Chapitre 8 Le dimanche matin, Julien se leva de bonne heure et s’attaqua directement aux préparatifs de la journée. Il n’avait vraiment pas bonne mine et dormait peu ces derniers temps. Hélène s’en rendait compte et en était attristée. Elle essayait de ne pas le lui montrer, sachant qu’il ne s’angoisserait que plus. Il chantonnait depuis qu’il était levé, au moins même s’il passait de mauvaises nuits, il arrivait à garder sa bonne humeur. Pile à l’heure prévue, Camille et François frappèrent à la porte. La grand-mère était gaie comme un pinson, ce qui divertissait beaucoup son petit fils. Elle était contente de rencontrer la maman de Julien et de passer la journée dehors, ça ne lui arrivait plus très souvent. Le professeur offrit un bouquet de fleurs à madame Polet et tendit une bouteille de vin ainsi que le dessert à son jeune hôte. Dès que les présentations furent faites, ils prirent l’apéritif et passèrent à table. Julien lança un regard assassin à sa mère qui avait osé l’appeler « Bébé Juju » devant son prof, ce qui avait énormément amusé ses invités. En début de repas, Hélène se dit que monsieur Nelson avait vraiment l’air d’être quelqu’un de bien et qu’il appréciait beaucoup son fils. Elle en était ravie, mais sa bonne humeur s’estompa au fur et à mesure que le temps passait. Précisément lorsqu’elle se rendit compte qu’il n’y avait pas que de l’affection dans le regard que l’enseignant posait sur son enfant mais également du désir. C’était donc là que voulait en venir cet homme, il fallait absolument qu’elle lui en touche deux mots et le plus vite serait le mieux. Julien provoqua l’occasion à la fin du repas, en invitant tout le monde à passer au salon pendant qu’il débarrassait la table. Hélène sauta sur l’occasion. « Monsieur Nelson ? » « Oui ? » répondit-il, surpris par le regard agressif de la maman. « Julien vous apprécie beaucoup, vous êtes apparemment un bon professeur. C’est pourquoi j’espère que vous comprendrez qu’il serait préférable que vous ne vous voyiez pas en dehors des cours. Je dirais même… que je vous interdis de vous revoir en dehors de l’université », clama Hélène sur un ton on ne peut plus froid. François resta bouche bée, il n’en croyait pas ses oreilles, comment cette femme si douce pouvait-elle lui parler tout à coup de façon aussi dure et surtout pourquoi ? Qu’avait-il dit ou fait de travers ? Terriblement embarrassé, il ne sut que répondre. Camille et lui s’interrogèrent du regard juste au moment ou Julien arrivait dans le salon. Il palpa tout de suite la tension qui y régnait et vit l’air gêné de sa mère qui, se sentant coupable, éclata en sanglots. « Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Maman… pourquoi tu pleures ? » « On devrait peut être vous laisser… » dit l’enseignant, désireux de les laisser discuter. « Non, ne partez pas ! François, explique-moi plutôt ce qui se passe », supplia le jeune homme. « François !? Ce n’est plus Monsieur Nelson maintenant ? » paniqua Hélène, sous le regard empli d’incompréhension de son fils. « Ta maman ne veut plus qu’on se revoit en dehors des cours, je suis vraiment désolé… » souffla l’homme en baissant le regard. « Quoi ? Et comment ça « désolé », j’ai mon mot à dire quand même ! On est deux il me semble. Maman, qu’est-ce qui t’a pris de lui dire ça, ce n’est pas dans tes habitudes d’agir ainsi et encore moins dans mon dos, qu’est-ce qui t’arrive… Pourquoi tu ne dis rien ? » « Et toi Julien ? Pourquoi tu ne me dis rien ? Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu étais retourné chez le médecin et qu’il t’avait à nouveau prescrit des médicaments ! Et tu crois que je ne t’entends pas crier et pleurer toutes les nuits depuis quelque temps ! Tu vas me faire croire que ça n’a rien à voir avec lui ? Ne me prends pas pour une idiote ! Je ne veux plus que tu souffres Julien ! Tu peux comprendre ça, non ? » Julien blêmit, caressa la joue de sa mère qu’il avait prise dans ses bras, et répondit sous le regard stupéfait de François et Camille : « Oui, je reprends des médicaments et je refais des cauchemars. Si je ne t’en ai pas parlé, c’est parce que je savais que ça te ferait du mal et que tu ne pourrais de toute façon rien y faire. Tu ne veux plus que je souffre, mais en parlant de cette façon à François et en lui disant de ne plus me revoir, c’est toi qui me blesses maman. Je l’aime et nous entretenons une relation. Je comptais encore attendre un peu avant de te le dire, mais tu m’y obliges », avoua le jeune homme. « Comment tu peux dire ça ! C’est un homme Julien ! Et le fait que tu soies à nouveau malade prouve bien que tu as tort. Cette relation est mauvaise pour toi ! » insista la maman. « Ça suffit ! Calme-toi maintenant ! François n’y est pour rien du tout, alors laisse-le en dehors de ça tu veux ! » se fâcha le garçon. Le ton autoritaire