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Le dernier été
Par SarahCollins
Originales  -  Mystère  -  fr
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Mémoire trouble

7

Mémoire trouble

 

La mémoire, ce passé au présent. François Chalais

Le lendemain de sa rencontre avec Jennifer, Peter faisait le pied de grue devant le lycée Saint Francis, que fréquentait Jake Thompson, le petit ami de Megan. Le père de son bébé sans doute, même si Peter n'oubliait pas la suggestion de son amie : Meg pouvait tout aussi bien avoir rendez-vous avec un autre garçon le soir de la mort et c'était dans ce but qu'elle avait réservée une chambre au Plaza avant la soirée.

La veille, après les stupéfiantes révélations de Jenny, il avait appelé Nicole Sheridan pour lui parler de la grossesse de sa fille. Comme il s'y attendait, elle n'était pas au courant et la nouvelle l'avait secouée. C'était le moins qu'on puisse dire. À vrai dire, il regrettait un peu de le lui avoir annoncé par téléphone, au vu de sa réaction.

Jake Thompson venait de sortir du gymnase attenant au lycée où s'entraînait l'équipe de natation le mercredi après-midi. Grand et mince, les cheveux noirs mouillés par deux heures de natation, le jeune homme remontait la rue à grands pas. Peter remarqua que, contrairement aux autres membres de l'équipe, il ne s'attardait pas devant le lycée avec ses amis. Il était directement parti, sans dire au revoir à personne.

Peter attendit qu'il passe devant lui pour le rattraper. Il se présenta rapidement et comme de bien entendu, ne jugea pas utile d'expliquer au jeune homme qu'il n'était pas policier, mais détective privé. En fait, il avait de la chance : il avait un instant craint que Sally Ann Van der Bildt ne l'ait déjà prévénu mais visiblement, elle avait gardé leur petite conversation pour elle.

— La police estime qu'il y a encore des zones d'ombres dans cette affaire, ajouta-t-il d'un ton vague. Alors je pose quelques questions.

— Mais ça fait plus de deux semaines, fit remarquer Jake, les sourcils froncés et les mains enfoncées dans les poches de son jean hors de prix.

— Certaines informations commencent seulement à remonter, tu sais. Les témoins oublient certaines choses, ou ils les passent sous silence parce qu'ils estiment que ce sont des détails secondaires. Parfois, ils mentent tout simplement. Par exemple, reprit-il après un court silence, tu n'as dit à personne que tu t'étais disputé avec Megan quelques heures avant sa mort.

— Qui vous a dit ça ? demanda-t-il d'une voix blanche.

— Aucune importance, balaya-t-il avec un signe dédaigneux de la main. Donc tu ne nies pas ? Quel était le problème ?

— Je ne crois pas que ça vous regarde. Et puis, je ne comprends pas … Megan est morte d'une overdose. C'était un accident, non ? Alors pourquoi posez-vous toutes ces questions ?

— Pour être sûr et certain. Ce serait dommage de faire une erreur, de conclure à une mort accidentelle si ce n'en est pas une et de laisser un meurtrier en liberté. Tu n'es pas d'accord ?

Jake blêmit davantage et le fixa pendant quelques secondes, l'air interdit.

— Un meurtrier ? Vous pensez que quelqu'un … Vous pensez que je lui ai fait du mal ?

— Tu t'es disputée avec Megan, Jake, répéta Peter en le fixant droit dans les yeux. Quelqu'un vous a entendu et cette personne est formelle : la discussion était violente. Tu semblais hors de toi et, quelques heures après, on retrouve Megan. Morte. Tu étais déjà au Charlton Plaza quand Megan y est arrivée, peu de temps après cette fameuse dispute. Tu n'as pas d'alibi. Je serais idiot de ne pas me poser de questions.

Peter y allait au bluff mais cela semblait marcher. Le jeune homme avait l'air complètement paniqué maintenant et prêt à tout lui avouer pour ne plus figurer sur la liste des suspects.

