Jeudi 10 Mars 20.. 23h30
Je ne voyais plus rien, seulement une lumière blanche éblouissante comme si je me rapprochais du tunnel... Non, pas ce tunnel ! Pourtant, j'avais l'impression de sentir ma vie remonter à la surface et cette main inconnue qui me prenait toujours par l'épaule. M'avaient-ils déjà rattrapée ? Tout ce chemin pour finalement finir dans la gueule du loup. Je ne savais toujours pas à qui appartenait cette main puisque j'osais à peine lever la tête et dans la nuit, je ne voyais rien non plus.
Je sentis celle-ci prolonger mon bras telle une caresse puis on me retourna sur le dos dans ce sol rocheux et boueux, j'exprimai une grimace de souffrance. C'était le seul mouvement que j'étais encore capable de produire. Une nouvelle main se posa délicatement derrière mon dos puis l'autre vint se mettre sous mes genoux dégarnis. Ces mains étaient moites et pleines de terre, qui était-il ? Un policier ? J'entendais encore les aboiements de leurs chiens résonnant dans ma tête, quant à leurs cris ils me firent tressaillir. En même temps que mes yeux s'ouvrirent légèrement, on me souleva et mon corps fut transporté hors de cette maudite boue crasseuse. Je ne sentais plus mes pieds alors je me laissais aller et ne fis rien. Me débattre n'aurait servi strictement à rien. Aussitôt tombée, aussitôt rattrapée. Je ne pouvais me résoudre à cela, il fallait que je garde le peu de force qu'il me restait pour survivre. Mais qu'allait-il advenir de moi ensuite ? Je commençais à tomber dans l'inconscience malgré ma résistance. Mes bras et mes jambes se balançaient dans tous les sens, on courait sûrement. Puis ma tête se relâcha et tomba en arrière puis l'inconscience triompha de moi...
Point de vue d'un autre
Où était-elle ? Je savais bien qu'elle aurait des problèmes. Depuis quelques minutes déjà, je me cachais derrière un arbre solennel. Personne ne pourrait m'apercevoir ici. En m'agenouillant, je sortis mon téléphone portable et composai le numéro de mon père. Malgré ce silence sempiternel, j'entendais ma respiration convulsive. Au bout du fil, personne ne répondit. Mais que faisait-il ? J'essayais encore une fois, mais toujours rien. Sans insister, je déposai mon portable dans ma poche et me remis debout. Je m'acheminais nonchalamment vers la sortie, mes pas craquèrent sous des feuillages et de la boue s'incrusta sous mes chaussures noircies par toute cette malpropreté. Je visionnai d'un bref coup d'œil ma montre, il était déjà minuit lorsque je m'approchais d'un grillage devenu cuivré par la rouille. Mes pieds s'enfoncèrent dans la terre molle. Plus je m'avançais de cette clôture et plus les arbres se dégageaient devant moi, ce qui laissait un passage restreint.
L'exténuation me subjugua peu à peu, mon dos me faisait souffrir et mes jambes commençaient à devenir lourdes sous mon poids écrasant. Arrivé à hauteur du grillage, je m'adossai contre celui-ci, m'agenouillai et enfouis ma tête dans les genoux, les bras croisés. Mes lèvres tremblèrent de froid et mes membres grelottèrent également. Un cri étranglé retentit dans ce silence angoissant parmi le souffle du vent. Je sursautai à l'entente de ce bruit, puis quelques pas nouveaux résonnèrent et un aboiement puis deux puis tout un troupeau de chien émit leurs hurlements qui glaçait le dos. Mes yeux restaient fixés au loin sans broncher. Il ne fallait pas que je m'éternise ici, alors je me levai et longeai le grillage en m'accrochant encore à lui. Je n'en pouvais plus mais malgré l'éreintement, je continuais d'avancer sans me retourner.
De nouveaux pas se firent entendre proches de moi, cependant ils se faisaient plus doux et on y ressentait de la frayeur. Je n'entendais pas bien ce bruit à cause de mes propres pas alors je décidai de stopper ma marche et tendre l'oreille vers la provenance de ce bruissement. Le silence réapparut un court instant avant qu'un gémissement se fit entendre. Il venait de derrière un arbre, je m'avançais avec nonchalance et scepticisme vers un corps inerte allongé de tout son long à terre.
