Hello les petits :) Cette fiction est une adaptation d'un texte beaucoup plus court dans lequel Harry et Draco se rencontrent, couchent ensemble, et, un an plus tard, sans qu'on sache ni comment ni pourquoi, ont droit à un Happy End sorti tout droit de ma feignantise du moment où je l'ai écrit. Très simple, trop facile, ça ne me convenait pas. J'ai commencé par vouloir rallonger cet OS, et finalement, c'est devenu, dans mon esprit, une fiction bien plus longue, qui commence de la même façon, est supposée se terminée de la même façon, réserve, je vous l'assure, de nombreuses surprises et aventures.
Me voilà donc pour la première partie du chapitre 1, en espérant que vous prendrez le même plaisir à le lire que celui que j'ai eu à l'écrire. C'est la formule consacrée, j'en suis consciente, mais il s'avère que c'est la vérité.
À très vite.
W.S.
Chapitre 1. 1ère partie
Harry jeta son torchon sur son épaule, d’un geste souple, avec l’assurance de celui pour qui c’était un réflexe, un geste qu’il effectuait sans même y réfléchir. Toute la classe était pendue à ses lèvres, attentive au moindre de ses mouvements, comme si un jeté de torchon était l’ingrédient secret pour la réussite d’une tarte au citron meringuée. Le brun fit quelques pas souples, derrière ses fourneaux, et s’adossa au plan de travail, afin de faire face à ses élèves d’un soir.
Il y’avait les habitués, que Harry croisait régulièrement, et qu’il commençait à connaître, et ceux qu’ils avaient invités ou à qui on avait offert cette soirée. Jeunes ou plus âgés, ils avaient tous dans le regard la fatigue d’une longue semaine de travail, d’étude ou de vie domestique, qui endormait passablement leur enthousiasme. Il fallait composer avec cette variable, donner de la vie à cette soirée, pour qu’ils oublient la fatigue, en fassent abstraction. Harry ne tenait pas compte de la fatigue, il ne tenait pas compte des vies des uns et des autres. Dans sa cuisine, ils entraient dans un autre monde, un monde coupé des tracas du quotidien, des doutes qui se lèvent quand le soleil se couche. S’il avait eu le choix, il n’y aurait pas eu de cours particuliers le vendredi soir, mais alors, il aurait fallu interroger la validité des cours du jeudi, puis de ceux du mercredi… C’était là toute la beauté, toute la magie de la cuisine familiale, celle qu’il préférait : c’était une bulle confortable à l’écart du temps et de l’espace. Difficile, parfois, exigeante, la plupart du temps, mais si belle qu’elle valait bien de se priver d’une soirée devant un plateau-télé. –
Il croisa les bras sur son torse, et adressa un petit sourire à ses élèves.
— Je me fiche que vous ne sachiez pas faire cuire de pâtes, que vous loupiez systématiquement votre sauce hollandaise ou même que vous ne sachiez pas ce que c’est. La cuisine anglaise est désastreuse, alors j’imagine que c’est aussi ce qu’est votre niveau. Mais ce soir, nous allons préparer le dessert que vous présenterez encore lors de vos repas de familles, d’ici vingt, trente, quarante ans. Je vais vous apprendre le moindre petit secret de fabrication, le moindre truc que vous ne pouvez pas vous permettre d’ignorer, et vous n’aurez plus jamais la moindre excuse pour ne pas préparer le pavlova le plus bandant du quartier.
Le brun ménagea un petit silence, et un sourire en coin étira ses lèvres. Autour de lui, quelques rires se firent entendre. C’était la première règle : rappeler à ses élèves que la bonne humeur et l’enthousiasme n’étaient pas une question d’énergie, mais de bonheur. Sa mission était précisément celle-ci : leur donner un peu de bonheur. Cela semblait bien parti.
Si les plats changeaient au gré des saisons, des humeurs de son maraicher préféré ou de ses propres envies, son discours d’introduction annonçait la couleur : si les ustensiles étaient immaculés, Harry brillait par ses manières brutes, son sourire un peu tordu, ses mains abimées par des années passées derrière les fourneaux. Son regard se posa sur un jeune homme blond qui affichait un air renfrogné. Malgré la bonne humeur et le ton enjoué du jeune chef, il n’esquissa pas même un sourire, en total décalage avec les autres apprentis chefs du soir.
— Vous vous mettrez par deux. Le plat est ambitieux, la précision est de rigueur, alors il vaut mieux deux personnes qui prennent leur temps qu’un seul individu qui se précipite.
Lui-même avait dû apprendre la patience. Une dizaine d’années plus tôt, lorsqu’il avait commencé la cuisine, envoyé en apprentissage par des parents qui avaient dû renoncer à leur rêve de voir leur fils unique faire ce qu’ils imaginaient être une carrière brillante, obligés de céder face aux demandes de plus en plus insistantes d’un jeune Harry pour qui la beauté résidait bien plus dans l’ébullition d’une sauce ou la précision quasi militaire d’une pâtisserie française, il avait manqué de se décourager. Il en avait tiré l’enseignement qui lui servait chaque jour, et qu’il servait généreusement à tous ses commis, ceux du quotidien comme ceux d’un soir : pour aller vite et être excellent, il fallait prendre le temps de faire les choses. Pas une seconde de plus, mais certainement pas une seconde de moins.
Il eut un nouveau regard amusé vers le jeune blond, qui avait croisé les bras sur son torse dans un geste de défis, le menton en avant et la mine boudeuse.
— Un seul de mes élèves a dû revenir une deuxième fois. Je vous déconseille donc de choisir Draco comme binôme, expliqua Harry en le désignant d’un geste de la main, ou vous risquez de vous retrouver avec un bras en moins et un plat encore non-identifié.
*.*.*.*
— Tu mériterais que je te fasse bouffer ce coffret, Draco ! s’écria Blaise en balançant le coffret à travers la pièce.
