Vendredi 28 Novembre 20..

     Je courais aussi vite que je le pouvais sans cesser mes pas. Tout était confus dans ma tête. Mes jambes me faisaient atrocement mal, je saignais... Au plus profond de moi-même, je saignais. Mes pieds saignaient physiquement. L'angoisse m'envahissait progressivement. Une peur nouvelle qui me faisait frémir à chaque morceau de chemin que je parcourais. Je n'arrivais pas à atteindre la sortie...Il n'y avait pas de sortie !
     J'étais encerclée par de larges murs grisonnants qui paraissaient infiniment longs. Seuls, quelques bouts de papier jaunes, déchirés éclairaient cette oppressante salle enténébrée. Il fallait pourtant continuer... Même si ma bouche et mon corps entier saignaient. Les plaies profondes sur ma peau n'arrangeaient rien. Plus je m'avançais dans cette ombreuse allée qui ne menait nulle part, plus ces coupures s'écartaient et déchiraient ma peau, le sang giclait à flot illuminant ainsi ces murs tristes et ténébreux. Je me noyais dans la pénombre...Je n'avais aucune solution en main. Alors, prise de désespoir, je m'agenouillai, les mains au sol posées sur des papiers jaunâtres me rappelant toujours ces même menaces

"Ton destin sera tragique"
"La mort viendra plus tôt que tu ne le penses"
"Un jour tu comprendras ce qu'est la vraie mort"
"Ton heure est proche !"

     Assez ! Assez de tous ces mots ! Je repris ma course seulement mes forces me quittèrent alors je m'écroulai au sol me prenant un violent coup à la tête.

     J'ouvris légèrement les yeux et tous ces mots, cet endroit s'étaient envolés, hormis ce mal de crâne. En effet, j'étais tombée de mon lit. Depuis le jour où ces mystérieux mots étaient apparut dans ma vie, je n'arrêtais pas de faire les mêmes rêves... Toujours les même. Plus inquiétants les uns que les autres. Je ne savais plus quoi penser ni à quoi m'attendre. J'arborais l'idée de retourner au lycée et de revoir ces mots encore par milliers qui m'attendaient peut-être dans le casier.

     Dès que je fus entrée dans le hall, je me retrouvai face à Elouan qui me dévisageai péniblement. Je m'apprêtais à m'avancer vers une autre direction lorsque celui-ci me prit le bras de force mais malgré cela tout en douceur.

-Kaou, je peux te parler deux secondes ?

     Je n'aimais pas du tout le ton qu'il avait employé ni même l'expression "je peux te parler". Cela me paraissait équivoque. Était-il venu me parler de ce qui s'était passé le soir où deux garçons l'avaient brutalisé ? Serait-il possible qu'il soit au courant de mon pouvoir finalement ?
Au lieu de l'interrompre, je préférais l'écouter.

-Tu aimes bien Sollena ?

     C'était quoi cette question ? Bien sûr que oui, alors d'un geste à peine perceptible, j'acquiesçai de la tête. Où voulait-il en venir ?

-Je peux te faire confiance ? Et bien Sollena me harcèle depuis un certain temps mais moi je n'ai aucune envie de....Enfin tu vois ? Tu pourrais lui dire d'arrêter s'il te plaît ?

-Elle veut sortir avec toi ? Pourquoi tu ne veux pas ?

A ce moment là, le silence apparut et je lui murmurai rompant ce silence incessant.

-Serais-tu gay ?

-Parle moins fort ! En fait, c'est la vérité. Alors tu vois je peux pas mais comment t'es au courant ?

-J'ai entendu le gars t'appeler comme ça l'autre soir, je pensais que c'était une insulte au début. Tu sais, il ne parlait pas à voix basse alors.... Dis-moi que te voulaient-ils ?

-C'est une histoire entre mon frère et eux mais vu que je suis dans leur lycée, ils se sont acharnés sur moi. Je ne suis pas totalement au courant de ce qui s'est réellement passé avec mon frère mais apparemment mon frère les aurait vu s'abattre sur une personne, je sais pas de qui il s'agit. Je ne suis pas plus informé.

     Pourquoi lui avoir posé cette question ? Cela ne me regardais en rien. Ce qui me préoccupais le plus c'était ce.... Conogan. Je voulais le retrouver. Et si c'était lui l'auteur de ces mots ? Mais comment connaissait-il mon prénom ? Me surveillait-il ? Je devais en avoir le cœur net.
     J'étais rêveuse, quelqu'un me secoua gentiment lorsque je tournai la tête je vis Elouan qui me sortit de mes songes.

-On va rejoindre les autres au CDI ou tu comptes congeler ici ?

     Sans plus tarder, je m'avançai en direction du CDI, Elouan marchant à mes côtés. Une fois dans le CDI où regorge bon nombre de livres, nous nous installâmes auprès des autres. Un silence dominait en ce lieu placide. Aucun bruit ne se faisait entendre ni même Jaoven qui se trouvait là lui aussi. Son visage était plongé dans son cahier de mathématiques, le livre posé au milieu. Il ne m'adressait même pas un regard ! Il avait peut-être enfin comprit que je ne voulais pas qu'on soit plus que des amis lui et moi.
     A ce moment là, je sortis un de mes cahiers lorsque Jaoven s'aperçut de ma présence. Malheureusement, il releva les yeux vers moi puis ouvrit la bouche pour exprimer ce qu'il comptait dire :

-Kaou, elle te vas bien cette jupe tu sais.

-Oui, je sais merci maintenant tais-toi. On est au CDI je te signale.

