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au 31 Mai 21 :
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Easy as pie.
Par WildShelby
Harry Potter  -  Romance  -  fr
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Chapitre 3 - Partie 1

Chapitre 3.
Première partie.

Lorsqu’elle avait ouvert son épicerie bio et locale trois ans auparavant, Harry avait été le premier à accepter qu’elle le fournisse entièrement. Mieux, il n’avait pas attendu qu’elle lui en fasse la proposition, et lui avait très rapidement expliqué ce qu’il attendait : des fruits et légumes de saison, frais, aux qualités gustatives qu’il souhaitait vérifier lui-même. Leur collaboration n’avait pas été tout de suite satisfaisante ; le chef était exigeant, difficile. Il était parfois capable d’être agressif, verbalement, lorsqu’il n’était pas satisfait. Parfois, il avait profité de l’attachement que Ginny avait à son égard pour être plus désagréable encore, mais ça n’avait pas fonctionné très longtemps ainsi ; la jeune femme avait su se faire respecter, et ils étaient devenus de véritables alliés.

Bien sûr, les années avaient passé, et plus en raison de son travail acharné que par chance, la jeune femme avait réussi à se faire un nom. Là où il avait longtemps été son client principal, Harry n’était vite devenu qu’un nom parmi les autres, du moins si l’on se contentait de consulter les carnets de commande de la rouquine. Dans les faits, elle prenait toujours un soin particulier à le livrer avant qui que ce soit d’autre, lui réservait les meilleurs produits, surtout lorsqu’ils étaient difficiles à obtenir, et en contrepartie, il acceptait de payer des sommes exorbitantes pour les produits dont il considérait qu’ils étaient les meilleurs de tout Londres. C’était pour la jeune femme une véritable fierté. Si elle avait construit un réseau de petits producteurs passionnés par leur métier, elle était particulièrement satisfaite de la gamme d’herbes aromatiques et de fleurs comestibles qu’elle proposait depuis le début de son affaire. Cultivées par Molly Weasley, sa mère, une matrone au cœur aussi généreux que ses formes, elles étaient d’une qualité inégalée et décoraient et aromatisaient les plats des plus grands palaces comme des restaurants de quartier les plus anonymes. C’était là la force de Ginny : peu lui importait que les restauraient affichent des étoiles sur la devanture ou puissent à peine investir dans des chaises confortables, seule la qualité importait. Les chefs la choisissaient ? Qu’à cela ne tienne, elle se donnait aussi le droit de choisir les chefs.

Quand elle n’était pas occupée à livrer ses clients déjà fidèles ou à proposer ses services à d’autres potentiels partenaires culinaires, Ginny tenait une charmante petite échoppe dans laquelle elle vendait, en fonction des arrivages et des cueillettes du jour, des meilleurs fruits, légumes, herbes aromatiques, poissons et viandes du jour. Décorée dans un style très campagnard, très authentique, la boutique avait un charme suranné devant lequel Molly ne pouvait s’empêcher de roucouler de bonheur chaque fois qu’elle rendait visite à sa fille. La fierté de ses parents était une véritable source de bonheur pour la jeune femme. Avant que Ron n’ait son accident, la benjamine des Weasley vivait une vie de bohème, ou peu s’en faut : elle ne se préoccupait de rien, sinon des garçons, de sortir, faire la fête, boire plus que de raison, danser comme si sa vie en dépendait… Puis Ron s’était retrouvé sur ce lit d’hôpital, branché à des tubes et des câbles dont elle ne comprenait même pas l’utilité, et sa vie avait changé. Dans cette famille nombreuse et épanouie malgré un niveau de vie assez modeste, tout s’était écroulé. Ça n’avait pas été une chute brutale, pas autant que celle de Ron, en tout cas. Pendant quelques semaines, Molly et Arthur avaient tenu bon, mais la situation s’était étiolée, lentement, sournoisement, comme une avalanche au ralenti, un glissement de terrain infiniment long qui avait failli emporter Ginny sur son passage. C’était la plus jeune, la seule à vivre encore chez ses parents, la seule dont il avait été attendu qu’elle ramasse les pots cassés, les miettes de souffrance qu’ils laissaient derrière eux quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils disent. Ses parents, aimants et attentifs au quotidien, inquiets à l’idée de causer du souci aux ainés de Ginny, prenaient un soin tout particulier à feindre une distance raisonnable avec ce qu’il se passait, prétendaient qu’ils tenaient le coup, qu’ils croyaient en la médecine, qu’ils se devaient d’être fort pour Ron, qu’il était entre les meilleures mains, même. Avec la jeune femme… Ils n’avaient pas su se retenir. Impossible de les blâmer ; qui aurait pu leur reprocher de souffrir de la perte de leur enfant ? Où étaient-ils supposés le pleurer, alors qu’il n’y avait même pas de tombe sur laquelle se recueillir ?