Draco haussa un sourcil ; il n’appréciait que moyennement que le cadeau qu’il avait payé près de 200£ traverse la pièce avec autant de force. Surtout s’il devait au passage faire s’écrouler une pile de livres dans son salon. S’il était tout à fait honnête, cependant, il se doutait bien de la réaction de son meilleur ami. C’était un cadeau merdique, il le savait. Deux cent livres ou pas, c’était sans doute le pire cadeau que l’on puisse faire. Attraper une boîte dans une librairie démesurément grande (rien à voir, donc, avec les lieux protégés, anonymes et discrets qu’il affectionnait tout particulièrement) parmi des dizaines d’autres boîtes du même modèle, et d’autres proposant des séjours de rêves, des aventures extrêmes et des séances de bien-être, et la ramener dans une pochette cadeau aux couleurs de la librairie, c’était le cadeau le plus impersonnel auquel Draco aurait pu penser. Mais après deux mois passés en Australie pour un projet universitaire, il n’avait tout simplement pas eu le temps de trouver un cadeau pour son ami. Aussi avait-il téléphoné à sa femme, qui l’avait mis sur la piste...
— Hermione se plaint toujours que tu ne saches pas cuisiner, et….
— Elle se plaint parce qu’elle ne sait pas non plus !
Draco et Hermione avaient mis longtemps avant de s’apprécier, et même deux ans après le mariage de la jeune femme avec Blaise, ils étaient loin d’être des amis. Ils admettaient l’importance de l’autre pour le seul point commun qu’ils se reconnaissaient, toléraient la présence de l’autre, mais s’interdisaient tacitement toute complicité, toute camaraderie. Pour autant, les intérêts de Blaise étaient leur priorité, et pour lui, ils avaient su enterrer la hache de guerre après des années de rivalités, d’abord lors de leurs années d’internat, puis lorsqu’ils avaient poursuivi dans le même domaine, à l’université.
— Pour la peine, tu vas venir avec moi à ce cours, décréta Blaise, une lueur mauvaise dans le regard.
— C’est hors de question.
— Tu n’as pas le choix.
— Je ne sais pas cuisiner.
— Moi non plus.
— L’oignon me fait pleurer.
— Nous n’avons qu’à aller à un cours de pâtisserie.
— Je ne veux pas grossir.
— Tu vas venir avec moi, Malefoy, ou je t’assure que tu vas passer un mauvais moment.
Avant que Draco ait eu le temps d’argumenter, ils étaient tous les deux devant son ordinateur, épluchant les possibles cours de cuisine que proposait le coffret. L’offre était une belle arnaque : près de la moitié des professionnels cités dans le livret d’accompagnement n’étaient plus disponibles depuis minimum deux ans, et ceux qui restaient étaient trop loin ou ne proposaient que des cours de cuisine exotique, dont Blaise raffolait mais qui donnait des boutons à Draco.
— Regarde Draco, celui-ci semble intéressant, dit Blaise en posant son doigt sur un portrait parmi la longue liste de chefs proposant des cours aux particuliers.
— Vire ce doigt de là, marmonna Draco en lui donnant une tape sur la main.
Le chef, qui d’après la photo ne devait pas avoir trente ans, proposait des cours de cuisine française et anglaise, et s’il semblait connaître Gordon Ramsay, à en juger les photos où ils posaient côte à côte, c’était visiblement à la cuisine française que le jeune chef vouait un culte. Ses inspirations étaient celles de la cour de Versailles, du Café de Flore et autres établissements de prestige dont la simple prononciation avait cette connotation luxueuse à laquelle Blaise savait que Draco ne résisterait pas. Hermé, Michalak, Ansel, Lenôtre… Autant de légendes venues d’un pays où l’on dégustait avec le même sérieux huîtres et macarons, escargots et religieuses.
Pour autant, Draco n’en restait pas moins un pur Britannique. C’est donc le nom de Ramsay qui retint l’attention de Draco : il avait eu plusieurs fois l’occasion de dîner dans les restaurants du chef anglais le plus célèbre, et chaque fois, la promesse des établissements de prestige qu’il tenait d’une main de maître avait été tenue. Si ses plats étaient très simples, ils étaient avant tout d’une finesse rare, et l’ambiance de ses établissements n’avait pas donné à l’universitaire le sentiment d’être ailleurs qu’à sa place. Si Draco gagnait bien sa vie, et était assis sur un bel héritage, transmis par ses aïeux Malefoy et par son propre père, magnat du pétrole et de la construction navale, il avait investi tant d’argent dans ses recherches au cours des dix dernières années que sa fortune avait significativement diminué, et qu’il ne restait qu’un reliquat, certes non négligeable, de ce qui, alors qu’il n’avait que vingt ans, aurait pu lui permettre de vivre comme un prince.
Il lut la description, courte et précise. « Jeune chef, de retour de France après y avoir fait son apprentissage aux côtés des plus grands, guidé dans son parcours par son mentor de longue date, Gordon Ramsay, propose de partager ses connaissances aux plus frileux des fourneaux. »
— « Aux plus frileux des fourneaux ? Vraiment ? C’est… Nul, fit remarquer Draco.
— Oui, peut-être, mais c’est le seul qui ne tient pas un couteau ou une louche sur sa photo de présentation, je trouve ça rassurant, maintint Blaise, et Draco comprit que son ami n’en démordrait pas : ce serait Harry Potter ou personne.
Trois semaines plus tard, Harry Potter les recevait dans ses cuisines, ainsi qu’une douzaine d’autres cuisiniers en herbe. Toutes sortes de personnes étaient réunies ici : des jeunes et des moins jeunes, des personnes de tout rang social. Certains semblaient surexcités, tandis que d’autres, à leur mine renfrognée, étaient, de toute évidence, les accompagnateurs. À en juger à l’air grognon que partageaient Draco et Blaise, il était difficile de définir qui accompagnait qui.
Il leur avait fallu près de dix minutes pour trouver la petite porte cochère derrière laquelle se cachaient les cuisines. Les ruelles de ce quartier de Londres étaient si étroites qu’il était difficile de les arpenter autrement que l’un derrière l’autre, et le sens de l’orientation d’une moule de Blaise couplé à la mauvaise foi de Draco n’avaient pas facilité la tâche.