Les yeux écarquillés, je contemplais la silhouette fine d'une jeune fille étalée devant moi comme une poupée. Sans plus attendre, je m'agenouillais à ses côtés et la secoua délicatement mais cette faible personne ne manifesta aucun signe de vie. Je la retournai sur le dos précautionneusement, je reconnus les traits de ce visage, son regard même les yeux fermés était froid et paraissait cruel. Malgré ce vif affolement qui avait dû défigurer son doux visage. Et sa chevelure noir bleuté souillée de saleté, ainsi que ses joues livides autrefois peintes comme sur une toile étaient recouvertes de boues abîmant son visage ulcéré. Cet air placide que je connaissais si bien était celui de Kaourantina. Je l'avais enfin retrouvée ! Après tant de recherches. La soulevant de cette terre je l'emmenai loin d'ici. Une fois arrivé dans un lieu plus isolé où tout bruit extérieur avait cessé, je reposai la victime à mes pieds et la secoua avec suavité tout en m'adressant à elle de ma voix la plus douce :
-Kaou, c'est moi.
Voyant qu'elle sombrait dans l'inconscience, je la pris plus fermement et l'agita plus fortement, l'interpellant par son prénom. Ses paupières cillèrent légèrement et ses yeux s'ouvrirent enfin....
Point de vue de Kaourantina
Je sentais de la chaleur entourer mon corps gelé et j'entendis mon nom. Une silhouette se dessina devant moi et plus ma vision devenait nette et plus j'apercevais les traits de mon sauveur, celui qui m'avait porté jusqu'ici. Je reconnus ce sourire et ce regard sibyllin... Conogan. Celui-ci me caressa le visage et me susurra :
-Pourquoi tu t'es enfouis ? Pourquoi les as-tu tués ? L'ami de mon père était là pour t'aider et je devais t'amener à lui.
Voyant que je restais indifférente face à ses dires, il se précipita de s'exclamer d'un ton affable :
-T'as dû t'en poser des questions non ? Sa voix trembla et une lueur dans ses yeux m'indiqua la peine qu'il éprouvait, une chose que tu n'aurais jamais pu faire, tuer les membres de ta famille car la famille c'est sacré mais tu les as fait souffrir en étant comme tu es devenue. Et puis tes parents et ton frère étaient protégés par un des deux allèles possédant ton pouvoir. Kaou, tu as été trop faible et ton pouvoir a réussi à te contrôler au lieu de le contrôler toi !
Malgré le fait que je ne puisse pas répondre, je pus discerner une doléance dans sa voix comme la dernière fois que je l'ai vu, lui et moi au lit. L'ombre cachait ses yeux malsains devenus noirs par cette obscurité. Il ouvrit la bouche pour reprendre. Cette fois-ci la haine s'était mêlée à son chagrin. Une larme perla même dans le coin d'un de ses yeux et vint prolonger son chemin jusqu'à s'écraser contre ma joue anémiée.
-Tu as joué avec ton pouvoir... Tu as tué, alors cette voix est apparue n'est-ce pas ? Conogan laissa peser le silence entre lui et moi en l'attente d'une réponse, puis reprit son souffle avant de chuchoter faiblement. Pourquoi tu ne réponds pas ? Je sais que tu m'écoutes. Tu t'es laissée dominer ! Et tu... Et tu veux savoir pourquoi je sais que tu es comme ça depuis ta naissance ?
Encore une fois, plusieurs larmes longèrent le long de sa joue la plus exposée à la lumière. Ses lèvres aussi frémissaient puis il se mit à les tordre pour ensuite les mordiller. Quant à sa main gauche, elle vint repousser quelques mèches rebelles collées sur mon visage puis se posa sur ma peau algide. Conogan approcha sa bouche de la mienne et y déposa un baiser tout en le laissant durer.
