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au 31 Mai 21 :
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Pain melon
Par Ein
Originales  -  Romance  -  fr
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    Chapitre 6     Les chapitres     9 Reviews    
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Latence
 

Lucas

 

J’observai l’intérieur de la pièce au travers du voile de larmes ou de pluie qui me brouillait les yeux. La lumière était allumée et une dizaine de jeunes étaient installés sur les vieux fauteuils qui meublaient la pièce. Aucune trace de Kyo. J’observai ces visages inconnus qui me regardaient à leur tour avec des visages tantôt intrigués, tantôt énervés, sans doute parce que je les dérangeais. Deux d’entre eux étaient occupés aux bras de quelques filles, d’autres, plus modestes, se contentaient d’une bière et d’un jeu de carte pour toute compagnie… L’un deux s’approcha de moi. Les cheveux décolorés dressés sur sa tête, une multitude de piercings… son visage me rappelait vaguement quelque chose. L’avais-je déjà vu ? Je ne me rappelais plus, je ne voulais plus me souvenir. Je n’avais qu’une envie : dormir, dormir et oublier tout ce qui venait de se passer. Le faux blond se rapprocha de moi. Il n’avait vraiment pas l’air commode, pire même, il semblait dangereux.

- Qu’est-ce tu veux ? me demanda-t-il d’une voix menaçante.

J’ouvris la bouche, mais aucun son n’en sorti. Un noeud s’était noué dans ma gorge. Le jeune homme s’approcha encore. Il avait l’air furieux, je reculai d’un pas.

- C’est pas un endroit pour toi ici, dégage.

- Je…

- C’est bon, Aoki, laisse-le parler.

Un deuxième jeune s’approcha. Ses cheveux noir ébène typiquement japonais contrastaient avec la pâleur de son visage. Il portait des lunettes, une chemise blanche dont les manches étaient retroussées pour laisser apparaître des bras fins et délicats. Je ne pus m’empêcher de le comparer à la brute épaisse aux cheveux décolorés, la différence était flagrante : un gentleman face à un fauve. Il ne faisait pas le poids, le fauve à la crinière faussement dorée allait le dévorer tout cru, et moi aussi par la même occasion. C’est ce que je croyais. Pourtant, le dénommé Aoki recula de quelques pas et me lança un regard mauvais tandis que son dresseur s’approchait de moi d’une démarche souple et agile.

- Je ne sais pas ce que tu cherches, ni pourquoi tu es ici, mais tu t’es sans doute trompé. Il vaudrait mieux que tu rentres chez toi pour te sécher avant que t’attrapes la crève…

Sa voix était douce, presque charmeuse… que faisait un type pareil au milieu de ce groupe de délinquants ? Ses yeux noir d’encre se posèrent dans les mieux et je pus y lire un sincère curiosité. Se demandait-il ce que je faisais là ? Pourquoi étais-je dans cet état ? Je déglutis difficilement et pris la parole d’une voix mal assurée.

- Je cherche Kyo…

 

Un silence de mort accueillit mes paroles. Mal à l’aise, j’eus soudain envie de prendre mes jambes à mon cou et de m’enfuir une fois de plus. Je n’eus pas le temps de mettre mes pensées en action : deux bras puissants m’attrapèrent par le col de ma chemise et me plaquèrent contre la parois de l'entrepôt. Le dénommé Aoki me regarda d’un air mauvais et me cracha au visage :

- Qu’est-ce qu’un bouseux de Numaï (rappel : Numaï est le nom de l'école de Lucas) veut à Kyo-sama ?

Il enserra ma gorge et resserra sa prise, j’avais du mal à respirer. J’attrapai les bras qui m’étouffaient pour tenter de desserrer leur étreinte.

- Je… il m’a dit que…

Le blond serra davantage, me coupant le souffle et m’empêchant ainsi de parler davantage.

- Parce qu’il t’a dit quelque chose ? ça, tu vois, j’en doute. Kyo-sama ne s’adresserait pas à un insecte comme toi, les microbes, il les écrase sous ses semelles.

L’air ne parvenait plus dans mes poumons, j’allais mourir asphyxié si ça continuait… tant mieux, je n’aurais plus à vivre un cauchemar perpétuel, adieu Rei, adieu Keiko, adieu Nanahara-sensei… Je serais enfin tranquille… Je cessai toute lutte, mes bras retombèrent le long de mon corps. Je fermai les yeux et me laissai emporter dans les abîmes de l'inconscience.

 

oOo

 

 

- Crétin ! Tu l'as tué !

- La ferme ! Il respire toujours ! Pas ma faute si ce type a la résistance d'une fille ! Et puis c'est qui ce mec ?! Vise un peu ses cheveux ! Un vrai blond ! Et ses yeux !

- Toi, la ferme ! Si c'est vraiment une connaissance de Kyo-sama, tu vas morfler... et je serai pas là pour ramasser les morceaux !

- Calmez-vous un peu tous les deux !

Bruit de verre qui explose. Jurons.

- Aoki ! Espèce de crétin ! Fais gaffe à ce que tu fais !

- La ferme !

 

Combien de temps étais-je resté inconscient ? Depuis combien de temps avais-je émergé de ce sommeil sans rêve ? Tout en gardant les yeux fermés, j'essayai de me repérer. J'étais installé sur un sofa sans doute, assez moelleux, mais ça sentait le vieux et l'humidité. J'étais frigorifié et encore mouillé de pluie... mais les larmes avaient cessé de couler. J'étais à sec de ce côté là. Sans doute avais-je déjà trop pleuré, mon réservoir était vide. Demain ça se remettrait sans doute à couler...

Je sentis soudain un poids faire s'affaisser le matelas sur lequel j'étais couché. Quelqu'un s'était sans doute assis à côté de moi. Je continuai de faire semblant de dormir en prenant soin de respirer calmement. L'exercice était assez ardu mais j'avais décidé de ne pas me « réveiller » avant l'arrivée de Kyo.

Un souffle chaud me chatouilla le visage. L'odeur d'alcool et de tabac qui l'accompagnait m'informa que ce n'était pas une simple brise, mais bien la respiration de quelqu'un... beaucoup trop prêt de mon visage à mon goût.

- J'ai l'impression d'avoir déjà vu ce type...