— Ecoutez, vous faites une erreur. Je n'ai rien fait à Meg. Jamais je n'aurais … Si je n'ai pas parlé de notre dispute, c'est parce que ma mère me l'a déconseillé. Non, elle me l'a carrément interdit. Et ma mère ... Bref, elle disait que ça aurait l'air suspect et que la police penserait que j'étais responsable de sa mort. Le simple fait d'être cité dans une affaire de meurtre ruinerait mes chances d'entrer à la fac, vous savez.

Peter fronça les sourcils, les méninges tournant à plein régime. Ainsi donc, moins d'une heure après la découverte du corps sans vie de Megan et l'arrivée de la police à l'hôtel, Mme Thompson parlait déjà de meurtre. Pourtant, l'expérience avait prouvé à Peter que, confrontés à une mort inattendue, les gens avaient au contraire tendance à envisager l'homicide en derniers recours, privilégiant aussi longtemps que possible la thèse de l'accident.

— Vous vous disputiez au sujet du bébé, c'est ça ?

— Euh … Quel bébé ?

Le détective le fixa une bonne dizaine de secondes et Jake détourna les yeux le premier, de plus en plus pâle.

— Le bébé qu'elle attendait au moment de sa mort. Elle était enceinte, Jake.

— Je … l'ignorais. Je ne savais pas, je vous jure.

— Alors je répète : au sujet de quoi vous disputiez-vous ?

— De … Ecoutez, ça n'était pas important. Tous les couples ont des disputes, non ? Je ne m'en souviens même plus … Ce n'était vraiment pas important.

— Ah oui ? fit semblant de s'étonner Peter. Tu ne te souviens plus de la dernière conversation que tu as eue avec ta petite amie ? Ta petite amie morte ?

— C'était il y a deux semaines quand même, tenta de se justifier le jeune nageur, de plus en plus mal à l'aise sous le regard insistant que dardait sur lui le détective.

— Tu sais, asséna-t-il, pour autant qu'on sache, tu es sans doute le dernier à lui avoir parlé Jake.

Celui-ci déglutit mais se tut. Peter songea que c'était une chance que Sally Ann ne l'ait pas prévenu à son sujet. Un détective privé n'aurait jamais pu inspirer la même peur à Jake, il en était sûr. Oui, il devait une fière chandelle à la jeune fille …

— Vous vous disputiez au sujet de Sally Ann ? comprit-il enfin.

Jake secoua violemment la tête mais il mentait mal. Et Peter était trop expérimenté.

— Jake, n'aggrave pas ton cas, d'accord ? Mme Sheridan m'a dit que Meg et toi, vous étiez moins proches et j'ai parlé à Sally Ann. Vous êtes sortis ensemble dans le dos de Megan, c'est ça ?

— Ce n'est arrivé qu'une seule fois, dit enfin Jake, le regard perdu. On n'a pas eu de liaison ou je ne sais quoi …

— Mais Megan était au courant et elle était folle de rage, n'est-ce pas ?

— Elle nous a surpris cet été sur la plage. Je ne sais même pas pourquoi elle est restée avec moi tout ce temps mais ensuite, j'ai appris qu'elle avait quelqu'un d'autre elle aussi.

— Qui ça ?

— Aucune idée. Ma mère ne le savait pas.

— Ta mère ? C'est par ta mère que tu as su que Megan te trompait ?

Il acquiesça et Peter devina à la blancheur des jointures de ses phalanges qu'il serrait les poings dans ses poches.

— Elle ne l'aimait pas beaucoup mais Meg était la fille de son patron alors elle ne disait rien. Ma mère est vice-présidente de la banque Sheridan Brothers, explicita le jeune homme pour Peter. Elle a repris la place de papa à sa mort.

— Je suis désolé. Pour ton père, je veux dire. Il est mort il y a longtemps ?

— Presque dix ans, répondit Jake en évitant son regard. Dans l'une des tours jumelles. C'est là-bas que se trouvait le siège de la banque avant.

Machinalement, le regard du jeune détective se tourna vers la pointe sud de l'île où se trouvait Ground Zero.