qu’il venait d’employer surpris François, lui qui était habitué à sa douceur… Il tenait visiblement ça de sa mère. Julien, que cette conversation énervait terriblement, se mit à tousser et cracher un peu de sang. Totalement paniquée, Hélène pleura de plus belle. Camille et François s’inquiétant tout autant, l’étudiant s’empressa de les rassurer en leur expliquant que ce n’était que des ulcères qui s’étaient réveillés, rien de bien grave. Ça ne les soulagea pas vraiment mais manifestement Julien n’avait aucune envie de s’étendre sur le sujet. Hélène se calma peu à peu et promit de se tenir tranquille le temps qu’il aille se chercher un médicament. « Tu dis qu’il n’a rien à voir là dedans, mais est-il au courant au moins ? » demanda la maman dès le retour de son fils. « Non… Ce n’est pas nécessaire maman… c’est du passé », soupira le jeune homme qui commençait à être fatigué par cette conversation. « Je ne suis pas d’accord, il a le droit de savoir. Si tu veux que votre couple fonctionne, tu dois lui dire. Si il ne sait pas, il te blessera, même sans le vouloir, c’est inévitable ! On ne doit pas avoir de secret envers la personne qu’on aime, même si cela concerne le passé ! Puisque tu refuses visiblement d’arrêter de le voir, parle-lui. » François pensant à son propre passé dont il n’avait envie de parler à qui que ce soit, comprenait très bien la réticence de Julien. Mais en même temps il devait bien avouer qu’il était très curieux d’en apprendre d’avantage. Avant d’avoir eu le temps de répondre à sa mère, Julien fut interrompu par quelqu’un qui tambourinait sur la porte avec insistance, sauvé de justesse ! Hélène alla ouvrir, il s’agissait d’Angelo qui accompagnait Tristan. Le jeune homme était venu voir après Julien au café et il n’était vraiment pas en état de se rendre seul chez lui. Angelo repartit, rassuré de savoir le garçon en sécurité. Hélène aperçut le bagage que le frère de Lucie avait déposé dans le couloir mais ne dit rien. Il était tel une épave, elle ne l’avait jamais vu comme ça. Ce n’était vraiment pas une bonne journée. Tristan courut dans le salon sans saluer personne et se jeta dans les bras de Julien, le visage déformé par les pleurs, les yeux rougis et tremblant de tout son corps. Julien le serra très fort contre lui en lui caressant les cheveux, il tenta de le rassurer sans poser de question. Il attendait juste qu’il se calme un peu, il parlerait bien de lui-même quand il se sentirait mieux. Il fit un signe d’excuse à Camille et François, terriblement honteux de cette après-midi scabreuse qui leur avait été imposée. Tristan ayant remarqué qu’il se passait quelque chose, releva la tête et vit Monsieur Nelson. « Pardon Julien, je ne savais pas que tu n’étais pas seul, je suis désolé… » s’empourpra le jumeau. Il hoquetait en parlant tellement il pleurait. Julien continua à rassurer son ange de son mieux en lui répétant sans cesse qu’il était là. Camille et François proposèrent encore une fois de s’en aller mais Julien insista pour qu’ils restent. À peine quelques minutes plus tard Lucie et Simon malmenaient la porte à leur tour. Ils saluèrent Hélène, et Lucie, en larmes elle aussi, se jeta sur son frère et Julien. Après avoir salué les invités, Simon répondit à leurs regards interrogateurs en expliquant que Lucie s’était tout à coup mise à pleurer en disant que Tristan était en train de souffrir, et qu’elle voulait rentrer immédiatement. Le fameux lien qui unissait la plupart des jumeaux. Le blond se blottit dans les bras de sa sœur et ils libérèrent tout deux Julien. La jeune fille s’apercevant de la présence de son professeur, s’excusa et Tristan à son tour, retrouva ses esprits. Quand ils furent calmés, ils s’installèrent tous confortablement dans le canapé et se mirent à parler. « Hélène, est-ce que je peux rester vivre ici quelques temps ? » supplia Tristan, la lèvre inférieure tremblotant toujours. « Bien sûr Tristan, tu seras toujours le bienvenu chez nous. Mais si tu nous disais ce qui se passe ? » « Lucie… à partir de maintenant, tu es fille unique. Les parents ne veulent plus jamais entendre parler de moi. D’après leurs dires, je suis une erreur et je les dégoûte, ils m’ont dit de ne plus jamais me présenter devant eux. » répondit-il en s’adressant à sa sœur. « Tu leur as dit ??? M’enfin Tristan ! Tu sais que nos parents sont des bourgeois coincés, en plus, plus homophobe que papa tu meurs ! Qu’est-ce qui t’a pris de leur dire !!! » paniqua la jeune fille. « Homophobe… ? Pourquoi tu parles d’homophobie ? » questionna Simon, inquiet. « Oui Simon, Tristan est gay et moi aussi d’ailleurs… Puisqu’on en est aux confidences, François que tu vois là, est mon petit ami », annonça Julien en désignant son professeur. « Te fous pas de ma gueule Julien, ce n’est pas vraiment le moment », se braqua son voisin et ami. « Parce