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La Foi des Réprouvés
Par Natalea
Originales  -  Mystère/Angoisse  -  fr
16 chapitres - Complète - Rating : K (Tout public) Télécharger en PDF Exporter la fiction
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Chapitre 9

Chapitre que j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire, je pense que j'y mets un peu de moi dedans, j'espère qu'il vous plaira. Merci de suivre cette histoire ;D

Bonne lecture !

Nat'

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Je m’attendais à recevoir la visite de la mère supérieure sitôt l’office terminé. Au lieu de cela, la journée suivit son cours, rythmée par les offices auxquels je n’assistais pas, puisque je ne lâchais pas Angélique d’une semelle.

Je doutais qu’il soit de bon goût de la ramener à la chapelle, où elle ne risquait pas de chanter d’avantage qu’au matin. Et quelque chose me disait que la mère supérieure ne manquerait pas d’énumérer les crimes d’Achab et de Jézabel tout au long des lectures, ce dont Angélique se passait très bien.

Je la guidai donc dans le couvent pour l’initier aux tâches qui occupaient les sœurs lorsque l’heure n’était pas à la prière. Pour subvenir à ses besoins, la congrégation tissait la laine des paysans alentours, et cultivait un certain nombre d’herbes et de plantes médicinales.

Si Angélique n’entendait rien au tissage, étonnamment, elle s’attela au jardinage sans rechigner. Agenouillée à même la terre, ses cheveux roux brillants sous le Soleil, elle déterrait les tubercules d’une main délicate mais assurée.

Nous étions seules dans le jardin. Les autres novices s’étaient retirées quelques minutes plus tôt pour une énième cérémonie. Au passage, j’avais saisi leurs regards circonspects, apeurés, interrogateurs, dégoûtés. Les messes basses allaient déjà bon train. Pour la première fois depuis mon entrée au couvent, je me sentais mise à l’écart, rejetée comme un malade de la tuberculose, j’étais vue comme une chose étrange, différente et dangereuse. Tout ça parce que je restais près d’Angélique. Nous étions deux parias parmi les recluses.   

Cette simple pensée me fit frissonner. Je m’associais de plus en plus à la créature, et il ne lui avait pas fallu trois jours pour que je me sente isolée de toutes, au sein de mon propre foyer. Quel genre d’influence avait donc cette femme ?

Néanmoins, même si j’avais conscience de l’écart qui se creusait à une vitesse vertigineuse entre les sœurs et moi, j’avais beau regarder la situation sous tous les angles possibles, je ne voyais pas comment agir autrement. La mère supérieure m’avait dit de rester auprès d’Angélique. Et une part de moi redoutait cette tendance au sacrifice que j’avais décelé en elle. Alors que je la regardais écarter la terre de ses doigts, j’acquis la certitude qu’Angélique n’avait peur de rien. Cette fille était un roc, rien ne pouvait l’atteindre, elle ne ploierait devant rien ni personne, qu’elle qu’en soit le prix. Comment pouvait-elle être aussi sûre d’elle à un tel âge ?  

J’étais moi-même âgée de 17 ans. Angélique ne devait pas être beaucoup plus vieille que moi. Et pourtant, particulièrement aujourd’hui, je me sentais dévorée par le doute comme un rocher rongé par le vent. A l’évidence, l’âme d’Angélique n’était pas faite de la même matière que la mienne. Une volonté d’acier, un mental de fer. Je l’enviais pour la force et l’aura qu’elle dégageait. De telles qualités ne m’auraient pourtant pas servi à grand-chose dans un couvent…

Je relevai la tête et regardai le ciel, le feuillage des arbres à l’extérieur qui débordait et agrippait la muraille du couvent. Je n’avais jamais ressenti le besoin de sortir auparavant. Les novices ne quittaient l’enceinte que pour aller puiser de l’eau au torrent, et parfois pour vendre les tissages les jours de marché. La plupart du temps cependant, les villageois demandaient directement audience auprès de la mère supérieure.

Il faisait frais, une brise légère agitait mon voile. J’avais envie d’être comme Angélique. Je voulais retirer mon voile et sentir le vent dans mes cheveux, caresser ma nuque, le Soleil créant des reflets dans mes mèches ondulées. Angélique ne capta pas mes pensées, pour une fois. Elle tassait la terre avec des gestes appliqués. Son visage reflétait une sérénité que je ne lui avais encore jamais vue. Combien d’autres émotions pouvait-elle encore revêtir ? Elle semblait en paix avec elle-même, heureuse d’effectuer une tâche simple, presque en communion avec ce qui l’entourait.