Mon estomac se noua. Moi aussi il me semblait avoir déjà vu ces délinquants... Le jeune homme venait de confirmer mes soupçons.

- Jin, il te dit rien ?

- Non.

- Et toi, Aoki ?

Il eut un silence. J'entendis quelqu'un s'approcher de moi d'une démarche pesante. Les pas s'arrêtèrent et je sentis une seconde haleine sur mon visage. L'odeur d'alcool y était plus forte, le souffle plus rauque... Les secondes s'écoulèrent quand soudain :

- Chibi-chan ! (surnom de Lucas déjà utilisé dans le chapitre 1)

- Hein ?

- Au parc Mihashi ! Tu te souviens pas ?

Mon estomac se retourna et la bile me monta à la gorge. Mais oui, c'était là que je les avais rencontrés ! Ce souvenir amer était resté gravé dans ma mémoire, mais pas le visage des brutes qui m'avaient agressé, ce soir-là, le premier jour de mon arrivée au Japon. Mon pouls s'accéléra et j'eus de plus en plus de mal à mimer mon sommeil.

- Eeeeh... alors c'était lui !

Je sentis une main m'attraper le visage, enserrant ma mâchoire jusqu'à me faire mal. Je serrai les dents. J'avais encore moins envie de me réveiller maintenant. Pourvu que Kyo arrive rapidement ! Où il était bon sang ?!

- Évidemment ! Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ! Une tête pareille, ça ne s'oublie pas.

- Ouais, moi, je me souviens surtout de la raclée qu'on s'est prise avec l'arrivée de ce mec.

Ah ? Parce que ça s'était mal passé par la suite ? Il faut dire que je n'étais pas resté pour voir ce qui était advenu de mon sauveur providentiel. Visiblement, il ne s'était pas fait massacré comme je me l'étais imaginé. Tant mieux pour lui.

- 'tain ! Ouais ! Cet enfoiré ! Je sens encore les coups qu'il m'a foutus ! Si je le revois, je le crève !

- Dis pas de conneries, t'es pas de taille contre lui !

- La ferme ! Et si je me souviens bien, toi aussi tu t'en es pris de belles !

- Tchh...

- En attendant, je le vois mal arriver ici donc... Aucune chance qu'on soit dérangés cette fois.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Je veux dire toi, moi et cette charmante tête blonde, on pourrait reprendre notre petit jeu, là où on s'était arrêtés...

Oh oh, très mauvais plan, ça. Mon pouls s'accéléra une nouvelle fois, une goutte de sueur perla sur mon front... Si je prenais mes jambes à mon cou, avais-je une chance d'échapper à ces tarés ? Sans doute pas.

- Toi et tes idées sadiques ! Soupira le second individu.

- Me dis pas que ça ne te tente pas !

Rire.

- J'ai jamais dit ça...

- Dans ce cas...

Une main étrangère se glissa sous ma chemise d'uniforme, une langue râpeuse me mouilla le cou, la mâchoire, les lèvres... Mon cauchemar recommençait. Si c'était un rêve, pourvu que je me réveille, vite ! Mais le souffle chaud dans mon cou, les baisers humides sur mon visage et les caresses de ces doigts me paraissaient bien réels. Trop réels. Pourquoi ne m'étais-je pas réfugié plus longtemps dans les bras protecteurs de l'inconscience ? Je restai paralysé sous les assauts de ces caresses, je voulais m'enfuir d'ici, mais comment faire lorsqu'une masse inconnue me plaquait sur ce canapé miteux, et que deux paires de mains exploraient mon corps avec avidité ? Je n'avais pas besoin d'ouvrir les yeux pour sentir le désir sadique et pervers qui transparaissait chez ces deux personnages. J'avais envie de vomir, de les frapper, de les repousser... mais une fois de plus, j'étais impuissant. Était-ce donc réellement tout ce dont j'étais capable ? Subir et fuir ? Je me faisais pitié moi-même. J'étais carrément ridicule, stupide, insignifiant...

- Arrête de faire semblant de dormir, Chibi (petit), je sais que t'es réveillé, me souffla une voix dans le creux de mon oreille.

Je frissonnai et ouvris les yeux. À quoi bon continuer de mentir ?

- Laissez-moi tranquille.

J'avais la voix rauque et la gorge sèche... Est-il nécessaire de préciser que je n'avais pas du tout l'air crédible ? Les deux délinquants se mirent à rire. Ma maigre tentative était vouée à l'échec dès le début.

- T'entends ça, Jin ? Cria le blond à l'adresse du binoclard qui lisait un livre sans prêter la moindre attention à mon pauvre sort.

Je stoppai une main qui remontait un peu trop haut sous mon t-shirt à mon goût.

- S'il vous plaît, je veux juste voir Kyo, il...

Les lèvres du blond se plaquèrent contre les miennes pour me faire taire. Je tentai de le repousser avec mes mains sans grand résultat. Sa langue chercha à se frayer un passage entre mes dents que je serrais de toute mes forces pour empêcher cette intrusion. Voyant son invasion avortée, le blond commença à s'énerver.

- Un conseil, Chibi, laisse-toi faire et ça ira mieux pour tout le monde.

J'entendis le rire de son comparse qui explorait toujours mon torse de ses mains, je sentais le contact froid de ses doigts sur mes tétons. Je frissonnai. Le blond se pencha une nouvelle fois vers moi et enfonça sa tête dans mon cou, parsemant ma chair de coups de langue avides... Une larme roula sur ma joue. Je n'étais pas à sec finalement...

 

Où étais-tu, Kyo ?

 

 

oOo

 

 

Alors que des mains étrangères me parcouraient le corps et qu'une langue humide et baveuse arpentait ma nuque, je pris conscience de cette nouvelle faculté que j'avais acquise depuis quelques jours : le détachement total. Mon esprit était comme déconnecté du monde afin de me protéger des agressions extérieures. Je voyais désormais mon corps comme une simple enveloppe charnelle, un objet sans vie, une masse inerte tandis que mon esprit, libre, voguait par delà mes pensées. Je ne sentais même plus les caresses des deux délinquants sur ma peau, ni les baisers fiévreux du blond et leur haleine aux relents d'alcool ne me parvenait plus aux narines... J'avais la paix, en quelque sorte. Détaché de mon propre corps, j'avais l'impression que le monde s'éloignait tandis que je me dirigeais vers un ailleurs plus calme et plus paisible, quittant la tornade de sentiments douloureux provoqués par cette vie que j'abandonnais de plein gré.

