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Easy as pie.
Par WildShelby
Harry Potter  -  Romance  -  fr
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Chapitre 6 - Partie 2

Chapitre 6.

Deuxième partie.

La portière du pick-up se referma dans un claquement sonore qui arracha un soupir à James. Son fils n’avait jamais été capable de fermer une porte de voiture avec douceur, sans doute convaincu qu’il était nécessaire d’employer toutes ses forces pour parvenir à un résultat satisfaisant. Cela n’avait pas changé, au contraire de bien d’autres choses qu’il eut été difficile de comptabiliser tant elles étaient nombreuses.

Avant, Harry n’aurait pas eu à accepter que son père l’accompagne au commissariat. Il le lui aurait lui-même demandé, sans la plus petite retenue, sans se demander si cela était correct chez un homme de la trentaine. Mais son fils était plus guidé par une volonté toute adolescente et puérile de montrer à ses parents qu’il était capable de se débrouiller seul, y compris lorsque ça n’était pas le cas.

Pourtant, la plupart du temps, Harry était un homme mature, James se devait de le lui accorder.

Seul, il avait monté sa propre affaire, s’était lancé dans un mode de restauration en lequel personne n’avait d’abord cru. On lui avait ri au nez, on lui avait expliqué qu’il était ridicule, que jamais il ne parviendrait ni à fidéliser une clientèle — ce qui était indispensable — ni à dégager suffisamment de bénéfices pour vivre et investir. On lui avait expliqué comme fonctionnait un monde qu’il connaissait pourtant déjà par cœur, on lui avait mis des bâtons dans les rues en espérant qu’il abandonne un projet qui le tenait éveillé la nuit, qui lui mettant des étoiles dans les yeux, qui le rendait heureux avant même d’être concrétisé. Avoir travaillé dans les plus grands restaurants londoniens n’avait pas vraiment convaincu ni impressionné les banques auprès desquelles il avait tenté d’obtenir des prêts. À de nombreuses reprises, Lily avait demandé à James de réfléchir à prêter de l’argent à leur fils. Ils ne courraient pas exactement sur l’or, mais pouvaient se permettre d’emprunter, de fournir un fond substantiel qui permettrait de mettre l’affaire de leur fils unique sur les rails. La discussion était toujours la même, et tournait presque inévitablement à la dispute. Lily, inquiète et protectrice envers son fils unique, souhaitait l’aider. Elle considérait qu’il était de leur devoir de lui mettre le pied à l’étrier, de lui donner l’élan nécessaire à son ascension. James, fier et obtus, se refusait à proposer une aide que Harry ne demandait pas. Avec du recul, il restait difficile de savoir lequel des deux avait raison, aussi James avait-il pris le parti de considérer qu’aucun des deux n’avait vraiment tort. Cette période avait fini de confirmer qu’ils étaient aussi têtus et obtus l’un que l’autre.

C’est à Sirius que Harry avait demandé de l’aide, contre toute attente. Alors que ses parents s’écharpaient, incapables de se mettre d’accord sur la façon de procéder, le jeune homme, fraîchement libéré de son dernier contrat dans un palace londonien, était allé trouver son parrain, alors en voyage au Maroc. James n’était jamais parvenu à savoir ce qui s’était véritablement déroulé lors de ce voyage, mais au retour de son fils, celui-ci avait été capable d’acheter, de rénover et d’ouvrir ce qui était en premier lieu une vulgaire ruine, abandonnée de tous depuis si longtemps que l’office notariale en charge de la vente avait abandonné tout espoir de clôturer ce dossier un jour.

Pour James, voir son propre fils demander de l’aide à son parrain, au meilleur ami de son père, avait été une véritable déchirure, un pas supplémentaire franchis pour les séparer un peu plus. La distance qu’avait prise Harry suite à l’accident de Ron, le silence provocateur dans lequel il s’était muré, avaient pris une tournure bien plus réelle, bien plus concrète, ce qui n’avait fait que provoquer un peu plus de ressentiment du côté de James.

Lui non plus n’avait jamais été un adulte très mature, il en était conscient. Il n’avait pas fait une très grande carrière, et même si être vétérinaire lui offrait un certain confort de vie, son absence d’ambition l’avait amené à ne jamais vraiment chercher à avoir plus que ce qu’il avait déjà. Soigner des chiens et des chats toute la journée, voir le sourire et le soulagement chez ses clients, aider des agriculteurs à donner naissance à des veaux ou conseiller de jeunes personnes dans leur choix d’adoption était pour lui une joie bien suffisante. Lily, avec son poste d’enseignante dans une école spécialisée pour les enfants autistes, n’était guère plus ambitieuse, et s’il y’avait bien une chose qu’il avait comprise concernant son fils, c’est que Harry voulait réussir, même si la réussite telle qu’il la souhaitait ne se comptait pas forcément en cartes gold dans son portefeuille.

Harry ne s’était jamais montré aussi studieux et aussi décidé à réussir qu’après l’accident de Ron. En parallèle du silence obtus dans lequel il s’était enfoncé, chaque jour un peu plus, sa soif d’apprendre, de réussir n’avait fait que s’accentuer. Ça n’était pas un besoin aussi vulgaire et primaire que celui de réussir en l’honneur de Ron, même si Lily avait longtemps défendu cette interprétation. Harry n’avait jamais été un sentimental, il n’avait jamais goûté la simplicité et l’ordinaire, de cela James avait toujours été conscient. S’impliquer plus que jamais dans ses études n’était donc pas un hommage à Ron.

