C’était l’hiver, un hiver froid et glacial comme jamais. L’air était dur, compact et coupait la peau à chaque mouvement. L’air était telle une malédiction qui à chaque pas se rappelait à vous. Le pire était le vent qui, malicieux et cruel, venait nous cueillir dans le dos ou sur le visage et martelait de coups rudes et gelés. Le mieux était la neige qui doucement tombait comme régis par une mélodie silencieuse et impériale. Et au milieu de cet air, de ce vent et de cette neige ont entendait un cri. Un cri de souffrance, de terreur mais aussi de changement et d’appréhension. Un cri qui exprimait un renouveau et une envie de vengeance envers le monde et son créateur.
Je ne pourrai pas dire que tous les moments que j’ai vécus dans la première partie de ma vie ont été décevants et douloureux. Non, à vrai dire, mon enfance a été comme chez beaucoup de jeunes gens un mélange de découverte, d’aventure imaginaire et d’affection. Mes parents, à l’époque, étaient de ceux qui aimaient se promener sur le bord de la plage de façon la plus romantique qui soit, tout en me laissant courir et jouer avec les vagues qui, ayant atteint leur but, venaient s’écraser contre le rivage, telle une fin de vie emplie de poésie.
Enfant, j’étais de caractère certes calme mais avec une envie débordante de vivre des histoires incroyables et mon imagination, jamais à cours de contenus, me les faisaient vivre. Et bien que n’ayant jamais été très courageux j’aimais tenir tête à quiconque se mettait dans l’idée de me faire sortir de ces douces rêveries.
Mon père travaillait dans une librairie qui à l’époque marchait bien. Elle était remplie de mille et un livres qui nourrissaient mon imagination débordante. Combien de fois j’ai parcouru les prairies enneigées du « Monde de Narnia » et affronter les orcs répugnants de la Terre du milieu ! Mon père en ces moments-là était empli d’une fierté qui l’illuminait tout entier et il ne cessait de dire : « Un jour mon fils tu seras comme moi, une personne ayant du savoir et de la culture, une personne qui n’a pas peur de rêver et d’exprimer ses songes ! ». Après ça, il me prenait dans ses bras et me faisait voler entre les étagères de livres de la boutique. Oui mon père en ce temps-là était fier et aimant.
Ma mère, elle, occupait ses journées à produire des bijoux fantasques tout en écoutant des mélodies rock vibrantes dans sa petite boutique pleine de joyaux et de couleurs vives et miroitantes. Puis, lorsqu’elle tombait une nouvelle fois enceinte, elle resta à la maison attendant et écoutant des mélodies pop sirupeuses. Elle était de ces mères qui passent leur temps à enseigner à ses enfants les bienfaits d’une vie saine et emplie d’amour, d’une vie où chaque chose doit être à sa place et a son importance. Une mère douce, aimante, mais qui à la naissance de ma petite sœur s’était éloignée du petit garçon dissipé que j’étais. Mais de ça je ne lui en veux pas.
Pour finir, il y avait ma petite sœur qui est apparue lors de mes 7 ans. Le jour de sa naissance restera dans ma mémoire comme l’un des plus merveilleux jours de ma vie. Je me souviens patienter avec mon père dans les grands couloirs blancs et angoissants de l’hôpital de notre ville. Chacun de ses souffles étaient saccadés et sentaient la peur, la fatigue et le brossage de dents négligé. Cela faisait 3 heures que nous attendions dans l’angoisse, l’excitation et quelque chose de plus mystérieux. Sachant pertinemment que mon père ne supporterait pas une nouvelle aventure où les murs blancs de l’établissement se seraient transformés en nuage, je m’étais assis contre sa jambe et durant 3 heures j’avais attendu en silence, comptant les secondes, les minutes et les tressautements de jambes de mon père. Je crois que c’est la deuxième fois de la première partie de ma vie où j’avais été aussi calme.
Ce calme magnifique et angoissant avait été ensuite rompu par un vieux médecin avec un sourire aussi blanc et immaculé que les murs. Il respirait la sagesse et ce petit quelque chose qu’ont les personnes ayant atteint un certain âge, une aura nourrie par l’expérience. « C’est une fille et elle se porte très bien, l’accouchement s’est parfaitement déroulé » avait-il dit avec une voix rauque qui n’allait pas avec son physique.
Sur ces mots, mon père s’était levé avec un sourire immense sur le visage et m’avait pris la main. Nous étions tous les deux entrés dans la chambre où se trouvait ma mère, épuisée mais heureuse. Mon père s’était tout d’abord approché doucement, l’avait embrassé sur le front et lui avait murmuré quelque chose à l’oreille. Ensuite je m’étais approché à mon tour tout aussi doucement mais pour une autre raison, j’avais peur. Peur de découvrir le nouvel être qui allait devenir ma sœur. Je m’étais avancé jusqu'à ce que je me retrouve bloqué par le lit et là, mes yeux s’étaient posés sur le visage angélique et rougi d’un petit bébé endormi. Elle était belle, terriblement belle et je me souviens avoir pensé que c’était sans doute la plus belle chose qui existe au monde. Sur son visage un peu fripé, je pouvais presque déjà voir la petite fille qu’elle allait devenir, forte, extravagante et emplie d’amour.
