Je ne cherche pas la sympathie et je n'en ai pas besoin. Les épines que j'ai cueillies viennent de l'arbre que j'ai planté. George-NoëlGordon
Nicole avait balancé un vase vers son mari, puis son sac et n'importe quel autre objet lui tombant sous la main. Il s'était réfugié dans son bureau pendant qu'elle le poursuivait en hurlant dans tout l'appartement. Elle avait crié, tempêté, tambouriné contre la porte. L'avait accusé de tous les maux, d'avoir tué Megan. Un moment, elle avait même essayé de l'enfoncer mais rien à faire. Elle avait fini par abandonner et se laisser glisser au sol en sanglotant doucement.
Puis, elle avait entendu deux bruits successifs, le premier – le déclic d'une serrure – si faible qu'elle crut l'avoir rêvé et le second … Sec et sourd. Un coup de feu, elle le savait.
— Je n'ai pas eu la force d'entrer, murmura-t-elle à Peter quand il entra dans l'appartement. Ni même d'appeler la police.
Il hocha la tête et la suivit dans le large couloir. La gorge nouée, sachant déjà ce qu'il allait trouver dans la pièce, il poussa doucement la porte. Il ferma les yeux. Dans ce silence terrible, douloureux, il resta immobile.
George Sheridan était assis derrière son bureau, avachi sur son siège. Son visage et sa tête étaient intacts, peut-être avait-il pensé à sa femme qui trouverait son corps sans vie. La blessure, d'où le sang frais s'échappait encore en contraste avec la blancheur immaculée de sa chemise, était au cœur.
Le revolver était tombé sur le bureau, juste à côté de sa main et d'une photo de famille.
Peter s'approcha. Il examina son visage rond. Le masque de cire de la mort n'avait pas encore pris possession de son corps. Il restait un peu de couleur sur son visage et ses yeux grands ouverts le fixaient sans le voir. Il résista à la tentation de refermer ses paupières.
Debout à ses côtés, Nicole sanglotait silencieusement, une main sur sa bouche.
C'est alors qu'il remarqua le mot. Une lettre du défunt. Il contourna le bureau et se pencha pour la lire, évitant de la toucher.
— Qu'est-ce qu'il dit ? Est-ce qu'il avoue .. ? lui demanda Nicole d'une voix étranglée au bout d'un long moment.
Elle leva vers lui un visage ravagé, ruisselant de larmes. Il secoua silencieusement la tête, réfléchissant à plein régime. Non, George n'avouait pas le meurtre de Megan mais il accusait Robin Van der Bildt. Et selon Peter, qui entrevoyait enfin la vérité, il avait eu tort. Lui croyait savoir qui avait tué la jeune fille.
Il conduit Nicole vers le salon, l'aida à s'asseoir sur le canapé et appela la police. Puis, il revint près d'elle.
— Nicole, je suis désolé mais je vais devoir m'en aller, lui annonça-t-il sans détour.
— Maintenant ?
— Oui. Je sais que ce n'est pas le moment idéal mais c'est très important. Il faut que je prévienne la police de quelque chose, lui expliqua-t-il succintement. C'est au sujet de Megan.
— Je comprends bien mais la police ne va pas tarder ... Pourquoi ne pas les attendre avec moi ?
Parce qu'il ignorait s'il pouvait leur faire confiance. Parce qu'il préférait en parler avec Carlos Delgado, le seul qui s'était comporté avec intégrité et avait fait passé l'éthique et la vérité avant toute autre chose, avant son intérêt personnel et sa carrière. Il avait gardé le cap, faisant fi des menaces et des risques encourus. Aux yeux de Peter, il était le seul digne de confiance.
Mais il ne le lui dit pas et se contenta de poser sa main sur la sienne, froide et rigide. Il la serra entre la sienne, brièvement. Elle leva les yeux vers lui, confuse.
— Faites-moi confiance, lui demanda-t-il simplement.
Lorsqu'il quitta l'immeuble des Sheridan, malgré lui tourmenté à l'idée de laisser Nicole seule, les ambulanciers et les policiers arrivaient. Ils le dépassèrent et s'engagèrent en courant à l'intérieur, sans lui prêter attention.
Conscient qu'il ne pourrait plus longtemps caché ses délits, Sheridan s'était donné la mort mais il avait tenu à ne pas tomber seul, à entraîner le plus de monde dans sa chute. Linda Thompson, Robin Van der Bildt ... Mais il avait oublié quelqu'un. Peter n'avait plus qu'à finir ce qu'il avait commencé. Il appela Delgado, lui résuma la lettre et lui expliqua son plan.
Les abords du poste de police étaient calmes lorsqu'il y arriva, moins de dix minutes plus tard.
Comme il s'y attendait, Leila MacEwan arriva presque en même temps que lui. Elle semblait surprise de le voir et son visge aux traits séduisants laissaient transparaître son inquiétude.