En vérité, il s’était fabriqué un nouvel allié du quotidien, sauf que cette fois-ci, il ne s’agissait pas d’un jeune homme roux au visage constellé de tâches de rousseurs. Il ne s’agissait pas d’un rouquin qui risquait de se retrouver allongé dans un lit d’hôpital qui serait à la fois sa dernière demeure et son lit de mort. Il s’agissait d’un métier duquel il était passionné, dans lequel il pourrait s’investir corps et âme, et qu’il ne perdrait jamais de manière aussi irrémédiable qu’il avait perdu Ron. Il s’était fabriqué un nouveau meilleur ami, qu’il avait placé au centre de sa vie, de façon telle que tout ne pouvait que graviter tout autour. C’était à la fois son repère, sa fuite idéale et son excuse facile.

Aussi dramatique et incompréhensible que cela continue à être pour James, ça n’en était pas moins très malin.

Les semaines après l’accident avaient été un cauchemar, pour James et Lily. Si dans la journée, Harry était relativement normal, avait un comportement qui restait compréhensible, les cauchemars qui habitaient ses nuits avaient rapidement épuisé l’ensemble du foyer. Les hurlements qu’il poussait au beau milieu de la nuit faisaient d’abord sursauter ses parents, qui se précipitaient à son chevet pour le rassurer, essuyer ses larmes et calmer ses sanglots. James se revoyait débarquer dans la chambre du jeune homme et le serrer contre son corps encore chaud de sommeil, caresser ses cheveux identiques aux siens, lui murmurer des paroles rassurantes qu’il n’avait plus prononcées depuis l’époque où il n’était encore qu’un bébé.

Avec le temps, la lassitude, entendre les hurlements de Harry était devenu douloureux pour James et Lily. Tous erraient dans leur vie comme des âmes en peine, des cernes comme des cratères de charbon sous les yeux, l’humeur massacrante et la patience amoindrie, mine d’un or supposé inépuisable qui était arrivé à ses limites. Ils avaient continué, pourtant, des semaines durant, et avaient assisté à la descente aux enfers de Harry, et tant pis si devant Hermione, tant pis si devant les Weasley, il tentait de sauver les apparences, tant pis si tous semblaient y trouver une forme de satisfaction, d’acceptation égoïste que Harry était capable d’aller bien après une telle épreuve.

Accoudé contre le cadre de la vitre ouverte de sa voiture, James se souvint d’une discussion téléphonique qu’il avait eue avec Sirius, alors que la vie reprenait doucement son cours, douloureuse et paresseuse. Chaque jour, en voyant Harry souffrir si fort qu’il semblait torturé par quelque force invisible lui infligeant les pires châtiments, il assistait à l’un de ses propres cauchemars. La seule idée de perdre Sirius, de perdre Remus, lui était insupportable. Cela avait été le cas dès qu’il les avait rencontrés. Jeunes et plein d’imagination, ils s’étaient trouvé des animaux totem, supposés définir leur personnalité.  Avec les années, ils avaient gardé ces surnoms incompréhensibles du commun des mortels et qui pourtant avaient fait partie des premiers mots prononcés tant bien que mal par Harry alors qu’il n’était qu’un bébé. Cornedrue, Patmol et Lunard.

La gorge du vétérinaire se serra. Il ne retint que difficilement un sanglot, mais ne parvint pas à avorter le suivant.

Il y était, à présent, dans cette situation de cauchemar que son fils unique avait vécue des années auparavant. Il la dégustait, à présent, la douleur, la rage, la peur. La trouille noire, celle qui vous prend aux tripes, qui vous donne des envies contradictoires, des réflexes en totale opposition, tant et si bien que le seul choix restant semble être celui de la violence. Se taper la tête contre les murs pour ne plus avoir ces questions cousues aux synapses, s’arracher les yeux pour qu’ils cessent de brûler du besoin de laisser couler des larmes acides comme le venin, s’exploser les cordes vocales à hurler toute sa colère. Il se revoyait, la nuit, les yeux grands ouverts, remplis de larmes brûlantes, épaisses comme du verre en fusion, à fixer un plafond invisibilisé par l’obscurité, tandis qu’à ses côtés, Lily dormait d’un sommeil trop léger pour qu’il puisse se permettre le moindre geste. 

En seulement deux jours, ils étaient retombés dans ce cauchemar qui s’était déjà étiré à l’infini, après l’accident de Ron. Cette fois, pourtant, la situation avait ceci de différent qu’il était partagé entre le soulagement que Harry n’ait rien et le refus d’envisager que Sirius puisse ne pas survivre, tout en sachant que c’était une possibilité à explorer, considérant son arrêt cardiaque, l’étendue de ses blessures. Il se le figurait, allongé dans un lit d’hôpital, ses cheveux noirs parsemés de gris rasés de son crâne à présent glabre, son corps couvert de bandages, branché à d’innombrables capteurs et tuyaux à l’utilité indéfinissable. Les images semblaient constituer un filtre pour son quotidien, au travers duquel il voyait tout, en fonction duquel il traduisait chaque situation.

