Un deuxième chapitre à la faveur de mon inspiration ;D
J'espère que vous apprécierez, pour ma part j'ai de bonnes pistes en ce qui concerne la suite.
Bonne lecture !
Nat'
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A peine un quart d’heure s’était écoulé depuis l’arrivée d’Angélique de Bretagne dans notre modeste couvent de Deoghar. Elle n’avait pas répondu à la tirade de la mère supérieure, si ce n’était par ce sourire inhumain. Les deux sœurs qui l’avaient guidée depuis l’entrée l’avait agrippée par un bras comme on saisit une poupée de chiffon et l’avait fait disparaître dans l’entrelacs de couloirs. Je ne l’avais plus revue depuis.
Avant de nous disperser, la mère supérieure avait tenu elle-même à nous mettre en garde. Et je ne sais pourquoi, cette précaution m’avait glacé le sang.
- Ecoutez-moi bien, toutes. Angélique de Bretagne est une âme perdue et tourmentée, à nous de la guider sur le chemin de notre Seigneur. Mais n’oubliez pas qu’elle est avant tout dangereuse, elle n’a aucune envie d’être ici et tentera probablement tout pour s’échapper. C’est pourquoi je compte sur vous pour exercer une surveillance constante à son égard.
Sœur Constance, qui m’avait éclairée sur le statut de notre mystérieuse pensionnaire, leva la main pour prendre la parole.
- Est-il vrai qu’elle est possédée ?
Des murmures parcoururent l’assistance, en dépit de l’interdiction formelle qui nous ordonnait à toutes, nous les sœurs, le silence le plus absolu.
Je vis la mère supérieure se crisper à cette question, mais elle y répondit avec son flegme habituel :
- Vous savez bien que les possessions sont l’affaire du père Maximilien, mon enfant.
Je sus en observant le rang autour de moi que sa réponse ne convainquait personne. La réputation d’Angélique de Bretagne l’avait précédée. Dans les yeux de la mère supérieure, je vis passer un éclat étrange et inconnu, que je n’osai pas identifier comme de la peur.
- Néanmoins, sœur Constance… Ne lui tournez jamais le dos. Elle vous fera du mal si elle en a l’occasion.
Des frissons s’élevèrent à la base de ma nuque, coururent le long de mes bras. Je revoyais cette femme, ses yeux de reptile et son sourire de félin, telle la face monstrueuse d’une divinité chtonienne prête à nous saisir toutes pour nous condamner aux Enfers.
Dans la cour, les cloches sonnèrent les vêpres, me rappelant soudain à la réalité. C’était comme si le temps s’était remis à couler. Je sentais à nouveau l’air circuler dans mes poumons, le bruit du vent qui battait les murs au dehors. Mais la présence de cette créature sans nom sous le même toit que moi me rongeait comme un liquide froid s’insinuant sous ma peau. Une pensée terrible me vint à l’esprit : et si elle me contaminait ? Et si elle nous contaminait toutes ? Ne venions nous pas de faire pénétrer le loup dans la bergerie ?
Inconsciemment, je me signais, agrippant mon chapelet dans un geste de protection que je tenais de l’enfance.
- Sœur Théodora ?
Je m’aperçus que mes compagnes évacuaient la grande salle, et que la mère supérieure me fixait, comme on évalue une personne et la tâche que l’on souhaite lui confier. De nouveau, je sentais le serpent glacé de l’inquiétude enserrer mon cœur. Je baissais néanmoins humblement la tête :
- Oui, ma Mère.
- Je te dispense des vêpres, pour cette fois. J’ai fait conduire notre nouvelle invitée dans les dortoirs, je veux que tu l’y rejoignes et que tu l’aides à revêtir son nouvel habit.
Je pris une grande inspiration. L’heure était venue pour moi de croiser le regard de ma propre terreur.
- Oui, ma Mère.
- Bien. Vas-y.
Je me retirai sans relever les yeux, percevant les battements sourds de mon cœur contre ma jugulaire. Mes pas me guidaient vers les dortoirs sans que je ne m’en rende compte. En remontant le couloir, l’écho de mon propre souffle me donnait l’impression d’entendre la chose respirer de l’autre côté du mur. C’était un démon. Je le savais. Je l’avais vu dans ses yeux. Mais avais-je été la seule à le déceler ?