— Monsieur Westerfield, quelle coïncidence ...
— Vous venez chercher votre frère ?
— Comment savez-vous que .. ?
— Qu'il a été arrêté ? finit-il à sa place, nonchalamment appuyé contre sa voiture. Oh, disons que c'est en partie à cause de moi. Franchement mademoiselle MacEwan, pendant combien de temps pensiez-vous povoir garder sa liaison avec Megan secrète ?
Elle essaya de le contourner mais il se plaça juste devant elle, l'empêchant d'entrer dans le bâtiment.
— Laissez-moi passer !
— Votre frère a été arrêté et est interrogé depuis près de deux heures au poste de police, lui annonça-t-il d'un ton tranquille, sans tenir compte de ses protestations.
— Je suis déjà au courant, c'est pour ça que je suis là. Un certain inspecteur Delgado m'a appelé au travail.
— La police le soupçonne d'avoir assassiné Megan Sheridan.
— Ce qui est ridicule puisque nous savons tous qu'elle est morte d'une overdose accidentelle.
Il secoua la tête et s'approcha.
— Non, vous auriez du dire : ce qui est ridicule puisque nous savons que je l'ai assassinée.
Un long silence suivit ses propos durant lequel elle lui lança un regard indéchiffrable.
— C'est grotesque, finit-elle par déclarer.
— Vous allez vraiment laissez votre frère payer à votre place ? demanda-t-il, incrédule et révolté. Vous l'aimez, vous l'élevez depuis qu'il est adolescent et maintenant, vous allez le laisser aller en prison pour un crime que vous avez commis.
— Aucun crime n'a été commis. C'est la police elle-même qui a conclu à un accident. Je ne sais pas ce qui se passe en ce moment mais ce doit être un malentendu. Tout simplement.
— La police a découvert que votre frère sortait en secret avec Megan cet été et qu'il l'avait mise enceinte. Un test ADN va être effectué et je parie qu'il prouvera qu'il était le père de son bébé. Et il a avoué qu'il était à l'hôtel Plaza le soir de sa mort.
— Evidement qu'il était au Plaza ce soir-là. Mais il était venu pour me voir, moi ! Et c'était avant le début de la soirée.
Il haussa les épaules.
— Je ne fais que rapporter ce que Carlos Delgado m'a dit. Il est convaincu qu'une dispute a éclaté entre Jeremy et Megan. Une crise de jalousie, un désaccord au sujet de sa grossesse … Qui sait ce qui l'a déclenchée ? Mais Megan en est morte. Et il vous aurait demandé de l'aider à déguiser sa mort en accident. Ce n'était pas bien difficile de faire croire à une overdose pour vous qui avez brièvement étudié la médecine avant l'économie, n'est-ce pas Leila ?
Voyant qu'elle gardait le silence, il poursuivit :
— Mais je ne crois pas que votre frère soit coupable ou que vous l'ayez aidé. Vous seule avez tué Megan. Parce qu'elle menaçait tout ce qui comptait pour vous : votre travail et votre relation avec Jeremy.
— Vous dites n'importe quoi.
Mais sa voix manquait de conviction et elle évitait son regard.
— Tout a commencé à cause de la négligence de George Sheridan, expliqua la jeune enquêteur. À cause de lui, Megan a découvert qu'il escroquait des clients, tout comme Robin Van der Bildt. N'importe qui d'autre aurait laissé tomber mais pas Megan. Elle avait trop soif de justice pour se taire et devenir la complice des délits de son père ou de son parrain. Pour ce qui était de la Sheridan Brothers, elle avait des preuves qu'elle a aussitôt envoyées à Omar Besbe, un ancien de la SEC. Mais pas pour le groupe VDB … Alors, elle a essayé d'en trouver et a pris tous les risques, notamment celui de s'introduire dans le système informatique pendant son stage.
— Elle n'a pas réussi à le faire et n'a rien trouvé du tout. Parce qu'il n'y avait rien à trouver.
— Parce que vous l'avez surprise avant qu'elle ne réussisse, acquiesça-t-il. Mais c'est à ce moment-là que vous avez compris qu'elle savait. Je ne suis pas sûr de ce qui s'est passé par la suite mais je crois le deviner. En d'autres circonstances, Megan ne serait pas confiée à vous mais cet été-là, tout était différent. Elle ne faisait plus confiance à personne. Son père était un escroc, sa meilleure amie et son petit ami l'avaient trahie, tout comme sa mère au sujet de sa naissance puis de sa liaison extraconjugale avec son parrain. Alors, elle s'est tournée vers vous. Elle pensait pouvoir vous faire confiance parce que vous étiez la sœur du garçon qu'elle aimait et que vous l'aviez aidé à gérer sa grossesse. Vous proposiez même de lui payer l'avortement, n'est-ce pas ?
