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au 31 Mai 21 :
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Ezéchiel [Sous contrat d'édition]
Par Natalea
Originales  -  Fantastique  -  fr
16 chapitres - Complète - Rating : K+ (10ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
    Chapitre 10     Les chapitres     7 Reviews    
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10. La Violoniste

Du haut de sa suite privée au cinquième étage de l'hôtel Renaissance, Ryu trempe ses lèvres dans une flûte de champagne. En fait, il a toujours détesté cet alcool, mais c'est une marque de pouvoir, et le pouvoir, il pourrait en déguster toute la nuit. C'est bien pour cela qu'il n'a pu résister à cette petite escapade en plein centre-ville, alors même que les hommes de Mariaquer le recherchent. Sans doute ont-ils posté des gorilles à l'entrée de l'hôtel, afin de surveiller toutes les issues possibles et les allées et venues des clients. Mais le Renaissance est un vieux bâtiment, pas une de ces structures modernes tout en verre ou en métal, dans lesquelles on s'infiltre comme dans un gruyère. Il possède ses propres entrées, plus secrètes, connues de son seul propriétaire. Et même s'il pourrait faire pâle figure auprès de ses immenses voisins, avec ses six petits étages, c'est avant tout pour cela que Ryu l'aime bien. Quand on en fait trop, quand on prend trop de hauteur, on oublie de regarder ce qu'il y a sous ses pieds. Et l'endroit d'où l'on vient.

La plupart des gens se trompent au sujet de Ryu. Il n'apprécie pas cet hôtel parce qu'il possède une vue sur le centre-ville. Il apprécie cet hôtel parce que la face nord donne sur le centre-ville, et la face sud sur les bordels miteux des docks et des bas plateaux. Il voit constamment, en opposition, ce qu'il a quitté et ce qu'il est devenu. Il aime se tenir ainsi à la frontière. Là où la plupart fuiraient leur passé à tout prix, lui en a fait sa force. Sa source inépuisable de motivation. 

Ryu n'était rien, à l'origine. Un fils de camés qui se rappelaient à peine de son prénom, dans leurs bons jours. Lorsqu'il a été suffisamment âgé pour comprendre sa situation, Ryu s'est juré de se bâtir une fortune sur ce qui avait détruit son enfance. La drogue. Et voilà où il en est aujourd'hui. En passe d'accéder à la tête du plus grand réseau de contrebande du pays à seulement vingt-trois ans, et sans n'avoir jamais fumé un seul joint. Oui, chaque fois qu'il contemple la vue depuis son hôtel, Ryu suffoque de fierté.

Il sort sur le balcon. La misère s'étend à ses pieds. Il aperçoit même le désert d'entrepôts où Ézéchiel doit déjà dormir de son sommeil chimique. Certains lui diraient : « Tu te rends compte de la chance que tu as eue ? » Ce à quoi il répondrait que la chance n'existe pas. Ce qu'il a voulu, il l'a pris, personne ne le lui a donné. Sa vie a été un combat de tous les instants, mais cela tombe bien : il adore se battre.

Ryu a réalisé depuis longtemps que des conneries comme l'enfer ou le karma n'existent pas. Il a vu suffisamment de pourritures s'en sortir en toute impunité pour s'en convaincre. D'ailleurs, cela vaut aussi pour lui-même. Voilà pourquoi il n'a aucun problème de conscience. Ce qui compte, c'est d'assurer son propre bonheur. Celui des gens à qui l'on tient si nécessaire. Pour le reste... Le monde est une vaste jungle où les âmes généreuses existent, c'est vrai, mais se font rares. Personne n'a jamais eu de pitié pour lui, et Ryu n'est pas assez faible pour commettre cette erreur. Il mène sa vie comme il le souhaite et aucune puissance supérieure n'est là pour l'en empêcher. Il se souvient d'une phrase qu'Ézéchiel lui a dite un jour... Quelque chose comme : « Le destin d'un homme n'est écrit nulle part, pas plus que son devoir. À lui de choisir entre le royaume et les ténèbres. » Très beau. Encore une de ces saloperies de philosophe dont il ne se rappelle plus le nom.

