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au 31 Mai 21 :
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Pain melon
Par Ein
Originales  -  Romance  -  fr
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    Chapitre 5     Les chapitres     9 Reviews    
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Bouleversements

Lucas



Un silence de plomb s'était subitement installé dans la pièce. Je m'étais très tôt étonné que Nanahara sensei eut un bureau personnel alors qu'il existait une salle des professeurs commune divisée pour les autres enseignants. J'appris par la suite – à ma grande surprise – que mon titulaire était en réalité le fils du directeur. J'imaginais très mal le lien de parenté entre le petit homme potelé et jovial et cet exigeant professeur principal... visiblement je n'étais pas le seul : beaucoup de commérages circulaient à ce sujet.

Un bureaux, deux chaises et un fauteuil plus confortable, quelques étagères... La pièce était relativement sobre... si l'on oubliait les animaux empaillés affichés au mur ou posés çà et là. Inutile de dire que j'étais très mal à l'aise. Mon professeur me tournait le dos, observant la pluie tombante derrière la fenêtre, silencieux. Je posai les yeux sur une fouine rousse qui trônait fièrement sur le bureau du professeur, gueule ouverte montrant ses dents. Elle me rendit un regard mort avec des yeux globuleux. Je déglutis péniblement en priant pour que cet entretien ne dure pas trop longtemps.

Le silence s'alourdit, brisé seulement par le bruit des gouttes de pluie tambourinant sur la vitre. Mon professeur n'avait visiblement pas l'intention de prendre la parole de sitôt... moi par contre, je voulais sortir d'ici au plus vite. Je me décidai donc à parler même si cela pouvait paraître impoli. En évitant soigneusement le regard vitreux de la fouine, je répétai ma dernière parole :

- Vous aviez demandé à me voir…

La pluie s'accentua dehors. Nanahara sensei ne répondit pas. J'attendis en me forçant au calme, il valait mieux éviter une crise de nerf. Soudain, mon professeur se retourna et vrilla sur moi ses yeux bridés derrière ses lunettes ovales. Il m'observa pendant plusieurs minutes qui me parurent interminables. Je n'osai pas le regarder en face, mais ne voulait pas non plus poser mon mes yeux sur ces animaux glauques qui parsemaient la pièce. Mon malaise s'accrut.

- Vous aimez vous faire remarquer, n'est-ce pas, Monsieur Chevalier ?

Sa question me désarçonna. Je ne comprenais pas à quoi il voulait en venir. Avais-je fait une bêtise ? Je me triturai les méninges sans succès. Nanahara poursuivit après quelques minutes, ses yeux perçants toujours posés sur moi.

- Et bien vous avez de la chance, vous avez atteint votre but...

J'étais totalement perdu. Que voulait-il dire par là ? Qu'est-ce que j'avais fait ? Qu'est-ce que je lui avais fait ???

Mon professeur s'avança de quelques pas. Mon coeur s'accéléra sans que je ne sus pourquoi. J'étais de plus en plus mal à l'aise et ne demandait qu'une chose : partir d'ici.

- En effet, je vous ai remarqué.

Les lèvres de l'homme s'étirèrent soudain, je ne pus m'empêcher de frissonner devant cet air carnassier et cruel qui m'était affreusement familier depuis mon arrivée au Japon et qui ne promettait rien de bon. L'adulte s'avança encore. Il fallait que je sorte d'ici, tout de suite.

- Euh... si vous n'avez rien à me dire je crois que je vais m'en aller...

Je repris mon sac et me levai ou tentai du moins. Une main s'abattit sur mon épaule, me forçant à me rasseoir.

- Vous croyez ? Tssss ne soyez pas si pressé voyons...

Un filet de sueur descendit le long de ma colonne vertébrale. La pression de sa main sur mon épaule se fit plus intense, m'empêchant tout mouvement. Je n'osais pas tourner la tête, regarder cet homme en face et lui dire d'aller se faire voir... bien que l'envie ne manquait pas.

L'homme se pencha vers moi, je sentis son souffle sur mon oreille et frissonnai davantage. Il me confia d'une voix suave:

- Nous avons tout notre temps...



Rei - Keiko


- Alors, de quoi voulais-tu me parler ?

Cela faisait presque dix minutes que les deux jeunes Nippons marchaient côte à côte sans qu'aucune parole n'ait été prononcée. Keiko s'était impatientée. Rei quant à lui, n'était pas pressé de parler.