     Je lui avais chuchoté cela, un sourire s'était esquissé sur mon visage. Je ne lui avais toujours pas posé le moindre regard. Je me disais qu'en l'ignorant il m'ignorerait peut-être mais ce fut une grossière erreur ! Moins je lui parlais plus il me parlait ces derniers temps !
Alors, je continuais à lui répondre même si cela devait me laisser sortir un soupir dès qu'il ouvrirait la bouche.

-T'as changé quelque chose chez toi ?

     Cette fois-ci, je m'étais tournée vers lui brusquement, les mains en avant, doigts contractés et ma bouche se tordait près à lui arracher les yeux mais ne fis rien. Je fronçais les sourcils et le fixais de mon regard qui pourrait le faire fuir. Il avait toujours ses mèches blondes miroitantes sous l'effet de la lumière de cette salle. Ce qui me déstabilisait le plus c'était son sourire toujours aussi charmeur. A peine perceptible, je haussai les sourcils en signe d'indifférence mais celui-ci continua :

-Tu sais, tu ne devrais pas résister à mon charme. Je suis irrésistible.

     Ce qui me fit rire bien évidemment. Je l'oubliais, plongée dans mes devoirs à présent et le laissais parler à tout rompre. Maëwenn s'imposa et essaya de le faire taire. Quant à moi, je n'entendais plus rien, je n'entendais que le son de ma musique. Une musique qui m'envolait au dehors de ce monde ordinaire. Je regardais ailleurs, ne faisant plus mon travail. Je feuilletais le seul cahier qui était à ma disposition et à la dernière page, je pus distinguer des lettres sur une feuille jaune, la même qui se trouvait dans mon casier :

"Ton destin sera tragique"

     Tous ces mots avaient-ils un sens ? Et pourquoi moi ?
Je considérais les tables grises en plastiques devant moi. Mes yeux balayèrent les horizons de cet endroit puis je m'arrêtais devant un seul être... Le garçon à la cicatrice était là, seul, les yeux rivés sur son livre. Je le dévisageais longuement sans me soucier des autres. Tout semblait effacé autour de moi, le décor, les élèves et même la documentaliste. De loin, je le vis lever les yeux promptement en ma direction. Je me sentis frissonner par son regard glacial qui ne laissait percevoir aucune émotion. Enfin, il déposa son livre, se leva de sa chaise puis déambula droit devant lui c'est à dire vers notre table.

     Mon cœur battait à vive allure, mes mains tremblaient. Que me voulait-il ? Il s'approcha de ma chaise, je retins mon souffle sans le vouloir comme si je ne voulais pas respirer cet air de stress et d'embarras.
     Tout était confus, je le sentis venir vers moi. Je ne voulais pas, pas maintenant en tout cas. Je fus soulagée lorsque j'aperçus qu'il ne s'arrêta pas à ma hauteur. De tout façon, que pouvait-il me faire ? J'étais entourée de mes amis. Il n'oserait rien faire. Enfin... Je crois à moins que se soit un être dangereux et qu'il veuille absolument ma mort et me voir torturer dans d'atroces souffrances. Mais à mon avis, il paraissait pourvu d'une intelligence redoutable pour pouvoir me tuer en public.

     Je le contemplais du coin de l'œil en évitant de croiser son regard. Lorsqu'il prit la porte pour sortir du CDI je jetais un coup d'œil au parquet. Une feuille jaune était là. Je la ramassai d'un geste frénétique et la posai à plat sur la table. Jaoven la prit puis me dit :

-T'as un admirateur secret ?

-Commence pas toi !

     Avant c'était Maëwenn maintenant c'était Jaoven ? Ce ne devait sûrement pas être une personne qui ait de l'admiration pour moi étant donné la menace écrite "Ton heure est proche". J'osais à peine poser le regard sur ce mot. La fièvre monta et de la sueur perlait sur mon front caché par une longue mèche noire. Je me frottai malaisément ma nuque ornée d'un collier noir enveloppé de perles noires formant des croix. Je me relevai maladroitement de ma chaise qui faillit tomber. Puis je me dirigeais vers la sortie.

-Mais Kaou ! Où vas-tu ?

     Je n'avais pas remarqué que Jaoven m'avait suivit et me tenait le bras. Il posa sa main délicatement sur mon visage trempé de sueur puis s'exclama de nouveau :

-Quelque chose ne va pas ? T'as l'air toute...

-Mais lâche-moi Tout va bien et puis arrête d'essayer de me draguer. Je ne succomberai jamais à ton charme crétin ! Va te trouver une pouf dans le coin pas moi d'accord ? Lui rétorquai-je amèrement.

     Je me débattis de son emprise et sortis. Je m'acheminais vers mon casier. Je traversais les couloirs sombres du lycée, personne ne s'y trouvait. Tout était calme seul le bruit de mes pas résonna dans l'allée. Arrivée à mon casier, je l'ouvris vivement, mes mains étaient moites. Enfin ouvert, une feuille large était collée dans le fond du casier écris en grosse lettre

"Utilise le à bon escient ou tu périras".

     Toujours ces mots couleurs sang. Une voix retentit dans le couloir ce qui me fit trépider et un horrible tressaillement parcouru mon corps entier. Cette voix revêche reprit la parole.

-Tu te demandes sûrement pourquoi je fais tout ça ?

     Je détournai mes yeux de ce message sanglant puis me retournai vers lui...Conogan était là, sa cicatrice toujours plus visible ce qui le rendait plus froid avec un air encore plus sombre. On se fixait droit dans les yeux sans ciller des paupières. Jusqu'à quand cela pouvait-il continuer ? Mais je refusais catégoriquement de m'avouer vaincue face à lui...


"Devrais-je l'affronter ?"