- J’aime travailler la terre, déclara-t-elle soudain, et j’eus la certitude que ses dons de télépathie étaient revenus. Je trouve que ça nous rappelle à tous notre place dans l’ordre des choses. Rien autour de soi si ce n’est la nature, les sons qu’elle dégage, la vie qui l’agite… On se rend compte que l’on fait partie d’un tout, et que notre existence n’est que peu de chose. Nous avons tous notre rôle à jouer malgré tout. Nous avons tous une vie sur cette terre. A nous d’en user au mieux, parce que cela en vaut la peine, et que le monde est juste… magnifique.

Je restais troublée par ses propos. Elle avait une façon si juste d’exprimer ce qu’elle ressentait.

- Comment pouvez-vous ne pas croire en Dieu alors que vous décrivez le monde de cette façon ?

Elle me regarda de ses yeux francs, posés, sérieux :

- Je n’imagine pas une entité pensante et toute puissante décider un jour de créer un monde comme ça, sorti de nulle part. D’y ajouter de petites créatures façonnées avec de la terre, histoire de s’amuser. Je ne sais pas, pour moi il suffit de regarder le monde autour de soi pour s’en rendre compte. Je n’imagine pas Dieu décider de la forme, de l’aspect, de la fonction de chaque petite chose, décider qu’il y aura je ne sais combien d’espèces d’arbres, d’animaux, de pierres… Décider de l’âme de chacun d’entre nous. Pour quelle raison ferait-il ça ? Pour se faire adorer ? Je trouve ça stupide. Comment peut-on croire qu’un dieu a pensé toutes les choses qui nous entourent ?

- Mais alors comment expliquez-vous qu’elles existent, toutes ces choses ? D’où viennent-elles ? Et d’où vient notre âme dans tout ça ?

Elle rit :

- De tout temps, les hommes se sont inventés des dieux. Des religions, il y en a des dizaines. Leur seul et unique but est de répondre aux questions que tu viens de poser. La vérité c’est que l’Homme a peur, il ne comprend pas d’où il vient, quel est le sens de sa vie, et surtout, il a peur de la mort. De l’inconnu. L’Homme a peur de tout ce qu’il ne comprend pas, de tout ce qu’il ne peut appréhender. Les religions ne sont là que pour apaiser ces peurs. Mais elles n’ont aucun fondement. Je trouve ça extrêmement présomptueux d’affirmer : « les choses se sont déroulées ainsi. Après la mort, il se passera ceci ». Alors qu’en réalité, personne ne sait. Personne n’a la réponse, et personne ne l’aura jamais.

- Tu crois que le monde autour de nous est sorti du néant ? Que nous y replongeons tous après la mort ?

- Je ne crois rien, avant ou après la mort. Je ne sais pas, alors pourquoi irais-je m’inventer des théories ? La seule chose que je peux m’autoriser à faire, c’est espérer.

- Comment ça ?

- Je regarde le monde autour de moi, et je ne peux que m’incliner devant le triomphe de la vie. Devant son pouvoir. Je ne crois pas en une quelconque entité pensante inventée de toutes pièces, je crois en la vie. Ça paraît stupide à dire, mais de toutes les questions qui nous torturent, c’est bien la seule vérité qui nous saute aux yeux. La vie a créé des choses incroyables, elle ne cesse de nous surprendre, d’évoluer. Ce que tu appelles notre âme, notre existence, tout ceci fait partie de cette extraordinaire force qu’est la vie. Je ne crois pas qu’elle soit régie par une quelconque volonté propre. Elle est sauvage, indomptable. Elle se déploie dans toutes les directions sans brides, sans limites, et nous sommes loin d’être au centre de cette Création. Je ne sais pas si l’âme qu’elle a placée en nous peut perdurer une fois que le corps n’est plus. Tout ce que je peux faire, c’est l’espérer. Je ne peux qu’espérer qu’il y ait quelque chose après la mort, mais en aucun cas je ne peux l’affirmer. Car le plus bel hommage que je puisse faire face à cette incroyable puissance, c’est reconnaître humblement que je ne sais rien.

Je me rappelai comment respirer au bout de plusieurs secondes. Etrangement, ses mots trouvaient un écho en moi, bien plus qu’un écho. Un véritable raz-de-marée. Jamais je n’avais réfléchi de cette façon, jamais je n’avais envisagé les choses de cette façon.

