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Le dernier été
Par SarahCollins
Originales  -  Mystère  -  fr
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    Chapitre 9     Les chapitres     2 Reviews    
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Noire solitude

9

Noire solitude

Notre grand tourment dans l'existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu'à fuir cette solitude. Maupassant

— Je crois que vous commencez un peu à devenir obsédé par toute cette affaire, décréta Tyrone Farrell, qui lança à son supérieur un regard perplexe, les sourcils froncés.

Delgado haussa les épaules avant de mordre dans son sandwich à pleines dents.

Toujours la même vieille rengaine, pensa-t-il, mais Tyrone ne semblait pas prêt à le lâcher cette fois. L'air soucieux, il le regardait avec inquiétude, comme un médecin se demandant de quel mal pouvait bien souffrir son patient.

— Il n'y a rien, je répète rien, qui prouve que la mort de cette pauvre fille soit criminelle. Bon sang, c'était un accident, une overdose quoi. Pourquoi vous obstinez-vous à dire le contraire ? s'exclama-t-il.

— Pourquoi tu ne cesses de me poser la question ? Si cette affaire ne t'intéresse pas, passe à autre chose et lâche-moi un peu les baskets.

Delgado soupira avant de mordre à nouveau dans son sandwich.

— Et pourquoi est-ce que vous mangez maintenant ? Je croyais que vous alliez déjeuner chez votre sœur ce midi ?

— J'y vais, répliqua Delgado. Ce n'est qu'une entrée et puis, t'es pas ma mère de toute façon.

Ty secoua la tête en signe de reddition et Delgado crut qu'il allait le laisser tranquille mais il revint à la charge. Evidemment. Ty n'était pas du genre à lâcher quoi que ce soit. Il ferait un sacré flic dans quelques années, se dit-il, non sans une certaine fierté.

Il savait qu'il n'aurait pas dû lui parler de sa visite au petit ami de Megan Sheridan, Jake, quelques jours auparavant.

Depuis la mort de la jeune fille, il avait essayé de lui parler. Il n'avait pas oublié que lorsque la police était arrivée sur les lieux du drame, Jake avait déjà pris la poudre d'escampette, soi disant trop malade et bouleversé pour répondre à leurs questions. Ce que Delgado avait du mal à croire. Il n'avait pas manqué de répéter au capitaine Granson à quel point cette explication était bancale mais son bon à rien de chef n'était pas de son avis.

Lorsqu'il avait voulu parler à Jake, il s'était vu opposer une fin de non-recevoir de la part de la mère. Il avait insisté malgré les injonctions du capitaine Granson et Linda Thompson lui avait rétorqué que son fils ne lui adresserait pas la parole en l'absence d'un avocat.

Le lendemain de cette discussion houleuse sur le pas de sa porte – Mme Thompson ne l'avait même pas laissé entrer dans leur hôtel particulier de l'Upper East Side – il l'avait aperçue sortant du commissariat.

Depuis, Granson l'accablait de paperasserie et ne l'envoyait sur le terrain qu'en dernier recours. Mais peu lui importait, ces rebuffades étaient la preuve qu'il y avait bel et bien quelque chose de louche dans la mort de Megan Sheridan. Son instinct ne l'avait pas trompé.

Si Granson avait pensé le décourager en tentant de le noyer sous la paperasse, il avait eu tort. Delgado avait attendu un peu, fait profil bas quelques jours avant d'aller accoster Jake sur le chemin du lycée.

Leur entretien de la veille avait confirmé ce qu'il soupçonnait : Jake n'était pas malade, seulement inquiet qu'on le soupçonne d'être lié à la mort de sa petite amie. Plus intéressant encore, il lui avait confié d'un ton indigné qu'un autre policier était déjà venu l'interroger à ce sujet. Delgado connaissait tous les policiers de ce poste et aucun ne répondait au nom de Peter Westerfield. Qui était cet homme ? Certainement pas un flic pourtant, ce nom Westerfield lui rappelait quelque chose.

Il avait eu la bêtise de répéter tout cela à son coéquipier qui trouvait cela étrange, sans plus.

