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au 31 Mai 21 :
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Pain melon
Par Ein
Originales  -  Romance  -  fr
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    Chapitre 3     Les chapitres     9 Reviews    
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Rendez-vous

Rei


Rei ouvrit les yeux lentement. La lumière du jour qui filtrait par le store fermé l’avait réveillé. Le cerveau encore enveloppé par les brumes du sommeil, il se demanda où il se trouvait. Ce n’était pas son lit… Une pression sur l’abdomen le fit tourner la tête. À qui appartenait ce bras qui lui encerclait le torse ?

Il se souvint… La soirée bien arrosée, la partie de jambes en l’air avec Hiroki qui l’avait suivie. Rei avait la gueule de bois. Il se leva, chassant le bras de son jeune amant sans faire attention à ne pas le réveiller et partit en direction de la salle de bain. Il ouvrit le jet de la douche et se glissa sous l’eau froide pour tenter de rassembler ses idées. Il avait des choses à faire...

Lucas, Mikazuki ; Mikazuki, Lucas.

Par où commencer ?

Téléphoner à Shinji.

Quelle heure il était ? Rei rentra dans la chambre un peignoir de bain noir sur lui, il trouva sa montre sur la table de nuit. 8h47. Il avait faim.

Rei se dirigea d’un pas assuré vers la petite kitchenette d’Hiroki, ouvrit le frigo et se servit comme s’il était chez lui.

Hiroki vivait seul dans un petit appartement trois pièces, ce qui arrangeait bien les deux amants : au moins ils étaient tranquilles. Les parents du plus jeune étaient décédés dans un accident d’avion au retour de leurs vacances trois ans plus tôt, laissant à leur fils unique une jolie somme qu’il ne toucherait malheureusement qu’à sa majorité et du fait des nombreux déplacements de l’oncle en charge d’Hiroki pour son travail, l’homme avait décidé de louer ce petit studio à son jeune neveu pour lui éviter des transferts de lycée incessants.

Son petit-déjeuner englouti, Rei retourna dans la chambre se rhabiller et récupérer ses affaires. Hiroki dormait toujours ; il ne prit pas la peine de le réveiller et claqua la porte derrière lui.


Lorsqu’il ouvrit les yeux, Hiroki remarqua la place vide de son amant à côté de lui…

- Rei ?

Aucune réponse. Il était parti. Le faux blond soupira et passa une main dans ses cheveux déjà ébouriffés par sa nuit de sommeil. C’était toujours comme ça, avec Rei : il ne prenait jamais la peine de rester après une nuit. À quoi bon ? Pour le leader de Neverland, Hiroki n’était qu’un partenaire de sexe, rien de plus. Inutile donc de jouer les époux attentionnés.

Le jeune garçon tenta de se lever de son lit en grimaçant. La nuit avait été rude, Rei ne l’avait pas ménagé. Il soupira une nouvelle fois et laissa échapper un gémissement de douleur. Et s’il restait encore un peu au lit ? Nous étions dimanche, Hiroki n’avait pas cours. Le blondinet se recoucha, ferma les yeux et se laissa bercer une nouvelle fois dans les bras de Morphée.


De son côté, Rei n’avait pas chômé. Il avait appelé Shinji au téléphone au sujet de la bande Mikazuki. Leur QG se trouvait apparemment près du vieux port dans l’un des entrepôts désaffectés, mais le numéro deux de Neverland n’avait pas pu obtenir davantage de renseignements. Le leader adverse était malin, il ne laissait pas filtrer d’informations personnelles à son sujet. Même après avoir « questionné » quelques membres de la bande, Shinji n’avait obtenu rien d’autre que la confirmation de son nom, Kyôichi Sôma. Les quelques victimes encore conscientes après l’interrogatoire musclé de Shinji s’étaient mises à rire en disant que même Rei n’aurait aucune chance de le battre. Sôma était un animal terrifiant qu’il valait mieux ne pas approcher. Lorsque le chef de Neverland entendit cette dernière remarque relatée par Shinji, il ne put retenir un rire glacial. Un « animal terrifiant », vraiment ? Ils devraient bien s’entendre dans ce cas, visiblement les deux leaders faisaient partie de la même espèce.

Rei laissa une semaine supplémentaire à Shinji pour trouver davantage de renseignements. Sôma était peut-être un petit malin, son numéro deux l’était certainement davantage. Rei avait confiance en son bras droit, il fallait juste lui laisser encore un peu de temps.

Ce problème réglé, ou du moins reporté, Lucas put enfin redevenir le centre de ses pensées.

10h33 s'affichait sur le cadran de sa montre, il était temps de rentrer.



