Le voyage dura plus d'une demi-journée. Entre-temps, alors qu'ils faisaient une pause, Lexy avait feint de se réveiller et avait joué le jeu comme si elle se trouvait sous l'emprise du sortilège du monstre. Au redémarrage, le cyclope lui avait dit de s'asseoir sur le lit transportable et de ne pas bouger de là, chose qu'elle avait faite.

Ils arrivèrent devant une immense demeure semblable à un palais royal construit dans le style grec ancien, blanc à colonnades. Les fenêtres étaient presque plus grandes que le cyclope et toutes à croisillons. La porte en bois de chêne mesurait près de cinq mètres et le tout en mesurait plus de trente avec pas moins de six étages. Un porche surplombait l'entrée et deux fontaines gigantesques se situaient de chaque côté d'une allée menant de la clôture à la porte. Les statues qui surmontaient les fontaines représentaient pour l'une la déesse-mère Gaïa et pour l'autre Tartare. Tout autour du palais, des jardins étaient entretenus par trois jeunes personnes. Le Coeur d'Aporripse se serra. Il les reconnaissaient tous. Des demi-dieux qu'il avait livré au monstre. L'un d'entre eux releva la tête au moment où ils passaient et le cyclope leva la main, comme une menace.

- Baisse les yeux, vile créature, s'écria-t-il.

Le demi-dieu baissa aussitôt la tête de peur de recevoir un coup. Lexy serra les poings et les dents. Les demi-dieux semblaient totalement soumis et inoffensifs. Le cyclope commença à lui faire une visite guidée des jardins du palais. Il lui expliqua qu'elle se trouvait en ce moment sous son contrôle, mais que la plupart en avaient été libérés. Il lui dit que lorsque les demi-dieux sont ici depuis plusieurs années, il tente de lever leur sort, et que s'ils se montrait obéissant, alors ils en étaient libres.

Aporripse tentait d'écouter la discussion du plus près possible tout en s'efforçant de ne pas faire une gaffe, comme à son habitude. Il essayait d'entendre le nom de Gabriella, ou même de la voir, mais arrivé à l'intérieur, il se rendit compte que la vie qu'il avait imaginé à tous ces demi-dieux n'était qu'une utopie. Les trois demi-déesses qu'ils rencontrèrent au premier étage étaient habillées de haillons, leurs cheveux étaient en bataille et des griffures couraient le long de leurs bras. Aporripse les reconnut comme étant Louise Smith, fille de Déméter, arrivée ici en 1743, Anne Florey, fille d'Arès, de 1590, et Florine Deway, de 2001. Les trois filles semblaient avoir le regard vide, comme si elles n'avaient aucune conscience. Il détourna le regard pour se concentrer sur le trajet qu'entreprenait le monstre. Ils arrivèrent au dernier étage, où un long couloir était parsemé de portes distantes de quelques mètres. À gauche, des numéros paires écrits en rose étaient accrochés aux portes. À droite, des numéros impaires écrit de bleu. Le cyclope ouvrit la quatrième porte, la dernière, et elle laissa apparaître une petite chambre dans laquelle se trouvait deux lits. Un bureau était placé au pied des lits et chaque côté de la chambre disposait d'une petite armoire.

- Tu logeras à droite ! dit le cyclope en poussant Lexy à l'intérieur.

Au-dessus du lit de gauche, une feuille où était écrit ''Lissa'' pendait. Lorsque le cyclope laissa Lexy avec pour instruction d'avoir enfilé sa tenue et d'être prête d'ici vingt minutes. S'assurant que la porte était fermée, Lexy souffla enfin, relâchant ses épaules et se laissant tomber sur le lit. C'est alors qu'Aporripse redevint visible. Il vint s'asseoir à côté de Lexy.

- Il y a quatre chambres ! fit la jeune fille après deux minutes de silence. 

- Oui...

- Si chacune d'elles ne peut contenir que deux demi-déesses, cela veut dire qu'il n'y en a plus que sept, Aporripse. Sept sur les vingt-quatre que tu as envoyés ici ! Où sont les autres hein ? 

- Peut-être... Peut-être qu'il y a d'autres chambres... Autre part...

