Lexy se réveilla en nage. Comme tous les demi-dieux, elle faisait des rêves étranges. Elle venait de voir, en songe, un monstre qui discutait avec une silhouette encapuchonnée. Tout deux parlaient d'une personne qu'ils devaient s'échanger. Le monstre réclamait cette personne contre une somme d'argent divin, des drachmes. Il se tramait, quelque part, un trafic d'être humain. Lexy respira profondément, se demandant pourquoi elle se sentait autant paniquée par la discussion. Tournant la tête vers la cuisine, elle remarqua que son hôte était assis sur une chaise et qu'il s'était endormi sur la table. Lexy épongea son front avec un linge qui se trouvait sur sa table de nuit. Elle se recoucha ensuite. Mais elle ne parvint pas à retrouver le sommeil. Il y avait maintenant deux jours qu'elle s'était réveillée, quatre jours qu'elle était là. Elle n'en pouvait plus. Pour un demi-dieu, c'était la pire chose possible que d'être immobilisé dans un lit avec son TDAH (Trouble Déficitaire de l'Attention avec Hyperactivité). Ce qu'elle pouvait avoir envie de bouger, de courir, de continuer sa quête... Enfin, elle n'en avait pas envie, mais elle y était obligée si elle ne voulait pas que le monde disparaisse... Ce que c'est barbant d'être une demi-déesse.
Elle resta couchée même quand Aporripse se réveilla. Lexy n'ouvrit même pas les yeux. Elle n'avait pas envie de parler avec quelqu'un qui repoussait chacune de ses tentatives pour parler. Lorsqu'elle entendit de la vaisselle s'entrechoquer cependant, elle s'autorisa à entrouvrir un œil, juste de quoi voir ce qu'il fabriquait. Il cuisinait, quelle question ! Que ferait-il d'autre avec des assiettes ou des bols ? Le garçon se retourna vers elle, la regarda avec un air interrogatif alors que la jeune fille refermait son œil. Il inclina la tête vers la droite puis reprit ce qu'il faisait. Ensuite, il alla vers Lexy puis s'arrêta, hésitant. Il réfléchit, haussa les épaules et reprit son chemin. Il déposa l'assiette et le bol à côté de la serviette-éponge et s'assit sur le lit, à la hauteur du ventre de la jeune fille.
- J'ai vu que tu étais réveillée, Lexy... Je t'ai préparé à manger...
Lexy ouvrit les yeux, et les planta dans ceux de son vis-à-vis. Il se passèrent dix secondes avant que l'argenté ne détourne le regard et s'en aille. Lexy pesta, grinça des dents, attrapa ce qu'elle devait manger, l'avala et re déposa la vaisselle là où elle était. Elle en avait marre ! Si seulement son fichu sac à dos n'avait pas été désespérément dépourvu de sa précieuse ambroisie ! Elle serait déjà sur pied depuis plusieurs heures et en route vers une éventuelle sortie. Mais non ! Il avait fallu que l'ambroisie ne soit pas dans ce sac ! Lexy commença à sentir la colère monter en elle. N'y tenant plus, elle martela son matelas de coups-de-poing. Alerté par le bruit, Aporripse revint dans la pièce.
- Hey, calme-toi ! Tu vas te blesser plus gravement ! s'écria le garçon.
- M'en fiche ! De toute façon, c'est ça ou... Ou... Je n'en peux plus ! Être coincée ici alors que je suis censé accomplir une quête m'insupporte ! En plus, j'ai besoin de bouger ! Aporripse, j'ai besoin de bouger, de faire autre chose que rester couchée dans ce lit à attendre patiemment que je guérisse ! Comment fais-tu toi pour rester enfermé ici toute la journée ?
Le garçon avait regardé la fille avec des yeux désolés. Il s'interdisait de côtoyer la demi-déesse, car sinon, il savait qu'il se prendrait d'affection pour elle. C'était écrit ! Mais il ne pouvait se le permettre ! Elle devait être... Elle ne resterait pas encore longtemps ici. Bientôt, elle ne sera plus là ! Et alors il sera à nouveau seul, attendant qu'un autre demi-dieu tombe dans son gouffre, et il recommencera encore et encore son manège malsain. Mais, avec elle, c'était différent ! Non seulement, elle était la nièce de sa pire ennemie, une situation dans laquelle il ne s'était encore jamais trouvé, mais en plus, elle était certainement la fille de sa prophétie, c'était indéniable. Sa prophétie disait qu'une fille du soleil tomberait et qu'elle le sauverait. C'était la première fille du soleil qui tombait dans son gouffre depuis qu'il y était, c'est-à-dire depuis 2381 ans, le jour de ses dix-sept ans... Et il était depuis lors coincé dans ce corps d'adolescent. Cette fille allait le sauver, mais comment ? Il n'y avait aucun moyen de sortir d'ici.
- Arrête de te morfondre ! dit-il soudain avec une dureté qu'il ne se connaissait pas. Tu es une demi-déesse puissante, issue d'une lignée étrangement longue de demi-dieux. Tu es vouée à un destin incroyable ! Il ne faut pas craquer comme tu le fais, car sinon, tu risques de perdre toute ta confiance, ce qui entraînerait une baisse de tes capacités hors-normes ! Reprends-toi ! Tu guériras ! dit-il en s'efforçant de croire en ses dires.
Seulement, il n'avait pas le choix. S'il la laissait réellement partir, il serait tué avant même qu'elle ne puisse le sauver ! Un demi-dieu ayant réussi à survivre à une chute pareille est déjà rare, mais un demi-dieu ayant réussi à en ressortir avec seulement les jambes paralysées, et il y était pour beaucoup, c'était tellement rare qu'il allait pouvoir être tranquille longtemps après son départ. Lexy était la clef de sa richesse et de sa tranquillité. Tant pis pour sa prophétie ! De toute manière, les dieux ne le laisseraient sûrement pas partir comme ça !
- Qui te dis que je guérirais ? Je n'ai pas d'ambroisie, et si tu en avais, tu m'en aurais certainement déjà donné, donc je suis condamnée à attendre que mes jambes guérissent d'elles-mêmes, or, ça met des mois à guérir, et je n'ai que jusqu'au 31 juillet pour sauver le monde ! Je n'ai plus qu'à espérer que mes amis soient capables de finir cette quête à deux...
Et Lexy se coucha dans le lit, remonta sa couverture jusqu'au-dessus de sa tête et tourna le dos à Aporripse qui retourna derrière la porte. Lexy ravala ses sanglots, s'interdisant de pleurer. Elle pouvait piquer une colère, mais elle ne voulait plus pleurer !
De son côté, Aporripse resta adossé à sa porte après l'avoir fermée. Son cœur battait à tout rompre. Cette fille était bien trop différente de tous les autres. Elle ne pensait pas à elle, mais à sa quête ! Les autres se lamentaient sur leur sort à eux, se demandant quand ils rentreraient chez eux, quand ils allaient recouvrer leur confort. Elle se souciait de savoir si son monde allait pouvoir être sauvé malgré son immobilisation.
Tout le raisonnement qu'il avait fait quelques instants plus tôt s'écroula. Elle était cette fille ! Elle allait les sauver le monde et lui. Il ne fallait pas qu'elle tombe entre ses mains. Aporripse sortit l'ambroisie qu'il avait volée dans le sac de la fille d'Apollon, et la regarda longuement. Il resserra sa main autour des carrés et fronça les sourcils, puis replongea le remède dans sa poche.
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