Lucas


Je me réveillai ce matin-là avec un sentiment de bienêtre extraordinaire. Je ne m’étais pas senti aussi apaisé depuis de nombreuses semaines. Je humai avec délice l’odeur des draps encore frais de la veille et accueillis le soleil qui filtrait au travers des rideaux avec un sourire béat. Rei n’était pas là, la journée s’annonçait merveilleuse. Il était 10h45 et le temps était radieux.

Après une rapide douche, je m’habillai et descendit au rez-de-chaussée d’un pas léger, presque guilleret, le sourire aux lèvres.

Sourire qui disparut rapidement…

Lorsque je vis l’individu qui ouvrit la porte d’entrée en face de l’escalier.

- Oh, Lulu-chan, ohayô ! (salut, bonjour (de manière familière le matin))

Son sourire ironique me donna l’envie d’étriper ce cauchemar sur pattes. Et c’était quoi ce surnom stupide ?!? De plus, le suffixe « -chan » n’était-il pas réservé aux filles ??? Je le niai superbement pour me rendre à la cuisine. Shizuka m’avait dit qu’il ne passait pas la nuit ici, et non qu’il ne reviendrait pas de la journée… Je maudis ma naïveté et cet être cruel qui venait de briser mes illusions.

Shizuka s’affairait à la cuisine. Lorsqu’elle me vit, elle me gratifia d’un sourire étincelant.

- Ohayô Lucas, bien dormi ?

J’acquiesçai et m’installai à table.

- Oh Rei, tu es déjà rentré ? s’étonna-t-elle en voyant l’individu vicieux qui m’avait suivi.

Je plongeai la tête dans mon bol de lait chaud et manquait de m’y noyer quand l’affreux m’encercla de ses bras en geignant faussement :

- Lulu-chan m’a trop manqué !!!

Il se colla davantage contre moi et me lécha le cou. N’y tenant plus, je me levai d’un bond et repoussai Rei, rouge de rage tandis que le regard de la bête brillait victorieusement.

- Arrête ça !

J’étais prêt à frapper ce pervers irrécupérable quand le rire de Shizuka m’interpela.

- Ce n’est pas grave, Lucas, ne fais pas attention à moi.

Elle me fit un clin d’œil et poursuivit malicieusement :

- ça ne me dérange pas du tout, au contraire, je te l’ai déjà dit, je suis ravie que vous vous entendiez bien tous les deux !

Ce fut au tour de Rei d’éclater de rire. Il se précipita vers sa mère et l’embrassa sur la joue.

- T’es la meilleure, M’man.

Puis il se dirigea vers l’escalier.

- Tu as déjà déjeuné ? cria Shizuka avant qu’il ne s’éclipse.

- Oui oui, ne t’inquiète pas !

Rei disparut enfin de ma vue. Je reportai mon regard sur mon petit déjeuner. Je n’avais plus faim tout à coup. Cet animal m’avait coupé l’appétit. Je m’efforçai cependant d’engloutir un toast et de terminer mon lait pour ne pas inquiéter Shizuka puis l’informai que je sortais prendre l’air. Aucune envie de rester dans cette maison en présence de ce taré. Je remontai cependant rapidement les escaliers pour prendre mon portefeuille et mon téléphone portable.

Lorsque je voulus sortir de ma chambre, Rei m’attendait dans l’embrasure de la porte en me barrant le passage.

- Où tu vas comme ça ? Pressé ?

Mon rythme cardiaque s’accéléra. Ne me laisserait-il donc jamais tranquille ?

- Je suis pressé, en effet, mentis-je – quoique pas tellement en fait : j’étais pressé de sortir de cette maison –, alors aies la gentillesse de me laisser passer, d’accord ?

Je lui fis un sourire forcé. J’étais certain qu’il n’y avait pas une once de gentillesse dans cet animal mais j’aurais au moins essayé.

Rei me rendit un sourire resplendissant… mais ne bougea pas d’un pouce.

Je tentai encore une fois :

- Euh…s’il te plait ?

Le sourire de l’énergumène s’élargit davantage, mais il ne se décida toujours pas à s’écarter de mon chemin. Je perdis patience.

- Qu’est-ce que tu veux ?

Rei daigna enfin m’adresser la parole sans se départir de son sourire :

- Notre petit tête-à-tête s’est terminé un peu abruptement hier…

Il s’avança d’un pas vers moi.

- et si nous reprenions ?

Il avança une nouvelle fois et je reculai.

- Non merci, je te l’ai dit, je suis pressé.

Je tentai de m’échapper en le contournant par la droite… il m’attrapa le bras. Je me retournai, les yeux rageurs et m’apprêtai à lui crier dessus lorsque je rencontrai ses prunelles sombres. Un frisson me parcourut. Toute trace de plaisanterie avait disparu dans son regard. Rei articula d’une voix grave et profonde :

- J’ai dit : et si nous reprenions ?