- Voyons Aporripse, tu te mens à toi-même ! Tu sais bien qu'elles ne sont nulle part, les dix-sept autres ! Elles sont mortes !

- Il... Il disait qu'il ne leur ferait pas de mal ! chuchota le demi-dieu en serrant les poings.

- Tu as bien vu les trois filles tout à l'heure. Et les autres dans les jardins ! Il les tue, sûrement, s'ils ne meurent pas d'eux-mêmes.

Aporripse porta ses mains à sa tête et serra les mèches de cheveux qui s'emmêlait dans ses doigts. Il ne voulait pas croire qu'il s'était laissé berner aussi facilement par un monstre ! Il était le fils d'une déesse capable de toujours suivre une piste, ne se laissant pratiquement pas berner, et son père était quasiment pareil. Il fallait croire qu'il n'avait pas les mêmes pouvoirs qu'eux deux. Lexy lui dit de se ressaisir. Ils devaient mettre au point un plan pour rallier tous les demi-dieux présents et les sortir d'ici. Ils devaient également faire en sorte d'empêcher le monstre de continuer à asservir des demi-dieux. C'est alors que quelqu'un ouvrit la porte, ne laissant pas le temps à Aporripse de​ redevenir invisible. Une jeune fille aux cheveux roux et aux yeux bleus entra dans la chambre. En voyant le garçon, elle se figea. 

- Heu... Salut...

- Toi ! grogna-t-elle en claquant la porte.

- Salut Lissa.

La jeune fille s'élança vers lui et lui sauta à la gorge. Le garçon ne chercha même pas à se défendre lorsqu'elle lui donna un coup-de-poing au visage. Lexy s'était levée pour éviter la jeune fille et lui demanda de se calmer. Elle lui expliqua que le garçon allait les aider tous. Lorsque la dite Lissa se calma, elle respira un bon coup et alla s'asseoir sur l'autre lit. Elle jeta un regard noir au garçon, comme si elle voulait l'étriper.

- Nous aider ? cracha-t-elle.

- Oui... Il est ici pour réparer ses fautes passées. Il m'a suivie jusqu'ici en invisible et désormais, il se rend compte de l'erreur qu'il a faite de livrer tous ces demi-dieux au cyclope ! N'est-ce pas ?

- Quoi ? Oh heu... Oui, bien sûr... Lissa, fille de Mars, je te prie d'accepter mes excuses... Je... Je ne voulais pas qu'il vous arrive... Ça.

- Cela fait 118 ans que je pourris ici, travaillant comme une damnée pour éviter d'être frappée ! Je n'ai qu'une seule envie, Aporripse, c'est de te faire subir le même sort que celui qui est le mien !

- Je le sais... Je le sais Lissa, mais avant, je t'en supplie, laisse-moi t'aider. Laisse-moi vous aider, tous !

- Il y en a combien que tu as trahis comme cela ?

- Cinquante-trois, répondit Aporripse d'une petite voix.

- Cinquante-trois ? Tu as vendu cinquante-trois demi-dieux et demi-déesses au cyclope ? Sais-tu je nous ne sommes plus que dix-huit ? Six filles et douze garçons ! Et toi, la blonde-là ? Toi aussi, il t'a trahie ?

- Oui, mais s'il veut aider, je ne vais pas me priver !

- Comment cela se fait-il que tu ne sois pas sous l'emprise du sort de docilité ?

- J'ai lutté contre et j'ai gagné, mais je fais semblant !

- Tu en as de la chance ! Moi, j'ai dû attendre près de dix ans avant d'en être libérée. Bon, c'est quoi votre plan ?

- Bah... Nous le mettions justement au point ! Mais il faut que je sois prête et devant le monstre dans moins de dix minutes...

- Toi, tu restes là, fit Lissa à l'attention d'Aporripse, toi, tu viens avec moi, je dois te venir en aide !

- Heu... Lissa... Est-ce que Gabriella De Castille est ici ? demanda soudain Aporripse.

- Qu'est-ce que ça peut te faire ?

- S'il te plaît...

- Ouai, elle est ici ! Elle a eu droit à un traitement de faveur. Le cyclope a dit qu'elle pourrait lui être utile ! Elle vit dans la première chambre ! C'est quasiment une suite royale !