La jalousie, c'est l'agonie de l'amour. Calderon
Peter sortit de l'immeuble des Sheridan, un peu sonné par toutes ces révélations.
Sans trop savoir pourquoi, il se retourna, une main en visière devant ses yeux, et contempla la large et imposante bâtisse du 765, Park Avenue. Il se demanda si Mme Sheridan pouvait le voir, là-haut, derrière les jolis rideaux de son salon. Est-ce qu'elle pleurait, vidée par son long récit, encore hantée par les souvenirs ?
Il avait presque envie de remonter pour s'assurer qu'elle allait bien mais il abandonna l'idée. Comme elle le lui avait dit plus tôt dans l'après-midi, il n'était pas son psychologue. Même pas un ami à vrai. Et puis, elle risquait de confondre sa sollicitude avec de la pitié et de le rejeter.
Se souvenant qu'il avait promis à Sally Ann de la tenir au courant de ses avancées, il voulut l'appeler pour lui proposer une rencontre dans leur "coin" de Central Park. Mais étant donné son coma éthylique de la nuit dernière, ce n'était peut-être pas très judicieux de lui parler maintenant de son amie décédée.
Il s'arrêta au beau milieu de la rue, secouant la tête devant sa propre bêtise. Qu'est-ce qu'il racontait ? Sally Ann penserait à Megan, qu'il lui en parle ou pas. Elle devait même être omniprésente dans ces pensées.
Et puis, une promesse était une promesse. Mais il résolut avant de composer son numéro de téléphone qu'il garderait pour lui quelques croustillantes révélations. Pour ne pas risquer de la perturber davantage.
D'ailleurs, il n'y avait sans doute aucun rapport entre ce qu'il venait d'apprendre dans l'ambiance feutrée de l'appartement des Sheridan et la mort de Megan. Il l'espérait du moins.
— Sally Ann ? C'est Peter Westerfield. Est-ce qu'on peut se voir au parc cet après-midi ?
— J'aimerais bien mais je ne sais pas si mes parents me laisseront sortir. En plus, mon frère va bientôt arriver. Mais je suis sûre que j'arriverais à sauter par la fenêtre sans qu'ils ne s'en rendent compte, ajouta-t-elle avec un petit rire.
Il savait que c'était de l'humour mais quelque chose dans sa voix – ce petit rire un peu triste sans doute – lui indiquait qu'il y avait du vrai dans ce qu'elle disait. Elle devait rencontrer quelques problèmes relationnels avec ses parents mais après tout, c'était l'âge qui voulait ça, non ?
Encore qu'il se basait sur ce qu'il avait entendu, sur ce que lui avait raconté ses amis. Lui-même n'avait jamais connu ce genre de désagréments avec Gordon. Il l'avait toujours considéré comme une bénédiction, un ange gardien qui avait pris soin de lui après la mort de sa mère – un peu avant même. Il avait égayé sa vie d'une manière que Peter n'aurait pas cru possible, et rien que pour ça, il lui en serait reconnaissant jusqu'à la fin de ses jours. Les seules et rares disputes qu'ils avaient pu avoir concernaient Cheryl, la mère de Peter.
— Inutile d'en arriver à de telles extrémités, la coupa Peter, qui ne tenait pas à se rendre complice de sa fugue – même pour quelques heures – à Central Park. Je sais qu'il s'est passé pas mal de choses la nuit dernière donc si tu préfères te reposer ou rester en famille, je comprendrais.
— Non, je veux venir ! Je veux que vous me parliez de votre enquête. Je ne crois pas que ça dérangera mes parents si je leur dis que je vais me promener.
— À tout à l'heure alors, conclut-il avant de raccrocher.
Il faisait beau, pas très chaud mais le ciel était d'un bleu clair et limpide. Pas le moindre nuage à l'horizon. Il décida de marcher pour se rendre au parc, il n'en avait que pour une quinzaine de minutes.
S'il avait été à Richmond avec sa famille, il serait allé se balader dans un parc, son fils sur les épaules, la petite main de Claudia lovée dans la sienne, tellement plus grande, plus grossière. Ils auraient été heureux. Enfin, peut-être.
Les mains dans les poches de sa veste, tout seul, il remonta Park Avenue et se dirigea lentement vers Central Park. Maintenant qu'il savait comment son père et Mme Sheridan s'étaient rencontrés, il se sentait lié par davantage qu'un simple contrat de travail. Elle n'avait jamais été qu'une simple cliente pour lui, aujourd'hui, elle l'était encore moins.
