Le temps s'est écoulé depuis la dernière fois. Et j'ai compris une chose: je suis mieux tout seul.
Le dos contre un arbre centenaire, les paupières closes et les sens au repos je me sens bien. Nulle inquiétude, aucun ennemi dans l'ombre, pas un seul cri de terreur ni de regard haineux sur ma nuque alors que je traverse une rue. Ici je peux juste être moi, tranquille, sans peur ni de moi ni des autres.
Car j'ai à nouveau du sang sur les mains. Du sang humain.
Me prenant surement pour un fou, une silhouette a essayé de me voler, mes réflexes et ma vision ne l'ont pas laissé faire. Je ne sais toujours pas si son unique cri a été de sentir ma lame ou de reconnaître ma peau aussi noire que sa dernière nuit...Il est mort aussi silencieusement qu'il était venu à moi. Comme si de rien n'était.
C'est cela qui me choque. Peut-on tuer aussi aisément? Briser le cours d'une vie sans que rien ne change? Pourrais-je disparaître aussi facilement? Mais n'est-ce pas déjà le cas? Je ne suis plus personne. Mon autre moi manque t-il à quelqu'un? Je ne suis même pas sur de vouloir le savoir. Je ne sais pas qui cet autre elfe était, je ne ferais que décevoir celui ou ceux qui le connaissait. Ou mon nouveau moi. Ces soi-disant connaissances n'en valent peut-être pas la peine étant donné la noirceur de ma peau. Je ne voudrais pas avoir à fuir mes anciens compagnons ou pire...
Non, ici je suis bien. Même si mon esprit vagabonde beaucoup trop. Je voudrais bien être capable d'arrêter de penser... J'ai bien trouvé des exercices à faire encore et encore qui m'usent autant le corps que l'esprit, mais j'en reviens toujours là. Réfléchir. La solitude n'a pas que de bons côtés. Et serais-je noir de peau si j'étais fais pour vivre à la lumière? La forêt est évolution. Le noir tâche dans le jour. Ma vision est adaptée à la nuit, à l'obscurité totale même. J'en suis donc venu à la conclusion que je ne devais pas même être une créature de la nuit, mais des ténèbres, le noir total. Mes yeux captent la chaleur de la vie. N'est-ce pas arme de prédateur que cela?
Je me sens seul ici, perdu au milieu de rien et de tout, au milieu de mes craintes et de mes interrogations. Je ne sais rien, je ne fais que supposer. Je ne suis lié à rien, ni créature, ni Divinité à laquelle me raccrocher, pour laquelle prier.
Je me trouve des excuses. Je manque de fibres, il me faut de quoi tailler ce nouvel arc, j'ai trop de volailles qui risquent de pourrir si je ne les vends pas...
J'ai envie retourner à la civilisation.
Un peu, juste un peu...
Qui sait?
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Je ne suis que paradoxes. J'aime la nuit, je la déteste. Tout comme la ville. Je ne sais même pas quel est son nom, je ne ferai qu'y passer de toute manière. Je ne sais même pas ce que j'y cherche...
Les ombres sont miennes, la Lune éclaire à peine mes mèches blanches, mes pupilles captent les moindres détails. J'écoute les conversations, observe les mouvements de ses habitants. Amour,haine, violence, tendresse sont toutes si proches... Je les envies et les déteste tous. Mais ne m'en sens au final que plus vide, plus triste et plus seul.
Pauvre fou, qu'espérerais- je trouver ici? Comme si le Destin pouvait te servir et que la prochaine silhouette allait se révéler familière! Qu 'un infime fragment de ton âme sombre allait se réveiller et la reconnaître!
Je soupire doucement, me tassant instinctivement dans le replis du mur alors que j'aperçois une forme encapuchonnée longer les ombres de la rue qui croise la mienne. Après celle-ci, je retourne à l'extérieur, cette ville me pèse. Sa vie m'étouffe.
Un rayon de Lune. L'homme un instant m'est révélé.
Et je n'en crois pas mes yeux. Ou du moins mon corps. Le visage éclairé par l'astre un infime instant et tous mes muscles se sont bandés, l'adrénaline a coulé dans mes veines.
Hasard? Je ne peux y croire. Et je n'ai rien à perdre. Rien que je connaisse.
Rapidement, je prend le pas à l'homme, tâchant de me fondre dans les bruits de la ville. J'ai reconnu un autre habitué de la nuit malgré la couleur de sa peau..
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Et voila! Je l'ai perdu! Sa forme chaude était pourtant au prochain angle! Mon poing s'écrase violement contre le mur. Cet espoir... ce futile et inutile espoir, envolé à jamais! J'en pleurerai de rage...
Et j'ai à peine le temps de sentir une présence, d'entamer un mouvement instinctif. Je sens une lame déchirer mon épiderme, la brûlure me donner un coup de fouet.
J'ai toujours l'épée miteuse de ma première ville, celle de ma seconde naissance. Le feu coule dans mes veines alors que j'entame ma danse. Cela va être rapide, je me sais largement supérieur à tous ces "humains" qui me crachent leur haine. Celui-ci ne fera pas exception, même si son silence est vraiment inhabituel chez les gens de son espèce...
Une passe. Une feinte. Une deuxième feinte. Mon sang coule à nouveau. Une estafilade, mais je suis etonné, il sait se battre le bougre! Pas aussi bien que moi, c'est évident, mais je l'ai sous-estimé...
Notre combat fait rage. Toujours aussi silencieux dans sa subtile violence. La Lune semble seule témoin...
D'un rayon, elle éclaire un ultime mouvement alors que je plonge pour éviter sa deuxième lame. Je me sens nu avec la seule mienne. Je ne suis plus sûr de faire le poids..Comment est-ce possible? La fuite me semble encore une solution...
" Toi !! "
Etonné, je lève le regard sur l'humain, ses yeux écarquillés brillent autant de surprise, de haine que de satisfaction...
Lui aussi me connait, c'est maintenant une certitude.
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