- Vous arrivez à vous contenter de cette incertitude ? demandai-je d’une petite voix.

Elle sourit avec indulgence :

- C’est si difficile d’accepter de se laisser balloter, Théodora ? Je sais. C’est difficile de reconnaître que l’on n’a pas la réponse. Cela requiert une certaine humilité, que bien peu de gens possèdent. Il faut reconnaître que l’on n’est qu’une pierre de l’édifice, qu’au final on ne peut pas grand-chose. Si ce n’est vivre sa vie aussi pleinement qu’on le peut, et lui rendre hommage, chaque jour.

- A la façon dont vous en parlez, on dirait presque une religion…

- C’est ma religion. C’est ce en quoi je crois. Jamais je ne m’inclinerai devant un Dieu qui aurait créé l’Homme comme un enfant se fabrique une poupée. Qui l’aurait jeté sur la Terre sans plus se préoccuper de son sort en se cachant derrière le libre arbitre. S’il y avait vraiment un dieu, un être pensant…il se préoccuperait davantage de ses enfants. Quant à la religion chrétienne, parlons-en. La Bible, fabriquée de toutes pièces, écrite par des hommes pour assurer la domination des hommes. La Bible qui affirme que nous sommes tous pêcheurs dès la naissance, et que nous devrions passer notre vie à nous punir pour notre perversité, notre imperfection. Nous punir du fait d’aimer, de rechercher le bonheur, de vivre le mieux possible… Je ne supporte pas des discours aussi mortifères. Pourquoi ne pas profiter du don qui nous a été donné, tout simplement ?

- La religion chrétienne prône l’amour envers notre prochain…

- C’est faux. Certes les religions sont pleines de bons sentiments, mais c’est uniquement sur le papier. Dans les faits, je connais peu de gens qui ne réinterprète pas leur religion à leur avantage. Tu n’as qu’à sortir voir le monde et observer par toi-même. Combien d’âmes charitables trouveras-tu ? Les hommes oublient de réfléchir et perdent de vue les principes mêmes auxquels ils croient… Les religions ne mènent les hommes qu’à se battre les uns contre les autres, trahissant ainsi toute leur idéologie sans même qu’ils s’en rendent compte…  

Elle ne me regardait plus. Elle fixait le sol, la terre entre ses doigts, et je sus qu’elle voyait des choses que je ne pouvais pas imaginer. Angélique avait vu le monde. Cela faisait certes un énorme poids dans la balance. Tous les arguments que j’aurais pu objecté se liquéfiaient dans ma bouche.

Elle sentit mon trouble et posa la main sur mon épaule, souriante et étrangement grave :

- Je suis désolée. Je t’ai bousculée un peu trop. Comme je l’ai déjà dit, tu es libre de croire ce que tu veux.

Elle se leva soudain et rentra vers le couvent. Je l’observai, stupéfaite. Il ne fallait pas qu’elle parte, non ! Cette conversation ne pouvait pas être finie… Elle me laissait un sentiment d’inachevé, de vide. J’aurais dû dire quelque chose…

- Angélique !

Je me levai brusquement et me retournai pour la rejoindre, quand je compris la raison de son départ. La mère supérieure nous observait depuis l’entrée du cloître, et Angélique la rejoignait de sa démarche léonine. Toutes deux disparurent dans l’obscurité du couvent.

Sans plus réfléchir, je traversai le jardin en courant. Les sœurs s’étaient rassemblées dans le réfectoire pour le dîner. Toutes se tenaient debout le long des bancs, regardant vers le centre de la salle. La mère supérieure se dressait devant cette assemblée, et Angélique se tenait debout au milieu d’elles, tel un lion dans l’arène. Je rejoignis le rang sans comprendre ce qui se passait, mais j’avais un mauvais pressentiment. La mère supérieure avait retenu son châtiment toute la journée pour mieux le déchaîner le soir venu. 

- Sœur Angélique, vous avez refusé de chanter lors de l’office de ce matin, et vous n’avez assisté à aucun des offices d’aujourd’hui. De plus, vous ne portez toujours pas votre voile. Vous avez mangé pendant le bénédicité. De tels affronts ne peuvent plus être ignorés. Il est temps que vous compreniez ce dont nous sommes capables, et que vous receviez le châtiment que vous méritez.

