D’abord le noir total. Dénué de toute sensation et de toute réalité. Le néant, tout puissant et immatériel. Je ne possédais même pas encore la propre conscience de mon corps. C’était le début d’une toute nouvelle existence où je devais me réapproprier mon propre esprit.

« Qui suis-je ? »

Une question qui m’a toujours semblé difficile. Il est difficile de se définir en tant que personne ne qui compte lorsque même ta famille te rejette dans le froid de l’hiver. Mais maintenant qu’il est question de renaissance, je pense que je peux être qui je veux. Un fléau comme un miracle. Je peux faire le bien et le mal, créer ou détruire.

« Je suis ce que je veux devenir ! »

Sur ces mots le noir commença à se désintégrer comme si des braises incandescentes brulaient la tapisserie d’une vielle maison. Mon esprit commença à se dessiner, à prendre le pas sur le reste. Je pouvais décider de tout ! Les braises se transformèrent alors en flammes immenses qui en quelques instant réduire la dernière trace d’obscurité en particules de poussières.

J’avais enfin le pouvoir de faire ce que je voulais. Pourtant quelque chose clochait, il y avait des limites à ce pouvoir. Comme si quelqu’un tirait les ficelles par derrière et m’empêchait d’avoir le plein contrôle.

Deux présences se faisaient sentir derrière moi et m’imposaient leur vision des choses. L’une plus présente était d’un gris clair bien que noircis à certains endroits. L’autre était tout à fait différente, d’une noirceur extrême, elle se tenait plus à l’écart mais exerçait une influence indéniable sur mon esprit.

« Alors même ici je ne suis pas maitre de moi-même ? »

Cette idée me plongea dans une colère profonde. Non, je ne serais pas l’esclave d’une nouvelle autorité. J’allais briser ces chaines et si je n’étais pas assez fort, j’allais le devenir. Quitte à détruire tout ce qui me restais de mon ancien moi !

« Maintenant réveille-toi ! »

……………………………….

- Je sens que tu es réveillé. Ouvre les yeux sur ta nouvelle vie d’héritiers. Ouvre les yeux et contemple ta nouvelle mère ! M’ordonna une voix stricte mais non-dénué d’excitation.

Ouvrir les yeux ? Un acte d’origine anodin mais qui en cet instant représentait beaucoup de chose. Etais-je près à ouvrir les yeux sur ma nouvelle existence ? Oh que oui ! Alors sur cette pensée s’ouvrit à moi une toute nouvelle vie.

Une lueur tout d’abord éclatante m’aveugla pendant quelques instants. Incapable d’entrevoir quoi que ce soit, je dus me rabattre sur l’ouïe et l’odorat et le changement fut considérable.

Je pouvais tout entendre ! J’entendais chaque crépitement du bois qui brulait dans une cheminée, chaque petit bruit de pas d’une sourie qui courait entre les murs massifs de l’endroit où je me trouvais. Je pouvais percevoir l’impact du vent sur chaque matériau solide et si je faisais bien attention, je pouvais discerner le bruit doux et délicieux des frottements des cheveux d’une personne assise juste à coter de moi.

Les odeurs étaient aussi très forte mais aucune ne prenaient le dessus sur l’autre. Il m’était facile de trier les qualités de ces odeurs et d’en devenir l’émission. Il m’était donc aisé de reconnaitre l’odeur des égouts de la ville, tout en étant subjuguer par l’odeur des fleurs d’un champ non loin. Une odeur en particulier m’excitait au plus haut point, un mélange de neige fraiche, de cendres de cheminées et de pluie. Une odeur merveilleuse.

Il me fallut encore quelques secondes avant que la lueur éclatante qui voilait ma vision se dissipe. Lorsque peu à peu je pus entrevoir l’endroit où je me trouvais, mon souffle se coupa. La vision était sans doute le sens le plus développer que je possédais dorénavant. Je me trouvais dans une vielle bâtisse en pierre. Je pouvais calculer l’âge des pierres ne la constituant rien qu’en observant leurs usures.

Allongés sur un lit aux draps d’un blanc délavés, presque gris, je pouvais voir par une fenêtre salle le dehors. Et mon regard portait loin, très loin ! Les arbres qui délimitaient l’horizon me semblait si proche, que je voyais leurs feuilles danser au gré du vent. Et en me concentrant, je pouvais ajuster ma vision comme le zoom d’un appareil photo.

- Incroyab …. Commençais-je avant de m’interrompre.

La voix qui venait de sortir de ma bouche me semblait étrangère. Elle était claire, suave et portait en elle quelque chose de sauvage. Rien à voir avec la voix effacer et fluette que je possédais avant.

- Tout doit te sembler incroyable et nouveau. J’aimerais ressentir cela à nouveau. Au moins cela détourne ton cerveau de la faim, et crois-moi c’est une bonne chose pour l’instant.