— Et donc, ta mère savait que Megan voyait quelqu'un d'autre ? Mais comment l'a-t-elle découvert ?

— Elle a engagé un détective privé et elle m'a montré les photos. Meg était avec un autre type. Blond et assez jeune mais je ne sais pas qui c'est. Et je m'en fiche à vrai dire. Quelle importance maintenant ?

— Attends : ta mère a engagé quelqu'un pour surveiller ta petite amie ? Mais pourquoi ?

— Parce que c'était très sérieux entre Megan et moi. Elle voulait être sûre que c'était une fille bien avant qu'on passe à l'étape supérieure. Avant qu'on se fiance ou quelque chose comme ça.

Ouais, tellement sérieux comme relation que tu as couché avec sa meilleure amie et qu'elle a eu une liaison avec un autre, se dit Peter.

En fait, ces jeunes lui faisaient un peu pitié. Lui-même ne pouvait pas se permettre de quitter Claudia et de divorcer parce que leur mariage rencontrait quelques problèmes mais il était trentenaire et avait pris un engagement. Alors que Meg et Jake … Deux jeunes adolescents, même pas majeurs, qui ne pouvaient pas rompre sans subir la pression de leurs parents, davantage intéressés par leur intérêt financier que le bonheur de leurs propres gosses.

Peter laissa Jake s'en aller après lui avoir dit, pour la forme, de ne pas quitter la ville et regagna sa voiture.

Une assez triste histoire si on réfléchissait.

Mais quelque chose ne collait pas dans les réactions de Jake. Si sa surprise semblait réelle quand Peter avait parlé de sa dispute avec Megan, ce n'était pas tout du tout le cas pour ce qui était de la grossesse. Non, il était parfaitement au courant que Megan était enceinte et que ce bébé n'était vraisemblablement pas le sien.

OOoOo

Assise devant sa coiffeuse, Nicole lissa les boucles impeccables de sa chevelure sombre et étudia sa tenue. La robe blanche à imprimés bleu marine de chez Diane Furstenberg avait, en plus de sa coupe élégante, l'immense avantage de masquer les kilos perdus au cours des dix-neuf derniers jours.

Elle s'observa d'un œil critique, remarquant la pâleur de ses joues, la proéminence de ses pommettes et le rouge autour de ses yeux. Encore un peu de fard à joues, décida-t-elle.

Elle se maquilla davantage. Elle ne voulait pas donner une seule occasion aux vieilles pies du club de répandre des commérages sur elle alors qu'elle y revenait pour la première fois depuis la mort de sa fille. Elle savait que la brutale disparition de Megan et les circonstances de sa mort – les overdoses mortelles d'héroïne n'étaient pas si fréquentes dans l'Upper East Side – avaient fait couler beaucoup d'encre dans la communauté et se réjouissait qu'on ne sache pas ce qu'elle-même avait pris la veille.

Elle n'osait imaginer ce qu'on avait pu dire dans son dos durant les deux semaines de son absence.

Une nouvelle fois, elle se demanda pourquoi l'opinion de ces individus l'intéressait, pourquoi elle tenait tant à assister à ces réunions du club, semaine après semaine alors qu'elle détestait chacune des femmes de ce cercle soi-disant littéraire. En réalité, chaque réunion lui semblait plus longue et plus ennuyeuse que la précédente mais moins que la suivante.

La vérité, et c'était triste à avouer, c'était qu'elle n'avait pas grand-chose d'autre à faire. Elle n'avait pas de travail et n'en avait jamais eu besoin. George travaillait et Megan … Megan n'était plus là.

Elle réalisait à quel point sa vie était vide sans sa petite fille chérie. Serait-ce toujours ainsi ? Une succession de jours mornes et sans intérêt, de repas en compagnie d'un George taciturne les rares fois où il rentrait suffisamment tôt du travail, de réunions au club et de potins échangés lors de galas de charités au Met ou de bal des débutantes au Waldorf-Astoria ?