Ron n’était pas mort, mais Ron n’était pas vivant non plus. C’était presque pire. La culpabilité l’avait longtemps saisie de simplement oser penser ainsi, mais avec les années, cette vision des choses avait pris de l’ampleur dans son esprit, s’était solidifiée au point de devenir une certitude absolue, une évidence, presque. Allongé dans son lit d’hôpital, amaigri, émacié, même, chétif au point que ses cheveux d’un roux éclatant autrefois avaient perdu de leur éclat et tombaient maintenant par poignées entière sur les draps blancs du lit médicalisé, Ron n’était plus que l’ombre pathétique et désarticulée de lui-même. Le son des machines avait depuis longtemps été coupé, et si son cœur battait, c’est uniquement parce que la technologie le permettait. Son cerveau n’était plus pour ainsi dire qu’une bouille de synapses fatiguées, et personne n’espérait plus depuis longtemps. Pourtant, Arthur et Molly n’avaient jamais accepté qu’on le débranche, ou qu’on l’aide à partir, tout en douceur, entouré de ses proches. Le renoncement leur était insupportable, l’idée de perdre un enfant insurmontable… Quand bien même c’était déjà le cas depuis longtemps.

Ginny avait donc pris son envol, et avait embarqué sa mère dans cette aventure un peu folle que son amie Luna l’avait aidée à mettre en place. La jeune femme blonde, rêveuse, éthérée, avait été d’un soutien sans faille, et peu importait que ses idées aient souvent été trop originales, trop loufoques pour être prises en compte, le cœur qu’elle mettait dans ses réflexions comptait bien plus que la validité de ses propositions. Molly, quant à elle, avait retrouvé une forme de légèreté, de bien-être et d’accomplissement dont le départ de son dernier bébé l’avait dans un premier temps privée. Elle avait agrandi le potager de son jardin, acquis des espèces d’herbes aromatiques qui lui étaient jusqu’alors inconnues et s’était inspirée des journaux de ses aïeules pour les planter et les cultiver au mieux. La bonne saison, la terre adéquate, l’eau la plus qualitative possible, les techniques de taille les plus respectueuses, jusqu’à la lune parfaite, elle ne laissait rien de côté, essayait tout ce qui lui semblait susceptible de fonctionner, et tirait une immense fierté des compliments des clients que lui rapportait fidèlement Ginny.

Ron n’était plus là, mais ensemble, ils s’étaient construit un quotidien un peu plus doux, un peu moins amère. Ils avaient appris à sourire un peu plus, à rire après les larmes, à parler plutôt que de laisser le silence s’installer, et ils goûtaient, du bout des lèvres, à la chance d’être en vie. C’était un hommage qu’ils lui rendaient, une résolution silencieuse qu’ils s’efforçaient de respecter chaque jour, malgré la douleur, malgré les souvenirs, la culpabilité et le deuil impossible de quelqu’un qui n’était pas passé de l’autre côté. Tout leur rappelait le jeune homme : les photos de famille, les films qu’il aimait, les chansons qu’il avait l’habitude de chanter à tue-tête, les petits gestes du quotidien liés à des anecdotes dont ils n’auraient jamais pensé qu’elles en étaient, le moindre détail était rempli de Ron, et Ron emportait tout avec lui, partout, tout le temps.