Mon cœur me faisait mal dans ma poitrine, signal d’alarme me prévenant qu’il fallait fuir sur le champ, mais mes jambes refusèrent de bouger. J’étais paralysé par ce regard impérial qu’il posait sur moi.

Me voyant inactif, Rei retrouva le sourire pensant sans doute que je lui faisais savoir par là mon consentement… Il se pencha vers moi et s’empara de mes lèvres pour la troisième fois en deux jours. Je ne répondis pas à ce baiser mais me laissai faire, encore mortifié par le regard que ce monstre m’avait lancé. Je voulais fuir, mais il devait y avoir un court circuit dans mon système nerveux, mes membres refusaient d’obéir à ma prière.

Et pendant ce temps, Rei, qui jouait avec à sa langue dans ma bouche, ses mains baladeuses qui se promenaient sous mon t-shirt, son haleine à l’odeur de tabac subtilement mélangée à son parfum…


Une sonnerie de téléphone.

Mon téléphone.

Mon cerveau se remit en marche.


Je repoussai Rei violemment et décrochai. Sauvé.

- Mochi mochi ? (allo)

- Lucas ? C’est Kyo. C'mment t'vas ?

- Euh… bien.

Depuis que je t’entends ça va beaucoup mieux, pensais-je

- Comme j’ai du temps d'vant moi, j'me suis dit qu'j'pourrais passer chez toi pour t'prêter les cds de Devil… tu sais, le groupe dont je t’ai parlé hier…

Mon cerveau ne fit qu’un tour.

- NON !

- ah ? T'les veux plus ?

- Si si, je les veux toujours, ce n’est pas ce que je voulais dire mais… Je préférerais juste qu’on se donne rendez-vous en ville, pas chez moi…

Surtout si Rei est à la maison… pensai-je. D’autant plus que Kyo était beau garçon, et si Rei le voyait, il y avait de forte chance qu’il lui saute dessus. Hors de question donc que ces deux là se rencontrent.

- ça te dérange ?

- Non non, du tout ! T'es libres maint'nant ?

- Oui !

Ça avait tout l'air d'un cri du coeur de la part d'un homme désespéré. Kyo le sentit aussi manifestement car il se mit à rire.

- Ok, rendez-vous dans une d'zaine de m'nutes d'vant l'parc Mihashi, t'vois où c'est ?

Oh, ce parc... il me rappelait de mauvais souvenirs.

- Oui, je connais. J'y serai.

Avec Kyo, il n'y aurait sans doute pas de problèmes. Je devais arrêter d’être parano… mais comment faire avec un fou furieux vivant sous le même toit ?

- ça roule ! Ciao !

- Bye

Je raccrochai.

Rei, qui bizarrement avait patienté sagement que je finisse ma conversation me dévisagea sombrement.

- C'était qui ?

Je l'observai quelques secondes. Qu'est-ce que ça pouvait lui faire ?

- Un ami. Je dois le rejoindre, si je ne pars pas maintenant, je serai en retard.

Il parut réfléchir un instant, j'en profitai pour m'esquiver discrètement. Il m'attrapa le bras. Zut !

- Ton téléphone.

Je le regardai sans comprendre.

- Donne-moi ton téléphone.

- C'est le miens, répondis-je sur la défensive.

- Justement, donne-le-moi.

Me voyant hésitant, il s'impatienta.

- Je vais pas te le voler, juste voir un truc.

Toujours peu enclin à lui obéir, je lui tendis à contre-coeur mon portable en espérant qu'après, il me ficherait la paix. Rei prit l'appareil en main et l'observa quelques secondes.

- Sympa le modèle.

J'acceptai le commentaire d'un signe de tête. Il tripota ensuite le clavier pendant deux minutes puis me le rendit sans un mot. Je le récupérai avec soulagement et le mis en poche.

Tournant les talons, je sortis de la chambre.

Cette fois-ci, Rei ne me retint pas.


Libre, enfin.


Je pris la direction du parc où m'attendait Kyo.



Rei


Lucas venait de quitter la pièce, laissant derrière lui un Rei plongé dans ses pensées. Machinalement, il inséra le numéro de portable de Lucas qu’il venait de mémoriser, mais il avait la tête ailleurs. Divers sentiments se mêlaient dans sa tête : frustration, agacement profond, colère, curiosité… Qui était-ce donc cet « ami » que Lucas devait rejoindre ? Kyo d’après le répertoire téléphonique du blond. Quand l’avait-il rencontré ? Où ? Qu’était-il pour le jeune Français ? Toutes ces questions tourbillonnaient dans la tête de Rei. Sa seule certitude : Lucas lui appartenait. Il éliminerait tout obstacle qui se mettrait au travers de son chemin.