Elle reposa son fard à paupière et se remémora l'incroyable conversation qu'elle avait eue avec Peter Westerfield la veille au soir. Megan était enceinte au moment de sa mort. Enceinte. D'abord, la drogue, ensuite la grossesse … Comment avait-elle pu manquer cela ? Comment avait-elle pu ne rien voir ? Plus important, aux yeux de Peter en tout cas, pourquoi cette information ne lui avait-elle pas été communiquée par la police ? D'après le détective, ils avaient forcément du le voir lors de l'autopsie.

Naïvement, elle s'était dit que Megan n'avait pas encore de rapports sexuels, que peut-être, elle attendrait d'être mariée pour en avoir. Force était de constater qu'elle s'était lourdement trompée et que Megan avait préférée suivre le chemin de sa mère Nicole plutôt que celui de sa défunte grand-mère.

La seule bonne nouvelle de cette semaine était l'absence de nouvelles d'Aidan. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, disait toujours sa mère. Elle espérait que ce vieil adage se révélerait véridique dans son cas et que Robin avait réussi à lui faire entendre raison. Quelle que soit la manière employée.

Habillée de pied en cape, elle sortit de sa chambre et se rendit dans le bureau de son mari.

— Tout va bien, mon chéri ? lui demanda-t-elle, avisant son expression inquiète.

Le téléphone contre l'oreille, il lui adressa un sourire rassurant.

— C'est Linda Thompson, indiqua-t-il, désignant ainsi la vice-présidente de la banque. On discute affaires …. Enfin, je ne vais pas t'ennuyer avec tout ça. J'ai vu que l'ordinateur de Meg n'était plus dans sa chambre, ajouta-t-il, changeant brusquement de sujet et faisant légèrement sursauter son épouse.

— Oh oui, c'est moi qui l'ai pris hier. Je l'ai donnée à … tu sais, cette œuvre de charité sur Lexington, inventa-t-elle au hasard.

— Ah ! J'avais peur qu'on nous l'ait volé.

— Te voilà rassuré alors.

— Il y avait des données sur le disque dur ? lui demanda George.

— Euh … non. Enfin, je ne m'y connais pas très bien. Bon, je vais m'en aller. Je dois aller au club. A ce soir.

Elle quitta la pièce, priant pour qu'il ne lui pose pas d'autres questions.

Nicole se chaussa et abandonna cet appartement silencieux et ce mari indifférent, essayant de ne pas prêter attention au son lugubre de ses escarpins contre le parquet.

Lorsqu'elle s'engouffra dans le taxi, elle se demanda si Peter avait réussi à faire parler l'ordinateur portable de Megan, qu'elle lui avait confié la veille.

OOoOo

L'ordinateur portable de Megan Sheridan sur les genoux, Peter avait l'œil rivé sur l'écran. Il avait l'impression d'avoir découvert une nouvelle Megan. La véritable Megan en fait.

Depuis qu'il avait accepté de reprendre cette enquête, il n'arrivait pas à cerner la jeune fille. Qui était-elle au juste ? Une héritière dévergondée habilement dissimulée derrière le masque de la brillante étudiante ? Une jeune fille bien sous tous rapports qui avait dérapé sans aucune raison ? Un curieux mélange des deux ?

Mais pendant qu'il consultait l'historique des sites consultés les semaines précédent sa mort, fouillait le disque dur de son ordinateur, il avait réussi à un peu mieux la cerner.

Il appela Nicole Sheridan sur son portable. Elle décrocha dès la première sonnerie, comme si elle attendait son coup de fil. Il l'imagina, assise au milieu de son majestueux salon, son œil sombre et impeccablement maquillé anxieusement fixé sur son mobile. Il savait qu'elle attendait des ses nouvelles.

— Oui, M. Westerfield ?

— J'ai découvert quelques trucs intéressants au sujet de Meg et de ce qu'elle a fait ces derniers mois.

— En rapport avec son … bébé ?

— En partie, oui, répondit-il doucement. Apparemment, elle se savait enceinte et ne comptait pas le garder.