 

Est-ce donc cela, mourir ? Ne plus rien ressentir, simplement se laisser aller, s'enfoncer de plus en plus vers ce trou noir qui nous aspire, qui nous attire tel un aimant...

 

Une porte qui s'ouvre. Je m'étonne de le remarquer encore. Ne suis-je pas censé être déconnecté du monde ? Peut-être ne le suis-je pas encore suffisamment... Je m'enfonce davantage dans les profondeurs abyssales de mes pensées.

 

Des cris, des éclats de verre... Que ce passe-t-il ? « Aucune importance, continue d'avancer, Lucas » Oui, continuons.

 

On écarte brutalement les deux jeunes de ce corps qui est le miens, cette main droite qui est la mienne pendouille lamentablement puis tombe sur le sol... mon corps mort, vide, attiré par la loi de la gravitation universelle, ne tarde pas à la rejoindre. Bruit mat de cette masse contre le béton... Je n'en éprouve même pas la douleur...

 

Deux mains m'attrapent soudainement, me secouent doucement...

« Lucas ! Lucas ! »

Une voix qui appelle désespérément...

« Lucas ! »

Qui est Lucas ?

« Enfoirés ! Je vais vous crever pour ce que vous lui avez fait ! »

Rage, colère, angoisse... J'ai l'impression que toutes les émotions de cet homme trouvent un écho en moi, me cherchent et me demandent de revenir...

Laissez-moi tranquille, je ne veux plus de ça, plus de souffrance, plus de douleur... je veux mourir...

« Lucas ! »

Cri d'angoisse, appel affligé... J'abandonne le trou noir et me retourne vers cette étincelle de vie qui me réclame plus fort que la mort. Qui ? Ma vue retrouve les couleurs de la vie. Cheveux noirs d'encre, mi-longs, des traits angéliques déformés par la peur, une croix qui pend à son oreille... Je le reconnais.

 

Je reviens brutalement dans mon propre corps. Atterrissage douloureux. Je m'entends pousser un gémissement. Tout mon être me fait mal, comme s'il me punissait de m'être enfui, de m'être réfugié en l'abandonnant à son sort. Des fourmis me picotent les doigts, je sens la chaleur du jeune homme qui me serre dans ses bras... je savoure cette sensation : celle d'être encore en vie. Je lève une main, doucement, et la pose sur la joue du Japonais. Je souris.

- Kyo...

Je suis enfin en sécurité...

Je ferme les yeux et me laisse entraîner dans les abimes réconfortantes du sommeil.

 

 

 

Kyo

 

 

Kyo caressa lentement la masse de cheveux blonds posés sur ses genoux. Un sourire attendri et paisible se dessinait sur ses lèvres. Jamais auparavant sa bande ne l'avait vu afficher un tel visage. Il semblait presque... amoureux. Pourtant, Kyo était hétéro, du moins c'était ce que tout le monde avait cru en le voyant sortir avec Aya, la fille la plus populaire du Lycée. Certes leur relation n'avait pas duré très longtemps, deux semaines tout au plus, mais Kyo avait dès lors endossé la réputation de tombeur et de voleur de coeurs, surtout lorsque l'on voyait les filles hystériques qui lui courraient après. Cependant, la scène qui se déroulait en ce moment devant les yeux des délinquants remettait l'orientation sexuelle de Kyo en question. Ce regard aimant envers le jeune homme endormis sur ses genoux, cette douceur qu'il exprimait et sa patience démesurée en attendant tranquillement le réveil du dormeur... Était-ce vraiment leur leader ? Ils ne le reconnaissaient pas. Qui était donc cet inconnu qui avait débarqué de nulle part et conquis le coeur de Kyo ? Aucun des jeunes délinquants n'osaient pourtant déranger le charismatique Japonais au risque de s'attirer les foudres de ce dernier. Tout le monde tenait à sa vie et personne n'était assez fou.

 

L'entrée de Kyo à l'entrepôt avait été bruyante. Il n'avait fallu que quelques secondes pour que le jeune homme se rende compte de la situation. Dès lors, il n'avait pas traîné : il s'était précipité vers Aoki et Dai, les deux délinquants qui s'en prenaient à Lucas, et les avait propulsés à terre en le couvrant de coups et de jurons. Mais Kyo ne s'était pourtant pas attardé sur ces deux imbéciles. Lucas avait plus d'importance à ses yeux, il s'occuperait plus tard de ces deux crétins. Avec une douceur extraordinaire, il avait pris le corps sans vie du jeune Français et avait tenté de le réveiller, en vain. Kyo l'avait secoué, l'avait appelé... sans succès. Lucas était parti, ailleurs, là où plus personne ne pourrait plus l'atteindre... Mais Kyo n'avait pas abandonné et sa persévérance avait porté ses fruits. Lucas avait finalement ouvert les yeux, ses beaux yeux bleu océan qui avaient fait fondre Kyo lors de leur première rencontre. Un mot, un murmure, son nom. La voix du jeune blond n'avait été qu'un souffle et pourtant Kyo l'avait entendu clairement. Le Nippon avait attrapé la main du jeune homme posée sur sa joue tandis que Lucas sombrait une nouvelle fois dans les affres de l'inconscience...

 

Cela faisait presque une heure que Kyo était silencieux, une main toujours plongée dans les cheveux blonds de son petit protégé. Il rompit finalement le silence en parlant à mi-voix pour ne pas réveiller le bel endormi.

 

- Jin. Que s'est-il passé ?

 

Le jeune homme à lunettes leva son nez du livre qu'il lisait et observa Kyo un instant avant de répondre sur le même ton.

 

- ll est arrivé peu de temps après que tu as quitté l'entrepôt, vous auriez pu vous croiser... Il était trempé jusqu'aux os. Il a dû rester un bon moment dehors pour être mouillé de la sorte. Il a ouvert la porte sans hésitation, il semblait connaître les lieux, puis il a demandé à te voir...