Ty rapprocha davantage sa chaise de la sienne et se pencha par-dessus son bureau, renversant au passage du soda sur un rapport que Delgado venait de finir de taper.

— Désolé, s'excusa-t-il. Ecoutez, je m'inquiète juste pour vous. Vous allez finir par vous attirer des ennuis à vouloir à tout prix résoudre une affaire que notre boss a lui-même conclue.

— C'est le point étrange numéro un, ça, marmonna Delgado.

— Et quels sont les autres points étranges ?

— L'héroïne n'a pas été coupée avec du fentanyl. Le docteur Singh s'est lui-même chargé de l'autopsie. Ensuite, il a directement envoyé le rapport à Granson en sachant que c'était moi qui m'occupait de cette enquête. Tu réalise que si je n'avais pas été au poste quand le coursier était passé le déposer au poste, je ne l'aurais jamais eu entre les mains. Ils ont voulu passer au-dessus de moi, c'est évident.

— Oh ! Donc, le docteur Singh, notre estimé médecin légiste, fait aussi parti de cette vaste conspiration qui vise à vous empêchez de découvrir la vérité sur la mort de Mlle Sheridan, se moqua Ty, un sourcil levé. Franchement, vous voulez mon avis sur toute cette affaire ? demanda Ty.

Delgado soupira et emballa soigneusement le reste de son sandwich.

— Non, mais tu vas quand même me le donner alors je t'en prie, fais-toi plaisir, petit.

— Vous avez raison sur le fond. Tout n'est pas clair. Il doit y avoir quelques trucs qu'on nous a cachés. Des histoires de fesses et d'argent probablement mais rien à voir avec la mort de la petite. Mais comme les gens impliqués, Linda Thompson, George Sheridan sont riches et puissants …

— Van der Bildt, grogna le plus âgé des deux, n'oublie pas pas ce bon vieux Robin.

— Vous voyez ! triompha Farrell, c'est exactement de ça dont je parle. Vous voulez mener une vendetta contre ce type alors que vous avez que dalle contre lui. Non, mais Robin Van der Bildt, quoi ? Vous voulez bien m'expliquer ce qu'il a à voir avec toute cette histoire. Parce qu'en-dehors du fait que la soirée se déroulait dans un des hôtels de sa société, je ne vois vraiment pas ...

— Megan a travaillé pour lui l'été dernier. Elle a fait un stage dans sa boîte. Et puis c'était son parrain, énuméra Carlos en comptant sur ses doigts.

— Et alors ? souffla Ty, exaspéré. Aucun rapport avec son overdose ! Et puis, franchement, qu'est-ce que vous imaginez ? Que Van der Bildt a quitté sa propre soirée et ses invités pour aller lui faire une injection mortelle d'héroïne ? C'est ridicule ! Il n'avait aucune raison de la tuer.

— Je ne dis pas qu'il l'a tuée, concéda-t-il, mais son attitude était louche dès le départ. Dès qu'on est arrivé, il ne rêvait que d'une chose : nous voir déguerpir et il ne l'a pas caché.

— Quoi de plus normal ? C'était sa grande soirée, l'inauguration de l'un des hôtels les plus célèbres du monde et voilà qu'on retrouve un cadavre. La fille d'un de ses amis en plus, qui ne s'est pas noyée dans la piscine, qui n'est pas tombé dans les escaliers mais qui a carrément fait une overdose. Il voulait pas de mauvaise publicité c'est tout !

— Et comment tu expliques le problème avec la vidéo surveillance ? Effacées par hasard ? Mon œil, ouais !

Ty garda le silence quelques secondes avant de reprendre d'un ton plus conciliant, comme si son dernier argument avait fait mouche :

— Je reconnais que sur ce point-là, vous n'avez pas tort. C'est une drôle de coïncidence qu'elles aient été effacées par erreur précisément ce soir-là.

— Ce serait carrément la coïncidence du siècle, tu veux dire.

— J'ai déjà que vous aviez raison.

— Sans blague Sherlock, railla-t-il, et comment tu l'expliques ?