S’il y avait un endroit que Ginny avait imaginé et voulu vierge de Ron, c’était sa boutique. Bien sûr, la tentation avait parfois été forte, parce que dans les moments de doute, d’une façon assez paradoxale, tordue, la présence et la pensée de Ron avaient quelque chose de réconfortant. Il était devenu une pensée magique, un doudou imaginaire qui, serré contre le cœur et bercé avec tendresse parvenait à étreindre les peurs les plus sourdes, les angoisses les plus profondes et à les faire disparaître, tout doucement, ne laissant derrière lui que le souvenir aigre-doux de ses éclats de rire légendaires.

Comme chaque matin, elle s’employait à mettre en place fruits, légumes et autres produits frais sur les étals prévus à cet effet. Selon les saisons, elle les posait sur de larges feuilles d’arbres, ramassées dans le bois qui jouxtait le domaine parental, ou sur une paille sèche qui était du meilleur effet. Ginny n’était pas de ces commerçants obsédés par le moindre détail, par le plus petit brin de paille tombé au sol, au contraire, aussi lui arrivait-il de parsemer le sol de brins de lavandes et de paille qui dégageaient, écrasés par les pas des clients, une odeur vivifiante, surtout au cœur de Londres. C’était un moment qu’elle appréciait particulièrement ; les commerces alentours n’avaient pas encore levé leur grille, les quelques piétons se dépêchaient de rejoindre leur lieu de travail ou les transports en commun les plus proches, certains parents emmenaient leurs enfants chez la nourrice ou à la garderie. La vie se levait en même temps que le jour, le sommeil marquait encore le visage de certains londoniens, et contrairement au reste du temps, l’anonymat était moindre. Toujours les mêmes visages, toujours les mêmes rituels, comme ce père de famille qui venait lui acheter une pomme pour chacun de ses trois enfants, chaque matin de chaque jour de l’année scolaire depuis qu’elle les avait encouragés à prendre un fruit dans l’une des caisses qu’elle déchargeait alors de son camion. Les enfants avaient grandi, les tempes du père étaient plus grises qu’avant et son front plus dégarni, mais le sourire complice, lui, était strictement identique.

C’était la vie sereine de Ginny Weasley.

Quelques exceptions, cependant, comme ce matin lorsque Harry surgit dans sa boutique, les cheveux encore plus ébouriffés que d’ordinaire, les yeux brillants d’une lueur furibarde. Il était en colère, aussi Ginny lui jeta-t-elle un regard étonné, interrogateur. Son corps tout entier était tendu par la fureur, variation de son caractère que la jeune femme n’avait pas vue depuis bien longtemps, et qui l’empêchait de rester sans bouger plus que quelques instants. Le chef attendit que la cliente s’en aille, et se rapprocha de Ginny.

— Je peux savoir où sont mes produits ?

— Bonjour à toi aussi, Harry, répondit—elle, affichant un sourire crispé qui valait mille mots.

— J’attendais ta commande. Mes frigos sont vides, je donne trois sessions de cours aujourd’hui, et visiblement, tu n’as pas l’intention de me livrer.

— Harry, aucune livraison n’était prévue aujourd’hui.

— Bien sûr que si. Je t’ai envoyé un mail de confirmation, comme toujours, avec le descriptif de ce que je voulais pour le poisson.

— Tu dois te tromper, je n’ai eu ni de mail de commande, ni de mail de confirmation de ta part.

— Tu te fous de moi ? s’exclama le jeune homme.

— Non, Harry, je ne me fous pas de toi, mais j’aimerais que tu changes de ton, répliqua la jeune femme, bien moins aimable qu’auparavant.

— J’ai deux cours à donner aujourd’hui, j’ai besoin de ces produits que tu ne m’as pas livrés, et il faudrait que je sois calme ?