Cependant, quelque chose m'électrisa et mes yeux s'ouvrirent en grand. En un instant je fus plongée dans un souvenir. Je ne me trouvais plus dans cette forêt ténébreuse mais dans une salle ornée de dessins tels des étoiles tapissées aux fenêtres. Un immense sapin de Noël décoré de multiples guirlandes occupait la quasi-totalité de la pièce. Cela devait sûrement se passer après cette fête tant désirée par les enfants car aucun cadeau n'y était déposé. Seuls deux enfants jouaient à côté de l'arbre. Tous les deux souriaient, des fois je les surpris même en train de pouffer en éclat, ils semblaient heureux. Je tentai une approche vers eux mais ils ne pouvaient me voir, je ne faisais pas parti de cette vision. Toutefois la fille me rappelait étrangement quelqu'un avec sa chevelure noir bleuté et ses deux petites couettes de fille modèle et ses yeux bleu cendré, cela ne faisait aucun doute : C'était moi. Mais l'autre petit garçon ? Ce dernier se retourna dans ma direction en me fixant. Je reculai d'un pas et pris peur mais le petit détourna son regard de moi. J'aperçus la même expression que celle de Conogan dans son regard. L'enfant se rapprocha de la file et lui frôla une épaule puis toucha son menton pour lui lever la tête mais elle grogna et rebaissa son visage aussitôt vers sa poupée dont ses cheveux blonds avaient été arraché par endroit. Je voyais dans les yeux du garçon un sentiment qui ne laissait guère indifférent. Il posa à chaque fois un regard attendrissant en direction de la petite. Néanmoins, celle-ci semblait plongée dans ses pensées et n'y prêta pas attention. Je ne distinguais aucunement leur parole alors j'attendais patiemment la suite. Au moment où un silence glacial s'interposa entre les deux enfants, le garçon déposa un baiser amoureusement sur les lèvres de l'autre enfant mais elle le repoussa violemment puis l'assena de coups très brutaux. Elle cria des mots indésirables qui était tout le contraire de ce que pouvait penser l'autre petit. Ce dernier sanglota avec toutes ces secousses reçues. Je scrutai la petite qui ne me paraissait pas si perplexe que cela, elle sortit de cet endroit sans un mot, laissant le garçon gémissant sur son sort. Avais-je réellement fait cela ? Ce souvenir avait été effacé de ma mémoire puisque je ne m'en souvenais pas le moins du monde comme pour celui où étant petite, je tuais un autre garçon.
Ma tête tourna et la pièce se rétrécissait pour se transformer en un lieu beaucoup moins plaisant et rassurant mais plutôt un endroit sombre et inquiétant. Je me retrouvais en ce moment même toujours au même endroit, dans cette forêt et mes lèvres assidûment jointes à celles de Conogan. Je sentais qu'il les retira doucettement mais j'étais encore sous son emprise. On se fixait droit dans les yeux puis il parla à voix basse en mettant son visage à quelques centimètres du mien :
-Tu as refusé de garder tous ces souvenirs en toi. Tu ne te souvenais de rien, pas même de moi puisque le moment où l'on a passé le jour de l'an ensemble, tu l'as effacé de ta mémoire...
-Tu... C'était toi ? On se connaissait déjà depuis tout ce temps... Alors c'est pour ça que tu étais au courant pour moi ? Et... Dans la vision où je tuais un petit garçon, cette vision était de toi n'est-ce pas ?
Son sourire s'affichant sur son visage en disait long mais aucun mot ne sorti de sa bouche alors je continuai en espérant trouver des réponses :
-Et tu me surveillais ! Et ces mots... Ces mots, pourquoi ?
-Si tu savais à quel point tu étais odieuse à cette période, même encore maintenant. Tu détestais tout le monde, à croire que tu détestais même ceux de ta famille. Moi, je t'aimais... Bien, j'étais peut-être le seul d'ailleurs. Et tous ces mots, c'était pour t'apeurer et te mettre en garde. C'était aussi pour me venger de ce que tu m'avais fait subir. J'ai... J'ai souffert par ta faute... Et d'autres personnes en ont souffert également mais certaines n'ont pas survécu hein Kaou...
Je le considérais depuis un moment, son regard représentait le dépit désormais. Sans piper mot, des bruits de pas ainsi que des aboiements s'approchèrent de nous. Puis une lumière aveuglante nous éblouit tous les deux... |