Chapitre 6 Ce mardi après-midi, le travail que François avait prévu de donner à la classe de Julien était celui-ci : les élèves avaient les deux heures de cours et la soirée pour terminer un texte ou un poème de leur création. Ils devaient y inclure l’explication de leur choix et commenter leur oeuvre. Pour certains les deux heures de cours suffirent ; Julien en faisait partie, il était même très fier de ce qu’il avait écrit. Il passa la soirée avec Lucie, Tristan et Simon. Comme ils étaient tous assez pris de ces temps-ci, ils ne se voyaient plus beaucoup. Julien leur apprit qu’il arrêtait la natation, ils trouvèrent tous ça assez normal, il en faisait beaucoup trop. L’entraîneur, lui, n’était pas ravi mais il n’insista pas, il savait que de toute façon personne n’était bon à rien sous la contrainte. Il y avait un changement radical dans l’attitude de Julien, seul Tristan savait ce qui était en train de se passer et ça énervait Lucie et Simon qui eux ne comprenaient vraiment pas. Ils se sentaient même un peu mis à l’écart par rapport aux deux autres, c’était la première fois que ça arrivait au sein de leur petite bande. Il commençait à y avoir des secrets entre eux et ils n’aimaient pas ça du tout. Le lendemain, au moment de remettre les copies du devoir littéraire, Julien fut pris de panique. Il ne s’était vraiment pas attendu à ce qu’ils doivent d’abord lire leur travail devant tout l’auditoire avant de pouvoir rendre leur copie. Merde, c’était à son tour. Il arriva devant l’assemblée et sortit un texte humoristique et satirique à souhait. Il fit le pitre comme il savait le faire pour amuser la galerie et quand il eut terminé, toute la classe se marrait en lui balançant des « Tu es le meilleur Julien ! ». Il fit alors un geste de la tête en repoussant une mèche de ses cheveux de la main vers l’arrière en disant qu’il le valait bien, ce qui fit redoubler les rires, même Monsieur Nelson rigolait, et Dieu sait comme Julien aimait le voir rire comme ça. Lorsqu’il tendit sa copie au professeur, ce dernier l’arrêta et lui demanda : « Tu n’as pas regardé ta copie une seule fois, l’as-tu apprise par cœur ? » Julien sourit avant de répondre « Non j’ai improvisé, ce texte-ci n’a rien à voir, je l’ai écrit pour vous et j’ai pensé que le lire à voix haute ne pourrait que nous mettre mal à l’aise tout les deux. » « Écrit pour moi ? En tous cas, si c’était de l’improvisation, on n’y a vu que du feu, c’était vraiment très réussi ! » « Merci ! » fanfaronna Julien avant de rejoindre sa place. François était un peu inquiet, que voulait-il dire par écrit pour lui ?… Il était pressé de le lire mais voulait attendre d’être seul, car si il y avait réellement une chance pour que ça le mette mal à l’aise, c’était préférable. Il attendit péniblement la fin de la journée, pour qu’une fois rentré chez lui il puisse enfin se ruer sur la copie de Julien. Le titre disait « Le bonheur arrivera un jour… ». En gros, il lui écrivait que même si le bonheur l’avait un peu oublié, il ne fallait pas que lui l’oublie car il finirait par venir. L’étudiant le lui affirmait en lui promettant par la même occasion qu’il ferait tout pour cela car il était vraiment très important à ses yeux. Un texte plein d’émotions et d’amour, oui… il pouvait le ressentir, il y avait de l’amour dans ce texte. Il était en larmes (pour changer), tellement touché par ces mots. Est-ce que cela voulait dire que Julien l’aimait ou juste qu’il l’appréciait et voulait l’aider ? Et si c’était de la pitié, l’ayant vu plusieurs fois en plein désarroi ? Et lui, que ressentait-il au juste pour le jeune homme ?… Tellement de questions se bousculaient en lui… Il savait qu’il serait effectivement mal à l’aise le lendemain, surtout qu’ils avaient prévu de se voir chez l’étudiant au soir. François bénissait les dons d’improvisation de Julien, il n’osait pas imaginer ce que ça aurait donné s’il avait lu ce texte devant tout le monde. Pour l’heure, il décida d’aller dormir chez sa mamie, il avait tellement de chose à raconter à celle qui était sa confidente depuis si longtemps. Il ne lui avait même pas encore dit que sa femme était partie. Arrivé chez Camille, il sonna trois petits coups avant de mettre la clé dans la serrure, c’était le signal lorsqu’il commençait à se faire tard pour qu’elle sache qu’il