Ma mère s’était alors penchée vers moi et avait embrassé mon crâne tout en murmurant : « Je te présente ta petite sœur Emilie. Je ne te demanderai qu’une seule chose, sois un bon frère pour elle, un exemple et un soutient. Ne la laisse jamais tomber comme nous nous ne te laisserons jamais tomber. ».
A l’époque, ses mots m’avaient paru réels, palpables et vrais. Aujourd’hui, lorsque je me retourne vers le passé, je me dis que seule une partie de ses mots était vrais, la fin n’était que pur mensonge.
Les années sont passées, nous avons tous continués à grandir et à espérer que le futur serait bon avec nous. Mais les années sont encore passées et, au fur et à mesure que les jours avançaient, quelque chose s’est produit. Les jours, autrefois si lumineux et profonds, s’était peu à peu assombris.
A une grande échelle, le monde avait commencé à subir des crises financières terribles comme jamais il n’y en avait eu auparavant. Des pays autrefois riches et puissants avaient sombrés dans l’illégalité et la pauvreté. Profitant de cette dégradation, des meurtres inexpliqués et nombreux avaient commencé à avoir lieu partout dans le pays, ont avait alors parlé d’attentat, de terrorisme. Maintenant que je sais de quoi il en est, je n’arrête pas de me dire qu’ils étaient tellement loin de la vérité.
Ma famille se retrouva heurtée violemment par la crise. La belle librairie de mon père perdit tous ses clients et, incapable de subvenir à nos besoins, mon père dût la vendre et travailler dans les usines afin de continuer à payer les factures. Ce dernier qui, auparavant, ne jurait que par la culture et le savoir se retrouva à effectuer des tâches inutiles, répétitives et ingrates sous le joug d’un patron peu scrupuleux et ignare. Et peu à peu le père que j’avais connus se changea en un homme dépressif, parfois violent et toujours alcoolisé.
Ma mère connu un sort à la fois identique et différent. Ses bijoux ne se vendant plus, elle dut aussi se mettre à travailler dans les usines de textiles de la ville. Mais là où mon père avait réussi à extérioriser sa colère dans la gnôle et la dépression, ma mère, elle, avait intériorisé encore et encore.
D’une mère douce et de bon conseil, elle était devenue une femme dure et froide, ne parlant que pour donner des ordres ou pour interdire.
Deux étrangers ….
De cette transformation, ma sœur et moi avons été terriblement affectés et nous avons dû ne plus compter que sur nous-même. Nous avons appris à éviter les coups de notre père et le regard transperçant de notre mère. Et chaque jour nous passions plus de temps hors de la maison que dedans. Nous tardions à rentrer après l’école en rendant visite à des amis proches, les week-ends nous étions chez ces mêmes amis qui compatissaient à notre situation, parfois comprenaient et d’autre fois non. Et parmi ces amis, il y en avait un qui m’était le plus précieux.
Il s’appelait Henry. C’était l’enfant unique d’amis d’enfance de ma mère. Je le connaissais depuis que j’étais tout petit et il était mon compagnon d’aventure durant mon enfance. D’un caractère joyeux et borné, il arrivait tout le temps à avoir tout ce qu’il voulait, que ce soit par la détermination, l’intelligence ou la malice. Il était de ces amis qui nous font tout de suite aller mieux avec un sourire ou une tape sur l’épaule. Durant toute mon enfance il fut un compagnon de jeux et un confident. Puis, avec la crise que connu le monde, il devint autre chose. Ses parents étant de grands patrons, ils ne connurent pas tout de suite la misère, si bien que lors de mon adolescence je me retrouvais tout le temps niché dans les draps soyeux de la chambre d’Henry, espérant échapper à la dure réalité.
Henry devint alors plus qu’un confident et un compagnon, il devint une ancre qui m’empêchait de de sombrer, entrainant avec moi ma sœur et mon monde. Il acceptait toutes mes plaintes, les recevait et les jetait à la poubelle.
Durant 2 années de plus, le sentiment d’amitié qui nous unissait évolua, grandit et devint de plus en plus clair pour nous. Il mua doucement en un autre sentiment plus profond, sincère et dangereux.
Je ne m’évertuerais pas à décrire tous les moments que nous avons passé ensemble, mais sachez qu’ils étaient purs, sensuels, excitants et que j’avais plus appris de choses sur moi dans ce lit que dans toute une vie auprès de mes parents. Non je ne m’évertuerais pas à les décrire, car Henry fut une si grande partie de ma vie et en même temps une si petite.
Henry fut la fin, le début, la douleur, la cause et le commencement. A moins qu’il ne s’agisse simplement de moi.
Toutes ces descriptions pour arriver au jour où ma vie a fini et a commencé. Au jour où, dans la neige, le froid et la douleur, je fus jeté dehors, n’ayant que pour seul bagage la honte que ma famille avait posée sur moi.
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