- De choses et d'autres...

La demoiselle s'énerva.

- C'est-à-dire ?

Rei soupira. Décidément, il avait horreur des filles. Comment Lucas arrivait-il à la supporter ?

- Je t'invite chez moi, on en parlera au chaud, ok ?

- Chez toi ??

Visiblement sa proposition avait éveillé la curiosité de la jeune fille.

- Ça te dérange ?

- Pas du tout ! Depuis que je sors avec Lucas, il ne m'a jamais invité chez vous. C'est fort tout de même !

Rei sourit. Le jeune français n'amenait jamais personne à la maison... Il avait sans doute compris le danger auquel ces nouvelles victimes auraient été exposées.

- Je te montrerai sa chambre...


Ils arrivèrent quelques minutes plus tard devant la grande bâtisse. Rei ouvrit la porte et laissa galamment passer Keiko avant lui. Shizuka les accueillit le sourire aux lèvres.

- Okaerinasai (bon retour à la maison, sorte de « home sweet home » japonais) Rei, c'est ta petite amie ?

Rei éclata de rire. Et puis quoi encore ? Plutôt se pendre que sortir avec une pouffe pareille.

- Celle de Lucas. Il avait un rendez-vous avec un professeur donc n'a pas pu la ramener chez elle... et comme il pleuvait et qu'elle n'avait pas de parapluie, je me suis proposé comme escorte. On monte, précisa-t-il sans prendre la peine de présenter Keiko.

Cette dernière s'inclina, s'apprêtait à se présenter elle-même quand Rei la prit soudain par le bras et l'entraîna à l'étage.

- Je vous apporte du thé, dit Shizuka qui suivait la coutume nippone.

- Inutile ! Lui répondit Rei déjà en haut de l'escalier.


Le jeune homme ouvrit une porte et pénétra dans la pièce, attirant Keiko à sa suite. Il la relâcha ensuite et se posa sur le lit.

- La chambre de Lucas, précisa-t-il.


Keiko resta quelques minutes à observer la pièce. Déçue ? Sans doute. Elle n'avait rien d'extraordinaire... Rien d'étonnant en somme vu que le propriétaire n'était déjà pas exceptionnel. Seul sa chevelure blonde et ses yeux bleus avaient attiré Keiko et lorsqu'elle apprit le lien qu'il avait avec Rei, elle avait sauté sur l'occasion.

- Alors, de quoi parle-t-on ? Demanda-t-elle pour la troisième fois.

Rei se passa une main dans les cheveux puis se décida enfin à parler, tissant ainsi la toile qui piégerait sa proie.

- Je tenais à m'excuser...

- Pardon ?!?

Keiko n'en revenait pas. Où était donc le délinquant qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs depuis deux semaines ? Qu'était devenu le leader sans coeur et égoïste qui ne se préoccupait que de sa petite personne ?

- Je te demande pardon, répéta Rei, pour tout ce que je t'ai fait subir depuis quelques jours...

- Quelques semaines, tu veux dire.

Rei acquiesça.

- Pourquoi ce revirement de situation soudainement ?

- Je me suis rendu compte que tout ce que j'ai fait n'a pas eu le résultat attendu...

- En effet, je suis du genre tenace, plastronna Keiko.

Rei secoua la tête.

- Ce n'est pas ce que je voulais dire...

Il hésita deux secondes puis poursuit.

- Je voulais casser votre couple, et je le veux encore mais... ce n'est pas à toi que j'aurais dû m'en prendre...

- Ouais l'intimidation aurait peut-être mieux fonctionné avec Lucas, mais tu ne voulais sans doute pas lui faire de mal... tu l'aimes non ?

Rei se retint de sourire. Tout allait se jouer maintenant. Si elle mordait à l'hameçon, le tour était joué.

- Non.

- Quoi ?

- Ce n'est pas lui que j'aime...

Le coeur de Keiko s'accéléra. Elle se força à rester calme

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Demanda-t-elle d'une voix plus aiguë que d'ordinaire.

Rei continua sa comédie.

- Ce n'est pas lui que j'aime, je l'ai compris trop tard...

Les yeux presque larmoyants, il leva la tête vers la jeune fille. Toujours assis sur le lit, il attrapa d'une main la veste de la jeune fille debout devant lui et l'attira à lui, puis posa sa tête contre le ventre de celle-ci, lui cachant ainsi son visage.

- Je t'aime Keiko...