Le jeune chef les accueillit lui-même à la porte, distribuant poignées de main et sourire chaleureux. Draco le regarda à peine, mais fut tout de même frappé par son regard, d’un vert intense. Avant d’avoir le temps de dire un mot, Harry Potter était déjà passé à l’élève suivant, aimable et souriant. Draco retrouva aussitôt son air renfrogné ; cette fois cependant, la raison était différente.
La cuisine, bien que cachée des regards, était incroyablement bien équipée : dotée d’un plafond de verre, elle devait être, en journée, un véritable puit de lumière, et la nuit, une invitation à regarder les étoiles, pensa Draco en levant les yeux au ciel. Les pianos, les plans de travail, tout en inox, et le sol, en béton ciré, étaient flambants neufs ; du moins semblaient-ils l’être. Ce qui ne faisait pas de doute, c’était la propreté. Pas la moindre odeur de gras, d’épices ou de sauce brûlée. Pas la plus petite goutte d’huile, pas de trace de la plus microscopique miette. Tout était parfaitement nettoyé, récuré, briqué même, à tel point que Draco pouvait aisément voir le reflet de ses cheveux blonds dans l’inox des équipements.
Au mur, les couteaux étaient fixés sur des supports magnétiques. Les lames, de toutes les tailles et de toutes les formes, étaient impressionnantes. Nul doute qu’elles devaient couper comme des rasoirs, trancher sans la moindre pitié. Légumes, viande, os, pâtes et crustacés, elles devaient couper, tailler, trancher, hacher sans indulgence, et faire l’objet d’un soin tout particulier. Même en ne connaissant rien à la cuisine, Draco ne put qu’être fasciné par ce qui ressemblait presque à l’atelier d’un peintre. N’importe qui était capable d’en emprunter les pinceaux et les couleurs, mais bien peu auraient pu prétendre en égaler la maitrise.
Les élèves, tacitement, se placèrent d’un côté du comptoir, tandis que Harry se glissait de l’autre côté, gardant les fours, les éviers et les couteaux derrière lui. Derrière les élèves, Draco s’en aperçut en jetant un œil dans son dos, le reste de la pièce était bien différent : le béton laissait la place à un vieux parquet sur lequel une longue table de bois, sans doute bien plus vieille que Draco, Blaise et quelques élèves réunis, trônait, accompagnée de ses bancs et de ses chaises hétéroclites. Un simple bouquet de fleurs blanches, dans un vase de verre transparent ornait la table, qui n’attendait visiblement qu’une chose : qu’on lui fasse l’honneur de lourds plats, de soupières et de saucières, de bouteilles de vin et d’hôtes affamés. Ce fut la voix du chef qui ramena Draco à la réalité.
— La plupart d’entre vous ne savez sans doute pas faire cuire un œuf, couper une tomate correctement ou préparer un assaisonnement équilibré. Ça n’est pas grave, parce que d’autres savent le faire, et à défaut de le faire pour vous, peuvent vous l’enseigner. C’est pour cela que je suis ici ce soir, et que nous allons passer plusieurs heures ensemble. Le cours de ce soir est un peu particulier, parce que nous n’allons pas préparer un dîner, ni un déjeuner, ni même un brunch. Nous allons préparer un petit déjeuner français, avec ses viennoiseries, sa confiture et son chocolat bien épais. C’est très régressif, me direz-vous, mais c’est exactement ce qui fait son charme.
Les élèves s’étaient tus, fascinés par le discours du chef. Même Blaise semblait inhabituellement concentré, tandis que Draco, lui, affichait un sourire en coin moqueur. Un petit déjeuner ? Vraiment ? Il savait beurrer des tartines, merci pour lui.
— Connaissez-vous seulement la sensation que cela fait que de mordre dans un croissant frais du matin ? Avez-vous déjà senti un croissant au beurre fondre sur votre langue et répandre son goût inimitable sur vos papilles, alors que croustille encore sa croûte sur vos lèvres ? Êtes-vous familiers du goût incroyable du chocolat, épais, chaud, et de sa chantilly, fraîche et sucrée, qui coulent le long de votre gorge, comme si c’était la chose la plus réconfortante du monde ? Connaissez-vous cette sensation enveloppante, presque plus sensuelle, plus belle et plus plaisante qu’une étreinte au petit matin ?
Il ménagea un petit silence, prenant le temps de regarder ses élèves, et s’attarda un petit instant sur Draco. L’universitaire était indubitablement plus vieux que lui, et c’était le seul à ne pas être pendu à ses lèvres. A moins qu’il prenne un soin tout particulier à ne pas le lui montrer.
— Parce que croyez-moi, c’est la chose la plus réconfortante du monde.
Et cela, Draco, aussi sceptique qu’il fut, aussi agacé qu’il fut par le comportement d’allumeur de la ménagère qu’il pensa que Potter était, le crut sur parole.
Quelques instants après, Potter demanda aux élèves de se placer en binôme. Aussitôt, presque trop vite, Blaise fut réquisitionné par une vieille dame à laquelle il ne put refuser de passer les prochaines heures en sa compagnie. C’était bien son problème, pensa Draco : il était trop gentil, trop généreux, trop patient. Il aimait faire plaisir à son prochain, donner parfois sans recevoir, il avait cela dans le sang. Ça ne correspondait même pas à l’éducation qu’il avait reçue, Draco était bien placé pour le savoir, mais Blaise avait choisi d’être une personne tout à fait différente de ce que ses parents avaient décidé pour lui. Il avait gagné de la puissance dans la générosité, fait son nom dans des actes désintéressés, construit sa gloire sur un soucis de l’autre dont Draco savait qu’il était non seulement sincère, mais parfois maladif. Voilà pourquoi il cédait tout à Hermione, voilà pourquoi il était tout de même venu à ce cours de cuisine qu’il n’avait aucune envie de suivre. Il était si gentil que pour faire plaisir à une vieille dame fripée comme un pruneau, il était prêt à abandonner son meilleur ami… Qui se retrouva seul, comme un con, sans plan de travail derrière lequel s’installer. Il grogna, prêt à prendre la porte et à passer une soirée solitaire bien moins rasoir que celle qui s’annonçait, mais n’eut pas le temps de dire un mot ou de faire un pas : Potter l’avait remarqué et s’avançait vers lui.