Des années auparavant, son père avait tout fait pour leur offrir une vie meilleure, pour que sa fille ne grandisse pas entre un père violent et alcoolique et une mère sans cesse recroquevillée dans la crainte des coups de son compagnon. Et quelqu'un avait fait voler tous ses efforts en éclat en tuant sa fille unique. Trouver le responsable et le traîner devant la justice ne lui rendrait pas ce qu'elle avait perdu cette nuit-là mais elle ne pourrait reprendre le cours de sa vie sans cela.
Sally Ann arriva bien longtemps après lui et il consulta à plusieurs reprises sa montre, se demandant si elle allait venir.
— Désolée, s'excusa-t-elle en prenant place à ses côtés sur le banc. Mes parents n'étaient pas très chauds pour me laisser sortir. Mon père a même proposé de me conduire jusqu'ici. Pourtant, je leur ai dit que j'allais juste faire un tour.
Il faillit lui dire quelque chose comme "tu comprendras quand tu auras des enfants" mais se retint. Il était trop jeune pour dire ce genre de choses à une adolescente.
— De toute façon, je serais bien mieux loin de la maison. Comme ça, ils pourront continuer à se disputer.
— Pourquoi ils se disputent si souvent ? Enfin, si ce n'est pas trop indiscret, ajouta-t-il précipitamment en avisant l'expression de la jeune fille.
— Mon père nous a appris une ... nouvelle surprenante. En fait, j'ai appris que j'avais un frère. Un demi-frère, précisa-t-elle.
— Oh ...
Il ne savait pas trop quoi dire d'autre à vrai dire. Il ne s'était pas attendu à ça. Il savait de source sûre que les Van der Bildt avaient de bonnes raisons de se disputer mais visiblement, Sally Ann n'était pas au courant. Ce qui était une bonne chose si on y repensait. Elle risquait d'être bouleversée quand elle apprendrait la vérité, davantage qu'elle ne l'était déjà.
Il espérait que Robin Van der Bildt réussirait à garder la nouvelle éloignée des oreilles innocentes de sa fille aussi longtemps que possible.
— Ouais. Tout ce que je sais, c'est qu'il a dix-neuf ans, est étudiant et a été conçu très peu de temps avant le mariage de mes parents. Pendant leurs fiançailles pour être exact. J'ai entendu mes parents se disputer à propos de ça. Je crois que mon père n'avait même pas l'intention de me le dire.
— Tu as peur qu'ils divorcent ? lui demanda Peter d'une voix pleine de sollicitude.
— Ils passent leur temps à se disputer comme des chiffonniers alors ce ne serait pas étonnant. Et puis, je crois que je n'en voudrais même pas à ma mère si elle demandait le divorce. Après le sale coup que papa lui a fait. C'est vrai : non seulement, il lui a fait un enfant dans le dos mais en plus il lui a caché la vérité pendant presque vingt ans. Je ne voudrais plus vivre avec ce genre de personne, conclut-il d'une voix, rendue haletante par la colère.
Peter remarqua que les jointures de ses mains blanchissaient alors qu'elle agrippait le tissu de son jean.
— Sally Ann, je doute que ce soit d'un grand réconfort mais n'oublie jamais une chose : tes parents t'aiment, malgré les choses horribles qu'ils peuvent se balancer, même s'ils oublient parfois de te le montrer. Ils t'aiment et ça, ça ne changera jamais, déclara Peter en posant sa main sur la sienne.
Après une infime hésitation, il ajouta :
— Ma mère m'aimait aussi mais elle ne savait pas me le montrer, voilà tout.
— Vos parents aussi ont divorcé ? voulut savoir la jeune fille.
Le jeune détective esquissa une grimace. Non, ses parents n'avaient pas divorcé. Ils n'en avaient pas eu le temps. Avaient-ils seulement eu un semblant de relation ?
— En fait, mes parents n'ont jamais été mariés, lui expliqua-t-il en regardant les arbres devant lui. Mon père biologique a quitté ma mère avant ma naissance, sans doute quand elle lui a annoncé sa grossesse.
— Vous n'avez jamais eu de ses nouvelles ?
— Non, je ne sais rien de lui – pas même son prénom. Il n'a jamais cherché à me contacter ou à aider à ma mère à m'élever.
— Alors, vous avez grandi seul avec elle ?