 

Jin poursuivit son récit, décrivant en détail le déroulement des récents événements, n'épargnant rien à Kyo. Une fois son histoire terminée, le binoclard se tût et attendit. Une question lui brûlait les lèvres mais il n'osait pas la poser. Il se contenta donc de baisser les yeux sur son livre et reprit sa lecture, même si l'envie n'y était pas.

 

Kyo observa le bel endormi. Sa main fourrageant dans la tignasse blond du Français l'apaisait l'empêchant ainsi de se ruer sur les deux imbéciles qui s'étaient jetés sur Lucas. Pendant ce temps, son cerveau carburait. Pourquoi Lucas était-il venu ici ? Que s'était-il passé pour que le jeune Français sorte sans protection sous cette pluie battante ? La main de Kyo descendit jusqu'au cou de Lucas. Sous ses doigts, le Japonais sentit une légère boursoufflure qui le sortit de ses interrogations.

- Qu'est-ce que... ?

Une marque de baiser... Les doigts légèrement tremblant de colère, il chassa les mèches blondes du cou de Lucas, écarta le col de sa chemise. Ce n'était pas une marque, mais des dizaines de marques de baisers voire même de morsures qui parsemaient le cou du jeune Français ! Les yeux de Kyo devinrent noirs de colère, une rage sombre l'envahit. Tandis qu'un sifflement menaçant s'échappait de ses lèvres, il se sépara de Lucas pour la première fois depuis plus d'une heure. À pas lents, il se dirigea vers le faux blond.

Aoki remarqua le soudain manège de son leader. Il déglutit péniblement, mal assuré.

- Kyo... -sama... ? Dit-il d'une voix étranglée par la crainte.

Le faux blond ne put rien ajouter, il fut brusquement projeté contre le mur de l'entrepôt. Kyo attrapa son sous-fifre par sa chemise d'uniforme blanche déboutonnée et le propulsa une nouvelle fois contre le mur, coupant ainsi le souffle de sa victime.

- KISAMAAAA (enfoiré) !!! Qu'est-ce que tu lui as fait ?!?!

Aoki n'eut pas le temps de répondre, Kyo lui asséna un violent coup de poing dans la mâchoire. Un second ne tarda pas à le suivre, puis un troisième, un quatrième... Kyo n'attendait pas de réponse, il avait vu le résultat, il savait déjà ce que ce crétin avait fait à Lucas. Il avait juste besoin de se défouler, d'évacuer sa rage et de punir cet imbécile fini qui avait osé s'en prendre à son protégé. Aoki était maintenant recroquevillé par terre, essayant au mieux de se protéger des coups de pieds et coups de poings qui tempêtaient sur lui. Il ne comprenait pas la réaction de Kyo. Le faux blond avait juste embrassé ce type, rien de plus ! Ni coups, ni viol ! De plus, il n'avait pas été le seul à s'en prendre au corps du blond ! Pourquoi Dai ne se prenait pas de coups, lui ?

Alors qu'Aoki criait mentalement l'injustice dont il était victime, Kyo, quant à lui, n'arrivait pas à se calmer. Jin s'en aperçu et, pour éviter qu'il doive appeler une ambulance, voire la morgue, il décida de séparer les deux hommes. Il attrapa Kyo en lui crochetant les bras par derrière (hum... je ne sais pas trop comment l'expliquer ^^') et le tira en arrière pour l'éloigner d'Aoki.

- Calme-toi, Kyo ! dit-il sur un ton autoritaire.

- Lâche-moi Jin !

Puis en s'adressant à Aoki par terre en position fœtale :

- T'avais pas le droit de le toucher ! Et encore moins de lui laisser des marques, enfoiré ! Cria-t-il en tentant d'échapper à l'emprise de Jin.

- Des marques ? Aoki prit la peine de cogiter quelques instants, puis son regard s'éclaira. Elles étaient déjà là avant qu'on le touche ! Je te jure !!!

Kyo hésita. Il connaissait suffisamment bien ses hommes pour savoir qu'aucun d'eux ne se risquerait à lui mentir... mais alors qui avait pu faire ça ? En y réfléchissant bien, cela expliquerait peut-être pourquoi Lucas était venu ici, sans doute paniqué. S'était-il passé quelque chose chez lui ? Kyo se calma, Jin le sentit et le relâcha mais resta sur ses gardes. S'écartant de la scène de massacre, Kyo se dirigea vers le canapé où dormait toujours Lucas. Le Nippon s'accroupit devant le bel endormi et lui caressa les cheveux, à la fois attendri et en colère. Le Français devait être vraiment crevé pour ne pas s'être réveillé malgré le vacarme que Kyo venait de faire...

 

*Celui qui t'a fait ça va le regretter, Lucas, je te le promets...*

 

 

 

Rei - Hiroki

 

 

Hiroki referma le clapet de son téléphone. Au bout du fil ? Rei. C'étaitt maintenant la deuxième fois que le leader de Neverland l'appelait sans aucune raison apparente, juste une envie pressante de se vider, de se défouler... Pourtant, d'ordinaire Rei n'était pas comme ça. Il ne couchait avec Hiroki qu'après une soirée bien arrosée ou un rendez-vous avec la bande, jamais « hors contexte » comme aujourd'hui. Non pas que cela dérangeait le jeune Nippon, que du contraire, ça lui faisait immensément plaisir de savoir que Rei pensait à lui, mais ce n'était pas normal... il avait dû se passer quelque chose, comme la dernière fois... et Hiroki n'aimait pas le changement.

 

Le jeune homme rentra chez lui en quatrième vitesse, prit rapidement une douche puis attrapa un t-shirt propre et moulant à souhait ainsi qu'un jean qui lui serrait les fesses, faisant ainsi ressortir ses formes arrondies. Après un dernier coup de peigne sur sa tignasse blonde mi-longue, il sourit satisfait du résultat. Aucun doute, il était sexy. Hiroki respira un bon coup puis regarda sa montre. Rei n'allait pas tarder...

 

Quelques secondes plus tard, on sonna à la porte. Hiroki se précipita vers l'entrée de son appartement et ouvrit tout sourire au beau ténébreux qui venait d'apparaître sous ses yeux. Tendrement, il enlaça le corps musclé de son amant et déposa un baiser sur ses lèvres avant de l'inviter à rentrer.

