La fille d'Apollon dormait d'une oreille, et d'un œil. Aporripse était entré dans la cuisine à pas de loup et préparait le repas de l'après-midi, et pour une fois, il en faisait deux assiettes. Lexy l'examinait. Ses yeux gris lumineux semblaient avoir viré au gris sombre et ils étaient inquiets. Ses cheveux d'argent étaient aplatis sur sa tête comme s'il venait de les laver sans les coiffer. Sa peau était bien plus pâle qu'en temps normal. Il semblait bien affaiblit, et en état de malnutrition. Lexy tentait de voir ce qu'il faisait à manger quand elle remarqua qu'il ajoutait à une assiette de la poudre qu'il ne versa pas dans la seconde.
- Peut-être des vitamines pour lui, se dit la jeune fille.
Mais une chose se déclencha en elle, comme s'il ne s'agissait pas de ça. Aporripse attrapa les deux assiettes et se dirigea vers son invitée. Il déposa l'assiette contenant la poudre sur la table de chevet et garda l'autre qu'il déposa sur ses genoux après s'être assis. Il mit sa main sur l'épaule de la jeune fille et la secoua doucement, murmurant son nom. Lexy fit semblant de se réveiller, et se redressa durement dans le lit. Elle tenta de sourire au garçon, mais les questions et la méfiance se bousculaient dans sa tête. Lorsque le garçon lui présenta l'assiette sur la table, elle la fixa sans dire mots. Son estomac lui hurlait de manger, mais son cerveau lui criait le contraire. Ses sourcils se froncèrent, ses lèvres se pincèrent. Tout était incertain.
- Qui a-t-il ? Tu n'as pas faim ? demanda le garçon, soucieux.
- Si...
Son ventre gargouilla. Elle respira un bon coup puis se saisit de l'assiette. Elle piqua sa fourchette dans les pommes de terre qui s'y trouvaient, puis les porta à sa bouche, tremblante. Elle sentait que quelque chose se produirait lorsqu'elle aurait fini. Mais elle mangea tout, faisant confiance au garçon. Pour la première fois en cinq jours, ils mangèrent ensemble. Aporripse posa des questions à la jeune fille. Celle-ci répondait et posait des questions à son tour. Tout deux se confiaient à l'autre. Vint le moment où Aporripse décida de partir, laissant une fois de plus Lexy seule.
Une demi-heure plus tard, elle commença à sentir que ses jambes étaient moins douloureuses. Elle fixa ses jambes avec de grands yeux. Elle retira ses couvertures et passa ses jambes hors du lit. Posant ses pieds par terre, elle remarqua qu'elle ne ressentait pas de douleur. Alors elle se leva et marcha. Elle était euphorique à l'idée d'être capable de se tenir à nouveau debout. Ce que c'était bon ! C'est alors qu'elle regarda la porte par où allait et venait le garçon. Une irrésistible curiosité s'empara d'elle. Elle s'avança, posa sa main sur la poignée et hésita. Puis se fut plus fort qu'elle, elle ouvrit la porte sans bruit. Cela donnait sur un long couloir qui se finissait sur une unique porte.
Lexy s'avança doucement. La nouvelle porte était entrebâillée et des voix s'en échappaient. Lexy marchait prudemment. Elle commençait à percevoir des brides de la conversation :
- ... Ne peux pas... Hors de question... Vais la libérée...
Lexy s'arrêta, se demandant ce qu'il voulait dire et de qui il parlait. Alors, définitivement confortée dans sa curiosité, elle reprit le chemin de la porte et se colla contre le mur pour voir sans être vue et pouvoir entendre ce qu'il se disait entre Aporripse et son mystérieux interlocuteur. Lexy aperçut une image dans une sorte de brume en face de laquelle se trouvait une silhouette encapuchonnée qu'elle reconnu comme étant Aporripse grâce à sa voix. Sous le choc, elle se rendit compte qu'il s'agissait de la même silhouette que son cauchemar. Et cela voulait dire qu'Aporripse était en vidéo conférence avec... Un monstre ! Un monstre qui n'était qu'autre qu'un cyclope. C'est alors que Lexy se souvint que ce moyen de communication était appelé ''message-Iris''.
- Je veux cette demi-déesse ! Elle est la descendante des dieux, en elle coule le sang de presque tous les dieux antiques ! s'énervait le monstre.
- Je vous l'ai dit : il n'en est pas question ! Jamais je ne vous la livrerais ! Je vais la remettre sur pied et elle s'en ira ! répondit Aporripse.
- Qu'y a-t-il chez cette fille qu'il n'y avait pas chez les autres demi-dieux ? Ceux-là, tu n'as pas eu de problème à me les livrer ! D'ailleurs, je suis en route. Je la prendrais de gré ou de force et elle viendra compléter la petite collection qui est la mienne depuis déjà plus de deux millénaires.
- Elle est différente ! Elle ne pense pas qu'à elle-même, elle a une quête à accomplir et c'est cela qui la préoccupe le plus, avant même sa propre situation !
Comprenant que le garçon parlait d'elle et sentant ses jambes fléchir, Lexy se redressa d'une traite et retourna le plus vite possible dans le lit qu'elle occupait, complètement paniquée. Aporripse avait envisagé de la livrer au monstre et voulait désormais revenir sur sa décision, en vain. Elle respira à fond et lorsqu'Aporripse rentra dans la pièce et fit comme si de rien était. Il s'approcha d'elle et s'assit sur lit. Lexy se redressa en position assise et ils se regardèrent longtemps, les yeux dans les yeux. Le garçon se sentit de plus en plus mal à l'aise. Il savait que quelque chose n'allait pas.
- Que se passe-t-il, Lexy ? demanda le garçon.
- Qu'as-tu versé dans mon assiette cette après-midi ?
- Pardon ?
- Qu'as-tu versé dans mon assiette cette après-midi ?
Et là, Aporripse su qu'il avait foiré. La jeune fille connaissait son secret. Comment elle l'avait su ? Grâce à l'ambroisie qu'il lui avait donné qui l'avait sûrement remise sur pied. Il sentit les larmes lui monter, mais il les retint avec peine.
- De l'ambroisie.
- Tu as réussi à avoir de l'ambroisie dans ta table magique ? s'étonna Lexy qui s'adoucit.
- Non. C'est la tienne, celle qu'il y avait dans ton sac à dos et que je t'ai piqué lorsque je suis allé te le chercher.
- Pardon ? Tu as volé mon ambroise, qui aurait pu me remettre sur pied depuis longtemps et me permettre de terminer ma quête ?
- Oui... Il... Il se trouve que je voulais te livrer à un monstre, mais... J'y ai renoncé.
- Tu... grogna Lexy avant de respirer. Je vous ai entendu. Toi et lui. Il a dis que tu lui avais déjà livré d'autres personnes... Qui ?
- Des demi-dieux. Ceux qui tombent dans le gouffre, qui survivent et que je recueil.
- Tu les manipule pour ensuite les poignarder dans le dos ! C'est lâche ! Et combien sont-ils ?
- Heu... Et bien...
- Combien ? s'écria Lexy, les larmes aux yeux.
- Cinquante-trois... Vingt-quatre filles et vingt-neuf garçons.
- Ils avaient confiance en toi ! J'avais confiance en toi, et tu nous as tous trahis ! Laisse-moi ! Laisse-moi maintenant ! hurla la jeune fille en se recouchant dans le lit.
Le garçon serra les poings et quitta la pièce, non sans jeter un regard à la jeune fille avant de disparaître derrière la porte qui n'était plus si mystérieuse que cela à présent.
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