— Je suis désolé, j’essaie toujours de recevoir un nombre d’élèves pair, mais il y’a eu un désistement. Vous avez de la chance, vous allez être en binôme avec le chef, ce soir.
Il avait prononcé ces mots aimablement, avec un petit sourire qui semblait être sa marque de fabrique et qu’il balançait sans doute à tout le monde, y compris à son banquier, à ses fournisseurs et aux personnes chargées de nettoyer le puit de lumière, mais cela eut un effet auquel Draco ne s’était pas attendu : il eut le sentiment d’avoir avalé du chocolat chaud. Il pouvait la sentir, dans sa gorge, dans son ventre, et jusque dans ses doigts, cette chaleur épaisse et onctueuse qui lui donnait une seule certitude : il en voulait encore. C’était surprenant, et absolument pas prévu. Il n’était pas venu pour que son ventre s’éveille sous le regard d’un blanc-bec mal rasé, pas plus que pour se gaver de viennoiseries pleines de beurre et de confitures sucrées comme le péché de Gourmandise.
Visiblement, pourtant, il était condamné à la totale. Le ventre, le beurre, le sucre.
Une fois tout le monde installé, les binômes familiarisés avec leur poste de travail, Potter se tourna vers un grand tableau, à l’extrémité de la cuisine : partiellement caché, il donnait pour l’instant à voir la liste des ingrédients dont auraient besoin les apprentis pour la soirée, ainsi que les ustensiles qu’il leur faudrait apprendre à utiliser. Draco, lui, bien qu’agacé par le charme qui cascadait du moindre geste de Potter, ne parvenait plus que difficilement à maintenir son masque d’agacement. À chacun de ses mouvements, alors qu’il lui montrait les gestes, les postures, lui expliquait les instruments et leur nom, la différence entre du beurre ordinaire et du vrai beurre de baratte, il le frôlait. Ça n’était pas grand-chose, parfois juste les poils de leurs bras qui entraient en contact, mais ça l’électrisait. De minuscules décharges qui s’échouaient sur ses bras, jamais suffisamment pour le satisfaire, toujours assez pour le frustrer. Bien sûr, il ne l’aurait jamais avoué, parce que c’était ridicule, pour lui, qui avait passé l’âge d’être ainsi troublé, d’être ainsi tourmenté par des frôlements avec un jeune qui ne devait pas avoir trente ans, mais il aimait cette proximité. Ça n’était pas de vrais contacts, et ça n’était surtout pas volontaire, bien entendu, mais Draco sentait que se réveillait en lui la créature longtemps endormie de son appétit pour les hommes. Potter n’était pas son style : trop jeune, trop musclé sous son t-shirt noir, trop bronzé sans doute, aussi, et définitivement pas assez bien coiffé, il n’en était pas moins un appel à la dépravation.
C’est à peine s’il écoutait ses explications, tout comme c’est à peine s’il comprit ce qu’il faisait, ce soir-là. Il n’en retint, à chaque étape, que les mains du jeune chef accompagnant les siennes alors qu’il pétrissait la pâte des croissants et des pains au chocolat, alors qu’il touillait – trop fort – la confiture de pêches, ou qu’il battait la crème en chantilly. Il n’en retint que les sourires amusés, parfois blasés, du chef, lorsqu’il grognait, sans jamais prendre la peine d’une parole aimable, fidèle à lui-même. Bien sûr, il allait souvent voir ses autres élèves, il s’interrompait régulièrement pour donner des explications, mais il revenait vite à Draco, à qui il montrait les gestes, patient et pédagogue, bien plus que ne le méritait son élève. Entre deux réflexions gentiment moqueuses, il le guidait, multipliant les contacts, les regards furtifs et rapidement bien moins discrets, et bientôt, Draco sut qu’il n’était pas le seul à sentir le goût du chocolat sur sa langue : il y avait quelque chose, là, de tangible, quelque chose qu’il pouvait sentir, qu’il pouvait toucher, mais qu’il aurait été incapable de nommer.
Une attirance, peut-être, si l’on tenait, vulgairement, à donner un nom aux choses, mais de l’avis de Draco, il était parfois plus prudent de juste la fermer et de profiter. Ils étaient juste là, tous les deux, à profiter d’une connexion qui n’existerait plus dès lors qu’il serait rentré chez lui, mais c’était précisément ce qui faisait la beauté de la chose. Le jeune chef, généreux, souriant, au rire bruyant et aux manières à peine dégrossies et l’universitaire sévère, râleur et passablement désagréable, à l’élégance éternelle, se laissaient porter avec un naturel déconcertant par ce qu’il se passait.
Après tout, que se passait-il ? Ils se frôlaient comme des collégiens, se provoquaient sans chercher à jouer le jeu de la séduction, y’avait-il un mot pour décrire cela ?
Draco, parce qu’il ne voyait que Potter, ne vit pas les autres élèves louper leurs confitures ou leurs compotes, ne vit pas Blaise être complètement mené par le bout du nez par la minuscule vieille femme qui l’avait pris en otage, pas plus qu’il ne s’inquiéta de l’élève qui avait quasiment assommé, sans le vouloir, son binôme, avec un rouleau à pâtisserie visiblement trop enthousiaste.
— Vous devriez peut-être vérifier que les croissants ne sont pas en train de brûler, suggéra Potter avec un sourire avant de se tourner vers un jeune homme qui déversa sur lui une pluie de questions, de doutes, de stress.