Harry n’était définitivement pas calme. Le teint rougi par la colère, les cheveux plus ébouriffés que jamais, il semblait prêt à rugir. Evacuer sa colère, pourtant, n’était pas exactement conseillé alors que la clientèle commençait à affluer. Pour lui prouver sa bonne foi, la rousse sorti son cahier de commandes, dans lequel elle reportait tous les mails que lui envoyaient ses clients, Harry compris. La technologie n’avait jamais été son amie, et elle le lui rendait bien. Elle poussa le cahier vers son ami, lui montrant la page qu’elle avait datée d’un jour à l’aide d’un épais feutre rouge. C’était à n’y rien comprendre, mais les conséquences pouvaient être désastreuses : il suffirait d’une fois pour que Harry perde sa bonne réputation et pour qu’un mauvais bouche—à—oreille n’envahisse tout Londres, le privant de son gagne—pain. Et même s’il gagnait plutôt très bien sa vie, Harry n’avait aucune envie de devoir repartir de zéro et essuyer les plâtres d’un lynchage dans les règles de l’art.

— Tu vois, il n’y a rien. Tu ne m’as rien envoyé, je n’ai rien reçu, je ne sais pas, et peu importe, toujours est-il que je n’avais rien à te livrer ce matin, Harry. Je ne te ferais jamais un coup pareil, tu le sais, pas vrai ?

— Je ne comprends pas, dit Harry en secouant la tête, ignorant la question de son amie. Il y’a forcément une explication, parce que j’ai envoyé ce mail, Gin’.

À son tour d’exhiber les preuves ; il fallut tapoter quelques instants sur l’écran tactile de ton téléphone pour afficher les mails qu’il avait envoyés à son amie. En effet, il y faisait mention des produits qu’il voulait absolument : des artichauts, des asperges vertes, des oignons en botte, de l’ail violet, du rouget barbet… L’adresse mail était bien celle de Ginny, et le mail était classé dans les messages « envoyés ». Pourtant, il n’était pas parvenu à destination, et Ginny n’avait pas eu la moindre commande.

— Ecoute, ça n’est pas grave. J’ai beaucoup de stock aujourd’hui, alors prends ce qu’il te faut, et on n’en parle plus, proposa-t-elle avec un sourire.

— Merci Ginny… C’était sans doute un souci informatique tout bête, je suis désolé de m’être emporté comme cela, souffla Harry, contrit de gêne et de culpabilité.

— N’en parlons plus. Sers-toi, avant que je ne change d’avis.

Harry ne se fit pas prier, et avec l’aide de Ginny, il sélectionna les produits qu’il proposerait le midi—même. Changer ses plats n’était pas un problème, aussi fut—il satisfait d’être aussi flexible et adaptable. Sa vieille camionnette fut vite pleine à craquer, à la fois des produits que Ginny était en mesure de lui vendre, et de ceux qu’il acheta, exceptionnellement, auprès d’autres épiciers du quartier. Rencontrer d’autres professionnels, passionnés par leur métier, par les produits qu’ils vendaient, palettes de couleurs, de saveurs et d’émotions qui variaient en symbiose avec les saisons était toujours un véritable plaisir, y compris lorsque cela faisait suite à un tel moment de panique. Ce n’était pourtant pas un sentiment courant chez lui, un comportement duquel il était coutumier : son sang—froid faisait partie de ces caractéristiques pour lesquelles il était reconnu… Pourtant, parfois, certaines situations le faisaient partir en vrille.

De retour à ses cuisines, il put enfin commencer à préparer la journée de travail qui l’attendait. Trois classes viendraient apprendre plats et techniques, ce qui représentait une organisation militaire. Chaque détail devait être pensé, prévu, chaque problématique devait être anticipée, solutionnée, réglée avant même qu’elle ne survienne, et il fallait pouvoir répondre à tous les risques. Un ingrédient en quantité insuffisante ? Il faudrait le remplacer par un autre, mais lequel ? Un électroménager en panne ? Il faudrait revoir les cuissons, oublier les blenders, revoir la recette de A à Z. C’était l’un des moments préférés de Harry, en vérité : devoir, en plein cours, sous le regard mi—inquiet, mi—inquisiteur de ses élèves, décidés à ne pas repartir sans en avoir eu pour leur argent, repenser la totalité de la recette. Proposer une cuisson rapide plutôt qu’une cuisson douce, remplacer un ingrédient par un autre, surprenant et inattendu, puis, quelques instants plus tard, réfréner la bouffée de fierté et de victoire qui le prenait lorsque le délice se lisait dans le regard et le sourire de ceux qui, peu de temps auparavant, doutaient de sa capacité à arranger la situation.