Mais quelle théâtralité ! On applaudit s'il vous plait ! Rei aurait du faire acteur, il aurait eu des milliers de fans sans aucun doute. Tandis que Rei jubilait devant sa prestation, sa pauvre victime était littéralement aux anges. Rei, le grand, le puissant Rei l'aimait ??? Tous les efforts qu'elle avait fournis jusqu'alors en se rapprochant de Lucas pour mieux atteindre Rei portaient enfin ses fruits !!! Évidemment qu'elle n'avait jamais aimé cette lavette à la tête blonde. Keiko aimait les hommes forts et sûrs d'eux, Rei était son modèle par excellence, son fantasme. Ses deux semaines à s'ennuyer à mourir avec le Français se révélaient enfin fructueuses...

C'était trop beau pour être vrai.

Keiko s'écarta de Rei et recula de trois pas.

- Dis pas de conneries, je sais très bien que tu me détestes.

Rei se leva. Pas crédule la fille, il fallait donc qu'il se montre un peu plus convaincant...

- Merde, je m'en doutais. Tu m'en veux encore pour ce que je t'ai fait subir...

- Un peu oui ! Et je suis pas conne au point de te croire ! Qu'est-ce que tu prépares ? À quoi tu joues ?

Rei parcourut en une enjambé les quelques mètres qui le séparaient de Keiko et prit la jeune fille aux épaules.

- Je ne joue pas, je t'aime, Keiko !

Il la serra dans ses bras, lui embrassa le cou, y fit glisser sa langue puis encadra son visage de ses deux mains et, sans laisser le temps à la jeune fille de dire quoique ce soit, s'empara de ses lèvres.

Si Keiko n'était pas dupe, si elle savait que Rei mijotait quelque chose, au moment même où les lèvres du jeune homme se posèrent sur les siennes, elle oublia ses réticences. L'occasion était trop belle pour qu'elle n'en profite pas. Rei ne l'aimait pas, elle en était consciente. Mais ce jour-là, elle avait une chance qui ne se renouvellerait sans doute jamais, l'unique chance pour que Rei devienne sien, l'espace d'un court instant.

Tant pis pour sa coiffure.

Elle se jeta dans ses bras.



Lucas


« Nous avons tout notre temps... » Les paroles de mon professeur déclenchèrent en moi un violent frisson de dégoût mêlé à une peur panique face à ce qui m'attendait. Je me farcissais déjà un cinglé à la maison, voilà qu'un deuxième se pointait au Lycée ! Je me demandai quel Dieu pouvait me faire subir cette torture. Il devait bien rire de moi là-haut, cet enfoiré, me dis-je... Puis je me rappelai que je ne croyais pas en Dieu et maudit alors le hasard qui s'acharnait sur moi d'une façon assez exceptionnelle. Qu'avais-je fait dans ma vie pour mériter pareille injustice ? Je ne demandais que de vivre ma petite vie tranquille et me retrouvai avec deux pervers aux trousses qui avaient visiblement des vues malsaines sur mon derrière...

Mes pensées stériles et stupides sur ma pauvre condition d'être humain voué à l'impuissance s'éteignirent soudain lorsque je sentis une pression sur mon entre-jambe. Nanahara-sensei y avait posé sa main et serrait sa poigne tandis qu'une langue humide et sinueuse se baladait sur mon cou. Je tentai de le repousser.

- Sensei ! Criai-je en espérant ainsi lui rappeler sa position et notre relation purement scolaire.

Visiblement, nous n'avions pas le même point de vue...

- Oh oui, c'est ça... J'aime quand tu m'appelles comme ça... « Sensei »... Laisse-moi t'enseigner une matière bien plus passionnante que les mathématiques : l'anatomie, me souffla-t-il avec un brin d'excitation perverse dans sa voix.

Sa main se pressa davantage sur mon sexe, je retins un cri de douleur en me mordant la lèvre inférieure jusqu'au sang. Je ne lui donnerais pas ce plaisir. Nanahara-sensei jouait bien son jeu : professeur exigeant et intransigeant pendant ses cours, qui aurait cru que derrière ce personnage austère se cachait un dégénéré sexuel, sadique et pervers ?

De mes deux mains, j'agrippai celle de mon professeur qui m'enserrait l'entre-jambe et le fit relâcher sa pression.

- Laissez-moi tranquille ou je crie, le menaçai-je en essayant d'être le plus convaincant possible.