- Tu veux boire quelque chose ? Demanda le plus jeune en se dirigeant vers le frigo.

Rei secoua la tête et rattrapa Hiroki avant qu'il n'atteigne la cuisine. Il enferma le jeune homme dans ses bras et lui murmura à l'oreille.

- Là tout de suite, j'ai plutôt faim...

Et comme pour joindre le geste à ses paroles, il mordit avidement le cou du cadet. Hiroki se mit à rire.

- Je vois... et si nous passions à table dans ce cas ?

Rei sourit.

- Itadakimasu... (= +/- Bon appétit)

 

 

oOo

 

 

Driiiing... driiiing... driiiing...

 

 

- Rei, ton téléphone !

- hnnn... fait chier...

Rei releva la tête, les cheveux en bataille après une partie de jambes en l'air plutôt éprouvante.

- Quelle heure il est ? Demanda-t-il en étouffant un bâillement.

- deux heures et demi du mat', magne-toi de répondre

- 'tain ! Qui c'est à c't'heure-ci ?

Après un rapide tour des lieux sans trouver l'appareil, il grogna et se redressa pour mieux chercher le fauteur de troubles qui avait osé le tirer de son sommeil.

- Je le trouve pas, où il est ? S'énerva le ténébreux en regardant tout autour de lui.

- Dans la poche de ton pantalon je crois, là, par terre...

- 'tain...

Rei se leva péniblement et se dirigea vers son baggy à l'autre bout de la pièce. Une fois l'appareil en main, il le porta à l'oreille et décrocha.

- Mochi-moch' (allo) dit-il d'une voix encore endormie.

- Rei ?

Le jeune homme reconnu d'emblée la voix de sa mère. Celle-ci semblait inquiète.

- M'man ? Je t'ai dit que je ne rentrais pas dormir à la maison ce soir...

- Ce n'est pas ça...

La voix de Shizuka monta dans les aigus. Elle était réellement angoissée, ce n'était pas normal. Le Nippon fronça les sourcils que s'était-il passé ? Il tenta de se remettre les idées en place et se remémora les événements de la veille.

- M'man, qu'est-ce qu'il y a ?

- C'est... c'est Lucas, tu sais où il est ?

- Lucas ??

Si Rei somnolait encore quelques secondes plutôt, il était désormais totalement réveillé. Ce simple nom l'avait sorti de sa torpeur brumeuse.

- Il n'est pas rentré et il se fait tard... J'ai essayé de l'appeler sur son portable mais il ne répond pas... Tu sais, il n'est pas du genre à ne pas prévenir quand il sort et il ne connait pas énormément de monde donc je me suis dit qu'il était avec toi...

- Non M'man, il est pas avec moi...

Rei réfléchit quelques instants. Lucas ne connaissait en effet pas beaucoup de monde mis à part Keiko, et ses camarades de classe n'étaient rien de plus que de simples connaissances, aucune chance que le blond aille se réfugier chez l'un d'eux...

De son côté, Shizuka commençait réellement à paniquer. Rei le sentit de suite et tenta de la rassurer.

- Écoute M'man, je vais essayer de joindre quelques amis, peut-être qu'ils savent où est Lucas... Je te retéléphone dès que j'ai des nouvelles, ok ? Stresse pas, il n'a pas dû lui arriver grand chose.

Shizuka n'avait pas l'air convaincue mais elle avait confiance en son fils. Il ferait tout pour le retrouver, elle en était certaine.

- Je te laisse M'man, appelle-moi s'il rentre entre-temps, ok ?

- D'accord.

- Et calme-toi un peu, je suis sûr que ce n'est pas grave, on va le retrouver...

- oui...

- Je te rappelle, à plus.

Rei raccrocha et s'affala sur le lit d'Hiroki. Et merde. Où avait-il pu aller cet idiot ? Il avait dû être plus perturbé par la scène de la veille que le Nippon ne l'avait cru. Mais tout de même ! Keiko n'était qu'une pouffe, il ne fallait pas en faire tout un drame ! Des filles comme ça, on pouvait en trouver à la pelle ! Hiroki le sortit de ses pensées.

- C'est qui Lucas ? Demanda-t-il sur un ton un peu trop possessif au goût de Rei.

Le leader de Neverland observa la cadet d'un oeil agacé. Le faux blond s'était redressé sur les coudes et regardait à son tour Rei d'un oeil noir.

- Pas maintenant, Hiro...

Rei se leva et enfila son boxer puis son pantalon.

- C'est qui, Lucas ? Répéta Hiroki d'une voix exigeante.

Rei lui jeta un oeil franchement énervé et rétorqua d'une voix cinglante et glaciale.

- Depuis quand j'ai des comptes à te rendre ? Ce sont mes affaires, ça ne te regarde pas. Rendors-toi et ferme-là, tu serais mignon.

Il quitta la pièce.

 

Hiroki se laissa retomber sur son lit et jura. D'un geste rageur, il envoya valser un oreiller contre le mur en face de lui. Il n'avait jamais entendu parler d'un « Lucas ». Était-ce un nouveau membre du clan ? Il prit la peine de réfléchir quelques secondes. Non, sans doute pas. C'était la mère de Rei au téléphone, elle connaissait donc ce Lucas, or elle n'était pas au courant des activités « extra-scolaires » de son fils. Hiroki se leva brusquement, shoota dans un meuble toujours en colère puis jura en sautant à cloche-pied, le gros orteil entre ses mains.

- Merde, Merde, MERDE !

Il récupéra ses vêtements qui traînaient çà et là aux quatre coins de la pièce, vestiges de la nuit torride qu'il venait de passer en compagnie de Rei. Sans tarder, il fila sous la douche. Le jet d'eau froide lui fit du bien et remit ses idées en place. Lucas. Il trouverait qui c'était...

 

En sortant de la douche, Hiroki entendit la voix de Rei. Tiens, il n'était pas parti ? Discrètement, le jeune homme s'approcha et s'arrêta devant la porte entrebâillée de la chambre. Il tendit l'oreille.

- Shinji ? Tu peux me donner l'adresse de Keiko Mimura ? Classe 2-5. Dépêche-toi.

- ...