Malgré ses mots, son sourire était un peu moins large, un peu moins enthousiaste, un peu moins éclatant qu’aux autres. Presque timide, et bien plus naturel, en réalité, bien plus sincère. Si le blond avait encore eu l’âge de rougir…
De fait, les croissants étaient presque brûlés, à moins qu’ils ne fussent juste un peu plus dorés que les autres. Cela vexa Draco, qui posa la plaque un peu brusquement sur le plan de travail, attirant les regards désapprobateurs ou surpris des autres élèves. Il n’aimait pas l’échec, et n’aimait surtout pas l’échec lorsqu’il avait lieu devant spectateurs. Blaise fronça les sourcils, de loin, et Draco pu voir la question dans son regard. Il regarda ailleurs, et tomba nez à nez avec Potter. Celui-ci, sans un mot, attrapa l’un des croissants, dont le croustillant, sous ses doigts, fut audible, et mordit dedans. Il le mastiqua, et si Draco détestait entendre les gens manger, voir Potter déguster un croissant, aussi doré qu’il fut, avait quelque chose d’incroyablement sensuel. Excitant, même. Sous sa peau, sa mâchoire était visible, roulant alors qu’il mâchait la pâte beurrée du croissant. Son regard, brillant, ne laissait aucun doute quant à la sincérité du plaisir que ses lèvres traduisaient, confirmé par la pointe de langue qui vint ramasser une miette au coin de sa bouche.
— Il est délicieux, dit simplement le chef avant de tourner les talons, le croissant toujours à la main.
Draco resta interdit un instant, le regardant écouter les questions des autres élèves et y répondre entre deux bouchées de croissant. Sa mâchoire s’activait, et le blond pouvait voir son articulation danser sous la peau mal rasée de sa joue. Tous, dans la pièce, mourraient de chaud, et ce malgré le toit de verre, dont Potter avait ouvert quelques carreaux, plus tôt dans la soirée, mais ce minet mâchonnait son morceau de croissant comme si c’était la chose la plus délicieuse au monde. Le ventre de Draco se manifesta, et s’il exprimait un certain appétit, ça n’était pas pour le petit déjeuner français qu’ils préparaient.
Près de deux heures plus tard, les élèves quittèrent, en file indienne, les cuisines beaucoup moins impeccables de Potter. Draco s’était placé, plus ou moins volontairement, en fin de file. Il n’espérait pas vraiment un moment avec Potter, parce qu’il restait exaspéré par son comportement de coq au milieu de la basse-cour (et il y avait eu bien trop de poules ce soir), mais une part de lui avait envie d’être le dernier que Potter verrait. L’effet de récence dans toute sa splendeur : Draco le savait, le cerveau, parmi une quantité d’informations, retenait plus aisément les premières et les dernières informations, tandis qu’il oubliait ce qui se trouvait entre les deux.
Potter serra la main de l’élève devant lui, une femme au postérieur bien trop imposant et dont la permanente commençait à montrer des signes de fatigue, dévoilant des racines noires peu ragoutantes. Draco eut une moue dégoûtée : à plus de trente-cinq ans, ses cheveux étaient toujours d’un blond aussi clair, et pas un seul d’entre eux n’avait quitté le navire. La calvitie, dieu merci, n’existait pour ainsi dire pas dans sa famille. Puis ce fut son tour, et Potter lui serra la main, comme à tous les autres élèves du soir. Un sourire un peu différent ornait ses lèvres, dont Draco n’avait pas vu jusque-là qu’elles étaient aussi belles, délicatement ourlées. Il avait des lèvres curieuses, des lèvres qu’il imaginait sans mal explorer un nouveau plat… ou un corps qui lui était inconnu. Draco ne prononça pas un mot, mais garda sa main, fraiche et longue, dans celle, chaude et sèche, du chef. Ce dernier se pencha, juste un peu, car vu l’espace restreint, il n’y avait besoin que de peu, et murmura un seul mot à son oreille.
— Reste.
Draco se recula, eut un sourire, le seul de la soirée, et hocha la tête avant de rejoindre Blaise. Il ne tourna pas le dos, mais lorsque son ami lui demanda ce qui lui arrivait, il était redevenu le Draco qu’il connaissait. Il lui tendit ses clés de voiture, et sous son regard mi étonné, mi amusé, il se contenta de hausser les épaules et de faire demi-tour. Lorsqu’il rentra de nouveau dans la cuisine, celle-ci était déserte, à l’exception de Potter, occupé à nettoyer, déjà, les saloperies laissées par les élèves du soir. En entendant la porte se refermer dans un léger craquement, le chef se tourna vers Draco, et lui adressa un sourire. Il était épuisé, cela se voyait dans ses yeux, mais il y’avait autre chose. Une forme de satisfaction, quelque chose d’agréable qui réchauffa Draco.
— Tu m’aides ?
Draco pinça les lèvres, un rien vexé, mais commença à passer une éponge imbibée de dégraissant sur le plan de travail débarrassé précédemment par le chef. Il était vexé. Que s’imaginait le brun, exactement ? Qu’il était resté pour faire le ménage ? Qu’il n’avait pas payé suffisamment cher pour en plus prendre sur son temps pour nettoyer le bordel laissé par la classe ? Pourtant, il ne protesta pas, et bientôt, le silence devint confortable, presque agréable. Ils travaillaient côte à côte, nettoyant et séchant la vaisselle, piochant parfois des morceaux de croissants et de pain perdu restés dans l’une des corbeilles dressées par les élèves.
Du coin de l’œil, Harry observait le blond. Ses mains, fines et délicates, s’affairaient sur les verres délicats qu’il séchait, sur les tasses en porcelaine qu’il alignait sur leur tasse, sur les couverts qu’il rangeait rapidement dans les tiroirs. Il était un peu gêné, parce que nettoyer une cuisine n’était pas ce qu’il y avait de plus agréable, mais Harry adorait ce moment, lorsque la cuisine était vide, et que chaque minute qui passait lui permettait de clore un peu plus la journée, le préparait à passer à la suivante. Il avait toujours hâte de savoir ce que le lendemain lui réservait.
Avec un soupir, lorsqu’il estima que le travail était fait et que les lieux étaient prêts pour le jour suivant, il posa son torchon et se tourna vers Draco, qui lui renvoya un regard passablement ennuyé. Une étincelle interrogative passa dans ses yeux, et Harry ne put retenir un léger sourire en voyant la fine pellicule de sueur sur son front, les manches de sa chemise blanche retroussées sur ses avants bras pâles que de fins poils blonds, à peine visibles, recouvraient avec délicatesse.