— Oui et ce n'était pas facile tous les jours. Je sais qu'elle m'adorait mais elle n'avait aucun soutien, ni de mon père, ni de sa famille. Elle était jeune – pas beaucoup plus âgée que toi - toute seule et elle avait ... des problèmes, expliqua-t-il le plus succinctement possible.
Oh oui, aussi loin qu'il puisse se souvenir, Cheryl en avait toujours eu des "problèmes", pour parler pudiquement. Drôle d'euphémisme pour dire qu'elle était alcoolique ...
Il ne voulait pas prononcer ce mot devant elle, étant données les récentes circonstances. Même s'il doutait que Sally Ann puisse souffrir de ce genre de maux. Elle était malheureuse et perdue, sans aucun doute, mais pas alcoolique.
En fait, elle lui rappelait lui près de vingt ans plus tôt, quand sa mère était morte.
— Ma mère voulait devenir chanteuse, commença-t-il, mais quand je suis né, elle a eu besoin d'argent et elle a dû prendre un boulot de serveuse. Ça ne lui plaisait pas mais elle n'a pas eu le choix. Tout ça, elle l'a fait pour moi, insista-t-il, parce que j'étais son fils.
Peter ne lui raconta pas le reste de son histoire, c'était inutile. Sally Ann n'avait pas besoin de savoir que presque chaque soir, lorsqu'elle pensait son jeune fils endormi, Cheryl ressortait pour aller travailler – et ce n'était pas au bar, il en était certain – pour ne rentrer qu'au petit matin. Il était persuadé, qu'une fois la nuit tombée, elle exerçait le "plus vieux métier du monde".
Même si Gordon lui avait toujours soutenu le contraire.
Il ne lui dit pas non plus que cette histoire finissait mal. Pour sa mère surtout. Morte à trente ans, seulement.
Plus tard, Gordon Westerfield, le policier qui avait interrogé Cheryl à propos d'une affaire prostitution dans le bar où elle était serveuse, l'avait recueilli puis adopté quelques années plus tard. Ils avaient déménagé à Boston peu de temps après. Les années qu'ils avaient passées dans le Massachusetts étaient sans doute parmi les plus heureuses de sa vie.
Il n'avait pas remis les pieds à New York avant ses études universitaires, où il avait rencontré Jenny et Ryan.
Perdu dans ses pensées, il n'entendit pas la question de Sally Ann. Elle le secoua légèrement par le bras et répéta d'une voix douce :
— Est-ce que vous avez découvert de nouvelles choses sur Megan ?
— En fait, oui. C'est pour ça que je voulais te voir.
Il lui rapporta le plus fidèlement possible ses récentes découvertes sur les derniers mois de son amie. Il ne s'épancha pas sur les manifestations contre l'exécution d'Eddie Petterson car il lui en avait déjà parlé mais évoqua plus longuement les malversations financières de la SB. Sans citer le groupe VDB, ni même parler de sa tentative d'effraction dans le système informatique de la société.
Il savait qu'il pouvait lui faire confiance mais il répugnait à lui révéler trop de choses. Le groupe Van der Bildt étant dirigé par son père, il y avait un risque qu'elle parle à Robin mais il n'y croyait pas. Vu l'état actuel de leur relation ...
Quand il en vint à Aidan Dunn, le père biologique si longtemps caché de Megan, elle étouffa tant bien que mal une exclamation de surprise, la main devant la bouche.
— Alors ça ... Elle ne m'en avait pas parlé.
— Elle ne l'a dit à personne, lui dit Peter qui comprenait la déception que ce mensonge par omission lui inspirait. Mais elle avait peut-être l'intention de t'en parler. C'est peut-être pour ça qu'elle t'a appelé avant sa mort. Pour te dire qu'elle allait rencontrer son vrai père.
— Ouais ... En tout cas, ça n'a rien à voir avec son comportement étrange depuis mars, nota Sally Ann. Vous venez de me dire qu'elle ne l'avait retrouvé qu'en mai ou juin.
— Je cherche encore de ce côté là, mentit sans la moindre hésitation Peter.
Bien entendu, désormais, il savait pourquoi Megan s'était comportée de manière si distante depuis mars avec ses amis et sa mère mais il n'était pas question d'en informer la jeune fille.
Il ne voulait pas être celui qui lui apprendrait que Nicole Sheridan et son père Robin Van der Bildt avaient été amants jusqu'à ce que Megan les surprenne au lit, un beau matin de mars.