Il éclata de rire et je frissonnai davantage. J'avais toujours traité Rei de fou furieux, Nanahara-sensei, lui, était totalement dément. Dans son rire, je perçus nettement ses penchants sado-masochistes et son besoin irrépressible d'assouvir ses désirs les plus abjects, ses pulsions les plus primitives. Il m'agrippa les cheveux au niveau de la nuque et tira ma tête vers l'arrière d'un cou sec qui me fit grincer les dents.

- Mais vais-y, je t'en prie, me dit-il d'une voix suave et écoeurante.

Je m'exécutai aussitôt :

- AU SEC...

Mon cri s'étouffa entre les lèvres de l'homme. C'était trop beau qu'il me laisse faire, un rêve qui, à peine ébauché, s'était rapidement envolé en fumée, emportant avec lui tout espoir de fuite. J'attrapai son visage de mes deux mains et essayai de briser ce baiser. Sa main libre, mon professeur en profita pour presser une nouvelle fois mon sexe et mes yeux n'embuèrent de larmes de douleur. Je ne savais plus où donner de la tête... ou des mains, ici, en l'occurrence. Je voulais stopper ce baiser, ce viol buccal, mais aussi desserrer l'étau qui me broyait l'entre-jambe.

La langue de l'adulte me parut froide, râpeuse et tranchante comme de l'acier et je ne pus m'empêcher de la comparer à celle de Rei, chaude, humide, mais bien plus douce comparée à celle-ci. L'homme était avide, empressé et ne s'occupait que de son propre plaisir. Je n'étais plus qu'un objet sexuel bon pour assouvir ses moindres désirs pervers. Sa langue poursuivit l'exploration de ma bouche, ses dents mordaient ma chair et sa salive se mélangeait à la mienne. J'avais envie de vomir, j'aurais tellement voulu, d'ailleurs, rien que pour voir la tête de cet homme recouverte de liquide grumeleux, jaunâtre et pestilentiel. Ma vengeance rien qu'à moi ! Encore une illusion perdue...

Je ne sus combien de temps nos lèvres restèrent en contact. Un goût de fer et de sang avait envahi ma bouche et des larmes de détresse et d'impuissance inondaient mes joues. Mes dizaines de tentatives de fuites avaient échouées, ce n'était pas faute d'avoir essayé, et j'avais désormais abandonné toute résistance en espérant que mon professeur finirait par se lasser. Mes mains pendaient inertes le long de mon corps, mon regard s'était fait vague, mon esprit vide... J'étais comme mort, pareil à ces dizaines d'animaux empaillés qui m'observaient de leur regard vitreux, témoins et victimes, tout comme moi, de la cruauté de cet homme abject. J'eus soudain un élan de sympathie profonde pour la fouine qui m'avait dégouté en arrivant. Elle et moi avions plus de point commun que je n'aurais pu l'imaginer.

Mon inactivité soudaine parut fonctionner. L'homme cessa son baiser et s'écarta quelque peu de moi, une expression perplexe sur le visage.

- Eh bien que t'arrive-t-il ?

D'un geste de la main, il écarta une mèche blonde de mes yeux puis lécha les larmes de mes joues. J'aurais pu le repousser, crier une nouvelle fois, lui donner des coups pour qu'il arrête, mais un mort ne bouge pas, pas plus qu'un simple objet... Les fines lèvres de l'adulte s'étirèrent en un sourire sadique et malsain.

- Je vois, tu t'es résigné. J'en suis ravi, ça me facilitera la tâche...

La pression sur mon entre-jambe se relâcha. Mon professeur s'installa sur mes genoux et passa une main dans mes cheveux tout en m'observant avec une attention perverse.

- J'aime la texture de tes cheveux, ils sont très fins, rien à voir avec l'épaisseur classique d'une chevelure japonaise. Et tes yeux ! Ils ont une couleur incroyable...

Son regard inquisiteur me transperça encore quelques minutes puis l'homme sourit d'un air satisfait. Il murmura comme pour lui-même :

- Une perle rare à ajouter à ma collection...

Ses mains parcoururent mon torse, sous la chemise de l'uniforme scolaire. Leur froideur me donna quelques frissons, mais je ne l'empêchai pas, je ne l'empêchai plus. À quoi bon résister ? Je n'en avais pas la force et toute envie m'avait abandonné. Sa langue rugueuse me lécha le cou, ses dents y laissèrent leur empreinte à plusieurs reprises... Aucun son ne franchit mes lèvres.

