Enfin un peu de confrontation ! Il y en aura beaucoup d'autres faites-moi confiance ;D
Bonne lecture !
Nat'
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- Vous croyez que j’ai peur de vous ? Qu’il suffit de m’enfermer pendant trois jours pour que je m’incline devant vous comme un chien ? Vous croyez que la petite princesse ne peut pas supporter ça ? Je vais vous dire. Vous pouvez croire en beaucoup de choses, bande de bigotes, mais certainement pas à ça. Derrière toutes vos prières et votre prétendue foi, c’est vous qui puez la peur. Vous avez peur de moi, peur de ce que je pourrais vous faire, et vous avez parfaitement raison.
Je vais devenir votre pire cauchemar. Je vais vous réduire à néant, les unes après les autres, je détruirai tout ce en quoi vous croyez. Vous n’aurez plus un seul instant de paix. Je vous tourmenterai jour et nuit, jusqu’à ce que vous criiez grâce, jusqu’à ce que vous vous réveilliez la nuit en hurlant. Je continuerai inlassablement, vous ne soupçonnez pas à quel point ma patience est inextinguible. Et quand votre esprit finira par abdiquer, lorsque vous vous jetterez à mes pieds en suppliant, au bord de la folie… La délivrance ne viendra pas. Je vous contemplerai vous consumer lentement, en vous noyant dans ce qui restera de votre âme. Vous allez vivre un Enfer.
- C’est assez.
La voix de la mère supérieure rompit le monologue d’Angélique de Bretagne.
- Remettez votre voile.
- Pourquoi ? Vous cherchez à ressembler à quoi, une assemblée de fantômes ? Vous croyez vraiment que Dieu exigerait cela de vous ? Qu’Il vous a donné des cheveux pour que vous les cachiez, une vie pour que vous la gâchiez, enfermées entre quatre murs ?
- Nous dévouons notre vie entière au Seigneur, sœur Angélique.
- Je vous interdis de m’appeler comme ça !
- Vous n’avez rien à m’interdire ici ! Vous êtes dans mon couvent, vous êtes une novice comme les autres, et vous vous comporterez comme telle !
- Sinon quoi ? Hein, qu’est-ce que vous allez me faire ?
Angélique s’approcha soudain de la table centrale où siégeait la mère supérieure, et elle cracha ces mots, comme un serpent qui aurait retenu son venin :
- Je déteste tout ce en quoi vous croyez. Tout ce que vous êtes. Je vous ferai du mal si j’en ai l’occasion.
Elle se tourna vers moi avec son sourire vide et spectral. Je me levai sans réfléchir et la saisis par le bras avant qu’elle puisse ajouter un mot de plus. Je l’entrainai en dehors de la salle, vite, très vite avant qu’elle n’aggrave encore son châtiment :
- Venez Angélique. Allez !
Inconsciemment, je me mis à courir, serrant son poignet si fort que je sentais les os rouler sous sa peau, même si je savais qu’on ne nous poursuivrait pas. Je ne m’arrêtai qu’une fois dans le dortoir, refermant la porte derrière nous. Elle se dirigea vers la fenêtre sans dire un mot, pas même essoufflée. J’étais hors de moi. Je sentis monter en moi une colère sans borne, inconnue :
- Vous êtes complètement folle ! Qu’est-ce qui vous a pris ? Mais enfin…
Les mots me manquèrent, ma voix s’envola dans les aigües, rejoindre ma fureur :
- Comment une personne peut-elle se mettre sciemment en danger à ce point-là ? Vous n’en avez pas eu assez ? Vous voulez retourner au cachot ?
Elle ne réagit pas, exactement comme la première fois que je lui avais parlé. Cela eut le don de m’exaspérer encore plus si c’était possible :
- Regardez-moi quand je vous parle !
Elle se retourna, et je vis qu’elle riait. Pas de son rire terrifiant néanmoins. Cela ressemblait plus à … un rire cynique. Cynique à un point tel que cela confinait au désespoir, et je fus surprise de la voir s’abandonner ainsi devant moi. Comme si j’étais le témoin d’une scène où je n’avais pas ma place. Mais ce fut très vite une autre pensée qui se fit jour dans mon esprit. A la façon dont elle riait, je devinai en elle un profond vide intérieur. Un gouffre immense, sans fond, où sa solitude se perdait en écho.
Je m’approchai sans aucune crainte, malgré les menaces qu’elle venait de proférer :
- Vous n’en avez donc rien à faire de votre vie ?
Je crus qu’elle allait rire à nouveau, mais elle prit appui contre le mur et fixa les poutres du plafond, essuyant une larme solitaire au coin de ses yeux. Seul flottait sur son visage un vestige de sourire que j’aurais été incapable d’interpréter. Je compris néanmoins une chose à cet instant. Angélique de Bretagne souriait beaucoup, mais aucun de ses sourires, aucun, ne reflétait la joie. Ils n’étaient qu’un voile plaqué pour dissimuler…quelque chose. Ce quelque chose qu’elle avait en elle, que j’avais vu au fond de ses yeux au premier regard, et juste à l’instant, au fond de son rire.