OOoOo
Peter quitta Sally Ann peu de temps après, ennuyé par son mensonge. La jeune fille lui faisait manifestement confiance et il ne pouvait que se sentir coupable de lui mentir. Même si c'était pour son propre bien.
Il reprit sa voiture là où il l'avait laissée, en bas de l'immeuble des Sheridan, et démarra.
Aujourd'hui, il avait décidé de mettre un point final à l'enquête concernant le petit ami soi-disant infidèle de Louise Scialfa. Il le prendrait en filature une dernière fois, ne trouverait sans doute rien de plus que les fois précédentes et laisserait tomber. Et peu importait ce qu'en pensait sa cliente, qui insistait pour qu'il continue.
Selon elle, Colin se comportait de manière de plus en plus étrange. Il était distant avec elle — c'était elle qui le disait —recevait des appels tard le soir et trouvait toujours une excuse minable pour s'éclipser, lui avait-elle expliqué au bord des larmes quelques jours auparavant.
Il savait grâce à Louise qu'à cette heure-ci, Colin finissait une partie de tennis avec des amis à son club. Il se gara sur le parking, le plus près possible du coupé sport du jeune homme. Il s'appuya négligemment contre le véhicule avant de coller un mouchard dessus.
Il remonta dans sa propre voiture et attendit patiemment que Colin ne sorte, non sans songer qu'il aurait pu occuper tout ce temps de manière bien plus utile.
Heureusement, l'attente ne fut pas trop longue et moins de vingt minutes plus tard, Colin, propre comme un sou neuf dans son polo bleu et son pantalon beige, ressortit. Il prit congé de ses amis et démarra, Peter à sa suite.
Il ne lui fallut que quelques minutes pour qu'il comprenne que quelque chose clochait. Colin avait prétendu passer le reste de l'après-midi chez ses parents, lesquels habitaient au croisement de Park Avenue et de la 85ème. Bien loin de l'endroit où il semblait se diriger.
Les sourcils froncés, Peter le suivit à distance raisonnable. Il profita d'un feu pour farfouiller dans ses notes, à la recherche de l'adresse des parents de Colin. Il ne s'était pas trompé : le jeune homme ne se rendait pas chez eux. Peut-être Louise Scialfa n'était-t-elle pas aussi paranoïaque qu'il l'avait d'abord cru ...
Quelques minutes plus tard, ils s'arrêtèrent devant ...
— Une bijouterie ? marmonna Peter en plissant les yeux.
Il descendit de sa Corvette et se glissa derrière Colin avant que les portes de la boutique ne se referment. Il fit mine d'observer les magnifiques boucles d'oreilles, bagues de fiançailles et autres colliers pendant qu'une employée emmenait le jeune homme dans l'arrière boutique.
Il se demandait s'il pouvait s'approcher sans paraître trop suspect quand Colin et l'employée ressortirent. Tout en discutant joyeusement avec son client, elle lui fit un joli emballage.
— Voilà, M. Woods, lui dit-elle avec un charmant sourire. J'espère qu'elle va dire oui et que la bague lui plaira ... Bonne chance!
Peter devait être particulièrement fatigué car il était déjà remonté en voiture depuis une bonne dizaine de minutes lorsqu'il comprit que Colin Woods n'était pas du tout infidèle. Bien au contraire, il préparait sa demande en mariage. Ce qui expliquait sa nervosité et une attitude un peu étrange.
Peter ne se souvenait que trop bien des jours – voire des semaines – précédant sa propre demande au mariage. La famille de Claudia était très à cheval sur les traditions et il avait d'abord du demander la main de la jeune femme au très strict M. Yang avant de lui passer la bague au doigt devant toute la famille. Il avait même répété son discours et la scène avec Ryan – il espérait que personne ne l'apprendrait jamais.
Comme il l'avait dit à sa (future) fiancée, Colin se rendit ensuite chez ses parents.
Peter rentra à l'agence avant d'appeler Louise qui attendait impatiemment de ses nouvelles.
— M. Westerfield ? Oh mon Dieu, vous m'aviez dit que vous n'appeleriez que si vous aviez du nouveau ? Vous avez découvert quelque chose, n'est-ce pas ? Il me trompe, c'est ça ? Oh mon ...
— Louise, attendez ...
— Il n'est pas allé chez ses parents ?
— Non mais ...
— Je vais le quitter ! s'exclama-t-elle, folle de rage. Je n'arrive pas à croire que Colin ait pu me faire un coup pareil !
Ah bon ?