La veille, au lendemain de l’explosion, James et Lily avaient convaincu Harry qu’attendre un jour de plus était tout à fait possible. L’inspecteur en charge de l’affaire les avait rassurés : tant que le brasier ne serait pas tout à fait éteint, que le site de l’explosion ne serait pas entièrement sécurisé, que les conduites de gaz du voisinage ne seraient pas vérifiées, changées, que les preuves ne seraient pas ramassées, et consignées, la déposition pourrait attendre. Harry s’était laissé convaincre, sans grand entrain cependant, et avait passé sa journée prostré sur la terrasse, enveloppé dans un vieux plaid que son père avait maintes et maintes fois déplié sur son corps menu d’enfant, de nombreuses années plus tôt. Son téléphone à la main, il avait répondu aux quelques messages qu’il avait reçus, et à en juger par son absence devant la porte d’entrée, James avait compris qu’il n’avait pas prévenu Hermione. Il s’était promis d’en parler le soir-même à Lily, qui n’avait pas eu le choix que d’aller travailler. Ses élèves n’attendraient pas, et elle avait besoin de s’échapper de la pesanteur étouffante de la maison familiale.

James soupira, et sorti une cigarette du paquet dont il avait déjà, depuis le matin, fumé près de la moitié. Il était de ces fumeurs occasionnels pour qui l’addiction était une vague légende, mais alors que sa vie semblait s’être ramassée sur elle-même, il avait besoin de cette dose de nicotine, de ces gestes de pur contrôle qu’il effectuait machinalement.

L’attente risquait d’être longue.

*.*.*.*

Blaise ferma le frigo d’un coup de talon, adressant un regard goguenard à la cuisine vide. Puisqu’Hermione n’était pas présente, il était libre de ranger les courses de la façon dont il le voulait, y compris si cela impliquait fermer des meubles avec des parties de son corps non prévues à cet effet ou laisser le frigo indéfiniment ouvert. Il aimait sa femme, il l’aimait même profondément, plus qu’il n’aurait jamais imaginé être capable d’aimer. Hermione rendait tout plus beau, tout plus complexe, tout plus passionnant. Elle créait des aspérités là où tout semblait lisse, elle mettait de la couleur dans une ville souvent blafarde, et son sourire portait un tel amour de la vie que même lorsque la journée de Blaise lui avait donné des sueurs froides ou avait manqué de lui ôter toute foi en la nature humaine, elle parvenait à faire se lever le soleil de nouveau.

Le matin même, Hermione avait laissé une liste de courses longues comme un bras, avec la précision qui était la sienne. Blaise aurait été bien incapable de deviner quand elle avait trouvé le temps de vérifier dans les placards ce dont ils avaient besoin, et d’en tirer une liste de courses avec ce qui les nourrirait tout au long de la semaine. Il se targuait pourtant d’être l’un de ces hommes accordant à l’équité homme-femme une importance sincère. Dans sa carrière d’avocat, il avait déjà vu trop de femmes détruites par des hommes forgés par le patriarcat pour ne pas être convaincu que la cause féministe n’était pas légitime.

Sur le parking, l’un des sacs en papier kraft, qu’il avait cru pouvoir porter dans ses bras plutôt que dans un chariot, s’était déchiré par le cul, et son contenu s’était déversé sur le sol. Blaise avait juré, mécontent, et avait tout fourré pêle-mêle dans un autre sac en priant pour qu’il ne connaisse pas le même sort.

Avec un soupir, il déchira un paquet de noix de cajou qu’il avait acheté en dehors de la liste établie par Hermione. Il avait bon espoir qu’elle ne se soit pas rendu compte qu’il avait pris un peu de poids, en dépit du temps qu’il passait à courir dans Londres, avec les poids qu’il soulevait à la salle de sport, mais force était de constater qu’il n’avait plus exactement les abdominaux de sa jeunesse. Alors, il pouvait parader fièrement dans les vestiaires après l’entrainement de foot, et sa musculature n’avait rien à envier à celle de Draco. Une noix, puis une seconde, puis une troisième, à un rythme de croisière plutôt régulier : à chaque article rangé au bon endroit (même s’il eut un doute persistant sur la place des graines de chia), une noix de cajou, deux noix pour fêter la fin d’un sac en papier, et trois pour le final, le dernier tiroir fermé.

Ce n’est qu’après cela qu’il s’aperçut que la base du téléphone fixe — dont il ne comprenait l’utilité que relativement — clignotait. Hermione et lui ne recevaient jamais de messages vocaux, sinon des parents de la jeune femme. C’est de leur part qu’il imagina que le message venait, aussi pressa-t-il le bouton « play » sans grand enthousiasme. Ses beaux-parents étaient sympathiques, mais ils n’avaient d’autre en commun que Hermione, et de l’avis de l’avocat, c’était bien suffisant.

« … suis très inquiète pour Harry. La situation se répète, la dernière fois que je l’ai vu aussi mal, c’est lorsque Ron a été blessé. Si tu pouvais venir le voir, ou l’appeler, Hermione, ça lui ferait beaucoup de bien. Je tenais à ce que tu sois au courant, je doute qu’il t’en ai parlé. Bon et bien… je t’embrasse. »

Blaise fronça les sourcils. Occupé à défaire sa cravate, il n’avait entendu que la fin du message, de la voix d’une femme qui lui était inconnue. Même si elle n’avait pas dit son inquiétude, sa voix portait l’ampleur du souci qu’elle se faisait, le poids des tracas sur ses épaules. Sa cravate dans une main, Blaise lança le message de nouveau, concentré pour en saisir chaque mot.