— Depuis quand venir en aide à une adolescente perdue fait de vous une criminelle ?
— Megan a cru que vous ignoriez ce que Van der Bildt et son père faisaient, que vous l'aideriez à les dénoncer, continua Peter, sans tenir compte de l'interruption. Probablement parce que vous le lui avez vous-même dit mais Megan, comme tous les autres d'ailleurs, n'a jamais compris la profondeur du lien qui vous liait à Robin.
— Il m'a laissé une chance quand tous les autres me tournaient le dos, quand personne ne voulait me donner ce travail dont Jeremy et moi avions besoin. Il se montre toujours compréhensif, il me laisse partir du boulot dès que mon frère a besoin de moi, à chaque fois, souffla-t-elle.
— Et Megan menaçait tout cela. Non seulement elle éloignait votre frère de vous – une rave-party dans les bois et une grossesse, tout ça en l'espace d' un seul été – mais en plus, elle mettait en danger votre gagne-pain, indispensable pour soigner Jeremy. Elle risquait aussi de s'en prendre à l'homme que vous admiriez le plus au monde. Alors, vous avez prise votre décision.
— J'ai appris que George Sheridan s'était suicidé cet après-midi, dit-elle, passant du coq à l'âne.
— En effet, confirma-t-il. Il n'arrivait plus à se supporter et quand il a perdu sa banque et que sa femme l'a accusé d'avoir tué Megan, il a pété les plombs et lâché prise. D'une certaine manière, Nicole Sheridan avait raison. Il n'a peut-être pas tué Megan mais il couvrait indirectement son assassin en faisant pression sur la police et sur moi pour que nous cessions d'enquêter. Il s'est tiré une balle dans la tête et a laissé une lettre. Il confesse ces délits et accuse Robin.
Elle releva la tête et secoua la tête, le visage blême.
— Je parie que la police ne prendra pas cette lettre au sérieux, dit Peter. Il est plus facile d'accuser un adolescent schizophrène qu'un homme aussi puissant que Robin.
— Et comment savez-vous que Rob n'est pas coupable ? lui demanda-t-elle, l'ombre d'un demi-sourire sur les lèvres.
— À cause du rapport d'autopsie.
— Du rapport d'autopsie ?
— Celui donné à la police a été truqué, par le médecin légiste lui-même et ne mentionnait pas la présence de flunitrazepam dans le sang de Megan. Et surtout, il n'y avait rien sur la grossesse, indiqua Peter. Je ne doute pas que Rob ait les relations nécessaires pour faire falsifier le rapport mais il n'auait pas cherché à dissimuler la grossesse de Megan s'il l'avait tuée. Ça n'avait aucun rapport avec lui. Au contraire, ç'aurait été une merveilleuse fausse piste … Mais pour vous Leila, c'était primordial parce que la police, en analysant l'ADN du fœtus, aurait pu remonter jusqu'à votre frère ou même vous. C'était peu probable mais vous préfériez ne prendre aucun risque. Je ne sais pas si c'était intentionnel de votre part mais il est vrai que dernièrement, j'ai beaucoup soupçonné Robin. Surtout quand j'ai découvert que quelqu'un s'était fait passer pour le père biologique de Megan et lui avait envoyé un e-mail lui donnant rendez-vous au Plaza. Ce quelqu'un, c'était le responsable de la sécurité, votre petit ami Craig Warren, révéla-t-il en scrutant son visage.
— Vous qui voyiez des complots partout, vous devriez en conclure que c'est Robin qui le lui a demandé.
— Je l'ai cru un moment mais désormais, je sais que c'était vous. Je suis certain que Megan a parlé à Jeremy de ses retrouvailles avec son père biologique Aidan et qu'il vous l'a répété. De son propre aveu, vous n'avez aucun secret l'un pour l'autre, lui rappela-t-il. Vous y avez vu une opportunité et avez demandé à votre petit ami de donner rendez-vous à Megan. La tuer au Plaza était une excellente idée parce que vous aviez une bonne raison d'être sur les lieux. Vous prépariez la réception.