Sa main perverse et baladeuse s'insinua ensuite sous ma ceinture à l'intérieur mon pantalon, franchissant l'élastique de mon boxer...


Mon esprit se remit en route.


Je repoussai violemment l'homme qui, surpris, tomba à la renverse par terre. Sans hésiter, je me ruai vers la porte de sortie en criant au secours de toutes mes forces. Y avait-il encore quelqu'un dans le lycée à cette heure-ci ? Je continuai à courir. Derrière moi, j'entendis les jurons et les cris de mon professeur de mathématiques. Je jetai un oeil derrière moi et le vis sortir précipitamment de son bureau pour se mettre à ma poursuite. J'accélérai le rythme, tournai à un carrefour, empruntai l'escalier... Les pas de Nanahara-sensei résonnaient dans le bâtiment vide, faisant écho aux miens. Hors d'haleine, je criai encore une fois, en vain. J'en vins à maudire ces fonctionnaires qui partaient une fois leurs heures de travail terminées. Personne n'était là pour m'aider... et ce dément était toujours à mes trousses.

Quelques minutes plus tard, j'arrivai enfin à la sortie du Lycée, je franchis les grilles sans me retourner. Dans la rue, j'aperçus avec soulagement quelques passants. Mon professeur ne se permettrait jamais de me poursuivre devant des témoins. J'étais sauvé, pour le moment.

Je ralentis l'allure seulement deux rues plus loin, complètement hors d'haleine et me laissai choir contre le mur d'enceinte d'une maison. Je n'empêchai pas mes larmes de couler, mon coeur battait la chamade et mes poumons en manque d'air me brûlaient, quelques piétons me regardaient d'un air intrigué... mais tout ceci n'avait pas d'importance. J'avais réussi à m'enfuir.

Une dizaine de minutes plus tard, après avoir plus ou moins retrouvé mon souffle, je me remis en route. Il s'était remis à pleuvoir, les gouttes de pluie se mêlèrent à mes larmes. Je me rendis soudain compte que j'avais oublié mes affaires dans le bureau de ce sadique pervers, mais je n'étais pas fou au point de vouloir faire demi-tour pour le récupérer. Je laissai donc la pluie me mouiller le visage déjà trempé de larmes et rentrai chez moi.




oOo



Le trajet me parut interminable. Mes membres me semblaient lourds, j'étais transi de froid et le vent glacial en cette fin de journée n'arrangeait rien. J'étais trempé jusqu'aux os, la pluie avait lavé mes larmes et bien habile serait celui qui devinerait que j'avais pleuré quelques minutes auparavant. J'en étais soulagé, au moins Shizuka se méprendrait sur mon aspect et elle ne s'inquiéterait pas davantage. J'avais déjà décidé de sécher les cours du lendemain, d'autant plus que je commençais d'emblée par deux heures de mathématiques. Je n'aurais aucun mal à simuler un accès de fièvre, surtout après la douche que je me prenais en ce moment... mais ce sursit ne durerait pas éternellement. Même si je n'avais aucune envie de remettre les pieds dans cet établissement, je ne pouvais pas prétendre être malade indéfiniment...

Perdu dans mes pensées, je me rendis compte soudain que j'étais arrivé chez moi. Je cherchai mon sac où se trouvaient mes clés puis me rappelai que je l'avais oublié là-bas. Je soupirai sans pouvoir réprimer un frisson à ce sombre souvenir. Pourvu que la porte d'entrée ne soit pas fermée à clé.

Je m'arrêtai sur le perron, posai une main sur la porte et respirai profondément. Il fallait que je joue le jeu à la perfection. Personne ne devrait ce douter de quoique ce soit. Inutile de les inquiéter pour une broutille, même si j'en ferais des cauchemars durant les prochaines nuits. Je pris une dernière profonde respiration, puis j'ouvris la porte. Le hall d'entrée était désert et étrangement calme. Parfait, il suffisait juste que je monte dans ma chambre et que j'y reste pour la fin de l'après-midi. Ce n'était pas insurmontable.

- Tadaima ! (je suis rentré), criai-je d'une voix relativement assurée.

- Okaeri Lucas ! Me répondit Shizuka depuis la cuisine.

Je décidai de couper court la conversation, évitant ainsi l'habituel « comment s'est passé ta journée ? » qui s'en suivait.

- Je monte dans ma chambre, j'ai des devoirs à faire...