Il hésita à parler de Kyo à Shinji. Son bras droit finirait certainement par trouver son identité, mais cette affaire était d’ordre privé et n’avait rien à voir avec Neverland,

Il sortit de la chambre de Lucas en claquant la porte d’un geste rageur.

Demander à Shinji ?

Ne pas lui demander ?

Son indécision l’énervait au plus haut point. Hésiter n’était pas dans sa nature, mais étrangement, quand il s’agissait de Lucas, toutes ses certitudes et ses habitudes s’effondraient une à une. Il fallait qu’il se reprenne.

L’esprit plus clair, il prit sa décision : ne pas en parler à Shinji. Il ne savait rien de Kyo à part son prénom… il devait y en avoir des dizaines dans cette ville. Soit, il patienterait…

Mais pas trop longtemps.


En attendant, il avait du temps à perdre. Rei prit son portable et composa un numéro. Quelques secondes plus tard :

- Mochi mochi

- Hiroki, t’es libre ?

Il avait besoin de se changer les idées.



Hiroki


Hiroki fut surpris de recevoir un appel de Rei en pleine journée. Ordinairement, le leader ne l’appelait qu’en soirée et encore ; de plus, ils avaient passé la nuit ensemble or, après chacune de leurs nuits, Rei semblait oublier son existence pendant plusieurs jours. Certes Hiroki s’y était fait. Son « maître » était égoïste, cruel et sans-cœur, le jeune garçon le savait depuis longtemps et l’avait accepté, entièrement. Tant qu’il était le seul à qui Rei imposait ses désirs égoïstes, ça lui convenait.

Cet appel, bien qu’il fût plus que bienvenu, noua le ventre d’Hiroki. Quelque chose n’allait pas. Que s’était-il passé ? Qu’est ce qui avait poussé Rei à le réclamer après la nuit qu’ils venaient de passer ensemble ? Qu’est que… ou qui ? Avait-il reçu des informations contrariantes de Shinji sur Mikazuki ? Non, même si cela avait été le cas, Rei se serait occupé d’eux sans problème… Mais quoi alors ? Qui ?

Hiroki referma le clapet de son téléphone en soupirant. Il venait d’inviter Rei à passer chez lui en sachant pertinemment comment finirait leur rencontre : au lit… et il savait très bien que Rei ne parlerait pas de ses problèmes, à Shinji peut-être l’aurait-il fait, mais pas à lui. De ce point de vue, Hiroki en était vert de jalousie. Pourquoi Rei se confiait-il toujours à Shinji et jamais à lui ? Certes, le numéro deux de la bande était hétéro, il n’y avait donc aucun risque, mais Rei n’avait-il pas confiance en lui ? Ils sortaient ensemble tout de même !

Non, on ne sort pas ensemble… pensa-t-il. Rei le considérait sans doute comme un partenaire de sexe, rien de plus. Un partenaire qui le satisfaisait, pour le moment. Le leader en avait vu passer d’autres dans son lit, Hiroki était certes le favori, cela ne durerait peut-être pas… Qu’à cela ne tienne, si d’autres candidats voulaient prendre sa place, Hiroki se chargerait de leur cas personnellement. Rei lui appartenait, il ne le laisserait à personne d’autre.



Kyo


Lucas arriva en courant au lieu de rendez-vous. Kyo, assis sur un banc, profita du fait que le jeune français ne l'eût pas encore remarqué pour l'examiner en profondeur. Toujours aussi attirant, Lucas était vêtu ce jour-là d'une veste noire légère par-dessus un t-shirt bordeaux qui sculptait sa silhouette fine, mais néanmoins bien tracée et d'un jean délavé.

Lorsque Kyo l'avait vu pour la première fois, il avait remarqué tout d'abord cette masse de cheveux dorés unique en son genre qu'aucune teinture ne pouvait imiter. Le Japonais fut irrémédiablement attiré par cette étoile filante qui parcourait la rue à toute allure. De peur de la perdre des yeux, Kyo s'était précipité vers elle, abandonnant par là le groupe avec qui il se trouvait. Aucun remord, juste une espérance : faire sa connaissance.

Cependant, si la chevelure blonde de Lucas l'avait charmée, ce furent ces yeux bleus océans que le jeune homme posa sur lui qui le captivèrent. Le Nippon s'était senti fondre au travers de ce regard limpide, pur et innocent qu'aucun vice n'aurait pu salir.

Dès lors, Kyo ne voulut plus le lâcher.


