était partie de bonne heure avec une de ses amies. Le parc n’était pas bien loin de chez lui, il aimait beaucoup s’y rendre. Un des rares coins de verdure qui avait été épargné. Il y avait quelques bancs qui donnaient vue sur un étang, de beaux grands arbres dans lesquels quelques écureuils avaient trouvé refuge et aussi un petit bac à sable où s’amusaient les enfants. Ce jour là, il fit un magnifique tableau de l’étang avec ses plantes et ses canards. Les passants s’arrêtaient souvent pour le regarder peindre et certaines jeunes filles pour le regarder lui ; ayant l’habitude, il était amusé. Ça lui faisait toujours un bien fou de se retrouver là, il était détendu et était heureux de sa décision. Il fit une deuxième peinture qui représentait une dame âgée assise sur un banc ; elle avait l’air tellement bien à cet endroit, même les oiseaux venaient la voir. Après s’être reposé, l’air du parc lui creusant l’appétit, Julien avala son déjeuner et remballa ses affaires. L’étape suivante de sa petite escapade était le marchand de glace qui se trouvait un peu plus loin, à proximité d’un petit magasin d’alimentation. La vieille dame du parc s’en allait avec tous ses sacs, la pauvre était chargée comme un baudet. Tout à coup, elle tituba et lâcha son fardeau, il courut la soutenir et l’aida à s’asseoir sur un petit muret pas loin de là. Il ramassa ensuite ses courses en regardant les gens qui s’affairaient sans bouger le petit doigt. Il paniquait un peu, personne n’avait l’air de réagir, ou bien se disaient-ils tous que lui avait l’air de s’en occuper, donc que c’était bon ? Que devait il faire ? Il était certainement préférable qu’il reste à ses côtés jusqu’à ce qu’elle se sente mieux. « Est-ce que ça va aller madame, voulez-vous que j’appelle une ambulance ou que je vous conduise à l’hôpital ? » demanda-t-il, inquiet. « Cela ne sera pas nécessaire jeune homme, je vous remercie. Ne vous inquiétez pas, ce n’était qu’un petit malaise, ma tension me joue des tours », sourit-elle en retour. « Vous habitez loin ? Laissez-moi au moins vous raccompagner, je porterai vos sacs. Je m’appelle Julien, je sais que je suis un inconnu mais vous n’avez aucune crainte à avoir de moi vous savez », proposa-t-il. « Enchantée Julien, je m’appelle Camille. Je prends le risque de vous suivre, je suis fatiguée et puis, ce n’est pas souvent que l’on me propose de l’aide », accepta la vieille dame. Ils se rendirent donc à son domicile. Ce n’était pas très loin, heureusement, elle habitait une belle petite maison chaleureuse, un peu comme la sienne. Il l’aida à ranger ses courses et ensuite lui demanda de s’installer dans son fauteuil au salon pendant qu’il lui préparait du thé et quelques biscuits, après lui avoir demandé la permission bien entendu. Elle le laissa faire, amusée qu’un jeune homme s’occupe de cette façon. Pendant ce temps, elle appela son petit-fils pour lui demander de venir la voir, rassurant Julien par la même occasion car il avait un peu peur de la laisser seule. Après avoir fait le service, à la demande de Camille, il lui montra les deux tableaux qu’il venait de peindre. L’expression émerveillée de cette gentille mamie le ravit. Elle ne s’était pas du tout rendue compte d’avoir été le modèle du jour. Elle apprécia surtout la reproduction de l’étang, trouvant plus agréable de regarder des canards qu’une vieille mémé, lui dit-elle en riant, d’un joli rire doux, plein de chaleur. Julien l’appréciait vraiment beaucoup, il n’avait pas de grand-parents et ça lui manquait parfois. Ils discutèrent un bon moment, Camille vivait seule depuis que son petit-fils s’était marié, avec un monstre avait-elle ajouté, ce qui fit sourire Julien car les femmes qui enlevaient leur petit garçon à leur maman et leur mamie ne pouvaient être que des monstres… c’était bien connu. D’autant plus que son petit-fils était sa seule famille. Il voulait toujours l’aider pour tout, il avait le cœur sur la main, mais elle refusait son aide car elle trouvait sa vie déjà bien chargée. Un air mélancolique traversait son visage à chaque fois qu’elle parlait de lui. On entendit le bruit d’une clé tournant dans la serrure et un homme entra dans le salon. « Ma… mie… » s’arrêta l’homme, stupéfait. « Monsieur Nelson ? C’est