Peter éloigna le combiné en grimaçant et la laissa terminer sa diatribe avant de reprendre.
— Louise, Colin vous est fidèle.
— Alors pourquoi me rappelez-vous ?
— Je ne peux pas vous le dire.
— Pourquoi ?
— Je ne peux pas vous le dire ... Ecoutez, c'est une surprise que votre f... que Colin veut vous faire, lui dit-il en prenant place sur son fauteuil.
— Quand il me quittera pour une autre, il est certain que ce sera une grande surprise. Mais je ne vais pas le laisser faire. Merci pour tout, M. Westerfield, ajouta-t-elle d'un ton tragique.
— Louise, attendez ! Il va vous demander en mariage ! cria-t-il en désespoir de cause, avant qu'elle ne raccroche.
Cela la fit taire une bonne minute.
— Louise, vous êtes toujours là ?
— Il va ... Quoi ?!
— Vous avez très bien entendu. Il est allé chercher une bague chez Tiffany il y a moins d'une heure et la vendeuse espérait qu'elle vous plairait. Je crois qu'il l'a fait faire spécialement pour vous, ajouta-t-il, avec un petit sourire que Louise ne pouvait pas voir.
Il éloigna une nouvelle fois le téléphone de son oreille quand retentit le cri perçant de la jeune femme.
— Louise, faites-moi une faveur ? Quand Colin vous demandera en mariage, essayez de faire semblant d'être surprise, d'accord ?
Le sourire aux lèvres, le jeune détective raccrocha. Malgré ses côtés agaçants, cette fille réussissait à être attachante.
Sa montre indiquait dix-sept heures passés et il avait encore du travail. Le cas de la veuve et des enfants du routier mort en service notamment mais il n'avait pas spécialement envie de travailler.
Il se sentait d'humeur ... romantique, en fait. Sans doute à cause de Louise Scialfa et Colin Woods. Il se demanda distraitement quand le jeune homme comptait lui demander de l'épouser. Inévitablement, ses pensées vagabondèrent vers Claudia. À plusieurs centaines de kilomètres de lui.
Il l'imagina, assise derrière son bureau comme lui, en train de corriger quelques copies ou de préparer ses prochains cours, une tasse de café sur le coin de la table, surveillant Thomas du coin de l'oeil.
Elle lui manquait comme rarement, en ce moment.
Peter resta quelques minutes, le regard vide, fixant sans le voir l'écran de son ordinateur encore éteint. Puis, pris d'une impulsion aussi soudaine qu'irrépressible, il se leva et rentra à l'appartement.
Une fois arrivé, il jeta pêle-mêle quelques affaires dans un sac et réserva sur internet une place dans un vol direct pour Richmond avant de quitter l'appartement de son ami.
Lorsque l'avion eut décollé, il s'autorisa à se relaxer. Quelques minutes seulement. Cela faisait moins de deux semaines qu'il n'avait pas vu Claudia et Thomas. Il lui était arrivé de passer beaucoup plus de temps loin de sa famille mais cette fois, c'était différent.
Claudia et lui venaient de passer un été à se disputer et bien que le mot n'ait jamais été lâché, il savait qu'elle avait parfois pensé au divorce. Plus d'une fois. Lui aussi d'ailleurs. Alors, il fallait arranger les choses. Tout simplement. Et puis, Thomas dormait chez un copain ce soir – c'était Claudia elle-même qui le lui avait dit – ce qui signifiait qu'ils auraient tout le temps de discuter. Dieu seul savait qu'ils en avaient besoin.
C'est en se répétant ces quelques mots que Peter prit la direction de leur maison, dans la nuit sombre qui enveloppait Richmond et ses environs.
Il passa devant le parc Rockwood où Thomas et lui avaient passé beaucoup de temps à jouer au football l'été dernier.
Il avait déjà sorti les clés de sa poche et atteint la porte d'entrée quand il nota pour la première fois quelque chose d'étrange. Quelque chose qui aurait du éveiller sa méfiance de détective privé. La voiture garée à côté de celle de sa femme. Cette voiture inconnue.
Mais Peter ne se méfia pas et ce n'est que lorsqu'il eut poussé la porte qu'il comprit ce qu'il allait voir. Qu'il comprit que sa femme n'était pas seule ce soir. Claudia, dans sa longue robe de chambre bleue, et l'autre homme, en jean et torse nu, s'éloignèrent brusquement l'un de l'autre et le regardèrent avec l'air de deux enfants pris en faute. |