Lucas venait enfin de repérer le Japonais et s'approchait rapidement, le sourire aux lèvres.

- Yô !

- Konnichiwa ! (salut, bonjour (de manière plus formelle, dans la matinée)) Je ne suis pas en retard ?

Kyo secoua la tête en souriant.

- Pile à l'heure.

Le jeune français parut soulagé.

- T'as du temps d'vant toi ?

- Toute l'après-midi !

- Parfait ! J'me propose comme guide d'la ville pour un pauvr'étranger qu'risquerait de s'y paumer !

Lucas se mit à rire et Kyo ne put s'empêcher de l'admirer encore une fois. Jamais il ne se laisserait de ce spectacle.

- C'est trop généreux de ta part...

- Profites-en ! Répondit l'aîné avec un clin d'oeil malicieux.


Kyo lui fit visiter les rues commerçantes principalement en lui fournissant les bonnes adresses et tous les trucs et astuces pour marchander quand on le pouvait. Vint ensuite le quartier des affaires et les trois rues entièrement consacrées aux restaurants. Ils terminèrent enfin par le quartier chaud de la ville où de jour, comme de nuit, la vue était jolie...

- Wouaw, kireeeei ! (joli, beau, superbe... (ici ce serait plutôt « canon »)) fit Lucas devant une demoiselle bien proportionnée.

- Tu trouves ?

Lucas se retourna vers Kyo en lui faisant les gros yeux.

- Pas toi ?!

Le Japonais haussa les épaules.

- Là, en c'moment, je vois cent fois mieux

Les yeux du plus jeune pétillèrent soudain, il se mit à regarder tout autour de lui en cherchant la demoiselle "cent fois mieux".

- Vraiment ? Où ça ???

Comme Kyo ne répondait pas, il tourna la tête vers son interlocuteur. le Nippon le regarda dans les yeux d'un air sérieux. C'était trop tentant, il ne put pas s'empêcher :

- Juste devant moi.

Un ange passa. Lucas venait de faire un arrêt sur image, la bouche entrouverte, visiblement à court de mot.

- ...

Kyo ne dit rien et se contenta d'observer une expression qu'il n'avait jamais vue sur le visage du jeune Français. Celui-ci se mit enfin à réagir. Il ouvrit la bouche et s'apprêta à parler.

- ... ?!?!?!?!?

Mais aucun son ne sortit de sa gorge. Pris de pitié, Kyo rigola.

- C'était une plaisanterie.

Lucas le regarda encore quelques secondes avant de hocher la tête, il le croyait.

- Tu m'as fait peur, raconte pas n'importe quoi !

Le cadet se détendit enfin et se mit à rire. Kyo joignit son rire au sien.


OK, il était hétéro.

Dommage.

Mais ça pouvait toujours changer...



Lucas


Kyo et moi avions parcouru presque toute la ville. Il m'avait peut-être affirmé avoir emménagé ici un mois et demi auparavant, on aurait dit qu'il y avait toujours vécu. Le Nippon connaissait chaque rue comme sa poche. L'après-midi s'était vite écoulé, trop vite à mon goût. Je n'avais pas vu le temps passer.

- Tu rentres quand au Lycée ?

- Demain

- Stressé ?

- Un peu oui...

J'étais mort d'angoisse en réalité, rien que d'y penser me noua le ventre comme jamais.

- Normal, me dit-il avec un sourire.

Kyo était vraiment compréhensif. J'aimais discuter avec lui, j'avais l'impression qu'il me comprenait, qu'il me ressemblait tout en étant paradoxalement totalement différent.

- T'en fais pas, ça se passera bien. Les Japonais adorent les Français. Et avec tes cheveux blonds et tes yeux bleus, tu charmeras l'assistance, c'est certain !

J'eus un rire sec.

- Tu dis encore des conneries.

Son sourire s'élargit.

- Naaaan je te jure ! Toutes les filles seront à tes pieds, les garçons aussi peut-être.

Je levai les yeux au ciel en soupirant.

- M'en parle pas...

Mon look était-il tellement insolite qu'il pousserait même les hommes à se jeter sur moi ? Si l'on prenait Rei comme exemple, cela n'en faisait aucun doute. Mais Rei était une exception. C'est ce que je voulais croire en tout cas. Je me sentis soudain démoralisé. Je ne m'étais jamais rendu compte combien être différent pouvait s'avérer difficile. Me voyant accablé, Kyo continua de me taquiner.

- Les filles vont pas t'lâcher d'une semelle !

Je lui fis une tête de chien battu.

- Pitié !