— Elle voulait avorter ? s'exclama Mme Sheridan. Comme ça ? Sans rien dire à personne ?

— Elle a visité à plusieurs reprises le site d'une clinique du Queens, qui pratique l'avortement. Je pense qu'elle cherchait des renseignements. Mais d'après son relevé téléphonique, elle n'avait pas encore appelé. Je ne suis pas sûr qu'elle ait vraiment pris sa décision, ajouta le jeune détective.

Il avait conscience que l'idée de l'avortement choquait Mme Sheridan au moins autant que la grossesse surprise de sa fille, sans savoir si le sujet la dérangeait en lui-même ou si elle regrettait simplement que sa fille, dont elle se croyait proche, ne lui ait pas parlé de ses problèmes.

— En parlant de ça, je me demandais … Est-ce que Megan recevait beaucoup d'argent de poche ? Vous m'aviez dit que votre mari et vous mettiez un peu d'argent sur son compte courant …

— Un petit peu, oui. En cas d'urgence, vous comprenez. Mais on ne voulait pas lui trop lui en donner. George et moi, nous voulions lui inculquer la valeur de l'argent et éviter qu'elle ne soit pourrie gâtée comme certaines de ses amies.

— Donc, en partant du principe qu'elle voulait bel et bien avorter, elle n'aurait de toute façon pas eu les moyens de le faire, l'interrompit-il.

— Pas juste avec son argent de poche, non.

— Est-ce que vous pensez qu'elle aurait pu demander de l'argent à son père ?

— À George ? Oh que non. Je crois qu'il aurait préféré qu'elle garde le bébé pour le faire adopter plutôt que d'avorter. Vous savez, sa famille donne beaucoup d'argent à la NRLC chaque année, déclara Mme Sheridan, citant ainsi un groupe de pression pro-vie, l'un des plus importants du pays.

Effectivement, il semblait peu probable que Megan se soit confié à son père vu les positions défendues par ce dernier. Etait-ce pour cela que la nouvelle de sa grossesse n'avait pas été communiquée aux médias en même temps que la cause – supposée – de sa mort ? Pour protéger la réputation de la très conservatrice famille Sheridan ?

— Est-ce que vous voyez quelqu'un d'autre, un adulte de confiance à qui Megan aurait pu demander de l'argent ? Sans parler du fait qu'elle avait peut-être besoin de l'autorisation d'un adulte ? Je ne sais pas trop comment ça se passe à New York pour les mineures …

— Moi non plus, je n'en sais rien, rétorqua sèchement son interlocutrice. Et je ne vois personne dans mon entourage, qui lui aurait donné de l'argent pour se faire avorter sans même m'en parler. Peut-être son petit ami Jake ?

Il acquiesça mollement, sans lui dire qu'il ne pensait pas que Jake soit le père de ce bébé. Un seul choc à la fois.

— En-dehors de cela, avez-vous trouvé quelque chose d'intéressant ? lui demanda-t-elle.

Peter retint de justesse la diatribe acide qu'il brûlait de lui lancer. De son point de vue de professionnel, comprendre comment Megan avait l'intention de se payer un avortement à plusieurs centaines de dollars sans demander d'argent à ses parents était intéressant. Certes, ses parents mettaient de l'argent sur son compte mais elle l'avait utilisé pour louer la chambre d'hôtel au Plaza, le soir de sa mort.

— Oui. Est-ce que Megan était une militante anti-peine de mort ?

— C'est le moins qu'on puisse dire et cela faisait enrager George et ses grands-parents comme jamais. Ils n'arrêtent pas … n'arrêtaient pas de répéter qu'elle était naïve, qu'elle défendait de vrais monstres …

— Elle s'est beaucoup impliquée dans une affaire, lui apprit Peter. Euh, laissez-moi regarder … Ah oui, voilà … Un jeune condamné à mort du nom d'Eddie Petterson, en Pennsylvanie. Certains prétendent qu'il souffre d'une maladie mentale et que le procureur n'en a pas tenu compte au moment du procès. Qu'il ne devrait donc pas être exécuté.