— J’ai du vin, si tu veux.
— C’est le minimum que tu puisses me proposer, grinça Draco.
Ils se laissèrent glisser sur le sol, le dos contre le plan de travail. Entre eux, la bouteille de vin, que Harry venait de déboucher, diminua lentement mais surement, à mesure qu’ils discutaient, arrosant leur découverte de l’autre des arômes de ce vin français dont Draco aurait été bien incapable de prononcer le nom. Les premiers instants furent timides, hésitants, maladroits, même. Le blond balança quelques vacheries, parce que c’était son état le plus naturel, et Harry répondit de son rire qui ressemblait à une cascade, gracieux et vivifiant tout à la fois, et bientôt, une deuxième, puis une troisième bouteille se joignirent à la fête.
— Donc… Ce soir était supposé être un cadeau empoisonné pour ton meilleur ami ? résuma Harry en riant, la bouteille de vin à la main alors qu’il terminait de servir un nouveau verre à Draco.
Draco haussa les épaules.
— Il passe sa vie à manger, et ni lui ni sa femme ne savent cuisiner.
— Et toi ? demanda Harry.
— Je me débrouille, éluda Draco.
Harry appuya sa tête contre le meuble en inox.
— Ma mère disait ça, quand j’étais gamin.
— C’est ce qui t’a donné envie de cuisiner ?
Harry laissa échapper un rire.
— Les boîtes de conserve, tu veux dire ? Oui, j’imagine que ça a contribué à mes choix.
— Je vois que je ne suis pas le seul à ne pas assumer mes boîtes de conserve… marmonna Draco.
Rires, de nouveau. Il riait facilement, presque comme il respirait. Sa tête appuyée contre le meuble, il se tourna vers Draco.
— Tu te débrouilles bien, pour quelqu’un qui est un habitué des plats préparés.
— Je n’ai jamais eu le temps, mais je trouve ça beau. La précision, l’imagination que ça demande… Il faut inventer, constamment.
Harry hocha la tête. Il détailla la tenue du blond, pas du tout adaptée à une cuisine. Sa chemise était impeccable, malgré les heures passées dans la cuisine, la chaleur, la transpiration et les éclaboussures de nourriture qui avaient pourtant semblé l’épargner. Draco lui renvoya un regard interrogateur.
— J’essaie de deviner ce que tu fais dans la vie… Laisse-moi me concentrer.
Ses mains étaient fines, impeccables. Même à travers ses lunettes qu’il n’avait pas pu nettoyer depuis un bon moment, Harry pouvait voir qu’elles étaient douces, délicates. Ce n’était pas des mains habituées aux tâches manuelles, au bricolage, à l’artisanat, à la fabrication. C’était les mains de quelqu’un qui se servait de sa tête avant toute chose, de quelqu’un qui comptait sur son intellect pour faire la différence. Harry retint un froncement de nez ; il lui avait fallu de longues années avant de comprendre que son choix de métier manuel, de l’artisanat, ne remettait pas en question son intelligence ni ses capacités intellectuelles.
Draco l’observait, un sourire goguenard au coin des lèvres.
— Tu n’as aucune chance, Potter, le railla-t-il.
— Peut-être, mais j’ai envie d’essayer. Laisse-moi réfléchir, je te dis.
— Prends tout ton temps, souffla Draco, avant de finir son verre.
Harry ne le quittait pas du regard, alors qu’il remplissait leurs verres.
— Un indice ?
— L’alcool te prive de tes neurones ?
— L’alcool ne réagit pas très bien à tes croissants cramés, en effet, crâna Harry.
Draco grogna, mécontent.
— Tu donnes ta langue au chat ? demanda-t-il à voix basse ?
Le regard que le jeune chef posa sur lui l’électrisa. Il n’y avait aucune provocation, aucune forme de langueur, simplement une forme paradoxale d’innocence mêlée à une curiosité amusée. Intéressée. Il vit de façon très claire son regard se poser sur ses lèvres, qu’il trouvait trop fines, trop claires, mais qui fourmillaient de l’envie de goûter celles du brun. Ça n’avait pas de sens. Quelques heures à peine après l’avoir rencontré, il rêvait de l’embrasser, de sa proximité. C’était un besoin, de sentir de nouveau le contact de sa peau contre la sienne, plus que juste bras contre bras. Il les voyait, si proches et pourtant bien trop éloignées, rougies par le vin, si douces, c’était évident, tout près de son menton rugueux et de ses joues dont il imaginait qu’elles seraient brûlantes sous ses doigts. Il l’avait vu goûter les plats, porter les cuillères à ses lèvres, puis nettoyer lesdites lèvres d’un coup de langue mutine. C’était son tour, maintenant, et peu importait que l’alcool aide considérablement à le désinhiber.
Ils se penchèrent l’un vers l’autre, dans un geste lent, affable. Leurs mouvements étaient alourdis, ralentis par l’alcool, tout comme les demi-sourires qu’ils ne parvenaient pas à retenir. Le lendemain, les choses seraient différentes, les masques, de froideur pour l’un, de convivialité pour l’autre, seraient de retour, mais pour l’instant, ils n’avaient d’yeux que pour l’autre. C’était bien suffisant.
Pourtant, pas de baiser. Pas de courant électrique, pas de cœur battant, pas de cheveux ébouriffés, de mains baladeuses, de joues rougies par le plaisir de l’instant. Lorsque le contenu du verre de Potter se déversa sur son pantalon, Draco sursauta. Dans le même temps, son nez et celui du brun s’entrechoquèrent, mettant fin à la magie de l’instant. Ils s’écartèrent l’un de l’autre, la main sur le nez. Draco tâtonna autour de lui, à la recherche d’un torchon, de n’importe quoi susceptible d’absorber le vin sur son pantalon.
— Mais quel crétin, ce n’est pas possible ! Grommela-t-il, mécontent.
