Je sens mon coeur battre. Envoyer son flot de sang au reste de mon corps, réveiller petit à petit chacun de mes organes et de mes membres.

Doucement mais sûrement je reviens à la vie.

Avant même d'ouvrir les yeux et de recouvrir la vue, je perçois deux choses:

La douleur et les pas.

La souffrance appartient à la veille, au combat. Et je les sens pansées et propres.

Quand aux pas, ce sont ceux de l'humain, je les reconnais, malgré sa discrétion lors de la nuit. Il tourne en rond dans la petite pièce que je perçois, ses bottes raclant régulièrement le bois usé du parquet.

Nervosité de mon réveil? Agacement pour la perte de temps que je lui cause?

"Je sais que tu es conscient, l'elfe."

Les pas se sont arrêtés. Agacement et nervosité se bousculent dans son ton rauque. Comme quoi.

"Tu aurais put tamiser un peu cette lumière, l'humain." Je répond sur le même ton, alors que j'ouvre douloureusement les paupières, l'afflu lumineux me brûlant la rétine.

Je le vois hausser les épaules.

"Tu étais quasiment indifférent à la lumière du jour, avant." Déclare t-il sur un ton neutre des plus descriptif.

Je ne dis rien, mais le note dans un coin de mon esprit.

Lui est habillé différement de notre rencontre, des atours certes discrets, mais possédant couleurs tamisées et ornements. Rasé de prêt. Je sens d'ici l'odeur de la peau propre. Bottes de cuir bordeaux, armoiries inconnues, bonne qualité. Un fourreau assortit pend à sa ceinture, vide. Mais je devine le renflement discret d'une dague, et il doit y en avoir d'autres.

Quand à moi... Vêtements de la veille. Bandages. Liens. Et une chaise pour me maintenir assit. Rien de bien glorieux. J'ai eu le temps de tester les noeuds, ils sont bons. Je ne pense pas pouvoir les défaire. Pourtant je me sens bien. Quelque soit la suite des évênements, mon destin prendra une nouvelle tournure.

Et pensée de fou ou non, je sais ne pas mourir ici.

"Beaucoup de choses ont changé. Pour toi comme pour moi."

Il acquiesce silencieusement du chef avant de se rapprocher de moi, se baisser et s'accroupir pour plonger son regard dans le mien. Il reste silencieux quelques instants alors que j'essaie de comprendre et...

Il sourit à l'instant même où je sais.

Il cherche la Haine, celle que j'ai brievement ressentie la veille, emporté tour à tour dans la fièvre du combat avant de jouer mon rôle.

"Par contre tu possèdes toujours ce regard si éloquent que tu es bien incapable de contrôler. Une porte sur ton âme, comme dit Jarlaxle."

Je ne sais que dire. Je ne savais pas mes yeux si parlants. Aucun des hommes rencontrés jusque lors ne les ont perçu autrement que partie intégrante du monstre que je devais être. Les aurais-je eut d'une teinte surnaturelle tels rouges plutôt que mauves que je les aurais qu'à peine effrayé davantage.

Savoir que cet homme me connait si bien me rassure et m'effraye à la fois.

"Je ne sais que te dire."

"A vrai dire moi non plus. Je m'attendais à beaucoup,voire à rien, mais pas à cela."

Il se tait quelques instants.

"Tu viens encore foutre ma vie en l'air, Do'Urden! Ne pouvais-tu donc pas rester dans les ombres et ne jamais en ressortir?"

J'ai l'impression qu'il parle bien plus de celles de son esprit que celles de la rue...

"Je te signale que c'est toi qui es venu m'y rejoindre."

"Hum."

"Et maintenant?"

Il relève la tête, reportant son regard presque noir sur moi alors qu'il sourit de façon sarcastique.

"Tss! Maintenant j'essaie de savoir quoi faire de toi! Et pour cela j'ai besoin de savoir ce que tu fiches ici!"

"Du tourisme, je te l'ai déja dis."

Il hausse les épaules, attrape une chaise et se colle en face de moi, les coudes sur les genoux et les doigts croisés sous son menton.

"Ecoute, l'elfe. A chaque seconde qui passe, je résiste à la tentation d'user de la solution la plus simple, et qui d'un certain côté me tente beaucoup: tu supprimer. Enfin. Alors je te déconseilles de m'aider dans ce choix."

"Tu es bien trop maître de toi pour te laisser avoir par tes sentiments."

Je comprend à son expression que j'ai encore touché juste. Quoi, je n'en sais rien par contre.

Il se relève, laissant la chaise tomber dans son mouvement avant d'aller se poster devant la fenêtre, le regard au loin.

Il semble sur le point de me parler, mais se reprend pour changer ses mots,surement.

"Tu es ici seul, j'ai vérifié. Ta chambre était vide, aucune possession ou presque. Tu n'as parlé à personne, à peine vendu quelques gibiers. Tu t'es fais avoir sur leur prix d'ailleurs. Plusieurs gueux se vantent d'avoir réussit à escroquer un Elfe noir..."

"Je m'en doutais."

Je n'avais pas envie de pousser d'esclandre à ce moment là, encore moins d'effrayer mes acheteurs et de me voir fermer toutes les portes, finissant à devoir encore manger mon propre gibier. J'avais déja donné.

"Hum." Commente t-il avant de reprendre sur sa lancée investigatrice.

"Tu n'es venu ici que pour vendre ces trucs?"

"Possible."

"Arrêtes de jouer!"

Se met-il à crier d'un coup, me foudroyant du regard. Je me rend compte alors qu'il semble aussi perdu que moi...Est-ce moi qui le met dans cet état?

"Tu es un homme dangereux. Abattre toutes mes cartes reviendrai à te tendre mon cou, nu et offert. Me crois-tu vraiment aussi fou?"

Je sais qu'il ne comprend pas cette phrase au même niveau que moi, mais je la sens juste, sur tous les points. Bien que les lames soient baissées, malgré ma certitude qu'il n'agira pas sur un coup de sang, je sends nettement la tension qui habite l'homme, je comprend que nous n'avons pas vraiment un passé très net en commun...

Et pourtant, là et maintenant, je ne le déteste pas. Pas plus qu'il ne m'effraie. Il est mon lien entre passé et avenir, aussi incertain que moi, entre deux voies tout en souhaitait suivre les deux à la fois.

"Je suis venu ici pour toi."

Son regard se jette sur son arme laissée plus loin, un frisson lui parcours l'échine. Il ne s'attendait pas à cela. Moi non plus. Mais plus le temps avance, plus je sens que cet homme est une clef de mon Je. Je ne sais quelles portes elle ouvrira, pour lui comme pour moi, mais je le sais. Et cela me suffit.

"Pardon?"

"J'ai besoin de faire un bout de chemin avec toi."