- Ok merci. Au fait, des nouvelles du leader des Mikazuki ?

- ...

- T'as intérêt à trouver qui est ce type et rapidement. Il me semble que je t'ai déjà laissé pas mal de temps pour ça...

- ...

- Ouais, bon, on en reparlera une autre fois. Je suis occupé, là. À plus.

 

Rei raccrocha, pianota sur le clavier de son portable et le porta une nouvelle fois à son oreille.

 

- Keiko ?

Cris hystériques.

- La ferme, j'ai pigé. Je veux juste savoir si t'as vu Lucas dernièrement.

- ...

- Je vois. Navré de t'avoir dérangé, répondit-il ironiquement

- ...

- Oh, et une dernière chose : t'approches plus jamais de lui, c'est clair ?

Hurlements encore plus hystériques

- Sale pute.

 

Rei raccrocha. Il avait passé une bonne dizaine de coups de fil sans résultat. Où étais-tu passé, Lucas ? En se triturant les méninges, un nom lui revint soudain en mémoire : Kyo... Mais quel crétin ! Pourquoi ne pas y avoir pensé plutôt ! Sauf que connaître le nom de ce type ne l'aidait pas, Rei n'avait aucune information concernant ce mystérieux personnage... Merde !

Du calme. Peut-être qu'il se trompait, peut-être que Lucas traînait dans la rue sans vouloir rentrer de peur de croiser Rei... Il n'y avait qu'un moyen de le savoir.

Rei récupéra sa chemise, sa veste et se dirigea vers la porte d'entrée de l'appartement... ce qui n'échappa pas à Hiroki. Le cadet le suivit à grand pas.

- Rei ! Où tu vas ?

- Je t'avais pas dit de te recoucher, toi ?

- Mais...

Claquement de porte.

Il était parti.

 

 

 

Lucas

 

 

Je me réveillai dans un lit qui n'était pas le miens. L'odeur douce et parfumée me semblait familière et réconfortante. Le matelas était confortable, j'aurais pu m'y prélasser toute la journée ou la nuit... Quelle heure était-il au fait ? J'ouvris lentement un oeil, le refermai brusquement, ébloui par la lumière de la lampe de chevet. Je finis par m'habituer à l'éclairage et observai ce réveil qui n'était le miens posé sur une table de nuit inconnue. 19H47. Combien de temps avais-je dormis ? Pourquoi étais-je ici ? Et plus important : où étais-je ??? J'ouvris mon deuxième oeil et parcourus la pièce du regard. Les murs, blancs, étaient décorés de temps à autre de photos en noir et blanc mises sous verre qui représentaient des paysages de toutes sortes. Forêts, plages, maisons abandonnées... Malgré la froideur des couleurs, ces clichés me réchauffèrent le coeur. Les prises de vue étaient superbes et possédaient un petit quelque chose de magique, de différent...

La porte s'ouvrit avec douceur mais je sursautai brusquement, dérangé dans ma contemplation. Un jeune homme apparut dans l'encadrement. D'une beauté à vous couper le souffle, il était vêtu d'une chemise blanche, d'une cravate noire desserrée et d'un pantalon ébène. À son oreille, pendait une croix renversée cachée derrière quelques mèches longues de ses cheveux d'un noir d'encre. Je souris en reconnaissant l'individu qui me rendit à son tour un sourire éclatant.

- T'es réveillé !

Mon sourire s'élargit. Je m'étirai comme un chat.

- J'ai dormi longtemps ?

Ma voix était si rauque que je ne la reconnus pas. Était-ce bien moi qui venait de parler ? Je portai une main à ma gorge et tâtai mon cou. Mes doigts sentirent de légères boursouflures au-dessus de mes omoplates. Je fronçai les sourcils en m'interrogeant sur la nature de ces marques. En me voyant faire, Kyo s'avança vers moi à grands pas et retira ma main de mon cou. Ses doigts étaient chauds, sa peau douce et agréable. Je l'observai, intrigué par son geste. Ses yeux noirs se plantèrent dans les miens. Ils avaient l'air de vouloir me transpercer, découvrir ce que j'avais derrière la tête... Cependant, malgré cette inspection visuelle, je décelai dans son regard une franche inquiétude.

- Qu'y a-t-il ? Demandai-je, mal à l'aise.

Il ne me répondit pas tout de suite, sondant toujours mon regard avec des yeux presque impénétrables. Il rompit finalement le silence d'une voix douce et posée :

- Comment te sens-tu ?

Je faillis lui répondre « bien », comme je le faisais toujours, sans réfléchir, mais je sentis que Kyo attendait une véritable réponse. Je fermai les yeux quelques instants en me concentrant sur mon propre corps. Avais-je mal quelque part ? Pas vraiment, j'étais seulement un peu engourdi. Rien de bien alarmant en somme. Je finis par rouvrir mes yeux, parcourus mon corps du regard... Tiens, j'avais changé de vêtements ? Je portais désormais une chemise blanche trop large et mon boxer... Mon boxer ?! Où était passé mon pantalon ? Et qu'était devenu mon uniforme ?

En voyant mon angoisse soudaine, Kyo encadra mon visage de ses mains et planta un regard inquiet mais néanmoins amusé.

- Tes vêtements étaient trempés, j'les ai lavés. Ils sèchent.

- Trempé ? Répétai-je un peu perdu.

Il acquiesça et répondit toujours patiemment :

- Il a plu toute la journée et tu n'avais pas de parapluie.

- Oh, je vois...

Kyo m'observa encore. J'eus l'impression qu'il voulait que je poursuive, que je dise quelque chose... mais quoi ? Je lui rendis son regard.

Le Nippon soupira, chassa une mèche blonde de mon front d'une geste doux de la main et relâcha mon visage. Il me demanda une nouvelle fois :

- Comment tu t'sens ?

Je haussai les épaules.

- J'ai un peu soif, mais sinon ça va, pas de bobo, lui répondis-je en souriant.

Il attendit quelques secondes, vérifiant si j'étais sincère, puis hocha la tête et se leva.

- Je vais te chercher un verre d'eau.