vous le petit-fils de Camille ? » questionna l’étudiant, tout aussi surpris. « Camille ? Déjà ? Alors mamie, on drague ? » plaisanta François. Voilà une facette de la personnalité de son professeur que Julien n’avait jamais vue. Monsieur Nelson plaisantait et souriait, pas croyable ! Ça le changeait, il était encore plus beau comme ça et il aurait aimé le voir aussi gai tout le temps. Julien se donna une claque mentale, ses pensées commençaient à déraper légèrement. « Tu connais Julien mon chéri ? C’est un de tes élèves ? Un garçon charmant, il m’a aidé, il a porté mes courses et il est aux petits soins pour moi depuis que nous sommes rentrés, je vais beaucoup mieux, il m’a même préparé du thé ! » s’anima Camille. « Merci beaucoup Julien, une chance que vous ayez été dans le coin. Mais mamie ça va, tu es sûre ? » « Oui, oui. Ne t’inquiète donc pas toujours comme ça ! Je t’ai appelé parce que Julien ne voulait pas me laisser seule, il est comme toi, inquiet pour la mémé ! » rit-elle. « Et il a eu raison ! Ne prends pas un malaise à la légère, tu es toute ma vie… ne l’oublie pas », souffla François. « Mon chéri… » soupira-t-elle en lui caressant la joue, le regard plein de tendresse. Julien était très gêné de se trouver là, perturbant leur intimité. Ils étaient vraiment proches, mais il se rappela que c’était normal, puisqu’elle était sa seule famille. Si jeune, il n’avait donc déjà plus de parents ? Le regard de François se posa sur le tableau qui représentait sa grand-mère et ne le quitta plus des yeux. « C’est toi qui as fait ça ? » demanda le professeur. « Oui, c’est moi. J’aime bien de temps en temps aller au parc et peindre au hasard ce qui me plaît » « Tu es vraiment très doué, on dirait que tu connais ma grand-mère depuis des années tellement ça lui ressemble », dit François d’un ton admiratif. « Merci, je vous l’offre si il vous plaît tant. » « Vraiment ? Merci ! Mais je profite là, non seulement tu lui viens en aide mais c’est encore toi qui m’offre un cadeau. À propos, tu peux m’appeler François ! » « Ça me fait plaisir de vous l’offrir François, ça en vaut la peine rien que pour voir votre sourire. » Triple baffe mentale, Julien tu es dingue ou quoi !!! François Nelson était rouge jusqu’à la racine des cheveux, Camille, elle, avait l’air ravie de cette remarque. Julien aurait voulu se trouver à dix mille kilomètres de là en ce moment ! Il se mit à bafouiller : « Heu… Ne le prenez pas de travers, je voulais dire… que je ne vous avais jamais vu sourire comme ça et que je trouvais ça dommage… Et pour ce qui est d’avoir aidé Camille c’était tout à fait normal, je suis sûr que vous en auriez fait autant. » Sur ces paroles il se leva avant d’ajouter « Excusez-moi, mais je dois partir. L’autre tableau est pour vous, Camille. Je suis vraiment content que vous l’aimiez tant. » « Merci mon petit Julien, je vais le mettre au-dessus de la cheminée pour qu’on le voie bien. Mais tu ne dois pas partir tu sais, ne sois pas gêné parce que François est ton professeur », assura la grand-mère. « Oh, ce n’est pas ça, je travaille ce soir, je vais bientôt commencer. Je travaille « Chez Angelo » tous les samedi soirs et dimanche après midi, vous connaissez ? » « Ah oui, un café ou l’on fait petite restauration aussi. Ce n’est pas très loin d’ici… » « En effet, passez un de ces jours Camille, je vous offrirai un thé ou autre chose si vous préférez… Vous aussi François, ça me ferait plaisir », proposa l’étudiant. « Heu… J’essaierai… Merci encore pour le tableau », répondit Monsieur Nelson, troublé. « Moi je viendrai te dire bonjour demain après-midi. Et passes ici aussi souvent que tu en as envie Julien, je serai ravie de te revoir », assura Camille. « Merci beaucoup, je reviendrai, c’est promis. Je vous laisse ma carte avec mes coordonnées, si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez jamais à appeler. Peu importe l’heure, mon téléphone est toujours allumé. On ne sait jamais, François pourrait une fois être injoignable ou simplement plus loin de chez vous. Promettez-moi que vous le ferez. » « C’est promis Julien, tu es vraiment adorable. Merci pour cette après-midi. À demain. » « Oui, à demain, mais si vous ne vous sentez pas bien ne vous forcez pas. » Julien partit