que tu trouves qu’il a l’air de plaisanter ! On a toujours bien remarqué que tu n’avais pas l’air de trop d’apprécier les gays. Mais là, il s’agit de tes deux meilleurs amis, ne l’oublie pas ! » réagit vivement Lucie. « Vous me balancez ça comme ça et je devrais trouver ça tout à fait naturel ! Tristan à la limite, mais toi Julien ! C’est un peu trop pour moi, je rentre… À plus tard. » lança le garçon avant de se diriger vers la sortie. « Simon !!! » hurla la jumelle, folle de rage. « Laisse-le Lucie, il a besoin de temps », dit Julien. « Hélène, je peux rester vivre ici aussi ? On cherchera tout les deux un petit boulot pour payer un loyer, mais je ne veux pas être séparée de mon frère, c’est lui ma famille, je ne veux plus voir mes parents après ce qu’ils lui ont fait. » « Vous pouvez rester tous les deux, vous occuperez la chambre d’amis pour le moment. Et si vous voulez avoir votre propre chambre, on aménagera le bureau de Julien », les rassura la maman, qui avait complètement oublié les événements qui avaient précédé leur arrivée. « Merci Hélène ! » répondirent en cœur les jumeaux. « De rien. Vous êtes un peu mes enfants aussi tous les trois, ne vous inquiétez pas pour notre Simon, ça s’arrangera. Je le comprends très bien, vis-à-vis de Julien j’ai aussi du mal à l’accepter. Quant à vous Monsieur Nelson, je vous présente toutes mes excuses, ce n’était pas vraiment envers vous que j’en avais, je pense que vous comprendrez lorsque Julien vous parlera. Du moins, si vous n’avez pas déjà compris… » Malheureusement, le professeur pensait effectivement avoir compris et il espérait se tromper. Il accepta tout de suite les excuses de la maman, elle était inquiète et voulait protéger son fils, il pouvait comprendre. Camille, fatiguée par autant d’émotions, demanda à rentrer, elle assura à Julien qu’elle reviendrait et qu’il ne devait pas s’inquiéter pour cette après midi mouvementée. Le jeune homme la remercia et demanda à François s’il voulait bien revenir après avoir ramené sa grand-mère, ce qu’il accepta naturellement. Lucie en profita pour lui demander s’il acceptait de l’accompagner chez ses parents pour aller chercher quelques affaires, et ils se mirent en route. Julien alla conduire Tristan, que cette horrible journée avait épuisé, dans la chambre d’amis, et il redescendit ensuite près de sa mère. « Pardon Julien, je ne voulais pas te faire de mal… » « Je sais maman, ne t’en fais pas. Je vais lui parler, dès ce soir. Tu n’as pas entièrement tort, c’est vrai que j’ai un peu peur, mais j’ai besoin de lui tu sais. » « Il ne s’est encore rien passé entre vous n’est-ce pas ? » « Excuse-moi mais je pense que le côté intime de notre couple ne regarde que lui et moi. » « Je sais… mais tu ne peux pas m’en vouloir de m’inquiéter… » « Je ne t’en veux pas du tout et il comprendra ton attitude aussi tu sais. » Sur ces derniers mots, Hélène partit ranger la cuisine. Elle prépara ensuite du gâteau ; quand Tristan se réveillerait, ça lui ferait plaisir. Pendant ce temps Julien se demandait comment il allait aborder son passé avec François, il aurait voulu ne jamais en discuter pour qu’il n’agisse pas différemment avec lui. Mais il lui devait la vérité, car même si il s’efforçait de se convaincre que ses nouvelles crises n’avaient aucun rapport avec François, il se disait qu’inconsciemment c’était peut-être quand même un peu le cas… François déposa Camille et lui promit qu’il passerait la voir le lendemain soir, pour lui donner des nouvelles. Le trajet vers la maison des jumeaux se fit en silence, Lucie était encore bouleversée par la peine de son frère. Ils vivaient dans un quartier chic, une immense villa. Elle demanda à son professeur s’il voulait bien entrer avec elle pour l’aider à porter ses affaires, il accepta et la suivit. Son père était absent ce qui tombait bien, mais sa mère devint furieuse en apprenant le départ de sa fille, qui demeurait l’unique espoir de fierté de la famille. À ces mots, Lucie la regarda avec haine mais avant qu’elle ait le temps d’ouvrir la bouche, François intervint et l’exhorta à se calmer. Pensant que cet homme était son petit ami, la mère de famille en conclut que les jumeaux s’étaient réfugiés chez lui ; qu’importait les idées qu’elle pouvait bien se faire d’ailleurs, vu qu’en ce qui la concernait elle n’avait plus de fils. Sur le chemin du retour, François fit savoir à Lucie que Julien ou non, en cas de besoin, elle pouvait compter sur lui, qu’il ferait de son mieux pour les aider. Elle lui répondit que dans ce cas, le plus important pour elle était qu’il prenne bien soin de Julien. Il le lui promit et ils retournèrent à la maison des Polet. La jeune fille monta ranger ses affaires et celles de Tristan dans la chambre d’amis et Hélène l’accompagna pour laisser François et Julien seuls au salon. À suivre… |