— Cela ne m'étonne pas d'elle, soupira tendrement Nicole Sheridan. C'est bien le genre de causes désespérées qui l'attiraient mais je ne vois pas le rapport avec sa mort.

— Il n'y en a peut-être pas, avoua Peter, mais cette affaire-là lui tenait à cœur, c'est certain. Elle a signé des pétitions, participé à plusieurs manifestations ici à New York. Je crois qu'elle s'est même rendue à l'hôpital Beth Israel. Elle voulait se renseigner sur la schizophrénie et écrire un article sur l'affaire Petterson pour le journal de son lycée.

Il n'ajouta pas, qu'à son avis, il n'y avait aucune chance que l'école Notre Dame n'accepte de publier un article si polémique. La direction préférait sans doute les papiers sur le menu de la cantine ou les résultats de l'équipe de lacrosse, moins à même de les exposér à des missives enflammées de parents d'élèves et de donateurs.

— Megan ne s'impliquait pas dans chacune des affaires en rapport avec la peine de mort avec une telle intensité, non ? insista-t-il. Sans parler du fait que la Pennsylvanie, ce n'est pas la porte à côté quand même …

— Non, c'est vrai, reconnut Mme Sheridan, mais j'ignore vraiment ce que cette affaire avait de si particulier pour elle.

Au ton de sa voix, il comprit que si Megan Sheridan avait longtemps été une énigme pour lui, Mme Sheridan descendait un chemin inverse au sien. Elle semblait de moins en moins bien comprendre les motivations et les derniers actes de sa défunte fille. Quelle ironie, songea-t-il.

— En-dehors de cela, j'ai l'impression qu'elle voulait étudier à l'étranger. Elle s'est renseignée sur les voyages linguistiques, en France notamment.

— Oui, ça je le savais ! Elle nous en avait parlé.

— Ce qui m'a surpris, avoua Peter, c'est qu'elle semblait vouloir partir le plus tôt possible. Pas l'année prochaine mais dès le prochain semestre.

— Vraiment ? Je savais qu'elle voulait passer du temps à Paris mais je ne pensais qu'elle envisageait de partir si vite.

Décidément, la liste de choses que Mme Sheridan ignorait au sujet de sa fille et de ses projets pouvait remplir une encyclopédie. En plusieurs volumes.

Allait-il vivre la même chose dans quelques années avec Thomas ? Son adorable petit garçon se transformerait-il en un parfait étranger ? C'était sans doute ce qui se passerait s'il n'arrangeait pas les choses avec Claudia et laissait son fils grandir loin de lui, en Virginie.

— Sinon, je suppose que vous ne connaissiez pas le mot de passe de sa boîte e-mail? J'ai essayé sa date de naissance, le nom de sa meilleure amie, de son copain mais là, je suis un peu à court d'idées.

— Non, je n'ai pas d'idées. Je … je suis désolée, M. Westerfield, je ne dois pas être d'une grande aide.

— Oh, non, il ne faut pas … Ce n'est pas votre faute, dit-il doucement.

— Quand je suis venu vous voir, j'avais bien conscience que Meg et moi nous étions éloignées au cours des derniers mois mais là, ça dépasse ce que j'avais imaginé.

Il garda le silence, ne sachant comment la réconforter et un peu plus tard, après quelques paroles d'une maladroite banalité, Nicole Sheridan raccrocha.

Préoccupé, Peter se leva. Le front collé les vitraux, il regarda pendant de longs instants, le soleil se coucher derrière les gratte-ciels de Flatiron District.

Eddie Petterson le condamné à mort, les enregistrements de vidéo surveillance effacées le soir de sa mort « par inadvertance », Jake, sa grossesse, le flunitrazepam, … Oui, tout cela était intéressant. Oui, il avait l'impression de mieux comprendre Megan mais il ne pouvait complètement contredire Mme Sheridan : il n'avait toujours pas la moindre idée de ce qui s'était passé le soir du 28 août.

 
 
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