Bien qu'à choisir, je préférais que ce soit les filles qui me courent après, plutôt que les garçons. L'idée cependant me faisait froid dans le dos. N'étant pas doué en sport ni particulièrement musclé, je n'avais jamais été très populaire auprès de la gente féminine. Cela ne m'avait pourtant pas empêché de sortir avec quelques demoiselles... Je chassai mes souvenirs d'un geste de la tête.

- C'est toi qui craignais d'être mal accueilli, sois heureux que je t'affirme le contraire.

Les paroles de Kyo ne me rassurèrent en rien et je lui offris un air d'enterrement, mon enterrement.

- Bah, si elles t'embêtent, fais semblant d'pas comprendre la langue et elles finiront par s'lasser et t'laisser tranquille

Mon rire se joignis au sien et je rangeai cette astuce dans un recoin de ma tête. Qui sait, ça me serait peut-être utile un jour...


L'après-midi touchait lentement à sa fin, ma visite guidée s'était terminée par un combini où Kyo et moi en profitâmes pour faire l'acquisition de ces pains melons qui nous plaisait tant. J'ouvris rapidement l'un des sachets transparents et mordis le pain à pleines dents en laissant échapper un gémissement de plaisir. Kyo m'observa d'un oeil amusé, je ne prêtai plus attention à lui, trop occupé à satisfaire mes papilles gustatives.

- Ça te dit de visiter mon lycée ?

J'approuvai d'un hochement de tête énergique, ma bouche toujours pleine et nous partîmes vers l'autre bout de la ville. Cela faisait une bonne trotte à pied, nous aurions pu prendre le métro mais j'appréciais la compagnie de Kyo et le temps était radieux.


- On y est ! s'exclama soudain Kyo.

J'observai le bâtiment. Un immense cube de béton et plusieurs annexes plus petites étaient entourés par un mur élevé. Nous nous approchâmes en silence.

- C'est ouvert ?

- Un dimanche ? Tu rêves !

- Je croyais que tu allais me faire visiter ? L'interrogeai-je, un peu perdu.

- C'est c'que j'vais faire, me confirma-t-il avec un sourire.

J'étais encore plus perdu. Je me tournai vers lui et demandai :

- Comment ?

Le sourire du Japonais s'élargit davantage. Nous étions arrivés à la grille qui faisait office d'entrée principale.

- Comme ça !

Stupéfait, je l'observai grimper à la grille tel un félin agile et retomber de l'autre côté, dans l'enceinte de l'école.

- T'es dingue !

- On me l'dit souvent, me répondit-il avec un sourire. Dépêche-toi !

Je le questionnai, hésitant.

- Et si tu te fais attraper ?

- J'me ferai pas attraper, me rétorqua-t-il avec une assurance stupéfiante.

Dès notre première rencontre, j'avais remarqué cette prestance qu'il dégageait. Cette confiance qu'il avait en ses propres capacités me fascinait. J'étais loin, très loin de partager son avis.

- T'es complètement timbré.

- Merci du compliment !

Je marmonnai l'air sombre :

- C'était pas un compliment...

Il rigola, je l'accompagnai volontiers tout en essayant tant bien que de mal de passer à mon tour de l'autre côté de la grille.

Il fallait l'avouer, mon passage fut beaucoup moins gracieux...

et prit trois fois plus de temps...

Mais restons positif : je finis par y arriver.


Après un rapide tour des lieux, Kyo m'attrapa le bras et m'entraîna à sa suite. Nous marchions à vive allure depuis plusieurs minutes déjà au travers du dédale de l'école quand je perdis patience :

- Où on va ?

- Suis-moi.

- C'est ce que je fais, bien obligé, bougonnai-je en secouant mon poignet que Kyo refusait toujours de lâcher.

- On y est presque...

- Tu dis ça depuis tout à l'heure !


- Tadaaaa ! Clama Kyo le sourire aux lèvres.

Enfin ! Après avoir parcouru l'école de long en large, après avoir quitté l'enceinte même du lycée, nous étions arrivés devant un immense bâtiment abandonné.

- Un hangar ?

- Un vieil entrepôt, me précisa-t-il avec un sourire fier aux lèvres.

- Pourquoi tu me montres ça ?

- L'école se trouve juste à côté du vieux port alors durant les pauses ou si j'ai envie de sécher les cours, c'est ici que je viens.

Kyo poussa la lourde porte en fer et pénétra dans l'édifice. Il faisait sombre, je ne distinguai presque rien mis à part quelques ombres vagues.

- Tu viens ici tout seul ? C'est un peu sinistre...

Il se mit à rire, mais ne répondit pas. D'un geste précis, le Nippon trouva l'interrupteur et alluma la lumière.

- Regarde, je l'ai aménagé.

- Sympa !

- N'est-ce pas !!