C’était là qu’il se sentait bien, là qu’il était le plus dans son élément. Pas besoin de réfléchir, pas besoin de calculer, de se méfier ou de se protéger, le seul danger venait des ustensiles et de la chaleur s’il ne les maniait pas correctement. Il évoluait avec naturel, avec une aisance qu’il n’avait pas lorsqu’il se déplaçait ailleurs. En dehors de cette cuisine, il se cognait, trébuchait, il était gauche, maladroit, incapable de s’exprimer sans bafouiller, sans avoir le sentiment de ne pas être à sa place, d’être en total décalage. Il ne savait pas s’habiller, n’avait aucun style, avait souvent tendance à faire la mauvaise blague au mauvais moment, à ne pas identifier immédiatement l’humour ou le sarcasme, faisait tout tomber, oubliait constamment ses clés, connaissait à peine la ponctualité. Harry Potter n’était pas un homme du monde, un citadin bien comme il faut ; il s’en foutait.

 Dans sa cuisine, il était un autre homme, un roi dans son royaume, le seigneur de ses couteaux, planches à découper et épices diverses. Il y régnait en maître, et essayait de transmettre le bonheur que cela représentait pour lui que d’être dans un lieu qui lui ressemblait, qu’il fallait apprivoiser et qui, même après cela, continuait à représenter un danger pour n’importe quel imprudent trop sûr de lui. Son charme, sa prestance s’autorisaient à éclore au milieu de cet endroit qu’il avait créé à son image, où il pouvait réellement être l’homme qu’il était véritablement, profondément, là où le regard ne pouvait se poser, où les gestes n’avaient plus ni sens ni saveur, au beau milieu de cette chose indistincte et imperceptible qu’on appelle l’âme.

Le dîner prévu le soir-même serait une parfaite illustration de la difficulté qu’il avait à s’adapter à la société. Depuis plus d’une semaine, il essayait de se convaincre que l’invitation de Hermione était une bonne idée. Pourtant, plus il y pensait, plus l’échéance approchait, plus il se persuadait que tout ceci n’était qu’une vaste connerie, une blague qui ferait très probablement rire tout le monde sauf lui-même… Sauf Draco, même, puisque c’est de lui dont il était question. À quel moment avait-il considéré que passer la soirée chez sa meilleure amie, son époux qu’il ne connaissait pas et le meilleur ami de celui-ci, avec qui il s’était férocement envoyé en l’air quelques jours plus tôt, était une bonne idée ? Il n’avait pas été foutu de faire le lien entre le Blaise de Draco et celui de Hermione, et à en juger par le peu d’enthousiasme de Draco à l’idée de le revoir lorsqu’ils s’étaient séparés au petit matin, le corps encore collant de l’autre, la peau marquée de cette nuit passée sans exister pour autre chose que les soupirs de l’autre, les choses qu’il soit ravi de le voir étaient moindres.

Doux euphémisme…

Lorsque Harry se présenta devant la porte des Zabini, ce soir-là, la fatigue rendait déjà tout son corps douloureux. Après la mésaventure de la commande que Ginny disait n’avoir jamais reçue, la journée n’avait pas été beaucoup plus agréable : l’un de ses cours n’avait jamais eu lieu, les clients ayant joué les filles de l’air et décidé de ne pas se pointer, sans même prévenir de leur absence ce jour-là. Harry avait déjà été payé, mais ça n’était pas tant le problème que les efforts qu’il avait déployés pour proposer un menu de dernière minute avec les produits qu’il avait sous la main et dont il avait qu’ils finiraient sans doute à la benne s’il ne trouvait pas quoi en faire. Lors du cours suivant, Colin s’était pointé, apparemment convaincu que faire un esclandre devant près d’une dizaine d’élèves (tous cadres dans des grandes entreprises de la finance, prêts à payer le prix de leur tranquillité, et auxquels il aurait plutôt eu intérêt à faire bonne impression).