« Bonjour Hermione, c’est Lily… Lily Potter. Je tenais à t’informer qu’il y’a eu un accident, avant-hier, et que Sirius a été très gravement blessé. Il a été plongé dans un coma artificiel profond, afin de le soigner… Je… Excuse-moi, c’est assez difficile d’expliquer tout ceci de façon organisée. Il y a eu une explosion, à l’appartement de Harry, et seul Sirius était sur place. Tu t’en doutes, la famille est sens dessus dessous, et je suis très inquiète pour Harry. La situation se répète, la dernière fois que je l’ai vu aussi mal, c’est lorsque Ron a été blessé. Si tu pouvais venir le voir, ou l’appeler, Hermione, ça lui ferait beaucoup de bien. Je tenais à ce que tu sois au courant, je doute qu’il t’en ai parlé. Bon et bien… Je t’embrasse. »

L’homme écouta le message une seconde fois, cherchant à retenir le plus petit détail. Le lendemain matin, il lui faudrait annoncer à Hermione que son meilleur ami était au plus bas. De nouveau. Il était le premier surpris à se sentir inquiet pour Harry, à comprendre que ce qui se jouait serait décisif par la suite. Il ne connaissait pas l’homme dont parlait Lily Potter, la mère du chef, donc, mais le message ne laissait pas grande ambiguïté quant à la gravité de la situation. Un instant, l’idée lui vint de ne rien dire à Hermione, de simplement effacer le message et de profiter de quelques jours supplémentaires de tranquillité. Il n’en ferait rien.

Le respect qu’il avait pour son épouse était bien trop important, et lui-même n’aurait jamais pardonné qu’on lui cache une information sur Draco lui étant destinée. Avoir une relation comme celle qu’il entretenait, presque depuis toujours, avec son meilleur ami, lui permettait de mieux comprendre la posture de Hermione, l’inquiétude sourde qui parfois l’empêchait de fermer l’œil comme elle l’aurait voulu.

Blaise lança de nouveau le message, et s’assit sur le fauteuil profond qui se trouvait près du guéridon sur lequel reposait le téléphone fixe. Pensif, il s’imprégna des mots, reculant à dessein le moment où il lui faudrait décider de tenir ou non Draco informé de la situation. À l’autre bout du monde, son meilleur ami était sans doute plus occupé à faire affaire qu’à s’inquiéter de Potter. Pourtant, il n’était pas dupe quant à leur relation, dont il n’imaginait pas qu’elle puisse s’arrêter à ce qui s’était déjà produit. S’il lui disait, que pourrait faire Draco, de toute façon ? Quelle légitimité aurait-il à intervenir, alors que les milliers de kilomètres qui le séparaient de Londres le rendaient pour ainsi dire impuissant, inutile, même ? Blaise ne l’imaginait pas tout quitter pour venir à la rescousse d’un homme qu’il connaissait à peine.

Il n’en dirait donc rien. Et si cette décision venait à déplaire à Draco, et bien… Il assumerait. Comme toujours.

*.*.*.*

La pièce dans laquelle on lui avait demandé de patienter n’avait rien à voir avec la représentation qu’il s’en était faite. Pas de miroir sans tain — « vous n’êtes pas un suspect, Mr Potter », avait expliqué l’officier avec un sourire bienveillant — pas de table fixée au sol, d’odeur de vieux tabac froid ni de tâches de café sur la table, pas de lumière jaunâtre et tremblotante. Au contraire, le bureau dans lequel on l’avait invité à prendre place portait l’empreinte de celui qui l’occupait ; au mur, des posters de films anglais et américains se disputaient la place avec divers documents informatifs et flyers des services de police, sur une étagère, des tasses sérigraphiées à l’effigie de clubs de foot anglais. L’endroit ressemblait au repère d’un homme qui cherchait à s’entourer d’éléments rassurants et familiers, sans doute destinés à l’aider à oublier l’abject et l’indicible.

Grand, doté d’une silhouette large et tonique, l’homme était roux : les boucles épaisses qui couvraient son crâne, ses sourcils, ses cils, même les poils sur ses bras étaient d’un roux de feu, et les taches de rousseur sur ses joues complétaient l’ensemble. Son visage trahissait une certaine jovialité, en partie à cause du sourire qu’il arborait, comme pour rassurer Harry. Être dans le bureau d’un inspecteur de police avait quelque chose d’impressionnant, surtout considérant que si lui-même n’avait rien à se reprocher, bien des personnes qui s’asseyaient ici le faisaient en tant que suspects… Voire qu’accusés.