s’agissait de lui. Elle ne dormait pas encore et dès qu’elle vit la détresse sur le visage de son petit fils, elle lança aussi vite : « Qu’est-ce qu’elle t’a encore fait ! » « Hein ? Ah ! Non, rien, ça n’a rien à voir avec ma femme… En fait, elle m’a quitté et elle a demandé le divorce. Mais le problème n’est pas là… Je me sens perdu mamie, j’ai besoin de tes conseils », avoua François, qui avait été très surpris par l’attaque de sa grand-mère. Pour une fois, il avait complètement oublié sa femme. « Je t’écoute mon chéri », se radoucit aussitôt Camille. « Avant tout je dois te dire que la maman de Julien nous invite tous les deux à déjeuner dimanche, j’ai déjà accepté, j’espère que j’ai bien fait. » « Bien sûr, j’ai hâte de rencontrer la maman d’un si bon petit. » « Et ce qui me perturbe c’est ça, il a écrit ce texte pour moi », expliqua le professeur en tendant le papier à sa grand-mère. Celle-ci le lut avec attention et fut aussi émue que lui lorsqu’il l’avait terminé. « Je comprends que tu sois troublé, c’est magnifique et je suis certaine qu’il en pense chaque mot. Ce garçon t’aime François, il voit que tu ne vas pas bien et il veut t’aider, c’est normal quand on aime… » « Tu crois que c’est ça, tu ne crois pas qu’il a pitié de moi ? Tu sais il m’a une fois surpris en train de pleurer et il sait que je suis séparé… » refusa d’admettre le petit fils. « Tu sais très bien que ce n’est pas de l’apitoiement, c’est quelqu’un de bien et je ne pense pas qu’il soit comme ça. En plus, il me semble qu’il ne connaît pas assez de ta souffrance pour avoir pitié, ce que tu as pu vivre n’est pas écrit sur ton front tu sais. C’est de l’amour François, j’en suis certaine ! Et je crois d’ailleurs que tu l’aimes aussi, c’est ça qui te fait tellement peur. » « Peut-être, oui, mais je me dis que si c’était quelqu’un d’autre aussi gentil que lui que ce serait certainement pareil… J’ai pas l’habitude alors je m’attache à la première personne qui le désire. » « Vraiment ? Tu n’as pas de collègues ou d’autres élèves gentils qui t’ont fait des avances ? » sourit Camille, en se rendant bien compte qu’il essayait toujours de fuir. « Si c’est vrai… j’ai refusé », admit François. « Il a beaucoup de maturité pour son âge, vivre seul avec sa maman depuis toujours a dû le faire grandir plus vite. Ah, si j’étais plus jeune… » rit la mamie, ce qui fit sourire le jeune homme. « J’ai parfois l’impression qu’il a plus de maturité que moi, je passe mon temps à pleurer comme un gamin de ces temps-ci », se plaignit l’enseignant. « On pleure à tout âge mon chéri, tu es un garçon sensible c’est tout. Et c’est bien normal, je crois que tout le monde le serait dans ton cas. » « Qu’est-ce que je dois faire, il attend sans doute une réaction… Je le vois demain soir comme je t’avais dit… » paniqua François. « Laisse les choses se faire d’elle-même, suis ton instinct et tu verras bien ce qu’il attend de toi. » « Et si j’étais complètement à côté de la plaque et que je passe pour un con ?! Il ne voudrait plus me voir ! Il devient vraiment important pour moi, il devient un véritable ami, je ne veux surtout pas perdre ça ! » « Ne t’énerve pas comme ça ! Après un texte comme celui-là tu doutes encore ? Qu’est-ce qu’il te faut, qu’il se jette sur toi ? » se moqua Camille. « Ben, ça aurait le mérite d’être clair en tous cas », plaisanta le petit fils. « En effet ! » « Bon je vais te laisser aller dormir mamie, il se fait tard. Bonne nuit. » « Merci, à toi aussi. Essaie de ne plus trop penser à tout ça et de passer une bonne nuit, s’il te voit avec une tête de revenant demain, il va s’en vouloir… » conclut Camille. ------ Julien n’avait presque pas dormi de la nuit. Et si François avait mal pris le texte ? Si il trouvait qu’il se mêlait de ce qui ne le regardait pas et annulait pour le soir… Il devait avoir une sale tête parce que ses copains lui firent tous la remarque. Lucie se décida par la même occasion à lui demander pourquoi il ne lui parlait plus de ses problèmes comme il le faisait avant et aussi la raison qui le poussait parfois à être agressif avec elle, jamais il n’avait agi de cette façon. Simon ressentait exactement la même chose, seul Tristan se doutait de ce qui se passait, sans que Julien n’ait eu besoin de lui en reparler depuis les doutes qu’il avait évoqués. « Julien, est-ce