Je le remerciai tandis qu'il disparaissait dans l'encadrement de la porte. Mes yeux se portèrent une seconde fois sur cette chambre, celle de Kyo sans doute. Un lit, un bureau, une étagère pleine de livres et un grand placard... Rien d'extraordinaire, une simple chambre de lycéen. Pourtant, j'aimais cette pièce. L 'atmosphère qui y régnait était apaisante. Était-ce dû aux murs blancs ? À ces photos ? À travers la fenêtre j'observai la lumière faible de la lune recouverte de brume nuageuse qui illuminait doucement la chambre et les gouttes de pluie qui venaient s'écraser sur la vitre. Le temps ne s'était visiblement pas amélioré.

La porte de la chambre se rouvrit. Kyo me mit dans les mains un grand verre d'eau que je bus avec gourmandise. Le Nippon restait silencieux. Ce n'était pas dans son habitude. Moi qui l'avais toujours connu exubérant, énergique et rieur, son attitude posée et calme, trop calme, me faisait presque peur.

Je terminai mon verre et l'interrogeai une nouvelle fois :

- Qu'y a-t-il, Kyo ?

Il évita encore une fois de répondre et glissa sur un autre sujet.

- T'as faim ? Sans doute ouais, j'vais te préparer quelqu'chose. Ça te va des ramens ?

Je soupirai, mais hochai tout de même la tête. Kyo ne pourrait pas éternellement me cacher ce qui n'allait pas.

Le Nippon repartit de la pièce en me conseillant de me reposer encore un peu, mais selon moi, j’avais déjà assez dormi. Je tentai de me lever du lit, mais mes jambes refusèrent de me porter. Contrarié, je n’abandonnai pourtant pas et, au bout de trois tentatives, je pus enfin me mettre sur mes deux pieds. Je comprenais maintenant pourquoi Kyo m’avait suggéré de dormir encore un peu, mais je ne connaissais toujours pas la cause de ma soudaine faiblesse. J’essayai de me remémorer ma journée. Lycée comme d’habitude, avec Keiko à midi comme tous les midis… Tiens, je lui avais dit quoi à midi ? Quelque chose d’important je crois… Impossible de me souvenir. Tant pis. Après-midi cours et puis… et puis quoi ? Je tentai de me souvenir mais rien. Le noir, le vide, le néant. Je n’avais jamais connu ce genre de trous noirs effrayants où on se rend compte qu’une partie de notre vie nous échappe, que nous n’en sommes plus le maître comme si, pendant un moment, quelqu’un d’autre avait pris notre vie et fait de nous un simple pantin.

Je frissonnai et chassai bien vite cette pensée de ma tête. Je finirai tôt ou tard par le savoir, la mémoire me reviendrait, j’en étais sûr.

Je quittai la pièce presque à regret après un dernier coup d’œil sur une des photos en noir et blanc que j'aimais particulièrement : un paysage enneigé. J’arrivai dans un grand couloir éclairé. Je repérai l’escalier menant au rez-de-chaussée et m’y engageai en me tenant à la rampe pour éviter de tomber. Mes jambes étaient traitresses et je ne désirais pas me retrouver quelques mètres plus bas avec le crâne fendu et quelques os fracturés. Arrivé en bas, je repérai d’emblée la cuisine où Kyo s’affairait grâce à la bonne odeur qui s’y dégageait.

- Lucas, s’étonna-t-il en levant les yeux sur moi.

- C’est moi, lui répondis-je avec un sourire.

Il fronça les sourcils.

- Tu aurais dû rester allongé…

- Pourquoi ? Je ne suis pas malade.

- Mmh, c’est vrai.

Je remarquai cependant son hésitation dans sa précédente réponse. Il me cachait quelque chose, c'était sûr.

- Assieds-toi, ne reste pas planté là.

Encore plus suspect. Depuis quand n'étais-je pas capable de rester debout ? Depuis quand Kyo s'inquiétait-il autant de ma petite personne ? Il était aux petits soins pour moi et ça ne lui ressemblait pas. Certes, ce n'était pas désagréable, mais en ce moment, Kyo ressemblait davantage à une mère poule qu'à l'ami que j'avais toujours connu.

Cependant, je pris un siège comme il me le suggérait et l’observai à la tâche. Voir Kyo en action derrière ses fourneaux était une image assez insolite. Avec son physique impeccable, ses cheveux légèrement décoiffés et ses gestes assurés, on aurait presque dit une publicité ou un spot tv pour femmes au foyer afin d’apprendre à cuisiner. Je soupirai devant le spectacle. Pour moi, la cuisine, c’était un autre monde.

Kyo coupait rapidement quelques petits légumes d’assaisonnement, mais je remarquai néanmoins les regards inquiets qu’il m’adressait de temps à autre. C'en devenait presque agaçant, surtout que je n’en connaissais pas la cause. Je décidai d’engager la conversation :

- Tu vis seul ici ?

- Pas vraiment. Mon père a sa chambre à l’étage, mais il dort presqu'jamais ici, il préfère rester à l’appart' qu’il loue à deux rues d'son boulot. C'est plus pratique pour lui. Donc la plupart du temps, c’est vrai que j'suis seul.

- Il ne rentre pas ce soir ?

- Sans doute pas. Quand il rentre, il m'prévient généralement. S’il n'dit rien, c’est qu’il ne s'ra pas là.

- Un peu triste comme famille… Et ta mère ?

- Morte quand j’avais huit ans.

J’accusai le coup.

- Pardon, j'aurais pas dû…murmurai-je.

C'était la deuxième fois que ma curiosité me jouait un sale tour. La première fois j’avais interrogé Shizuka au sujet de son ex-mari et elle m’avait plus ou moins fait comprendre qu’il était décédé… À l’avenir je devrais me montrer moins curieux.

- Y a pas d’mal. J'ai plus tellement de souvenirs d’elle de tout'façon.

- C’est dommage…

- Mais c’est la vie.

Je me tus quelques instants. Kyo n’avait pas l’air de cet avis.

- C’est bientôt prêt ! Tu vas goûter à ma succulente cuisine… c’est un privilège !

- T’as l’air bien sûr de toi… Je peux porter plainte en cas d’intoxication alimentaire ?

Kyo se mit à rire. Enfin ! Je le reconnaissais mieux là, son sourire lui allait mille fois mieux que cet air inquiet qu’il affichait constamment depuis mon réveil. Le Nippon m’apporta un bol rempli de pâtes fumantes et j'humai les effluves avec délice, l’eau déjà à la bouche.