Je vis que la mère supérieure tenait quelque chose derrière son dos. A ma grande horreur, elle l’exhiba devant tous, et me le tendit. Un fouet doté de six longues franges cloutées.

- Sœur Théodora. Vous êtes responsable d’elle.

Involontairement, je reculai, manquant de trébucher sur le banc :

- Jamais de la vie !

- C’est un ordre, sœur Théodora. Prenez vos responsabilités. C’est à vous de la punir.  

- Non ! Je ne ferai jamais ça ! Et vous non plus, vous ne pouvez pas faire ça, c’est inhumain !

- Ne m’obligez pas à me répéter…

- Ça va à l’encontre de tout ce en quoi je crois !

Ça y est, je l’avais dit. Je sentis, à l’instant où ces mots sortaient de ma bouche, que je venais de sceller mon sort. J’avais déjà creusé l’écart entre les sœurs et moi, comme un condamné creusant sa propre tombe. Mais cette fois, j’avais provoqué la fracture.

La mère supérieure fit signe aux deux sœurs qui étaient les plus proches d’Angélique. Celles-ci s’approchèrent avec l’intention de l’immobiliser. Je vis clairement le corps d’Angélique se braquer, exactement comme un serpent se dressant devant ses adversaires.

- Vous n’imaginez sans doute pas que je vais me laisser torturer sans rien faire ?

Les sœurs l’empoignèrent, chacune par un bras, mais elle leur échappa avec des mouvements vifs, insidieux, exactement ceux d’un reptile. Pas essoufflée le moins du monde, elle contempla l’assemblée des sœurs, ses tresses retombant librement sur ses épaules. Je vis de nouveau ce sourire terrible qui me faisait douter de sa nature humaine.

Les sœurs durent se mettre à six pour la maîtriser. Sous mes yeux, Angélique se changea en une créature sauvage et incontrôlable. Elle hurlait, griffait, mordait, poussait des cris suraigües. J’assistai à la scène sans bouger. Mais au bout du compte, elle fléchit sous le nombre. Les sœurs la forcèrent à s’agenouiller et déchirèrent le dos de sa robe. Deux d’entre elles pesèrent de tout leur poids sur ses épaules pour l’empêcher de se redresser. Elle feulait comme un fauve blessé, mais elle se trouvait totalement entravée, incapable du moindre mouvement. La peau lactée de son dos se trouvait exposée, sans défense. Une nouvelle fois, la mère supérieure me tendit le fouet :

- Trois coups devraient suffire, Théodora.

Je sentis mes mains devenir moites. Mais bien que ma gorge soit desséchée, ma résolution ne faiblit pas. Je regardai Angélique dans les yeux, et j’y puisai un peu de son courage :

- Hors de question que je le fasse.

La mère supérieure me dévisagea. Elle me dévisagea longuement. Puis elle tendit le fouet à la novice à côté de moi, qui n’était autre que Constance.

- Sœur Constance, rattrapez le déshonneur de sœur Théodora.

Constance prit le fouet d’une main tremblante. Je tentais d’accrocher son regard, de la supplier, mais elle n’osa pas me regarder. Elle fit le tour de la silhouette agenouillée qui n’avait pas renoncé à se débattre.

- Et vous, sœur Théodora, si vous ne voulez pas subir le même sort, je vous  conjure de rester à votre place et de regarder.

Je serrai les poings. Je me sentais au bord d’un gouffre immense. Sur le point de pleurer et de hurler tout en même temps. Constance leva le fouet. Je fis un pas en avant. Les yeux d’Angélique captèrent les miens, et me dirent « Non ». Alors je restai sans bouger. Constance fit claquer le fouet une fois, maladroitement. Six longues bandes rouges vinrent marquer la chair d’Angélique, qui se mordit les lèvres pour ne laisser échapper aucun cri.

Alors, Constance prit de l’assurance. Etait-ce la peur qu’Angélique lui inspirait, la colère de me voir me comporter ainsi envers elle ou le simple plaisir de torturer… Quoi qu’il en soit, je la vis perdre son âme à cette seconde. Comme la mère supérieure, comme toutes les autres sœurs présentes dans cette salle et qui cautionnaient cette barbarie. Constance frappa, plus fort, et cette fois le sang d’Angélique éclaboussa sa robe. Les dents du fouet s’étaient plantées profondément dans sa chair, arrachant des lambeaux de peau et révélant ses os à nu.