— Je vous ai déjà dit que tout ce beau monde nous avait caché quelques petits trucs mais rien de très important. Rien de primordial. J'y ai un peu réfléchi et à mon avis, on voit quelqu'un entrer dans la chambre de Megan Sheridan ...

— Et c'est ce que tu appelles « quelques petits trucs » ? s'esclaffa Delgado, incrédule. Ça me paraît plutôt primordiale comme info !

— Oh mais ne jouez pas les incrédules. Ça fait plus de vingt ans que vous faites ce boulot, non ? Tout le monde ment, tout le monde a quelque chose a caché. C'est vous-même qui me l'avez appris.

— Oui, et il me semblait aussi t'avoir appris à découvrir ce qu'on nous cachait, pas à cautionner ce genre de mensonges.

— Si c'est sans rapport avec le crime, à quoi bon ? Les gens ont le droit d'avoir un minimum de vie privée, non ? Peut-être qu'on voit le mec qui lui a vendu l'héro, peut-être même que c'est Jake Thompson et que c'est pour ça que sa mère ne voulait pas que vous lui parleiez ! Les dealers ne finissent pas dans les facs de l'Ivy League. Ce que je ne saisis pas, c'est pourquoi vous vous avharenez sur ce cas-là en particulier alors que je le répète : dans ce genre d'affaires, les gens passent tout le temps des trucs sous silence. C'est parce qu'ils sont tous riches et puissants que vous ne supportez pas qu'ils mentent ? Non, corrigea-t-il après l'avoir observé quelques secondes, ce n'est pas votre genre la lutte des classes et compagnie. Vraiment pas. C'est personnel.

Delgado se tut, faisant mine de rechercher un dossier sous les piles de papier qui s'accumulaient sur son bureau. Il préférait que Ty ne découvre pas à quel point ces liens avec cette affaire étaient effectivement personnels.

OOoOo

Une heure et demi plus tard, Delgado finissait un bon plat de rondelles de bananes farcies. Assise en face de lui, sa sœur cadette Veronica le regardait d'un air attendri.

— Tu meurs de faim, dis-moi ! Tu n'as pas mangé ce matin ?

— Si, mais ta cuisine est trop bonne. Si je finis par ne plus passer les portes, ce sera de ta faute.

— Je croyais que tu ne les passais déjà plus ! se moqua sa sœur qui fit un bon sur le côté pour éviter le torchon sale qu'il lui lançait. Hé, je te signale que c'est un chemisier neuf.

— Désolé, fit-il, le sourire aux lèvres. C'est Roger qui te l'a offert ?

— Non … En fait, on a rompu. Il a rompu, précisa-t-elle avec une grimace.

— Ah … Mince alors.

— Carlos, soupira-t-elle, tu n'es pas obligé de faire semblant. Je sais que tu ne le supportais pas.

— Hé, sœurette, que ce soit clair entre nous : la seule chose qui me dérangeait chez Roger, c'était sa femme, et accessoirement leurs trois gosses. Sinon, c'est un type tout à fait charmant. Je suis désolé de te voir souffrir, ajouta-t-il.

— Pourtant, tu m'avais prévenu, laissa-t-elle échapper dans un soupir.

Delgado se leva, se rendit dans la cuisine pour y déposer son assiette et ses couverts sales. Quand il revint dans le salon, Veronica s'était installée sur le canapé, ses jambes reliées sous ses fesses. Elle serrait un coussin entre ses bras maigres.

Il se sentit transporté presque dix-neuf ans en arrière quand elle lui avait annoncé, les yeux rouges et gonflés à force d'avoir trop pleuré, qu'elle était enceinte et que le père ne voulait plus rien à voir à faire avec elle. Au moins, le bougre n'était-il pas marié à l'époque, songea-t-il. Non, seulement fiancé.

Il prit place à ses côtés. Il n'avait pas l'intention de le lui dire mais franchement, elle était beaucoup mieux sans ce parvenu de Roger, un homme lâche qui ne sortait avec elle que pour pouvoir se vanter de ses liens avec une présentatrice de télévision relativement connue.