Par automatisme je tournai la tête vers la source de cette voix. Apparus alors une déesse à la beauté déconcertante. Elle était assise sur une chaise près d’une cheminé où brulait un feu. Faisant danser sa main dans les flammes, elle me fixait avec ses yeux d’un noir charbon. Des yeux sans âge, emplis de sagesse et où tout esprit pouvait s’y perde. Ils présentaient une bienveillance qui contrastait avec l'air sévère que lui donnait ses vêtements noirs. Son visage était froid mais incroyablement beau. Elle possédait des traits fins mais dures et des lèvres parfaites d’un rouge saisissant. Son corps fin paraissait fragile aux premiers abords mais sa posture droite et impériale traduisait une solidité déconcertante. Des cheveux longs et blancs et soyeux descendaient en cascade sur ses épaules, le blanc n’était pas de celui de la vieillesse mais celui de la pureté et de la royauté.

- Que vois-tu en moi ? Tu sembles me contempler avec stupeur. Me demanda telle de sa voix stricte mais tellement belle.

- Je … Je ne saurais dire. Vous … tu me semble irréelle et pourtant ta présence remplis toute la pièce. Tu me semble étrangère et pourtant si familière. Répondis-je déconcerter.

- Oh mais que d’éloquence ! Tu ne sembles pas être un de ces petits merdeux que les humains enfantent par millions.

Sur ces mots elle se leva et avança vers moi d’une démarche féline et assurée. Ces bras se balançaient en accompagnement ses mouvements, elle semblait prête à toute éventualité. Furtivement elle s’approche de moi et plia les jambes pour se mettre à mon niveau. Elle plongea alors ces yeux hypnotisant dans les miens et je perçus en eux la présence grise de mes rêves.

- Tu … C’est toi qui m’a sauvé. Tu étais dans ma tête et …

- Chut. Tais-toi, nous aurons tout le temps pour des explications. D’abord je veux deux choses. Dit-elle en posant un doigt fin sur ma bouche.

-  Quoi donc ? Demandais-je en déglutissant.

- Tout d’abord je veux que tu m’embrasse.

Sans me laisser le temps de répondre, elle posa ses lèvres froides et douce sur les miennes. Surpris j’émis un petit hoquet qui la fis rire, profitant de ce moment elle entra sa langue dans ma bouche et commença à jouer avec la mienne. Le baiser dura une éternité, l’éternité d’un rêve érotique où son odeur si particulière envahissait chacun de mes sens. Pourtant je sentais qu’il avait une autre signification que l’assouvissement d’une pulsion. Elle cherchait à réaffirme son emprise sur moi en se délectant de ma surprise et de ma faiblesse. 

Prenant conscience de cela, je posai mes mains sur ces fines épaules et tenta de la repousser. Je fus étonnée de la force qui se dégageais de moi, je sentais que j’aurais pu bouger un camion avec toute cette puissance et cela me donna le tournis. Pourtant, elle ne bougea pas d’un pouce et je sentis un sourire se dessiner sur son visage. Alors elle décolla ses lèvres des miennes avec un soupir de délectation.

- Tu ne pensais quand même pas pouvoir me repousser. Tu es un peu présomptueux. Mais bon j’imagine que les héritiers ne réfléchissent pas avant d’agir. Cela fait tellement longtemps que je n’en ai pas vus et encore moins créer.

Tout en parlant, elle rapprocha une nouvelle fois son visage du mien. Si près qu’elle pouvait, j’en étais sure, lire mes pensées à travers mes yeux.

- Pourtant une chose m’étonne encore plus. Comment à tu pus te détacher de mon emprise ? Tu aurais dû m’appartenir complètement et me rendre mon baiser avec ardeur. Je suppose donc que l’emprise de cette raclure est plus forte que prévus. Tu n’es pas tout à fait mien … Intéressant.

- Je ne comprends pas …

- Le contraire m’aurait étonné.

Elle resta encore un moment à me contempler, comme pour essayer de trouver la trace de ce qui la dérangeais tellement. Puis comme si tout ça ne lui importait plus, elle se leva et se rendit dans une petite pièce adjacente. Je l’entendis ramenés quelque chose derrière elle et la seconde qui suivit elle réapparut, apportant avec elle un grand miroir qu’elle posa contre le mur près de la cheminée.

- Maintenant ma deuxième demande. Dit-elle avec un ton presque maternel. Approche-toi et contemple le dieu que tu es devenu. Contemple la beauté à l’état pure.

Je fus tout d’abord surpris par les mots qu’elle avait employés. La beauté à l’état pur ? Je pensai une seconde à rester dans le lit, cacher par les couvertures, trop apeurés de découvrir un étranger dans le reflet du miroir. Mais la curiosité l’emporta et tout en retenant ma respiration je m’approchai d’un pas assurer et incroyablement fluide du miroir. Curieux malgré tout de découvrir le nouveau moi.