D'une voix blanche, sans la quitter des yeux, il continua :
— Vous avez vu Megan arriver et commander. Vous avez pu vous faufiler en cuisine sans attirer l'attention et glisser un peu de flunitrazepam dans son cocktail. Vous avez attendu que la drogue fasse effet puis vous êtes montée. Comme vous travaillez à l'hôtel, je suis certain que vous possédez un pass qui ouvre toutes les chambres. Je suppose que Megan était déjà inconsciente. Vous lui avez fait l'injection d'héroïne et vous êtes redescendue faire la fête comme si de rien n'était, jusqu'à ce que le corps soit découvert. Entre-temps, Craig a effacé l'enregistrement de vidéo surveillance et fait porter le chapeau à Callie Wilson, une employée. Van der Bildt voulait la renvoyer et elle se défendait. Et elle avait de quoi puisqu'elle vous avait vu entrer dans la chambre de Megan et menaçait de parler. Craig pensait pouvoir l'acheter mais ça n'a pas marché. Alors il l'a tuée quelques semaines plus tard et a fait croire à un cambriolage qui aurait mal tourné. Mais revenons à la soirée du 28 août. Il vous restait encore beaucoup de travail pour complètement assurer vos arrières. Je ne sais pas comment le docteur Singh s'est retrouvé mêlé à tout ça mais …
— Robin m'a appris que savoir, c'est pouvoir. Il a des espèces de dossier sur tout ceux qu'ils rencontrent, aussi bien sur ses employés que les gens qui ne travaillent pas pour lui. Il sait que Sheridan couche avec des hommes par exemple.
— Et pour ce qui est du docteur Singh ?
— Il avait des photos assez équivoques de ce cher docteur en compagnie d'une jeune femme qui n'était pas la sienne en vacances.
— Vous l'avez fait chanter et la perspective d'un divorce l'a convaincu d'écourter ses vacances dans les Hamptons et de falsifier le rapport d'autopsie.
Leila éclata d'un rire sans joie.
— Si ces photos avaient été divulguées, un divorce aurait été le cadet de ses soucis. La fille, une certaine Olivia, était une lycéenne mineure. Tout juste dix-sept ans … Elle était dans la même classe que Megan.
— Attendez … Cette fille, ce ne serait pas Olivia Clark ?
Elle hocha la tête. Ils restèrent silencieux un moment, face à face.
— Ainsi, vous étiez à l'abri de tout soupçon, conclut-il d'une voix froide, pleine de mépris. Même si la police ne tombait pas dans le panneau de l'overdose, rien ne vous reliait à la mort de Megan. Et les circonstances ont été favorables pendant très longtemps. Il y d'abord eu cette vidéo de la rave dans les bois des Hamptons qui ont conforté tous ceux qui croyaient à l'overdose. Et puis, vous n'étiez pas la seule soulagée par sa mort. Linda Thompson et George Sheridan l'étaient tout autant et ils ont tout fait pour que l'enquête soit rapidement classée. Ils ont aussi tenté d'intimider l'inspecteur Delgado. Mais vous n'aviez pas prévu qu'il s'obstinerait autant, ni mon intervention. Et surtout, vous n'aviez pas effacé toutes les traces.
— Vraiment ?
— L'ordinateur dont Megan s'est servi pendant son stage. Vous n'avez pensé à effacer le disque dur que lorsque Robin vous a prévenu de ma venue et de mon enquête. Vous avez essayé de supprimer les informations compromettantes mais vous n'avez pas eu assez de temps pour tout faire disparaître. Résultat : j'ai pu récupérer une partie des données concernant les malversations financières de la SB et les messages envoyés à Omar Besbe. C'est en partie grâce à ça que j'ai pu rassembler les pièces du puzzle.
— Megan a été d'une intelligence rare mais c'était assez idiot de les envoyer depuis le siège de la boîte, fit remarquer Leila.
Peter la contempla sans mot dire, éberlué par ce que cette femme avait fait et le peu de remords qu'elle semblait éprouver. Elle le contourna et marcha vers l'entrée du poste de police.
— Qu'est-ce que vous faites ?
— Je vais me rendre, dit-elle. Vous pouvez penser ce que vous voulez de moi, que je suis le diable en personne et peut-être avez-vous raison mais j'aime mon frère. Plus que tout au monde. Je ne vais pas le laisser porter le chapeau. C'est aussi pour lui que j'ai fait ça, même si personne ne le comprendra jamais. Vous n'avez pas idée des dégâts que Megan Sheridan était capable de faire.
— Vous l'avez privé de la fille qu'il aimait. Megan morte et vous en prison pour son meurtre, que deviendra-t-il ? lui demanda-t-il.
Leila MacEwan le regarda un long moment, sans mot dire, puis d'un mouvement d'une lenteur infinie, se retourna et s'engouffra à l'intérieur du bâtiment.
Elle était partie avant qu'il n'ait eu le temps de lui dire que Jeremy n'était pas en état d'arrestation et ne l'avait jamais été. Delgado lui avait simplement demandé d'attendre au poste l'arrivée de sa sœur. Il ignorait ce que le policier avait dit à Leila au téléphone mais il était certain qu'il s'était gardé de prononcer le mot « arrestation ». Peter lui faisait confiance pour cela.
Le détective privé remonta dans sa voiture et prit la direction de l'appartement des Sheridan. Non, se corrigea-t-il mentalement en s'engageant sur Park Avenue, seule Nicole y habitait dorénavant. |