Puis il échangea un regard avec Potter, sous la main duquel quelques gouttes de sang dégoulinaient. De colère, douleur, surprise, déception, ils passèrent à une hilarité incontrôlable. Ils riaient, les larmes aux yeux et la douleur pulsant dans leur nez, dans tout le visage. Draco parvint enfin à trouver un torchon, encore humide de la vaisselle faite quelques heures plus tôt, et tira doucement sur le poignet de Harry, toujours hilare. Avec une douceur inattendue, il entreprit de nettoyer doucement les gouttes de sang sur sa lèvre supérieure. Plus de rire, juste un silence chargé de quelque chose d’imperceptible et lourd tout à la fois.
— Ça va aller ?
— J’ai toujours rêvé d’avoir le nez cassé…
— Sois pas une chochotte, Potter, ton nez n’est pas cassé, se moqua Draco.
— Et bien c’est dommage, soupira le brun.
Délicatement, il nettoya une tâche de sang, juste sur le menton du jeune homme face à lui, le regard braqué sur ses lèvres. Délicieuses, tentatrices. Harry retenait son souffle, toute douleur oubliée, et peu importait l’odeur d’alcool renversé, il ne sentait que celle de Draco, mélange d’un parfum discret qu’il ne parvenait pas à identifier et d’une légère touche de transpiration qui, inexplicablement, ne faisait qu’accentuer le trouble du jeune chef.
Ce fut doux, un peu maladroit, marqué par la crainte de voir leur nez se heurter de nouveau. Ils eurent un rire gêné, et alors que les joues de Harry rosissaient, le ricanement de Draco se renforça, bientôt étouffé par leurs lèvres jointes. Lâchant la serviette, Draco déposa une main légère sur la nuque de Harry, le rapprochant de lui en douceur. Ça n’était pas un baiser passionné, bien trop imbibé par l’alcool, alourdi par la fatigue, mais c’était exactement ce dont ils avaient besoin, l’excuse parfaite pour justifier cet instant qu’ils n’étaient pas sûrs de comprendre. Puis, à un moment donné, alors qu’il était difficile de savoir lequel des deux poursuivait le baiser, alors que même l’alcool n’était plus une bonne excuse, il fallut bien reprendre leur souffle. Front contre front, les yeux fermés, ils restèrent immobiles un instant, le cœur battant et le souffle court.
— Ça n’était pas prévu dans le cadeau, ça… chuchota Draco.
Si l’effet souhaité était de faire sourire Harry, il fut déçu. Le jeune chef se recula brusquement, réalisant soudain la situation.
— Je… Tu devrais partir. S’il te plait.
Masque froid. Lèvres pincées. Regard glacial. Draco se leva, digne et élégant malgré son entaille sur le nez, malgré le vin sur son pantalon à présent trempé, malgré sa démarche un peu vacillante et aléatoire. Sa veste récupérée, pliée sur son bras, il sorti sans un regard. La tête vide, le regard hagard, il marcha dans la nuit londonienne bien trop froide pour la chemise trop fine qu’il portait, un pas devant l’autre, automate épuisé et déçu. Il avait été idiot, sans doute, de se laisser aller à imaginer… Imaginer quoi, d’ailleurs ? Il n’y avait rien eu à imaginer. Ça avait été une erreur, magistrale, d’autant plus qu’elle aurait pu être évitée. Les mains gelées, la tête embrumée par les vapeurs d’alcool, il parvint difficilement à glisser la clé dans la serrure de sa maison. Quelques minutes plus tard, pantalon et chemise en boule dans un coin de sa chambre, il s’écroula sur le lit. Il était grand temps que cette journée se termine.
Pour Harry, la fin de la soirée (le début de la nuit ?) ne fut guère plus brillant. Adossé à la porte d’entrée de son appartement, il pinça l’arrête de son nez, comme il avait coutume de le faire quand l’alcool pulsait trop fort dans son système tout entier, lui donnant l’impression que son cœur était plus bruyant qu’une rave party. Il gémit ; son nez n’était peut-être pas cassé, mais la douleur, elle, était bien présente. Son esprit était rempli de l’insolent et insupportable Draco. Il revoyait les petites rides, au coin de ses yeux, qui lui disaient qu’il était plus âgé que lui, la lueur dans son regard, les éclats de malice qui trahissaient l’esprit affuté de renard qu’il possédait. Le chef ne regrettait rien, sinon sa réaction, parfaitement stupide. À quel moment avait-il perdu pied ? Quand il avait posé son bras sur celui de l’inconnu pour lui demander de rester alors que tous les élèves s’éloignaient ? Quand ils avaient enchainé les verres, s’éloignant à chaque gorgée de la raison supposée les prémunir de ce genre de dérapage ? Quand il avait laissé Draco l’embrasser ? De toute façon, qui avait embrassé qui ?
Peut-être l’erreur avait-elle été de le repousser. Mais Harry n’était pas naïf, il n’avait aucun mal à imaginer ce qu’il se serait passé s’il n’avait pas repoussé cet homme, si beau dans son port aristocratique, si noble dans ses attitudes, y compris lorsqu’il jurait. Il pouvait presque entendre les soupirs, les gémissements, les doigts qui s’accrochent à l’autre, les poils qui se hérissent, et l’oreille qui se tend aux réactions de l’autre pour programmer le bon geste, celui qui fera la différence. La caresse du soupir suivant, le baiser qui ferait tomber les barrières. Il voyait leur nudité, l’imaginait sans vraiment se permettre de visualiser Draco, parce qu’il savait qu’il serait forcément mieux que tout ce que ses idées pourraient suggérer. C’était totalement stupide, en vérité, que de se mettre dans un état pareil pour un homme qu’il ne connaissait que bien peu, qui avait failli lui casser le nez et qu’il avait repoussé sans ménagement. Le problématique ne s’arrêtait pas à Draco, pourtant. Harry avait su, alors qu’il guidait la main de Draco dans une recette un peu technique, qu’il était temps d’avoir une discussion avec Colin. Il se connaissait, et s’il était tout à fait sincère, il était temps de cesser de se voiler la face. Cela ne rendait service à personne ; Colin ne voyait rien, aveugle et sourd à l’évidence, tandis que Harry, par une forme de bonté de cœur qui le condamnerait ensuite au rôle du méchant, essayait encore et encore de prolonger une histoire qui ressemblait plus à un disque rayé qu’à autre chose. Tout sonnait faux entre eux depuis trop longtemps, il le savait, tout le monde le savait.