Un nouveau coup, le dernier. J’avais l’impression de flotter dans un cauchemar. Etais-je aussi coupable qu’elles, moi qui ne faisais rien pour empêcher une telle horreur ? Je n’étais pas restée pour obéir à la mère supérieure. J’étais restée pour Angélique. Parce que je refusais de l’abandonner, de la laisser seule à ses bourreaux. Cela au moins, je le savais.  

Les sœurs s’écartèrent d’Angélique. Elle tremblait mais n’avait pas émis le moindre son. Elle posa ses deux mains à plat sur le sol et s’en aida pour se redresser. Dans l’état dans lequel se trouvait son dos, cela devait tenir du supplice. Elle maintint les pans de sa robe de novice pour qu’ils ne dévoilent pas son corps. Je vis qu’elle avait serré les poings si fort que ses ongles avaient enfoncé leur trace dans ses paumes, et la marque de ses dents s’était imprimée sur sa lèvre inférieure.

Elle regarda la mère supérieure dans les yeux. Je saisis l’instant où ses forces la trahiraient. Elle avait beau avoir toute la ténacité du monde, elle était en état de choc. Je m’avançais pour la soutenir, passant son bras autour de mes épaules et veillant à ne pas toucher son dos. Je quittai la salle en la maintenant juste assez pour qu’elle puisse marcher par elle-même. Je ne jetai pas un regard à Constance.

XXX

- Ça va piquer un peu, c’est de l’eau de vie.

J’appliquai la compresse sur ses blessures toutes fraîches, et Angélique gémit. Je l’avais faite allongée sur le lit de Constance, voisin du mien. Il fallait désinfecter au plus vite, et si un peu du sang d’Angélique venait maculer les draps de ma chère amie, j’étais sûre que ça ne manquerait pas de lui rappeler son crime.

Pourquoi une telle fureur en moi ? Ça ne me ressemblait pas de nourrir une telle rancœur, d’ourdir une vengeance malsaine. Mais je n’y pouvais rien, là, ce soir, j’en avais besoin. Le spectacle que je venais de voir m’avait laissé traumatisée et impuissante. Je voulais au moins faire quelque chose pour que cela ne soit pas oublié, pour que cela s’imprime dans la mémoire de Constance jusqu’à la fin de ses jours.

- Quelle courage vous avez manifesté, Angélique. Encore une fois.

Je disais cela tandis que je passais doucement le linge sur ses plaies, pour la calmer. Maintenant qu’elle était à l’abri des regards, elle se laissait aller devant moi. Au moins se permettait-elle d’exprimer sa douleur.

- Mais je ne sais pas ce qu’il va advenir de vous ici… Si vous continuez à vous comporter ainsi, vous n’êtes pas prête de retourner chez votre oncle.

Cette remarque m’avait échappée. La vérité était que je me faisais du souci pour elle. Combien de temps pourrait-elle tenir à un tel rythme ?

Elle ne parla pas tout le temps que je passai à bander ses blessures. Je ne savais pas quoi lui dire non plus, alors je décidai de la laisser seule. Ce que j’avais vu ce soir m’avait convaincue. Je ne l’appelais plus « la créature » intérieurement, lorsque je pensais à elle. J’avais vu sa chair et son sang, sa douleur, sa faiblesse, et les sentiments qui l’animaient, tout simplement. Même si ses raisons d’agir restaient obscures pour moi.

Un peu plus tard dans la soirée, je remontai néanmoins dans le dortoir lui porter à manger. La porte était entrouverte. Je la vis agenouillée face à la fenêtre, les mains croisées devant elle, et je crus qu’elle priait. Elle se mit à parler. D’une voix rauque, entrecoupée. Inconsciemment, ses paroles me firent stopper nette au seuil de la pièce.

- Ne t’en fais pas… Tu n’auras plus longtemps à attendre. Je les aurai tous, ne t’en fais pas. Tu peux compter sur moi pour ça.

Elle dut sentir ma présence car elle se retourna brusquement, me faisant sursauter. Son visage était inondé de larmes. Ses yeux luisaient dans le noir. Lorsqu’elle me reconnut, ses traits se détendirent et elle se laissa aller contre le mur, rajustant son sourire à une vitesse surhumaine. Mais je ne pouvais oublier cette fraction de seconde lorsqu’elle s’était retournée.

Ce que son visage exprimait à cet instant-là, n’était rien d’autre que de la haine.

 

 
 
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