Harry avance lentement entre ses élèves, observe leurs gestes, leurs postures, répond à leurs questions. Le cours vient de débuter, et l’ambiance est différente de ce à quoi il est habitué. Cet après-midi, pas de visages brouillés par la fatigue, de poches sous les yeux et de tenues froissées par une longue journée de travail. Pas d’éclats de rire décomplexés, de sourires complices, de volonté de créer du lien avec le chef. Engoncés dans des costumes aux nuances de gris bien plus nombreuses que le jeune homme ne l’aurait imaginé possible, les élèves du soir sont présents dans le cadre d’un séminaire professionnel visant à créer une cohésion au sein d’une équipe où la concurrence, la compétition, l’adversité sont des valeurs clés, presque des mantras qu’ils revendiquent et dont ils font un objectif en soi. Raides, le visage figé dans un simulacre d’intérêt poli, ils ont écouté ses consignes et ses explications dans un silence religieux. Certains ont osé un minuscule sourire à ses traits d’humour, mais aucun ne parait vraiment ravi d’être ici. Harry ne peut pas leur en vouloir ; comme eux, il rêverait de prendre une longue douche ou un bain chaud, de s’enrouler dans sa couette et de s’endormir devant un film dont il ne connaîtra pas la fin ce soir.

À mesure que le cours avance, pourtant, les élèves se détendent. Ils savourent la tranquillité, la simplicité d’un moment à propos duquel ils n’ont pas su que penser jusqu’à la dernière minute. La méfiance est nécessaire, indispensable, même, dans leur métier, alors que la confiance, elle, est un pari trop risqué, même pour ces génies des finances dont le quotidien est fait de jeux d’argent aux montants astronomiques — indécents, même. Dans la cuisine du chef Potter, ils ne sont plus que des individus normaux, qui manipulent des couteaux trop lourds pour eux, qui épluchent, taillent, coupent, mélangent et assaisonnent des produits d’une simplicité désarmante, les ramenant à une vie normale à laquelle ils ne sont plus habitués. La plupart d’entre eux se font livrer leurs repas chaque soir, profitent des restaurants proches de leur bureau le midi, et n’ont pas pris la peine de tartiner du beurre sur leur pain depuis des années. C’est un retour aux sources, un lâcher prise d’autant plus difficile à s’autoriser qu’ils n’ont jamais vraiment réalisé être partis.

Petit à petit, ils y parviennent, pourtant. D’abord, ce sont quelques sourires qui éclairent les visages de ces hommes et de ces femmes qui ne sont plus habitués qu’à être des requins et à qui on a appris que montrer les dents relevait plus de la menace que de la joie. Puis, ce sont des questions, posées dans un premier temps sur un air de défis, puis plus sereinement. Harry s’applique à être aussi patient que possible avec eux. Il sait ce que c’est que de ne pas être dans son élément, d’être sur la défensive parce que cela reste plus simple que de s’autoriser à juste avoir confiance. Bientôt, des rires, discrets au début, plus affirmés ensuite, se font entendre. Les uns et les autres s’autorisent à retirer leur veste, qu’ils ont bêtement gardée — de l’avis de Harry — comme si la chaleur et l’humidité d’une cuisine ne pouvait pas les atteindre à travers leurs costumes et tailleurs de luxe. Porter du Armani n’empêche pourtant personne ni de sentir la transpiration, ni de se tâcher, ni même de louper un plat en beauté.

Ils ont cuisiné avec un certain talent, il faut le leur reconnaître. Même s’ils ne sont pas dans leur élément, même s’ils ne savent pas éplucher un légume correctement, même si l’idée même de « blanchir » une asperge n’a pas de sens pour eux, leur ténacité, leur volonté de réussir, leur combativité leur permet de s’en sortir assez honorablement. Leur visage trahit le plaisir sincère qu’ils prennent à mettre la table avec Harry, à arranger les fleurs dans le vase, à couper le pain tout juste sorti du four, dont les craquements au contact du couteau, le croustillant et l’odeur ouvrent l’appétit même des plus réfracteurs. Tous ensembles, ils s’installent autour de la table. Ils ne sont plus des hommes et des femmes d’affaire qui brassent des milliers de livres chaque jour, qui signent et jouent des contrats à six, parfois neuf zéros, ils ne sont plus que des individus qui se régalent de plaisirs authentiques qu’ils se sont trop longtemps refusés.