Sans attendre, je montai les escaliers quatre à quatre.

- Ah, Lucas, ton amie est...


Je n'entendis pas la suite.

J'ouvris la porte.


Je m'arrêtai net, la main toujours sur la poignée de la porte de ma chambre, faisant face aux deux intrus qui n'avaient pas leur place dans cet endroit. Mon esprit était une nouvelle fois devenu blanc. Ma bouche entrouverte ne prononça aucun son. Qu'aurais-je bien pu dire devant pareil spectacle ? Rei, nu comme un ver, se tenait au-dessus de Keiko, tout aussi dénudée. Tous deux se trouvaient sur mon lit et prenait visiblement pas mal de plaisir en mon absence. Ma petite amie ne fit même pas attention à moi, elle fixait son partenaire d'un oeil gourmand et empressé. Rei, par contre, daigna à m'adresser un regard empli d'ironie perverse et de victoire sadique. Un sourire s'étira sur ses lèvres.

- Okaeri Lulu.

Je ne bougeai pas, tétanisé par la scène et par l'attitude des deux personnages devant mes yeux. Je ne savais pas si j'avais envie de pleurer ou de hurler. Les deux sans doute. Pourtant je ne fis ni l'un, ni l'autre.

- Rei, entendis-je Keiko gémir d'une voix plaintive et enjôleuse.

Les bras de la jeune fille s'enroulèrent autour du cou de son amant, sa langue chatouilla le menton du jeune homme qui ne lui prêta aucune attention, les yeux toujours rivés vers moi avec cet éternel sourire cruel et pervers.


Je refermai la porte et m'enfuis de cette maison.


Je dévalai l'escalier quatre à quatre en sens inverse et passai en courant devant Shizuka qui me cria quelque chose que je ne compris pas. Je me ruai dehors pour la seconde fois de la journée. Le lycée était devenu du jour au lendemain invivable, ma propre maison me répugnait... je n'avais nulle part où aller, nulle part où me réfugier. J'étais seul dans un pays hostile que je connaissais à peine.

Mes pensées tourbillonnaient dans mon cerveau. Je traitai Rei, Keiko et mon professeur de math de tous les noms possibles et imaginables autant en français qu'en japonais, j'avais envie de crier cette injustice, de gueuler, de crever. Je maudis cette vie pourrie qu'était devenue la mienne dès mon arrivée ici. Non, même avant, elle était déjà pourrie, rectifiai-je en moi-même. Je ne m'en suis aperçu que maintenant. Quelle révélation ! donnez-moi une corde, que j'aille me pendre. Je n'en avais même plus la force. Ma vie au Lycée était foutue, ma vie familiale tout autant... Devais-je rentrer en France ? Cette perspective ne me plaisait pas, j'avais quitté ce pays, fuyant de mauvais souvenirs en me jurant de ne jamais y remettre les pieds... Où que j'aille, ma vie semblait visiblement reprendre le même schéma : une fuite éternelle.

La pluie doubla d'intensité. Je ne sentais même plus le froid, mon cerveau était vide et refusait obstinément de rejoindre la réalité. Si ça continuait, j'allais attraper la crève pour de bon, peut-être que j'en crèverais même, ce serait pas plus mal. Au moins tous mes problèmes seraient réglés définitivement... Je n'aurais plus à souffrir, plus à vivre... Ce devait être reposant.


Je ne sus combien de temps je marchai ainsi à l'aveuglette sous cette pluie battante sans avoir nulle part où aller, du moins c'est ce que je pensais. Mes pieds s'arrêtèrent soudain devant un vieil entrepôt abandonné, à proximité du port.

« Si tu as un problème n'hésite pas à venir ici, je suis là souvent, en général. »

Les paroles de Kyo émergèrent comme une bulle de champagne à la surface.


Sans attendre, je poussai la lourde porte de fer.



Rei


« Je t'aime, Keiko ! » Rei cacha son visage dans le cou de la jeune fille pour éviter qu'elle ne remarque son sourire ironique. Elle était vraiment trop conne pour croire à ce mensonge, mais il n'allait pas s'en plaindre, au contraire. Tout se passait selon son plan, il ne restait plus qu'un élément pour que la scène soit parfaite... et il se faisait attendre.