que j’ai fait quelque chose de mal pour que tu ne me parles plus ? » questionna Lucie. « Quoi ? Non ! Bien sûr que non ! Je suis désolé Lucie, c’est vrai que je ne parle pas beaucoup de ces temps-ci. Mais il faudrait que je trouve les réponses à certaines questions que je me pose moi-même avant de pouvoir vous en parler, tu comprends ? Je suis un peu tracassé dernièrement mais je te promets que ça n’a rien à voir avec vous. Pardonne-moi, je ne voulais vraiment pas te faire de la peine », s’excusa le jeune homme. « Oui mais… on pourrait peut-être t’aider à y voir plus clair… » « C’est ce que Tristan a fait, c’est pour ça qu’il en sait un peu plus que Simon et toi pour l’instant. Je te promets de vous en parler bientôt, à tous les trois, laisse-moi encore un peu de temps. » « Pas trop longtemps hein ? » « Promis, la patience et toi ça fait deux ! » se moqua l’étudiant avant d’ajouter « Je te rejoins, j’aimerais parler à Tristan deux minutes. » « Ggrrrr ! À lui tu parles tout de suite ! » s’énerva la jeune fille en plaisantant et en lui donnant des petits coups de poings. « Lucie, tu as toujours eu les confidences de Julien la première, alors laisse-moi la place pour une fois ! » s’exclama Tristan. « Bon ça va, ça va… J’y vais, à plus tard… » abandonna-t-elle. La regardant s’éloigner en souriant, Julien demanda à son ami « Tu es sûr que ce n’est pas trop dur pour toi, que je te raconte ce que j’ai sur le cœur plutôt qu’à elle ? » « Je t’ai déjà dit que non, même si tu n’es pas amoureux de moi je me sens privilégié, ça me rend heureux, et je sais que je compte beaucoup pour toi. » « Énormément oui ! Dans ce cas la nouvelle du jour : maintenant je suis certain que je l’aime et je le lui ai fait comprendre dans le devoir qu’on a dû rendre hier. » « Waouw, ça c’est une nouvelle ! C’est pour ça que tu t’es fâché sur Lucie quand elle a voulu le lire, tu l’as vexée, t’imagine pas ! » « Oui c’est pour ça, c’était trop personnel. En plus, elle est dans sa classe aussi, alors j’aimerais d’abord en parler avec lui avant de le dire à Lucie. Pourvu qu’il ne l’ait pas mal pris… Il vient chez moi ce soir, à la base c’était pour parler bouquin mais bon… maintenant j’espère surtout qu’il n’annulera pas », s'alarma Julien. « Moi je pense qu’il viendra, ne t’inquiète pas. Ça fait bien dix minutes qu’il ne te quitte pas des yeux par la fenêtre de la biblio, regarde… » informa Tristan. Julien regarda et effectivement il vit François s’empourprer et détourner le regard. Était-ce bon ou mauvais signe ? Les deux amis se quittèrent sur ces derniers mots et rejoignirent chacun leur auditorium. Contrairement à ce qu’avait cru Julien, la journée passa assez vite. François donna son cours de la même façon que d’habitude sauf qu’il évita de regarder Julien, ce qui blessa ce dernier et Lucie le remarqua immédiatement. « Julien… Ton comportement du moment a quelque chose à voir avec Monsieur Nelson ? Je sais que tu ne veux pas en parler pour le moment mais tu le fixes et on dirait que tu vas te mettre à pleurer… » s’inquiéta la jeune fille. Les mots à ne pas dire. Pris d’une panique soudaine, il se leva et sortit en courant de la salle, les larmes coulant le long des joues. Lucie s’excusa auprès du professeur, aussi surpris que tous les autres, et sortit à la poursuite de son ami. François se demandait ce que pouvait bien avoir Julien : regrettait-il de lui avoir écrit ces mots ? Lui qui avait l’air si fort et plein de joie, le voir pleurer de la sorte… Julien quant à lui se sentait vraiment minable, lui qui ne pleurait que très rarement, du moins en public ; là il en avait eu un fameux de public, tout un audit ! Lucie le rattrapa et l’entraîna à l’abri des regards. « Je m’excuse Julien, je n’ai pas été très fine sur ce coup là… » « Tu n’y es pour rien… » La jeune fille garda le silence, espérant qu’il continuerait sur sa lancée et c’est ce qu’il fit. « Je suis amoureux de lui. Il a fallu le temps pour que je m’en rende compte, mais maintenant j’en suis sûr », avoua-t-il gêné. « De Monsieur Nelson ??? Moi qui te croyais hétéro pur et dur ! » s’exclama-t-elle, stupéfaite. « Ben, faut croire que non. En tous cas, je n’ai jamais ressenti quelque chose d’aussi fort pour qui que ce soit d’autre. » « C’est peut-être simplement la première fois que tu es vraiment