Harry, lui, est heureux, parce que c’est pour ces moments qu’il a choisi de ne pas juste travailler dans une cuisine de palace, de restaurant étoilé ou même de simple bistrot. Il veut partager le plaisir simple de l’oignon qui dévoile ses arômes dans de l’huile d’olive chaude, des légumes qui révèlent leur saveur au contact des bons aromates, des viandes cuites à la perfection qui semblent à peine réelles tant elles émerveillent les papilles. C’est pour le sourire, l’épanouissement qu’il voit dans les épaules détendues, dans les conversations ponctuées de gestes joyeux et enthousiastes, pour les accolades impensables quelques heures plus tôt, qu’il a investi, travaillé nuit et jour, prospecté dans toute la ville, puis de plus en plus loin dans le pays. Alors Harry savoure, lui aussi, il oublie tout. Il oublie même, lorsqu’il le voit apparaître sur les marches qui mènent de la cuisine au coin repas, que Colin a juré de se venger. Il lui faut quelques instants avant de réaliser que sa présence ici n’est pas de bon augure.

Sa fourchette à la main, il se fige. Son sourire, qui a à peine eu le temps d’éclore, fane tout à fait alors que son visage se ferme. Il faut un petit instant de flottement pour que les hôtes comprennent que quelque chose ne va pas. En quelques secondes, l’insouciance a disparu, et tous les regards se sont tournés vers Colin qui reste planté là, l’air un peu idiot, pense Harry, à les regarder sans parvenir pourtant à masquer son dédain et le peu d’aménité qu’il ressent à leur égard.  Depuis que Les Trois Balais a ouvert, Harry a tenté d’y inviter chacune des personnes qui compte pour lui : Molly et Arthur Weasley l’ont aidé lors de l’installation, l’ont conseillé sur l’aménagement, la décoration, lui ont offert l’immense table sur laquelle il reçoit ses hôtes. Hermione, elle, l’a aidé à compléter les étagères sur lesquelles il expose ses livres de cuisine favoris, les lui donnant en personne lorsqu’elle le peut, les lui envoyant par courrier lorsqu’elle n’a pas d’autre choix. Sirius, lui, a bu avec lui plus que de raisons à plus d’une reprise.

Colin, lui, n’a jamais mis les pieds ici.

Harry ne l’a jamais invité, c’est vrai, et n’a jamais manifesté son envie de le voir venir, mais son ex petit—ami ne s’en est jamais plaint. Il découvre les lieux, regarde autour de lui, et réalise, cela se voit dans son regard, que l’homme qu’il aime a mis toute son âme dans cet endroit, à tel point qu’il découvre une personne dont il ignorait même l’existence. C’est un prolongement de l’appartement du brun, une suite presque logique et pourtant surprenante, qui dit tout ce que Colin n’a jamais su voir et qu’il se dépêchera d’oublier sitôt qu’il aura tourné les talons.

— Qu’est—ce que tu fais là ? murmure Harry, qui n’y croit pas.

— J’ai pensé qu’on pourrait parler. Je voulais te voir. Tu me manques.

Harry pose sa serviette sur la table, et lance un sourire à son voisin de droite, un homme âgé d’une quarantaine d’années qui rit de ses anecdotes depuis le début du repas. L’élève hoche la tête, et sur sa seule décision, le reste de la tablée reprend vie, se détournant de Harry et de ce jeune homme étrange qu’ils ont vu arriver comme un danger, qu’ils ont perçu comme un risque. C’est exactement ce qui se dégage du jeune homme : il est dérangé, quelque chose chez lui ne tourne pas rond. Harry s’avance vers lui. Il est un peu hésitant, mais sait qu’il ne doit pas le montrer. Colin n’attend que cela, une miette d’espoir, un fragment auquel se raccrocher.

— Tu n’as rien à faire ici, Colin. Je travaille, ces gens sont venus ici pour passer un bon moment, tu dois partir.