Sa sœur tombait toujours sur les mauvais numéros. Les hommes mariés, les fainéants, les infidèles ...

— Sinon, comment se fait-il que tu ne sois pas au studio ? lui demanda-t-il, dans l'espoir de la voir changer de sujet. Je croyais que tu avais cette super interview à préparer. C'était qui déjà, l'invité?

— A l'origine, on devait avoir le sénateur Charlton et sa femme mais il a annulé à la dernière minute. Je crois que ses conseillers lui ont dit de faire profil bas quelques temps, histoire que tout le monde oublie cette affaire d'overdose au Plaza.

— Quel rapport avec lui ? s'étonna Delgado en se tournant vers elle.

— Pas grand-chose objectivement mais l'hôtel était à lui avant. Il n'a été vendu que récemment au groupe VDB.

— Le lien est plutôt … ténu.

Sa sœur éclata de rire.

— Évidement que c'est ténu mais c'est de la politique ! Tout est bon pour déstabiliser son adversaire, même ce genre d'histoire scabreuse.

— Quand même, ça fait quelques temps déjà que Charlton a passé la main à ...Van der Bildt.

— Je sais, murmura Veronica.

Delgado et sa sœur gardèrent le silence quelques instants, semblant brusquement subjugués par l'émission qui passait à la télé.

— En fait, je suis en congé momentané, finit-elle par lui avouer. Je me sentais pas très bien et comme l'interview a été annulée, mon patron a trouvé que ce n'était pas une mauvaise idée.

Il trouvait étrange que la chaîne ait favorablement répondu à sa demande, moins de deux mois avant les élections de mi-mandat, une échéance cruciale aussi bien politiquement que médiatiquement pour le pays et la chaîne. Après tout, Veronica était leur principale journaliste politique.

— Je pense que ça leur a rendu un petit service, ajouta-t-elle, comme si elle lisait dans ses pensées. Ça fait longtemps qu'ils veulent mettre une journaliste plus jeune alors il saisisse ce prétexte d'interview raté. Comme si j'étais responsable du désistement de Charlton !

— Mais c'est ton émission, s'indigna Delgado. Tu ne vas pas te laisser débarquer comme ça !

— Bien sûr que non mais j'ai besoin d'un peu de repos, c'est vrai.

— C'est à cause d'Andrew, devina-t-il, faisant référence à son neveu récemment parti s'installer dans le Massachusetts pour ses études. Il te manque, hein ?

— Tu dis ça comme si c'était mal ou surprenant. Pendant, presque vingt ans, il a été le centre de mon univers et maintenant, on est séparé par plus de trois cent kilomètres. Je me sens perdue alors j'ai un peu de mal à gérer le reste. Dont le boulot effectivement.

— Je sais bien que c'est normal mais tu devrais surtout être fière d'avoir réussi à l'élever toute seule. Il sera un brillant étudiant, et plus important encore, un homme responsable et réfléchi. Tout ça grâce à toi.

Comme à chaque fois qu'il évoquait le père d'Andrew, ou plutôt son absence, Veronica se crispait. Elle changea rapidement de sujet, préférant lui demander des nouvelles du reste de la brigade, et notamment de Ty qu'elle appréciait beaucoup.

Alors qu'il regagnait le commissariat pour une longue après-midi qu'il passerait sans doute à taper des rapports sans intérêt, Delgado reçut un coup de fil d'une ancienne collègue qui lui confirma ce qu'il soupçonnait. Peter Westerfield, l'homme qui était allé interrogé Jake Thompson au sujet de la mort de Megan, n'était pas flic mais son père adoptif Gordon l'avait été, ici à New York mais aussi à Boston. C'était sans doute pour cela que le nom de famille lui semblait familier. Il avait dû le croiser lorsque Westerfield père roulait encore sa bosse à New York, avant d'entrer dans la police de Boston.

Aujourd'hui, découvrit-il, les deux hommes travaillaient pour West Agency, une agence de détectives privés qu'ils avaient eux-même fondés.

Il reposa le papier qu'il avait à la main, perplexe. Qu'est-ce qu'un détective privé venait faire dans cette histoire ?