Soudain, elle dit quelque chose qui me surprit :
- Je suis contente que tu sois ici, Théodora. Je veux dire… ici, dans ce couvent. J’aurais pu tomber sur n’importe quel autre refuge bourré de cinglées, mais je suis tombée sur toi. Tu es la seule véritable âme charitable que j’ai rencontrée, parmi tout le clergé réuni. Merci au fait, pour ce matin.
Je restais quelques secondes stupéfaite. Pas seulement pour sa reconnaissance, mais aussi pour la façon dont elle s’adressait à moi. Comme si un masque était tombé. Je réalisais qu’en fait, elle avait beau être la future impératrice du monde connu…elle n’en restait pas moins une personne. Avec des blessures, des sentiments, une volonté propre. Même s’il fallait l’avouer, une personne peu ordinaire.
Il n’était plus question du démon qui m’avait terrorisée en elle. S’il était bel et bien tapi quelque part, je me plus à croire que c’était bien Angélique de Bretagne qui me parlait en ce moment. Je soupirai :
- Vous n’auriez pas dû faire ça.
- Oh que si.
- Mais pourquoi ? Vous tenez tant que ça à rester ici ? Je sais pourquoi on vous a amenée au couvent.
- Ah oui ? Et tu peux me dire pourquoi ? Qu’est-ce que tu crois savoir ?
- Vous…
Je pris une grande respiration :
- Vous avez tenu des propos hérétiques. Et votre comportement aussi est hérétique. Plus vous résisterez, plus vous resterez ici. Ce n’est pas ce que vous voulez, n’est-ce pas ? Vous êtes la fiancée du prince Dacre !
- Et donc il faut qu’on corrige cette pauvre petite possédée, n’est-ce pas ?
Elle fit un pas vers moi, et son visage se perdit dans les ombres, réveillant ma peur.
- Dans ce monde, on n’a pas le droit de dire ou de faire ce que l’on veut. Particulièrement quand on est née pour régner.
Cette fois, ce fut moi qui me trouvais acculée contre le mur. Elle s’avança lentement, posa la main à plat sur les pierres juste à côté de ma tête. Je retrouvais en elle ces gestes sinueux. Lorsqu’elle parla, ce fut d’une voix claire, dans laquelle il y avait la résolution de toute une vie :
- Je ne crois pas en Dieu. Voilà le crime dont on m’accuse. Les gens disent que je suis possédée. Que le démon s’est emparé de moi. Toi et la mère supérieure, vous êtes le dernier espoir de l’empire. Vous devez me « sauver ». Seulement il y a une faille que tout le monde s’obstine à ne pas voir, apparemment. Si je ne crois pas en Dieu, je ne crois pas au Diable non plus. Bizarre, non, pour une servante du Diable, de rejeter son maître ?
- Ça suffit, Angélique. Je vous en prie, vous blasphémez.
- Et alors ?
Elle se pencha sur moi, suffisamment près pour que je ne vois plus que ses yeux obsédants :
- Et alors ? Est-ce que la foudre va s’abattre sur moi ?
Je secouai la tête, sans comprendre pourquoi j’étais gagnée par les larmes. Ses paroles me bouleversaient plus que je ne l’aurais cru. Je revoyais son visage lorsqu’elle s’était levée dans le réfectoire. Les choses horribles qu’elle avait dites.
- J’ai peur pour votre âme, Angélique…
- Oh arrêtez vos conneries !
Impulsivement, je la pris par les poignets, et je sus ce que je devais dire :
- A moi aussi, vous me ferai du mal si vous en avez l’occasion? Vous me détruirez jusqu’à ce que je rampe à vos pieds en suppliant ?
Elle se dégagea de mon étreinte et recula :
- Ne fais pas semblant d’être stupide. Je pensais chaque mot que j’ai dit, je ne suis pas un clébard que l’on dresse à faire des tours. Je ferai vivre un Enfer à quiconque tentera de me faire adhérer à votre ramassis d’hypocrisie.
Elle eut un petit rire pour elle-même :
- Mais de la façon dont je l’ai dit, je suis sûre que toute ta congrégation va s’imaginer que Belzébuth vient de les maudire…
Je la dévisageai sans savoir ce que je devais croire, l’horreur grandissant sur mon visage. Les souvenirs des trois derniers jours se rejouaient dans ma tête, son arrivée, le sourire monstrueux, le rêve qui n’en était pas un, l’inconscience, la menace proférée… Je faisais face à quelque chose qui me dépassait. Elle sut lire la peur sur mon visage :
- Je t’en prie Théodora, n’aie pas peur de moi. A toi, je ne ferai jamais rien.
Le mot « pourquoi » résonna un instant dans ma tête. Je renonçai à poser la question. J’avais gagné l’affection de la créature. Savoir pourquoi me terrifiait. |