Harry sentit son téléphone vibrer dans sa poche, et le sorti précipitamment. Il se hâta de le mettre sur silencieux, avec un regard d’excuse pour l’inspecteur, qui se contenta de hocher la tête. Voir un message de Malfoy avait quelque chose de plaisant, comme une échappatoire à une situation qu’il ne pouvait pourtant pas fuir. Pourtant, il lui fallut se concentrer, parce que l’inspecteur s’était installé derrière son ordinateur, et après avoir tapé quelques mots sur le clavier jauni posé devant lui, s’était tourné vers le chef. Il avait ensuite appuyé sur une petite webcam posée à l’avant du bureau, et qui filmerait et enregistrerait l’ensemble de l’entretien.

— Monsieur Potter, je suis l’inspecteur Plantagenet. Tout d’abord, je tiens à vous présenter ma compassion pour ce que vous vivez actuellement. J’imagine que ça n’est pas simple pour vous, ni pour votre famille, mais il est important que nous recueillions votre parole dans les plus brefs délais pour pouvoir mener l’enquête et définir ce qui s’est exactement passé. Cela vous permettra ensuite d’être dédommagé à hauteur du préjudice que vous subissez aujourd’hui, expliqua l’homme d’une voix grave et profonde.

Malgré l’expression de sa compassion, Harry ne perçut aucune pitié dans son regard. C’était une bonne chose. Il n’avait pas la force, à ce moment-là, de faire face à ce genre de sentiments qu’il considérait comme indécents. Pourtant, il s’efforça de ne pas relever lorsque l’inspecteur aborda le « préjudice » qu’il subissait. Evoquait-il alors ses biens matériels, ses souvenirs, les vestiges de sa vie d’adulte qui s’étaient envolés en fumée ? Faisait-il allusion aux dégâts matériels causés à l’immeuble, qui avait dû être totalement vidé de ses occupants, à qui il avait fallu trouver des logements en urgence, à des kilomètres de leur lieu de vie, de leurs habitudes, de leur univers ? Pensait-il à Sirius, allongé dans un lit d’hôpital dans un service de réanimation, un Remus dévasté à ses côtés ?

— Je vais vous poser des questions, auxquelles vous répondrez de la façon la plus précise que vous le pourrez. Si vous avez besoin d’une pause, n’hésitez pas à me le faire savoir. Si vous avez besoin que je reformule la question ou si vous ne l’avez pas comprise, n’hésitez pas à me le faire savoir. Vous l’avez constaté, cette conversation est enregistrée, l’objectif d’une telle installation étant de vous protéger. Je tiens également à vous préciser que vous n’avez pour l’heure pas besoin d’avocat, mais que si vous décidez de vous faire représenter, il sera bienvenu de nous en faire mention le plus rapidement possible.

Plantagenet adressa un sourire à Harry, encourageant. Le jeune homme hocha lentement la tête, vidé de ses forces. La seule idée de devoir parler, détailler, expliquer, répéter, préciser, répondre à des questions qu’il imaginait nombreuses et tordues, l’épuisait plus encore qu’il ne l’était. Il voulait seulement aller voir Sirius, passer un moment à ses côtés, puis reprendre sa vie, lentement. Retourner à ses cuisines, prévoir, préparer, mettre au point des recettes à proposer à ses clients, prospecter pour faire parler de lui, encore, imaginer une nouvelle saison de plats innovants avec Ginny, passer du temps au téléphone avec Hermione…

Hermione qu’il n’avait toujours pas avertie, qui serait folle d’inquiétude à la minute où elle saurait ce qu’il traversait, qui vivrait la réminiscence au même titre que lui, l’affection pour Sirius en moins. Elle le connaissait évidemment depuis de nombreuses années, l’appréciait, même, mais ne l’aimait pas aussi profondément que les Potter ou Remus pouvaient le faire. Non, elle ne manquerait pas de penser à Ron, à son corps sans vie maintenu pourtant dans le monde des vivants par des machines que personne n’avait le courage de débrancher.

— Lorsque l’explosion a eu lieu, vous n’étiez pas chez vous. Où étiez-vous ?

— Je… J’étais au travail. Je suis chef cuisinier, j’ai un restaurant école dans lequel mes élèves viennent cuisiner le plat qu’ils mangent ensuite. J’avais du travail, un cours venait de se terminer, j’étais en retard.

— En retard ? répéta l’inspecteur alors que ses doigts tapotaient fébrilement sur le clavier, avec l’aisance d’un homme habitué au rythme de parole des personnes assises face à lui.

— J’avais rendez-vous chez moi avec mon parrain.

— Votre parrain est bien Sirius Black, la seule victime notable de l’explosion ?

— Oui, c’est bien cela. Il avait la clé de chez moi.

— Pourquoi la lui aviez-vous donnée ?

— Il l’a toujours eu. Il voyage beaucoup à travers le monde, c’est un auteur, et quand il vient à Londres, il n’a pas toujours le temps de nous prévenir, mes parents, son compagnon ou moi, alors il a les clés de chacun de nos logements… Ça lui permet de pouvoir dormir quelques heures avant de faire face aux retrouvailles.

— Vous vous donniez régulièrement des rendez-vous comme celui-ci ?

— Oui, on essaie de se voir au maximum lorsqu’il rentre entre deux voyages.

— Quand aviez-vous prévu ce rendez-vous ?

— Je… Je ne sais pas, le matin même, je crois.

— Vous croyez ?

— Je ne suis pas certain. Ça s’est fait très vite.

— Donc vous étiez le seul à savoir que Mr Black venait vous voir ?

— Sans doute… Peut-être Remus était-il au courant également.