amoureux. Tu en as parlé à Tristan en premier, en sachant que lui est amoureux de toi, c’est pas très sympa… » « Non, en fait, c’est Tristan qui m’a fait remarquer pendant le cours de dessin que j’étais amoureux de monsieur Nelson, au début j’ai refusé de l’admettre mais c’est vrai, il avait raison… » soupira Julien. « Et pourquoi tu pleures ? Tu lui as avoué et il t’a envoyé promener ? » « Je lui ai fait ma déclaration dans le devoir, c’est pour ça que je n’ai pas voulu que tu le lises, à l’oral j’ai improvisé. » « Je vois… Il t’a dit quelque chose ? » « Non, il évite mon regard depuis. Normalement on se voyait ce soir mais je ne sais pas s’il viendra. » « Il est marié Julien… même si certains hommes mariés ont un amant, tu ne seras quand même au mieux que l’amant… tu es sûr que ça te convient ? » « En fait, je suis censé ne le dire à personne mais il n’est plus avec sa femme, il ne veut pas que ça se sache ici. On l’embêterait trop, déjà moi tu vois, j’aurais sauté sur l’occasion ! » plaisanta-t-il. « Si il t’a fait cette confidence, c’est que tu comptes à ses yeux, tu ne crois pas ? » « Là, c’est la meilleur amie qui parle… Je connais sa grand-mère et elle m’adore, c’est peut-être pour ça. » « Je n’en parlerai à personne, ne t’inquiète pas, même lui ne remarquera pas que je sais, ok ? » conclut Lucie avant d’entraîner son ami vers la salle de cours. Ils se rassirent à leur place sous les regards curieux des autres élèves. Le cours terminé, monsieur Nelson demanda à Julien de rester un instant et de fermer la porte, ce qui ne sembla louche à personne vu l’attitude qu’il avait eu un peu plus tôt… Les étudiants essayèrent d’en savoir plus auprès de Lucie, mais sans succès. Elle partit rejoindre son frère à la cafétéria et lui expliqua discrètement ce qu’il s’était passé, maintenant au moins, ils pouvaient en parler entre eux. Une fois seul avec son élève, François demanda « Est-ce que ça va Julien ? Je peux faire quelque chose pour toi ? Tu m’as inquiété tout à l’heure.» « Dites-moi que vous viendrez ce soir ! » s’écria le jeune homme, toujours aussi angoissé. « Bien sûr que je viendrai », confirma le professeur néanmoins tracassé « Ce n’est pas à cause de moi que tu pleurais quand même ? » « J’ai cru que vous m’en vouliez et que vous ne voudriez plus me voir en dehors des cours… » souffla l’étudiant, honteux de son comportement. « Parce que j’évitais ton regard ? » « Notamment, oui. » souffla le jeune homme. « Je suis désolé. Je ne voulais surtout pas te blesser. C’était pour éviter que toute la classe puisse voir à quel point j’ai le sang qui circule bien, on doit d’ailleurs bien le remarquer en ce moment… » expliqua le professeur d’un rire nerveux. « Heu, oui en effet. Pardon, je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise… Je voulais juste… » commença Julien avant de s’interrompre. Après un bref silence François l’encouragea. « Continue Julien, qu’est-ce que tu voulais ? J’aimerais savoir, je me pose des questions tu sais. » « Ce n’était pas clair ? » s’étonna l’étudiant. « Hé bien… si… mais, est-ce que je l’interprète correctement ? Je n’en suis pas certain… » « Comment vous l’avez compris ? » « Que tu m’aimes. Que tu sais que ma vie n’est pas très joyeuse et que tu aimerais m’aider à l’embellir », souffla l’enseignant en croisant les doigts pour ne pas s’être trompé. « Alors vous avez bien interprété. » Il y eut un bref silence avant que François ne sourie à Julien en lui disant « Nous en reparlerons plus tard si tu veux bien, nous avons tous deux d’autres cours qui nous attendent… » « J’ai peur ! » s’écria le jeune homme désemparé. « Peur ? De quoi ? De moi ? » questionna le professeur, surpris par la réaction quelque peu violente du garçon. « Je ne sais pas… » François était déconcerté de le voir tout à coup tellement fragile, lui qui avait l’air bien plus fort que lui en temps normal. Il s’approcha alors du jeune homme et lui caressa le visage en déposant délicatement ses lèvres contre les siennes, un simple effleurement d’une grande douceur. « Est-ce que ça peut t’aider à patienter jusqu’à ce soir ? » sourit-il. « Oui, je crois… » bafouilla Julien. « Il faut vraiment qu’on y aille maintenant, à ce soir, c’est promis », le rassura monsieur Nelson, avant qu’ils ne quittent tout deux l’auditorium. À suivre… |