La pièce était meublée de plusieurs sofas qui, bien qu'usés de tous les côtés, gardaient tout leur charme. Une table basse trônait au milieu et plusieurs bouteilles de bières et autres alcools traînaient un peu partout autour. Non il ne venait sans doute pas seul ici.


- C'est ma base secrète, me confia Kyo avec un clin d'oeil comme pour me mettre dans la confidence.

- Si elle est secrète pourquoi tu me la montres ? Rétorquai-je mi-sérieux

- T'réponds toujours comme ça dès qu'on t'interroge ? Me demanda-t-il rieur.

- Et toi tu réponds toujours à une question par une autre question ?

Nous nous mîmes à rire et je m'installai dans un grand sofa de couleur rouge délavé. Kyo s'assit à son tour en face de moi. Je le regardai dans les yeux.

- Tu ne m'as toujours pas répondu

Pause. Kyo ne dit rien. Je patientai calmement.

- Bah qui sait...

- Qui sait ?

Visiblement ma question le dérangeait mais il n'allait pas s'en sortir avec un simple sourire ou un haussement d'épaules.

- Peut-être que j't'aime bien...

Je rigolai franchement. N'importe quoi cette réponse.

- Si tu la montres à tous ceux que tu apprécies, ça fera beaucoup de monde dans le secret... qui n'en sera plus un au final...

Il sourit et secoua la tête.

- Je suis assez difficile dans le choix de mes amis

- Vraiment ? On ne dirait pas !

Il se mit à rire. Sa boucle d'oreille en forme de croix inversée se balança suspendu à son lobe. Je poursuivis :

- C'est vrai quoi, tu m'as ramassé dans une ruelle comme un pauvre chien abandonné et tu m'as même donné à manger...

Le ton de Kyo se fit plus sérieux mais impertinent :

- Ça fait donc de moi ton maître

Il me gratifia un sourire malicieux qui lui allait tellement bien.

- Hai (oui) kyo-sama (suffixe utilisé comme marque ultime de respect (équivalent de « maître »))

Et nous étions repartis dans un fou rire.


- Si tu as un problème n'hésite pas à venir ici, je suis là souvent, en général.

J'acquiesçai. Nous étions dans l'embrasure de la porte de fer de l'entrepôt, il se faisait tard et j'avais annoncé qu'il valait mieux que je rentre... même si je n'en avais aucune envie. La compagnie de Kyo me convenait mille fois mieux que celle de ce fou furieux...

- C'est noté.

- Je te raccompagne mais avant... Tiens !

Par un tour de passe passe, il sortit de je ne sais trop où le cd de Devil, le prétexte que nous avions convenu pour nous retrouver encore une fois.

- Merci ! Mais t'es pas obligé de me raccompagner jusque chez moi...

Aucune envie qu'il voie Ren... ni que Ren le voie...

- Jusqu'au parc alors, me proposa-t-il.

Avait-il compris que je ne voulais pas qu'il vienne chez moi ? Peut-être...

- Ça marche !



oOo



En rentrant à la maison, j'eus la mauvaise surprise de voir Rei affalé sur le canapé le salon, la télévision allumée et les pieds à l'air... vive l'odeur. Heureusement, je me trouvais loin et l'énergumène me tournait le dos. Un peu de chance et je pouvais traverser le salon en toute incognito...

- Oh Lucas ! Tu es rentré !

Non pas de chance. Je me raidis et me retournai vers Shizuka, un sourire crispé aux lèvres.

- Tu as passé une bonne journée ?

- Très bonne, je monte dans ma chambre, je suis fatigué...

- On mange dans vingt minutes.

- Compris.

Sans un mot de plus, je grimpai les marches quatre à quatre non sans avoir jeté un oeil anxieux en direction de Rei. Son regard m'avait fait froid dans le dos et ne promettait rien de bon. Arrivé dans ma chambre, je verrouillai la porte et en bénissant mentalement celui ou celle qui avait eu la bonne idée de mettre un verrou dans cette pièce.

Dans un soupir de satisfaction, je m'étalai sur mon lit et observai le plafond un instant, puis fermai les yeux. Demain, c'était ma rentrée. L'angoisse me nouait le ventre. J'eus soudain une bouffée de panique en imaginant me retrouver dans la même classe de ce monstre pervers. Le cauchemar vivant, l'enfer sur terre ! Moi qui envisageait le Lycée comme une échappatoire à ce malade, si cela arrivait je n'aurais plus qu'à trouver une corde et me pendre...

Le bruit de la clenche de ma porte me fit sursauter. J'ouvris les yeux et portai mon regard vers le battant de bois. Un sourire se dessina sur mes lèvres.

Pas cette fois, débile, tu ne me dérangeras plus désormais...