Keiko se fit de plus en plus entreprenante. Ses lèvres cherchèrent la moindre parcelle du corps de Rei, ses mains virevoltaient sous la chemise d'uniforme du jeune homme à la recherche d'un contact charnel. Elle avait faim, faim de ce corps qui s'offrait à elle comme par miracle, faim de ce rêve insensé et inespéré... Rei sentait la langue de la jeune fille sur sa mâchoire, sur son cou, dans sa nuque, il sentait ses mains griffues arpenter ses abdominaux, ses pectoraux avec avidité... En d'autres circonstances, Keiko baignerait déjà dans son sang... Mais il ne fallait surtout pas précipiter les choses au risque de tout faire foirer. Il ne restait plus qu'à attendre, attendre et jouer le jeu.

Keiko lui mordit soudain l'oreille et lui griffa le torse. Rei émit un sifflement mécontent entre ses dents, attrapa les bras de la jeune fille et l'obligea à reculer.

- Du calme, j'ai pas envie que tu me laisses de marques, Keiko. On va faire ça en douceur, ok ?

La jeune fille cessa tout mouvement et observa Rei dans les yeux avec un air incrédule :

- En douceur ? Depuis quand tu fais dans la douceur, toi ? Me fais pas chier !


Une des jambes de la jeune fille s'enroula autour de celles de Rei pour attirer le Nippon à elle, puis lui donna un cou de reins afin d'éveiller la sensualité et la bestialité sexuelle de son partenaire. D'un geste, Keiko arracha la chemise du jeune homme et lécha le torse qui lui était soudain offert. Rei se laissa faire. Un sourire malsain se dessina sur ses lèvres.

Soit, si elle le voulait comme ça... tant pis pour elle.

Ça promettait d'être violent...

Et Rei n'allait pas se retenir.


Le Japonais attrapa violemment Keiko par les épaules et la plaqua contre le lit. Serrant sa prise afin de lui laisser quelques marques bleuâtres en guise de souvenirs, il plongea son visage dans le cou de la jeune fille, léchas la carotide et mordit à pleines dents la chair tendre de la demoiselle. Celle-ci laissa échapper un râle de plaisir et enlaça le torse de son bourreau pour l'inciter à poursuivre. Il ne se fit pas prier. À son tour, il enleva la chemise de sa victime sans prendre la peine de s'embarrasser des boutons et dégrafa le soutien-gorge de la demoiselle. Il prit ensuite ses seins entre ses mains et les malaxa fortement pour faire crier sa partenaire à la fois de plaisir et de douleur tandis que les dents du jeune homme continuaient leur repas en se rassasiant des moindres recoins du corps de Keiko. Rei remonta ensuite son visage vers l'oreille de la demoiselle et prononça d'une voix sadique :

- Ça te plaît quand c'est violent, pas vrai ?

- Ouii ! Répondit-elle en criant d'extase.

Le sourire de Rei s'élargit.

- Et bien tu ne vas pas être déçue...

Le poing du jeune homme s'abattit sur la pommette droite de Keiko qui cria de douleur. Il se baissa ensuite pour lui lécher la joue. Souffrance et plaisir, un joyeux mélange...

- Tu aimes ? Chuchota le jeune homme au creux de l'oreille de sa victime.

Sans doute encore un peu sous le choc, Keiko ne répondit pas tout de suite. Rei la gifla violemment puis s'abaissa une nouvelle fois pour embrasser le visage meurtri de la demoiselle. Il répéta :

- Tu aimes ? ... ou voudrais-tu que j'arrête ?

Les yeux de la jeune fille s'élargirent.

- Non ! Souffla-t-elle. N'arrête pas ! J'aime ça, je t'aime !

Rei se pencha près d'elle et posa ses mains sur les seins de Keiko, les caressa avant de remonter ses doigts vers la gorge de la demoiselle.

- Qu'est-ce que t'as dit ? J'ai rien entendu... Parle plus fort, murmura-t-il perversement.

- Je t'aime... répéta-t-elle un peu plus fort. JE T'AIME !

Il serra sa prise autour du cou de la jeune fille pour l'empêcher de dire un mot de plus. Il serra encore, encore, encore... Puis relâcha la pression. L'air s'engouffra de nouveau dans les poumons de Keiko qui suffoqua, cracha, aspira goulument cette vie qui avait failli s'échapper pour de bon. Une fois qu'elle eut retrouvé son souffle, la demoiselle frappa Rei au visage et cria :

- T'es malade !

Les lèvres de son compagnon s'étirèrent tandis qu'il se frottait la mâchoire.

- Je t'aime.

Keiko l'observa quelques secondes puis sourit.