Malefoy n’avait fait que confirmer les choses. Harry se connaissait. Jamais il n’aurait frémi devant un autre homme comme il l’avait fait ce soir-là, jamais il n’aurait ne serait-ce qu’envisagé de lui offrir un verre, puis un autre, puis encore un autre, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’alcool dissolve leurs craintes, leurs doutes. Colin aurait dû surgir dans son esprit, comme une évidence, réveiller ses responsabilités, sa culpabilité, mais la seule trace qu’il y’ait de ce sentiment concernait le temps qu’il lui avait fallu pour s’avouer qu’il n’y avait plus rien à faire.
Colin l’attendait dans le salon. Simplement vêtu d’un tee-shirt emprunté au chef (qui détestait cela) et d’un caleçon, il avait les mains posées sur ses genoux, droit comme un i, le regard humide et le menton imperceptiblement tremblant.
— Où étais-tu ?
— Colin, ne commence pas.
— Dis-le, ordonna le jeune homme. Froid, autoritaire, la voix pourtant tremblante. Harry entendit sa douleur, la sentit le percuter de plein fouet. Il soupira. Peut-être n’avait-il pas été aussi subtil qu’il l’avait imaginé.
— Ça fait longtemps qu’on aurait dû arrêter, toi et moi.
— Ne dit pas ça, siffla son futur-ex-petit-ami.
— Si. Ecoute-moi. Cela fait longtemps, qu’on sait que ça ne marche pas. Ça n’a jamais vraiment marché, on a juste essayé, on a eu envie que ça fonctionne, parce que c’était facile et agréable. C’était doux, d’une certaine façon, mais il n’y a que toi qui recherche de la douceur, un gentil petit quotidien. Et même celui que j’essaie de te donner ne te convient pas, parce qu’on peut difficilement prendre de quelqu’un des choses qu’il n’a pas envie de donner ? Tu comprends ? J’essayé, Colin. J’ai essayé de me convaincre que c’était la meilleure chose, qu’on était faits l’un pour l’autre, mais il faut se rendre à l’évidence. Je ne supporte plus la facilité, les rapports sexuels qui ne font frissonner personne, les mots d’amour qu’on ne prononce pas, qu’on ne pense même pas.
— C’est ça ton problème, Harry. Incapable de te contenter de ce que tu as, comme tout le monde, toujours à courir après une chimère, une forme d’extraordinaire qui est inatteignable parce que l’extraordinaire, le fantastique, le merveilleux n’existent pas. Tu préfères rêver qu’essayer, cracha Colin en se redressant.
Les bras tendus le long du corps, il avait les poings si serrés que malgré la pénombre, ses jointures blanchies étaient tout à fait perceptibles. Il fulminait, le corps raidi par la colère, et son visage tout entier, habituellement si doux, n’était que fureur. C’était exactement ce qui ennuyait Harry : sa douceur constante, sa patience, sa candeur. Beaucoup d’autres hommes rêvaient sans doute d’un compagnon comme Colin, mais lui étouffait, enfermé dans un cocon de mièvrerie qui ne le surprenait plus.
— Tu devrais partir, souffla Harry en se penchant pour allumer une lampe posée sur une des larges étagères de sa bibliothèque.
— Tu… Tu me mets dehors ? balbutia le jeune homme, dont les expressions oscillaient entre fureur et surprise.
— Oui, Colin. Et laisse le t-shirt où tu l’as trouvé, tu sais que je déteste que tu portes mes fringues sans demander.
Il lui tourna le dos, se dirigeant vers la salle de bain. Une longue, très longue douche. Voilà la seule chose dont il avait envie. Las, il retira pull, t-shirt et jean. Ses gestes étaient automatiques, emprunts de son épuisement, du poids de cette journée bien trop longue. L’eau chaude sur son corps l’apaisa presque immédiatement. Il ferma les yeux avec un profond soupir, oubliant un peu ce qu’il se passait autour de lui. Les bruits dans l’appartement laissaient deviner la brutalité avec laquelle Colin entassait ses affaires dans sa valise. Il maugréait sans doute, entre deux sanglots, balançant ses vêtements sans réfléchir. Son comportement avait tout de celui d’un salaud, il le savait, mais depuis le jour où Colin avait posé ses valises dans son appartement, la sensation d’étouffement ne s’était jamais dissipée. Jusqu’à ce soir, entre l’ivresse, la fatigue et le regard d’argent de Draco. Il s’était senti libre, étrangement. C’était son choix, sa décision, sa volonté de passer du temps avec lui, de l’embrasser, de le toucher, même. De le découvrir un peu, même s’il ne savait finalement que bien peu de choses le concernant.
Lorsqu’il sorti de la douche, Colin était parti. Il avait laissé un beau capharnaüm, derrière lui. Harry soupira, ramassant les objets et vêtements éparses qu’il avait laissés derrière lui. Il fourra tout dans un sac poubelle, indifférent aux mois communs sur lesquels il tirait une croix. S’il avait été un peu plus courageux, s’il avait eu moins peur de lui faire du mal, il aurait mis fin à cette mascarade depuis longtemps et lui aurait épargné une souffrance inutile. Il n’avait jamais été particulièrement désireux de garder de bons contacts avec ses ex, mais même si ça avait été dans ses habitudes, cela semblait compromis avec Colin.
Allongé sur son lit, par-dessus la couette, Harry fixait le plafond. La nuit était déjà bien avancée, et il serait épuisé le lendemain, mais il n’avait qu’une chose en tête : les lèvres de Draco.
À la semaine prochaine pour un nouveau chapitre. |