— Est—ce qu’ils passeraient un bon moment s’ils savaient que tu m’as brisé le cœur, Harry ? Et que tu n’en aies rien à foutre, est—ce que tu penses que ça les aiderait à passer un bon moment ? S’exclame Colin, qui hausse le ton.

— ça ne les regarde pas. C’est entre nous.

— Comment est—ce que ça peut être entre nous si tu ne me laisses pas t’approcher ? s’indigne—t—il en attrapant le bras de Harry. Je te demande quelques instants, ce n’est pas grand-chose. Je t’écris des mails, des sms, je t’appelle, te laisse des messages, tu ne réponds jamais, Harry, et je devrais me contenter d’attendre ? Je te demande une réponse, je te demande de juste me parler. Je… Je crois que je mérite un minimum de ta part, ne serait—ce qu’un peu de… Je veux juste exister pour toi.

Harry soupire. Ses yeux verts n’expriment plus rien que du remord, de la tristesse. Il ne regrette pas d’avoir quitté Colin, parce que c’était la meilleure chose à faire et qu’il a attendu bien trop longtemps pour oser enfin prendre cette décision qu’il n’aurait jamais eue à prendre s’il avait eu la force, dès le début, de comprendre qu’en se refusant à décevoir le jeune homme, il a pris le risque de le blesser bien plus profondément.

— Ecoute… Ça n’est pas le moment. Je suis occupé ce soir, mais je peux te proposer que l’on se voie demain. C’est samedi, on aura qu’à aller boire un thé quelque part, et discuter un peu.

— Quelque part ? Chez toi ce serait très bien.

— Colin, non. Je ne veux plus que tu viennes chez moi. Déjà, la dernière fois…

— La dernière fois quoi ? s’écria Colin. J’étais bourré, c’est ça ? C’est ce qu’il se passe quand une personne comme toi brise le cœur d’une autre personne sans raison valable.

Les clients se sont retournés, alertés par les éclats de voix. Ils les fixent, réfléchissent à toute vitesse à ce spectacle affligeant auquel ils assistent, spectateurs forcés d’une pastille d’intimité qui n’a de sens que celui qu’ils lui accorderont. La plupart d’entre eux ne s’en souviendra pas, de toute façon, mais Harry sait que certains, au contraire, construiront leurs souvenirs de cette soirée autour de cet évènement ridicule. Il fit claquer sa langue contre son palais, passablement agavé.

— Colin, ça suffit maintenant. Tu sors.

Il dégage son bras, et pousse Colin vers la sortie. Lentement mais surement, la colère monte, ses terminaisons nerveuses frémissent et il lui faut toute la volonté du monde pour ne pas se montrer inutilement brutal. Toutes les années de rugby et la brutalité de ce sport qu’il adore sont confrontées à la maitrise de soi qu’exige la pratique de la cuisine au niveau qui est le sien, et ce n’est que parce qu’il ne souhaite ni faire du mal au jeune homme, ni se donner davantage en spectacle devant ses clients qu’il garde son calme. Ses mâchoires sont si serrées qu’elles sont douloureuses, et son regard ne peut créer aucune ambigüité : il ne veut pas de Colin ici. Ce dernier se retrouve au milieu de la ruelle, coite. Les bras ballants, il regarde Harry avec un air ahuri, la bouche entrouverte, et le chef se dit qu’il a l’air stupide, à rester là sans rien faire à part le regarder avec cette tête de poisson qui ne comprend pas bien ce qui se passe. D’un geste sec, il referme les rideaux sur la porte, efface la vision de cet homme dont il ne comprend pas comment il a pu passer tant de temps en sa compagnie, et retourne auprès de ses hôtes.

L’après-midi se poursuit agréablement, et lorsque les élèves sortent, puis quand Harry quitte les lieux à son tour, Colin n’est plus là. Il vérifie une dernière fois que sa commande est bien passée, envoie un dernier sms à Ginny pour s’assurer qu’elle a tout reçu, et il peut enfin rejoindre la maison dans laquelle vivent Hermione et Blaise, à l’orée d’un parc. L’impatience devrait le faire sourire à l’idée de revoir Draco, mais il est plus mal à l’aise qu’autre chose.

 
 
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