- Moi aussi. On reprend ?

Le sourire de Rei s'élargit.

- Deuxième round.

Rei se pencha vers Keiko et l'embrassa sauvagement...


La porte de la chambre s'ouvrit.


Le pouls de Rei s'accéléra. Pas trop tôt ! Encore un peu il aurait fallu qu'il la baise pour de vrai, cette salope ! Lucas était arrivé juste à temps, au bon moment. Keiko était on ne peu plus chaude, elle en demandait, ça se voyait dans son regard fiévreux, dans ses yeux brûlant et sur ses joues rosies par l'excitation... ou les coups qu'elle avait reçus, ça restait à voir...

Fallait pas qu'elle rêve, la belle... ou la moche plutôt. Non mais qu'est-ce qu'il lui trouvait Lucas, une pute pareille on en trouvait à tous les coins de rue. Une chienne en chaleur qui ne demandait qu'à ce qu'on la baise. Écoeurant.

Mais le personnage principal faisait enfin son entrée, la pièce n'était pas encore finie, il fallait qu'il joue jusqu'au bout. Rei tourna la tête vers la porte, un sourire aux lèvres.

- Okaeri Lulu.

Les yeux du Nippons dévorèrent le jeune Français du regard. Ce dernier avait l'air choqué et... trempé. Soit, ce n'était qu'un détail. Le principal restait que la surprise avait l'air de fonctionner à merveille. Le blondinet resta quelques secondes bouche bée devant le spectacle qui lui était offert. Ce devait-être beau à voir, Rei n'en doutait pas un seul instant. Le Nippon entendit Keiko gémir et prononcer son nom. Il n'y prêta aucune attention, les yeux toujours rivés sur Lucas en attendant sa réaction.



Le Français referma la porte et s'enfuit.


Rei jura. Merde. Ça n'aurait pas dû se passer comme ça. Pourquoi fallait-il toujours que Lucas gâche tous ses plans. C'était la deuxième fois maintenant. La première dans le parc, le premier jour de son arrivée où le jeune blond aux yeux bleus aurait dû se confondre en remerciements devant Rei pour l'avoir sorti de sa situation gênante, et puis maintenant... Dans le plan initial, Lucas aurait dû se jeter sur Keiko, la tabasser, la frapper à mort, lui cracher à la figure toutes les insultes qu'il connaissait... mais le choc de cette scène avait sans doute été trop dur pour lui. Lucas était plus fragile que Rei ne le pensait. Dommage, le Nippon venait de rater un joli spectacle, mais au moins, son but était atteint.


Rei s'écarta de Keiko et se redressa. Il chercha des yeux sa chemise et soupira en la voyant en lambeaux. Bonne à jeter. Le Japonnais se leva, ou du moins tenta de se lever : une main s'agrippa à sa jambe.

- Où tu vas ?

Tiens, il l'avait presque oubliée, celle-là.

- Lâche-moi, déclara-t-il froidement.

La jeune fille resserra sa prise.

- On n'a pas fini !

Rei la regarda et lui offrit un sourire plein d'ironie.

- Oh si on a fini, maintenant dégage.

- Pardon ?! S'exclama-t-elle avec des yeux ronds comme deux soucoupes.

Rei commença à s'énerver. Putain de pot-de-colle !

- T'es bouchée ou t'es conne ?? Les deux sans doute. Je te le répète une dernière fois : D-É-G-A-G-E ! Je veux plus te voir ici !

- Attends ! C'est quoi ce délire ? On venait à peine de commencer !

- Commencer ??? On n'a rien commencé du tout, c'est terminé et maintenant tu SORS DU LIT DE LUCAS OU JE TE DEMONTE LA GUEULE !

Il avait crié. Voir cette pute dans le lit de son jouet préféré le mettait en rogne. La jeune fille comprit immédiatement. Ce rêve était décidément trop beau, inaccessible, impossible... Elle sortit du lit, repris ses affaires et se rhabilla. Avant de quitter la pièce, elle jeta un dernier coup d'oeil à Rei.

- Connard.

- Casse-toi, salope.


Elle disparut.


Rei se rassit sur le lit et soupira. Il avait réussi, Keiko et Lucas, c'était définitivement fini...

Il chercha son téléphone dans la poche de son pantalon, composa un numéro. Au bout de quelques sonneries, on décrocha.

- Mochi mochi ?

- Hiroki ?

Il avait besoin de se changer les idées...

 
 
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