— Remus ?

— Lupin. Le compagnon de Sirius.

— Vous vous entendez bien avec lui ?

— Très bien. Je le connais depuis toujours, je le considère comme mon parrain également. Sirius et lui sont les meilleurs amis de mon père depuis l’adolescence, ils ont grandi ensemble.

— Si je comprends bien, votre parrain voyage, et lorsqu’il revient de voyage, il arrive qu’il vienne chez vous plutôt que chez Mr Lupin, qui est pourtant son compagnon. C’est bien cela ?

Harry fronça les sourcils. Dit comme cela, la situation était bien moins sympathique et simple qu’elle ne l’était en réalité — à ses yeux, en tout cas.

— C’est bien cela… Mais leur relation est particulière, j’imagine.

— Qu’est-ce que vous envisagez par « particulière » ?

— Ils se font confiance. Remus voyage parfois avec Sirius, il nous voit constamment, mes parents et moi-même, communique tous les jours avec Sirius lorsqu’il n’est pas avec lui, et sait qu’une fois qu’il a profité un peu de nous, pris des nouvelles, bu une bière ou deux avec mon père, Sirius se consacre entièrement à lui. Ils sont ensemble depuis si longtemps que je crois que même eux ont oublié qu’ils étaient un couple. C’est juste une évidence.

— Je vois… merci pour ces précisions Mr Potter. Pensez-vous que Mr Black a informé quelqu’un de sa venue chez vous ?

— Non. Sirius est quelqu’un de libre, il n’a pas pour habitude de tenir les gens au courant de ce qu’il fait… À part ma famille et Remus, évidemment.

— Pouvez-vous m’expliquer pourquoi Mr Black était chez vous ? poursuivi l’inspecteur après avoir avalé une gorgée de café froid.

— On avait prévu de manger ensemble… On le fait régulièrement, précisa Harry sans cacher l’étonnement que constituaient les questions qui lui étaient posées.

L’inspecteur se recula sur sa chaise, passant une main dans ses cheveux.

— Vous avez besoin d’une pause ? demanda-t-il de but en blanc.

— Non… Non, je veux en finir le plus vite possible.

— Je sais que les questions que je vous pose peuvent sembler étonnantes, déplacées, inutilement pointilleuses, même, mais j’ai besoin de comprendre ce qu’il s’est passé, et les circonstances exactes. Nous n’avons aucune idée précise de ce qu’il s’est passé, mais nous soupçonnons que ça n’était pas un accident, comme vous l’avez sans doute compris. Si nous nous trompons, nous aurons perdu du temps et ça sera la seule conséquence regrettable. Si nous avons raison, alors nous nous féliciterons d’avoir été aussi précis que possible pour avancer le plus vite et le plus efficacement possible. Vous comprenez ?

La voix de l’inspecteur était douce et ferme tout à la fois, elle évoqua à Harry celle qu’employait James lorsqu’il soignait des animaux apeurés. Il déglutit et hocha la tête une première fois, hésitant, avant de répéter le mouvement avec plus d’assurance.

— Est-ce que je peux avoir un café ?

— Un instant.

L’inspecteur Plantagenet sorti sa longue silhouette du bureau. Il resta absent quelques minutes, puis revint déposer un gobelet en carton fumant devant le jeune chef.

— Nous allons reprendre, signifia l’inspecteur en se positionnant derrière son ordinateur. Vous m’expliquiez que Mr Black venait chez vous pour manger, passer du temps avec vous, et que c’est quelque chose qui n’est pas rare chez vous. C’est bien cela ?

— Oui, oui, tout à fait.

— Il a donc en sa possession vos clés, je suppose ?

— Oui, il en a un double, ainsi que le code de la porte d’entrée.

— Combien d’autres personnes ont accès à votre appartement ?

— Je… Pardon, quoi ?

— Parmi vos proches, à combien d’entre eux avez-vous communiqué votre code d’entrée et un double de vos clés ?

— Tous mes proches ont le code…

— J’ai besoin de noms, Mr Potter, soupira l’inspecteur avec un regard de travers.

— Ma meilleure amie, Hermione Granger. Elle ne vient jamais. Mon… amie, Ginny Weasley. Mes parents, Lily et James Potter. Mon parrain, évidemment. Je crois que c’est tout… Un de mes amis, Neville Londubat, l’a peut-être.

— Vous avez eu une hésitation sur le qualificatif que vous souhaitiez employer pour (l’inspecteur jeter un œil à ses notes) Ginny Weasley.

— Nous avons été fiancés, il y’a longtemps.

— Où en est votre relation à présent ?

— Elle est l’une de mes amies les plus proches. C’est aussi une collègue de travail.

— Vous possédez un restaurant-école, c’est bien cela ?

— Oui, et elle me fournit les fruits, légumes et herbes dont j’ai besoin pour mes plats.

— Je répète ma question : où en est votre relation à présent ? Y’a-t-il quoi que ce soit qui pourrait vous faire penser à une volonté de sa part de se venger, de vous faire du mal pour une quelconque raison ?

— Non ! Certainement pas, s’exclama Harry en manquant de renverser son café sur le jean qu’il portait. Ça fait des années que nous sommes séparés, et elle comme moi sommes passés à autre chose.