travailler sur ces derniers mots songeant à son après-midi. Que le monde est petit… En tout cas, il est vraiment différent avec sa mamie. Je devrais lui demander pour le peindre lorsqu’il se trouve à ses côtés, il aurait pour une fois une autre expression. Camille, quant à elle, taquinait François sur sa timidité ; rougir de cette façon, ça l’amusait beaucoup ; pas lui, il se sentait honteux. Julien… c’est fou ce que ce garçon prenait comme place dans sa vie dernièrement, et maintenant, il le verrait peut être parfois en dehors des cours avec sa mamie. Quelque chose lui disait qu’il ne devrait pas, mais en même temps, l’envie d’avoir enfin un ami sincère le tentait. Il sentait cela possible avec l’étudiant, il était tellement gentil et serviable. « Dis-moi François, il est bon élève notre Julien ? » « Notre Julien ! Tu viens à peine de faire sa connaissance. Tu ne le trouves pas un peu jeune pour toi d’ailleurs ? » se moqua son petit-fils. « Si et toi, tu le trouves trop jeune pour toi ? » nargua Camille qui ne comptait pas se laisser faire. « Mamie ! Arrête de radoter ! Et au cas où tu serais sérieuse, je te connais… tu sais bien que je suis marié, et Julien est un jeune homme, mon élève en plus ! » « Mmm, qui t’a parlé de ce genre de relation ? C’est donc à ça que tu penses quand il s’agit de lui… Je le trouve charmant et tu as l’air de lui plaire, fille ou garçon, l’important c’est d’être heureux. Puis tu sais comme moi que ton mariage est un fiasco », argumenta-t-elle. « Mais non ce n’est pas comme ça que je le vois ! Tu n’as pas tort pour mon mariage, mais je fais de mon mieux pour arranger les choses. Je trouve ça un peu choquant que tu me parles de Julien de cette façon. Mais pour répondre à ta première question, oui, il est très bon élève et dans toutes les branches d’après ce que j’ai entendu dire », s’emporta François, à nouveau rouge pivoine. « Un garçon parfait, beau, intelligent, gentil, serviable… » « Mamie ! » « D’accord, j’arrête », dit-elle après un éclat de rire, « Je pense juste que la présence de ce garçon pourrait te faire du bien, et je crois que lui aussi pourrait avoir besoin de toi… » « Je ne vois pas ce qu’un garçon populaire comme lui ferait avec un pauvre type comme moi. » « Je n’aime pas quand tu parles comme ça, François… En parlant avec lui cette après-midi, j’ai vu par moment des zones d’ombres passer dans ses yeux, il a peut-être aussi eu des moments difficiles dans la vie. Tu n’es pas seul à avoir souffert par le passé, tu sais. Tu as tendance à l’oublier. Je comprends que tu sois sur tes gardes mais il est parfois bon de les baisser… » « J’ai sympathisé avec certains autres enseignants tu sais, notamment le professeur de dessin de Julien. » « C’est toujours ça. L’ours daigne sortir de sa grotte ! » se moqua-t-elle de plus belle. « C’est ça ! Rigole ! » fit-il, faussement vexé. Le lendemain, comme promis, Camille poussa la porte du café. Elle était venue seule, Julien avait un peu espéré que François l’accompagnerait mais il était déjà très content de la voir. Camille sourit le voyant assailli de jeunes filles, il lui fit un clin d’œil et vint la rejoindre. « Voilà la plus jolie des mamies ! » l’accueillit Julien. « Flatteur ! C’est pour ça que tu es si bien entouré ! » sourit la grand-mère de François. « Toutes folles de moi ! » clama le jeune homme. « On t’a entendu Julien !!! » s’écrièrent les autres filles. « Ah, désolé les filles mais mon choix est fait », dit-il en embrassant la main de Camille. Tous rirent de bon cœur. La mamie passa une petite heure près de lui puis, commençant à être fatiguée, elle rentra chez elle. Durant cette heure, elle ne rata pas l’occasion de lui demander ce qu’il pensait de François. Il lui répondit que c’était un excellent professeur qui donnait ses cours de manière très attrayante. Et aussi qu’à la bibliothèque il lui conseillait des livres à sa demande et que ses choix étaient des plus intéressants. Il aurait d’ailleurs beaucoup aimé pouvoir en discuter plus amplement avec lui, mais ne voulait pas le déranger. Camille lui assura qu’il devrait lui demander, elle était certaine qu’il en serait ravi. Il lui promit qu’il le ferait, la remercia d’être venue et lui souhaita un bon retour. À suivre… |