OOoOo

George n'était pas encore rentré du travail quand Nicole décida de se rendre sur la tombe de sa fille. Elle n'y était allée qu'une seule fois : le jour de l'enterrement. Depuis elle remettait sans cesse à plus tard le moment où elle devrait y retourner parce que ce n'était pas le bon moment, parce qu'il y avait ce gala à préparer, ce cocktail où elle devait absolument se rendre, parce que George n'était pas là …

Elle griffonna un mot à la hâte au cas – improbable – où il rentrerait avant elle.

Etrange, songea Nicole en s'engouffrant dans le taxi, elle avait toujours cru qu'elle effectuerait sa première « visite » au cimetière en compagnie de son époux, se servant même souvent de son absence pour remettre cette étape indispensable de son deuil. Et finalement, elle irait seule.

Tout comme elle était seule à chercher la vérité au sujet de Megan. Elle n'avait pas parlé à George des récentes découvertes de Peter Westerfield à ce sujet, elle ne lui avait même pas dit qu'elle avait engagé un détective privé à vrai dire. Elle savait qu'il désapprouverait souverainement l'idée alors elle avait préféré gardé cela pour elle. En tout cas jusqu'à ce que Peter découvre le fin de mot de l'histoire.

— Vous allez bien, Madame ? lui demanda le chauffeur qui s'était tourné vers elle et la regardait d'un air inquiet.

Elle sursauta. Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas remarqué que le taxi s'était arrêté depuis un bon moment déjà devant les grilles du cimetière. Elle régla le prix de la course, le cœur au bord des lèvres et les mains presque tremblantes.

Elle descendit du véhicule et s'avança lentement entre les pierres tombales. Ses mains agrippaient sa petite pochette noire. Elle se rappelait de l'endroit où se reposait Meg.

L'instant d'après, elle se tenait devant la tombe de sa fille unique. Il y avait des fleurs et elle regretta de ne pas y avoir pensé.

Nicole ne pleura pas, se contenta de regarder les dates et l'inscription.

Megan Liliane Sheridan

17 juillet 1993 - 28 août 2010.

Fille chérie de George et Nicole. Nous ne t'oublierons jamais.

OOoOo

— Alors, le truc avec cet ordi, commença Ryan en brandissant devant son ami Peter l'ordinateur que Megan avait utilisé durant son stage, c'est qu'on a entièrement effacé le disque dur. Et celui ou celle qui a fait ça ne s'est pas contenté de mettre les dossiers dans la corbeille.

— Je m'en serais douté, railla Peter en se découpant une part de pizza.

Ryan se servit à son tour et fit tomber un peu d'anchois sur le canapé. Peter le fusilla du regard.

— Oh, c'est pas comme si c'était ton canapé après tout, se défendit son ami.

— Raison de plus pour ne pas le bousiller !

Il était vrai qu'il n'était que de passage dans ce minuscule appartement. L'un de ses amis s'était engagé avec les Peace Corps pour deux années et se trouvait actuellement au Bangladesh. En apprenant que Peter revenait – momentanément – à New York il avait laissé son appartement à sa disposition. Peter doutait cependant d'en avoir besoin aussi longtemps.

— Rassure-moi, tu vas quand même pouvoir en tirer quelque chose de cet ordinateur?

— Evidemment mais il me faut un peu de temps. J'ai une vie moi, en-dehors de tes enquêtes top-secrètes. Un boulot, des petites amies ...

— Des ? releva Peter, un sourcil levé.

— Oui, le monde est vaste et les horizons infinis. Tout le monde n'a pas envie de se caser Pete. Surtout quand on regarde ta situation actuelle.

— Tout va s'arranger entre Claudia et moi, le rabroua sèchement le jeune détective.

— Si tu le dis. Et ton enquête piétine toujours autant ?

— Je dirais plutôt que sa vitesse de croisière se situe entre celle d'une limace et d'un escargot. Mais je garde la foi, je finirai bien par trouver.

— Amen.

OOoOo

De loin, Sally Ann regarda Mme Sheridan se recueillir sur la tombe de Megan. Elle était arrivée au cimetière peu après elle mais n'avait pas osé s'approcher. Après tout, elle n'était pas de la famille.