— Vous êtes passé à autre chose ? Qu’est-ce que ça signifie ?

— Que je fréquente des hommes.

— Vous êtes gay ?

— Je ne crois pas que ça vous soit très utile pour l’enquête.

L’inspecteur haussa les épaules avant de reprendre.

— Vous avez fréquenté des hommes récemment ?

— Euh…

— Monsieur Potter, je me moque de ce que vous faites de votre vie sentimentale ou sexuelle, vous êtes un homme libre dans un pays démocratique. J’ai juste besoin de dégager des pistes, vous comprenez ?

— Bien-sûr… Je fréquente… j’ai fréquenté un homme, Colin Crivey.

Harry pâlit brusquement. Dans sa tête, toutes les pièces du puzzle s’étaient mises en place avec une facilité qui le choqua. Pas une seconde, l’hypothèse que Colin ait pu faire une chose pareille ne lui avait effleuré l’esprit, mais maintenant qu’il avait le doigt posé sur cette possibilité, crédible, qu’il puisse être responsable de l’explosion, il était difficile d’imaginer qu’il puisse en aller autrement.

Il se remémora les mots de Colin, des balbutiements d’homme ivre qu’il n’avait pas pris au sérieux et qu’il n’avait retenus que parce qu’ils l’avaient blessé, lui qui était à l’origine de la situation dans laquelle ils se trouvaient à présent. Colin l’avait prévenu, il l’avait mis en garde : il ferait tout pour qu’il lui soit impossible de l’oublier. Il avait été très clair sur ses intentions : faire en sorte de marquer sa vie de la façon la plus indélébile qui soit.

Le brun déglutit difficilement. Sa gorge s’était serrée, et des frissons dégringolaient le long de son dos alors que l’image de son parrain, allongé dans un lit d’hôpital aussi blanc qu’un linceul passaient en transparence sous ses paupières. Face à lui, Plantagenet haussa un sourcil, comprenant que le brun aux yeux verts venait de mettre le doigt sur quelque chose. Malgré lui, il était touché par la présence de cet homme qui ne s’apercevait très probablement même pas du charisme qu’il dégageait, de la chaleur qui irradiait de lui au moindre de ses gestes. Cela n’avait rien à voir avec une quelconque attirance, il s’agissait d’une présence qu’il aurait été incapable de définir, d’expliquer. Il n’existait pas de mots de sa connaissance pour conceptualiser un homme tel que Harry Potter.

— Je vous écoute, se contenta-t-il de dire d’une voix douce mais ferme.

C’était là son métier : recueillir les témoignages de vies brisées sans jamais chercher à en atténuer ni à en grossir le trait, prêter oreille quand les langues étaient prêtes à se délier, comprendre quand les secrets étaient sur le point d’affluer, savoir pousser juste assez pour mettre en confiance.

— Je… C’est complètement fou, mais je crois que…

Harry se tut, incapable de poursuivre sa phrase. Plantagenet se pencha vers lui, adoptant une attitude de proximité qui avait déjà fait ses preuves.

— Si vous avez un soupçon, dites-le-moi. Il vaut mieux que nous nous trompions et que nous mettions de côté une piste injustifiée que de ne pas l’explorer et s’apercevoir que la vérité s’y trouvait depuis le début.

— Je ne… Je ne peux pas accuser un homme de quelque chose qu’il n’a sans doute pas fait, pas comme ça…

— Ce n’est pas une accusation, c’est une piste.

— Même ! Je… je lui ai sans doute brisé le cœur, le simple fait de penser qu’il pourrait avoir quelque chose à faire avec…

— Monsieur Potter, votre parrain est dans le coma, personne ne sait quand ni même s’il va s’en sortir. Aucune autre personne n’a été blessée, par chance, mais les dégâts auraient pu être infiniment plus graves qu’ils ne le sont aujourd’hui, et je ne parle pas seulement d’un point de vue matériel. Je ne vous demande pas de fausses accusations, ni de diffamation. J’ai besoin de votre coopération, vous comprenez ?

*.*.*.*

La maison des Potter avait pris l’apparence d’un camp de vacances un peu bancal. La table basse du salon était jonchée de cartons à pizza, vides mais tâchés de gras, de bouteilles de bière et de soda dont certaines n’avaient pas été vidées de leur contenu. Près du canapé, un sac de voyage avait été abandonné, sur lequel on avait ensuite échoué un t-shirt froissé. Lily soupira en le déposant jetant dans le panier à linge sale qu’elle avait abandonné au milieu de la pièce dans sa collecte des vestiges de chaussettes sales de son époux.

Au milieu de la nuit précédente, Remus avait fait irruption. Sans un mot autre que « entre », James lui avait proposé de prendre le canapé pour cette nuit et les suivantes. Il y avait dans cette tendance à ouvrir la porte sans discuter, à accueillir sans contrepartie, à commander des pizzas et faire le plein de bière, la réminiscence d’une époque depuis longtemps révolue mais dans laquelle les trois amis de jeunesse aimaient à se plonger, de temps à autre, quand leur vie d’adulte le leur permettait. Lily revoyait sans mal une époque que Harry n’avait pas connue, où il était parfois difficile d’établir s’ils s’étaient couchés particulièrement tard dans la nuit ou indécemment tôt le matin, où leurs cernes n’étaient que partiellement liés au travail universitaire qu’ils avaient fourni, et où ils semblaient constamment être dans une forme de semi-ébriété.