- Itadakimaaasu ! (= +/- Bone appétit)

Dès la première bouchée, je sus que Kyo n’avait pas plastronné pour rien : c’était délicieux. Je lui en fis la remarque et il m’afficha un sourire jusqu’aux oreilles. Il m’avoua ensuite qu’il mangeait souvent seul et n’avait que peu d’occasion pour faire goûter sa cuisine à d’autres personnes à son grand regret. Il aimait cuisiner.

- Invite-moi plus souvent à manger alors !

- Passe quand tu veux ! T'seras toujours le bienv'nu.

Je lui souris et m’enfilai une autre bouchée. Visiblement l’ambiance s’était détendue… parfait, le moment idéal pour repasser à l’attaque.

- Au fait, qu’est-ce que je fais chez toi ? demandai-je sur un ton innocent.

Kyo suspendit son bras à quelques centimètres de sa bouche, ses pâtes glissèrent de leurs baguettes et tombèrent sur la table. Il n’y fit pas attention, il me regardait droit dans les yeux. La lueur d’inquiétude s’était rallumée dans ses yeux et je m’énervai une fois de plus de ne pas en connaître la cause.

- Tu t'souviens de rien ?

Je fronçai les sourcils.

- Parce que je dois me souvenir de quelque chose ?

- Tu… devrais, me souffla-t-il doucement.

Il se tut deux secondes puis reprit.

- Bah si tu t’en souviens pas, c’est que c'était pas si grave… ça t'reviendra peut-être, se reprit-il bien vite en m’affichant un sourire forcé.

Trop forcé. Et trop évident pour qu’il fût sincère.

- Le choc sans doute… murmura-t-il, comme pour lui-même.

J'entendis néanmoins sa remarque et lui demandai presque sauvagement des précisions :

- Le choc ? Quel choc ? Je me suis cogné quelque part ?

Je tâtai mon crâne à l’affut d’une quelconque bosse ,mais ne trouvai rien. Kyo me regarda faire puis soudain, son regard s’éclaira. Il eut un sourire un peu embêté et m'expliqua enfin.

- En fait, t'as fait un p'tit malaise en arrivant à mon vieil entrepôt…

- Je suis venu à l’entrepôt ? m’étonnai-je.

Il acquiesça.

- Tu devais t'sentir déjà mal pendant le chemin, c’est sans doute pour ça qu'tu t'souviens pas… En arrivant, tu t’es écroulé. Tu m’as foutu une de ses frousses ! Puis comme il se faisait tard et que j'voulais pas que t’attrapes la crève tellement t’étais trempé par la pluie, j’ai décidé d'te ramener chez moi... J'connais même pas ton adresse !

- T’aurais pu la trouver dans mon sac, c’est noté sur ma carte d’identité, dans mon portefeuille.

Il hésita un peu gêné.

- T’avais pas amené ton sac…

- Ah ??

Étrange, je ne me baladais jamais sans mon portefeuille d’habitude. Je m’étais donc senti tellement mal au point de l’oublier ? Je fronçai les yeux en tentant de me remémorer ma journée.

- Enfin maintenant t’as l’air d’aller mieux. Arrête d’y penser ça va te donner des maux de crâne…

J’acquiesçai sans grande conviction, frustré malgré moi de ne pas me souvenir de cet événement.

 

Le repas se termina dans la bonne humeur. Je lui annonçai que je sortais avec une copine de classe et, même s’il grimaça en entendant cette nouvelle, il m’annonça qu’il était heureux pour moi et qu’il me souhaitait tout le bonheur du monde.

- Je peux emprunter ta douche, demandai-je en l’aidant à débarrasser la table.

- Oui je t’en prie, c’est la première porte à droite en montant l’escalier. Tes vêtements ne doivent pas être secs par contre, je vais t’en prêter d’autres.

- Merci.

 

Grâce aux instructions de Kyo, je trouvai sans problème la salle de bain. À la fois simple et moderne, tout était à sa place, il n'y avait rien de superflu. Je trouvai un essuie (une serviette pour les français ;) ) et un gant de toilette dans un petit meuble. Je m'observai ensuite dans le miroir. Des cernes violacées se dessinaient sous mes yeux et mon teint était cireux, encore plus pâle que d'habitude. Pas étonnant que Kyo s'inquiète de ma santé. Mon malaise était-il dû à une anémie ? Je me souvenais pourtant avoir mangé deux pains melons à midi...

J'abandonnai ma contemplation rapidement. Inutile de m'inquiéter davantage de mon état, Kyo s'en chargeait déjà pour moi. L'eau chaude me fit du bien et ce n'est que lorsque mes membres se détendirent soudain que je remarquai cette pression qui me collait au corps depuis mon réveil. Je pensai soudain à prévenir Shizuka que j'étais chez Kyo. elle devait s'inquiéter, je ne l'avais pas prévenue... enfin, pas dans mon souvenir. Cette perte de mémoire m'énervait incroyablement, je profitai donc de cet instant de solitude pour ressasser les derniers événements qui m'échappaient encore.

Je ressortis de la douche pourtant déçu et frustré. J'attrapai mon essuie et me séchai rapidement. Kyo m'avait apporté entre temps des vêtements propres et j'attrapai la chemise noire qu'il me prêtait. Je repassai devant le miroir sans faire plus attention à mon reflet nu... m'arrêtai. Mon coeur s'accéléra. Je fis quelques pas en arrière. Avais-je mal vu ? J'essuyai d'une main la buée qui embrumait la glace et contemplai une nouvelle fois mon reflet dans le miroir. Mes yeux s'arrêtèrent sur ma nuque, à l'endroit même où, à mon réveil, mes doigts avaient ressenti un léger gonflement.

Nanahara-sensei, Rei, l'entrepôt, la fouine, Keiko, le fauteuil usé, la pluie... Ma journée me revenait à l'esprit comme des flashs aveuglants qui me faisaient l'effet de coups de poignard dans le coeur. Je me souvenais de tout, des mains avides et des langues humides et râpeuses qui m'avaient parcouru le corps... et de Keiko dans les bras de Rei.

Je m'écroulai à terre.

 
 
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