Je refermai les yeux en savourant cette victoire. L'individu abandonna sa tentative d'intrusion. J'avais réussi à repousser l'ennemi ! Que c'était bon de se sentir puissant parfois ! Je n'avais pas l'intention de laisser Rei faire ce qui lui chantait et je pris une décision : si je me retrouvais dans la même classe que cette bête sauvage bipède, je demanderai à changer... ou même à être transféré ! Pourquoi pas dans le Lycée de Kyo ! Je souris de contentement. Tout irait bien, j'en avais la certitude...

- À quoi tu penses ?

Mon coeur rata un battement. J'ouvris les yeux et me relevai...

Tentai de me relever...

Rei me plaqua contre mon lit de force.

- Qu'est-ce que tu fous là ?!? grondai-je hargneusement. Et comment t'es entré ???

Rei eut un rire glacial.

- Si tu crois qu'un simple verrou peut m'arrêter, tu es bien naïf ! Une carte de banque et le tour est joué... me répondit-il en agitant le fameux bout de plastique devant mon nez.

Je le regardai d'un oeil noir.

- Je viens à peine de rentrer, tu ne pourrais pas me lâcher 30 secondes ?

Rei fit mine de réfléchir intensément puis m'offrit un sourire éblouissant.

- Non.

Évidemment.

Je soupirai. Rei placé au-dessus de moi, un genou sur le lit, une main contre mon torse m'empêchait toute tentative de fuite, même illusoire. Résigné, je l'interrogeai :

- Tu veux quoi cette fois ?

- Savoir où tu étais cet aprèm'

- Je ne vois pas en quoi ça te regarde.

- ça me regarde. Réponds.

Il accentua sa pression contre mon torse. Je soupirai une nouvelle fois. Si je lui répondais, finirait-il par me lâcher ?

- J'avais rendez-vous avec un ami, je te l'ai dit. Il m'a fait visiter la ville, rien de plus.

- Qui est Kyo ?

Mon coeur loupa une nouvelle fois un battement. D'où connaissait-il ce nom ? J'étais certain de ne jamais l'avoir mentionné en sa présence. Je ne répondis pas.

- Qui est Kyo ? Me répéta-t-il en se penchant dangereusement vers mon visage.

Je tournai la tête pour éviter d'avoir à respirer son souffle chaud qui me rappela douloureusement le dernier baiser que nous avions partagé. Non, pas partagé. Ce type m'avait simplement imposé son désir égoïste.

- Un ami. Y a rien à dire de plus. T'es jaloux ou quoi ?

Rei m'observa longtemps, les yeux rivés sur moi... Le silence se fit aussi oppressant que sa main sur mon torse. Cet instant sembla s'étirer comme un vieux chewing gum, indéfiniment. Il finit par répondre calmement d'une voix posée :

- En effet, je n'aime pas qu'on touche à ce qui m'appartient.

J'eus un moment d'absence, mon cerveau refusa de fonctionner. M'étais-je pris un sérieux coup sur la tête récemment ? Ce genre de dysfonctionnements se faisait de plus en plus fréquents. Aurais-je dû m'inquiéter sérieusement de ma santé ? Peut-être. Cependant, en ce moment précis, la seule chose qui me traversa l'esprit fut la dernière parole de Nippon. Je tournai la tête dans sa direction et le fixai incrédule.

- Depuis quand je t'appartiens ?!?!?!?

Ses yeux sombres se plongèrent dans les miens. Il me répondit d'une voix terrifiante :

- Depuis que j'ai posé les yeux sur toi...

Un long frisson me parcourut l'échine. En ce moment même, Rei me parut dangereux, dangereusement dangereux... plus qu'il ne l'avait jamais été... comme s'il avait jusque là caché sa véritable personnalité, masque bien inoffensif qui cachait un personnage beaucoup plus sombre et violent. J'eus soudain du mal à respirer. La présence imposante du Japonais m'écrasait, je n'étais qu'un insecte devant la prestance qu'il affichait. Je voulais qu'il parte, mais je n'étais pas capable de formuler le moindre son.


Shizuka appela à table.

Rei me libéra enfin sans rien ajouter, se releva et claqua la porte.

Sauvé une fois de plus in extrémis.


Seul dans ma chambre, je fus secoué de violents tremblements. Mes dents se mirent à claquer, mon front se perla de sueur. Ce type était malade, mais plus encore, il était dangereux. Les deux ne faisaient pas bon mélange...

Et ce malade habitait dans la même maison que moi.

Je n'avais jamais eu de chance... cette fois-ci pourtant, j'étais tombé sur le gros lot : le gros lot de la loterie de la malchance.

 
 
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