Pourtant, la situation n’aurait pu être plus éloignée de ce qu’ils avaient connu. Antagoniste, même. Derrière leurs bières et leurs parts de pizza, James et Remus n’avaient pas trouvé la force de rire. Ils avaient échangé, longuement, sur l’explosion, l’état dans lequel se trouvait Sirius, ce qu’en disaient les médecins, la déposition pour laquelle Harry serait attendu le lendemain, et quand par hasard ils s’éloignaient de cette thématique, ils semblaient forcés d’y retourner par quelque culpabilité qui ne leur laissait guère le choix que de se concentrer sur les évènements récents. Parler de Sirius, le garder réel et vivant dans leurs conversations semblait leur apporter le sentiment de ne pas être tout à fait inutiles et impuissants. La stratégie ne trompait personne, mais le déni restait plus confortable que la réalité.

Lily avait fini par les quitter. Elle s’y était attendu, Harry ne dormait pas, se contentant de regarder un match de rugby d’une équipe quelconque, comme à peu près chaque fois qu’il n’était pas dans son assiette. Elle s’était assise près de lui, sur le canapé qui trônait dans sa chambre d’adolescent, et s’était réveillée tôt le matin, en sursaut, complètement paniquée à l’idée d’être en retard pour son travail. Toute sa journée s’était ensuite écoulée dans un mal de crâne lancinant caractéristique des pannes de réveil et de l’inquiétude que constituait le fait de savoir Harry dans un poste de police.

Elle avait retrouvé sa maison dans un état qui lui avait fait pincer les lèvres. Sans rien dire, elle avait commencé à tout ramasser, se jurant de mettre les points sur les i avec James dès que le contexte le lui permettrait. Il était aussi têtu que les ânes qu’il lui arrivait parfois de soigner ; il comprenait vite, à condition qu’on lui répète les choses souvent.

Dans l’allée, le son des gravillons que l’on écrase lui indiquèrent l’arrivée de James et Harry. Elle esquissa un sourire, un peu faible, mais décida de ne pas aller à leur rencontre. Leur faciliter la vie, constamment, faire de la simplicité de leur quotidien son crédo n’avait souvent fait que compliquer sa propre vie, et même si elle les aimait, plus même qu’elle n’aurait été capable de le dire, les hommes Potter avaient besoin de grandir un peu. Autant l’un que l’autre.

La première chose qu’elle vit de son fils fut son visage, défait, dans le reflet que lui rendait le miroir du salon. Lily déglutit, pas tout à fait certaine d’être capable de garder son sang-froid face aux traits sculptés par la souffrance de son enfant. Derrière le jeune homme, James semblait fermé. Les fossettes de ses joues paraissaient incongrues au milieu d’un visage qui n’exprimait qu’une profonde tristesse, une lassitude d’une ampleur supérieure à tout ce qu’il avait connu. Envolée, la volonté naïve d’oublier pour quelques heures l’horrible, douloureuse réalité, cette vérité qui puait l’antiseptique, les couleurs du service de réanimation et le bip entêtant des machines. La femme se tourna, et avant qu’elle ne l’ait même voulu, ses lèvres formèrent un mot unique.

— Alors ?

Sa voix sortit hésitante, cassée. En un regard, elle avait compris que l’entrevue avec l’inspecteur chargé de l’enquête n’avait fait que soulever plus de questions. C’était prévisible, et elle-même pouvait imaginer ce que pensait son fils. Elle n’était pas naïve, elle avait vécu, même si dans son quotidien d’enseignante, mariée depuis près de trente ans à un vétérinaire parfois un peu immature, elle semblait plutôt choyée par la vie, chanceuse d’évoluer dans un confort que beaucoup lui enviaient. Pourtant, sa vie à elle aussi avait explosé, comme explose la vie de chaque mère dont l’enfant passe près du pire, comme explose le cœur de chaque épouse dont l’homme de sa vie traverse une épreuve aussi douloureuse.

Les questions étaient nombreuses, et si Harry les avait évitées jusqu’alors, plus parce qu’il était concentré sur l’image de Sirius réanimé par des urgentistes dans les gestes desquels la panique était perceptible, il ne pouvait plus, dorénavant, fermer les yeux. C’eut été confortable, c’eut été possible, mais ça n’était pas envisageable.

Son fils leva ses yeux verts sur elle. Sous la peau de ses mâchoires, elle vit qu’il serrait les dents, en proie à ce qui ressemblait à un mélange inattendu de colère et d’incompréhension, une détresse plus forte encore que celle qu’il avait manifestée jusqu’alors.

— Je… Je ne suis pas sûr.

James passa une main autour des épaules de son fils, dans un geste auquel plus aucun membre de cette famille n’était habitué. Harry jeta à son père un regard qui en disait long, et quand il répondit, c’était l’adulte responsable qui s’exprimait. Il était effondré, mais, Lily le constata, cela n’empêchait pas de son esprit de tourner à plein régime, de chercher à comprendre, d’analyser chaque bribe d’informations.

— Ils… Il est possible que Colin soit responsable.

— Colin ? C’était ton petit-ami, non ?

— Lui-même. 

 
 
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