Depuis qu'elle avait appris de la bouche de Peter Westerfield que Megan savait pour Jake et elle, une horrible idée avait germé dans son esprit. Et si sa meilleure amie s'était mise à prendre de la drogue à cause d'eux ? Peut-être même s'était-elle suicidée …

Le jeune policier l'avait rassuré, en lui répétant qu'elle n'y était pour rien. Il lui avait aussi fermement déconseillé de parler de sa courte aventure estivale avec Jake à Mme Sheridan. Elle voulait être honnête jusqu'au bout et assumer sa part de responsabilité mais Peter avait répliqué qu'elle ne ferait que raviver le chagrin de Nicole, déjà très vif. Inutile qu'elle apprenne en plus l'état d'esprit sa fille peu de temps avant son décès.

Sally Ann avait fini par se ranger à ses arguments. De plus, elle ne voulait pas se fâcher avec Mme Sheridan, qui était sans doute, avec Olivia, la seule personne avec laquelle elle pouvait librement parler de sa peine. En discuter avec Jake lui semblait indécent, ses parents voulaient qu'elle aille voir un psy et ses amies du lycée se gardaient bien de prononcer le prénom de Megan devant elle. Comme si elle allait soudain fondre en larmes en plein milieu d'un cours d'histoire.

Lorsque Nicole se redressa, elle semblait si bouleversée qu'elle se demanda si elle n'allait pas s'effondrer. La jeune fille amorça quelques pas hésitants vers la mère de son amie, hésitant à la déranger dans un tel moment mais désireuse d'offrir son soutien.

Finalement, Mme Sheridan la repéra. Elle lui fit signe d'approcher et la salua d'un discret sourire quand elle arriva à ses côtés. En la voyant si apprêtée et élégante dans sa robe noire assortie à son sac et ses escarpins, elle se sentit négligée avec son jean, sa blouse bleu marine et sa veste. Peut-être aurait-elle dû revêtir une tenue plus formelle ?

— J'aurais aimé y pensr, regretta Mme Sheridan alors que Sally Ann se penchait pour déposer un bouquet de fleurs. Mais ma visite s'est décidée sur un coup de tête, à vrai dire.

— C'est la première fois que vous venez ?

— Depuis l'enterrement, oui, confirma-t-elle dans un souffle.

Les deux femmes se recueillirent en silence avant de décider d'un commun accord, de s'éloigner et de se promener parmi les sépultures.

Elle se demanda distraitement pourquoi M. Sheridan n'était pas venu, avant de se rappeler qu'il devait encore être au travail. Comme son père, songea-t-elle tristement.

— Tout s'est bien passé à l'école aujourd'hui ? lui demanda Nicole sautant brusquement du coq à l'âne et faisant légèrement sursauter la jeune fille.

Sally Ann la regarda avec circonspection.

— Euh, … on est samedi aujourd'hui, je n'avais pas cours, expliqua-t-elle d'une voix douce.

À sa grande surprise, Mme Sheridan éclata de rire.

— Pardonne-moi, Sally Ann. Je perds juste un peu la notion du temps. C'est ce qui arrive quand on ne travaille pas, que notre vie n'est pas réglé par les horaires du lycée ou du travail.

Elle hocha la tête et laissa le silence s'installer quelques instants, doux comme une brise de printemps. Puis, elle reprit la parole pour lui faire part du fond de sa pensée:

— Vous savez, ces temps-ci, j'ai beaucoup réfléchi aux derniers mois de Megan et je me suis rappelée qu'elle se comportait étrangement depuis notre retour de vacances, ... vous savez à Paris. Alors je me demandais si ça n'avait pas un rapport avec la drogue et sa mort.

La réaction de Nicole ne se fit pas attendre.

— Je te demande de me faire confiance Sally Ann. S'il s'est passé quelque chose durant notre séjour à Paris, cela n'a rien – tu m'entends rien – à voir avec la mort de ma fille. Il vaudrait mieux que tu t'ôtes cette idée de la tête, entendu ?

 
 
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