Je surpris ma main à ouvrir la porte, sans la moindre hésitation, sans même frapper pour la prévenir. La peur me déchirait la poitrine comme une énorme boule prête à exploser, mais mon corps ne m’obéissait plus. Elle m’avait ensorcelée ! Je distinguais sa silhouette dans l’encadrement de la fenêtre, me tournant le dos. Et je ne pouvais m’empêcher d’avancer.
Je ne m’arrêtai qu’à la lisière entre pénombre et ténèbres, la laissant seule dans la lumière de la Lune. Avait-elle seulement senti ma présence ? Quelque chose me disait que oui. A chaque instant, je m’attendais à voir un œil se dessiner à l’arrière de sa nuque. C’était stupide, mais les vieilles superstitions de mon village refaisaient surface dans mon esprit, les légendes païennes racontées au coin du feu, protégé par l’étreinte des bras maternels. Mais aujourd’hui j’étais seule, dans le giron glacé des pierres, et l’obscurité exerçait sur moi son pouvoir surnaturel.
Elle avait retiré sa large cape qui dissimulait totalement sa silhouette. Je distinguai ses longs cheveux roux, délicatement tressés, entremêlés de perles et de parures précieuses dont les noms mêmes m’échappaient. En-dessous, elle portait une épaisse robe de velours sombre, qui révélait sa taille fine et ses membres graciles. Plus grande que moi, plus chétive aussi. Elle ressemblait à une idole de verre que l’on aurait eu peur de briser. Son ombre projetait sur la paroi son port altier, souverain. Elle dégageait une aura indéfinissable. Hautaine, infiniment gracieuse, comme placée au-dessus du monde. Je n’avais jamais vu une telle confiance en soi.
Je me raclai la gorge pour signaler ma présence, elle ne se retourna pas. Elle semblait plongée dans la contemplation de la route en contrebas. Etait-ce la forêt qui attirait cette chose que j’avais vue en elle ?
Je cherchai un moyen de l’appeler, et ne sus comment m’y prendre. Je n’osais l’appeler Angélique, encore moins « ma sœur ». La vision qu’elle m’imposait me dicta ma conduite, et je me maudis pour cela :
- Dame Angélique ?
Encore une fois elle m’ignora, et je me repris :
-Angé…
- Que font ces hommes ?
Sa voix tranchante me surprit. Claire, impérieuse. Avalant ma salive, je me rapprochai de la fenêtre pour voir ce qu’elle observait avec autant d’attention. Je ne la quittai pas des yeux, les paroles de la mère supérieure tournoyant dans ma tête. « Elle vous fera du mal si elle en a l’occasion ».
- Ils attendent le pain de l’Eucharistie. Le père Maximilien donne toujours une messe pour les hommes du village lorsqu’ils viennent jusqu’ici.
Elle s’esclaffa, et encore une fois je me retins de réagir. Ma main s’était resserrée très fort sur le tissu de ma robe, et sur le chapelet qui y dormait. Elle se retourna enfin et me fit face, un petit sourire au coin des lèvres. Ses cheveux s’entrelaçaient en un fin liseré de part et d’autre de son visage. Elle avait des boucles d’oreille en or, plusieurs colliers, deux chevalières à chaque main. Je ne savais s’il s’agissait là de son trésor personnel ou d’une seule parure quotidienne. Ses yeux limpides m’hypnotisaient, ils fouillaient en moi et me jugeaient avec un amusement non dissimulé.
- Toi tu es Théodora, dit-elle sans se départir de son sourire.
- Sœur Théodora.
Elle leva un sourcil :
- Tu es toujours une novice.
Il n’y avait aucune chaleur dans ses traits. Instinctivement je sentis mon souffle se bloquer dans ma gorge. J’avais bien affaire à un démon. Elle connaissait mon nom, elle savait des choses que personne n’avait pu lui dire.
Comme si elle lisait dans mes pensées, elle me fit un clin d’œil :
- Je t’ai entendu discuter, pendant la « cérémonie ». Pas très catholique.
Je ne trouvai pas la force de répondre. Pourquoi la mère supérieure m’avait-elle envoyée moi ? Je me sentais si faible, à côté d’une telle force intérieure.
- Qu’est-ce que tu veux ?
Je reconnus le ton sans appel d’une personne habituée à donner des ordres toute sa vie.
- La mère supérieure veut que vous passiez votre nouvelle tenue.
Elle me regarda comme si je venais de dire quelque chose de particulièrement stupide. Et le pire, c’était que je me sentais stupide. Tentant de reprendre contenance, je désignai les perles dans ses cheveux :
- Il va falloir que vous enleviez vos parures.
Elle s’adossa au mur derrière elle, dans une attitude nonchalante qui me déstabilisa. Elle arborait de nouveau ce rictus malsain :
- Et bien vas-y, enlève-les.
La peur fit trembler mes doigts. Ils étaient moites, gelés au contact de l’air froid. J’avalai ma salive et m’avançai néanmoins vers elle, levant une main hésitante vers son visage. Elle se déroba au dernier instant, glissa le long de la paroi avec un rire éclatant, déplacé dans un monastère. Je soupirai mais tentai à nouveau de l’approcher, en vain. Elle riait à gorge déployée, sans retenue, son visage déformé par son sourire trop parfait.
Je serrai les poings, plus par crainte que par agacement. Je voulais être partout sauf à l’intérieur de cette chambre, avec cette folle qui se jouait de moi, comme le diable torture sa proie avant de l’engloutir.
J’avais toujours été une fille calme, pacifique. Mais la mère supérieure m’avait donné une mission, et il était hors de question que je renonce. Cette chose n'était pas là depuis plus d'une heure, si nous faiblissions maintenant, nous n’aurions jamais aucune emprise sur elle.
Aussi, agrippant mon chapelet dans une main, je me jetai sur elle et la plaquai contre le mur.
- Oh… Sœur Théodora s’énerve ?
J’étais sûre de lui avoir fait mal, et je m’en voulais de me laisser entraîner dans son jeu, mais elle ne montrait aucune douleur. Etait-ce par fierté ? Ou bien était-ce le démon qui se manifestait en elle ? Sans y réfléchir plus longuement, je portai tout mon poids sur elle pour la faire basculer sur le lit à côté de nous. J’avais l’impression d’avoir plongé tout droit en Enfer, d’être une sorte d’héroïne sainte combattant une quelconque créature des profondeurs. Elle se débattait, elle griffait, mordait, et elle ne cessait de rire, de ce rire infernal qui me vrillait le crâne et me donnait des envies meurtrières. Assurément, cette fille respirait la sournoiserie.
J’étais néanmoins surprise par son manque de force. Il ne me fallut pas plus de deux minutes pour lui arracher ses bijoux et défaire ses cheveux. Soudain elle se redressa sur le lit et cessa de bouger. Elle me regarda droit dans les yeux, avec un air de fauve blessé, échevelée, haletante :
- Et qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? Est-ce que tu vas déchirer mes vêtements à mains nues pour me forcer à la mettre, cette fichue robe ?
Sa voix me força à baisser les yeux, et je vis mes bras recouverts de griffures, et mes mains qui serraient encore des fragments de perles entre mes doigts. Et je saisis toute la malignité de la créature en face de moi. Car elle se posait en victime, elle avait fait de moi son bourreau. Et elle avait parfaitement raison.
Le bruit de la porte qui s’ouvrit à la volée me fit me retourner en sursaut. La mère supérieure entra, suivie d’une dizaine d’autres religieuses, et je me levai avec précipitation.
- Vous pouvez disposer, sœur Théodora. J’ai sous-estimé notre invitée.
Puis elle s’adressa à Angélique de Bretagne :
- Sœur Théodora ne déchirera pas vos vêtements à mains nues, mais je peux vous assurer que nous, nous le ferons.
Je quittai le dortoir sans demander mon reste. En remontant le corridor, j’entendis le rire glaçant et déchirant d’Angélique, et mon cœur se serra. De terreur ou de pitié, je n’aurais su le dire. |