Ézéchiel... Ézéchiel n'est pas comme lui. Il est... 

Ryu entend des cris. Une femme qui hurle à fendre l'âme et qui se débat, juste en dessous de lui :

— Lâchez-moi !

— Non, tu ne vas nulle part ! Ça fait des jours qu'on supporte ton crincrin improvisé. Tu te prends pour qui, une diva ? Je vais t'offrir un petit extrait moi aussi.

— Lâchez-moi ou je crie !

— Vas-y. Tu préviendras peut-être les chats de gouttière.

Ryu jette un coup d'œil par-dessus la rambarde, mais il ne distingue rien dans le noir complet.

« Bordel... Je n'ai pas besoin d'un meurtre derrière mon hôtel ! Si jamais c'est une ruse de cet enfoiré de Mariaquer... »

Il enjambe la grille métallique et descend l'escalier de service. Les marches grincent sous son poids, mais les agresseurs, trop occupés à menacer la fille, ne le repèrent pas :

— Ça ne fait pas longtemps que tu vis ici, pas vrai ? lance une voix d'adolescent pleine de morgue. Quand on vient de débarquer, on évite de faire des vagues.

Une sorte de couinement s'élève alors dans la ruelle. L'espace d'une seconde, Ryu croit reconnaître des cris humains, puis il réalise que ce sont les cordes d'un violon que l'on torture.

— Ne le casse pas ! supplie la voix de la jeune femme. Il ne vaut rien, je te le jure ! J'irai jouer ailleurs si tu veux !

— Ailleurs ? Ce serait trop facile. Pas vrai, les mecs ?

— Je ne vous ai rien fait !

— Si, tu me tapes sur les nerfs.

Ryu sait désormais à qui il a affaire. Une musicienne de rue, qui joue devant son hôtel depuis quelques semaines. Il l'a entendue à peine une heure plus tôt, en se rendant au Renaissance. Un craquement sourd lui apprend que les agresseurs viennent de fracasser son violon sur le sol :

— Non !

Un hurlement, déchirant. Puis la même voix d'adolescent qui susurre :

— J'ai envie de te faire jouer un autre genre de musique maintenant.

Ryu n'hésite plus. La probabilité qu'il s'agisse d'une embuscade montée de toutes pièces par Mariaquer lui semble désormais bien mince, et de toute façon, Hoffman l'aurait averti si des types louches s'étaient aventurés à l'arrière du Renaissance. Non, il s'agit forcément d'un crime improvisé.

Il saute les dernières marches et se retrouve face à trois pauvres gamins qui l'attendent comme des imbéciles. L'un d'eux tente de l'agripper : Ryu retourne son mouvement contre lui et l'éclate contre la façade de l'immeuble. Un balayage rapide de ce qui se passe autour de lui... L'un des adolescents tient une fille en immobilisant ses bras derrière son dos. C'est bien la musicienne de rue. La jolie rousse qu'il a aperçue plus tôt dans la soirée. Elle est déjà à moitié nue, son haut déchiré et sa lèvre en sang.

— Oh, merde... Patron ?

Ryu se retourne vers le type qu'il a plaqué contre le mur :

— Tu bosses pour moi ?

— Oui, M'sieur. On est de la bande de Weltz. On deale à l'arrière de l'hôtel.

Ryu le saisit par le col et explose son épaule contre la pierre. Le gamin s'évanouit sous le choc. Les deux autres reculent, conscients d'avoir commis une bourde quelque part. Ryu décroche son téléphone :

— Hoffman, envoie tes hommes derrière l'immeuble. J'ai trois types sous la main, ils ont enfreint le code. Tu sais ce qu'il te reste à faire.

Il raccroche lentement, dans un silence de mort.

— Toi, lâche-la.

La fille se réfugie contre le mur, trop choquée pour s'enfuir, ses mains ramenées sur sa poitrine.

— On voulait rien faire de mal, M'sieur..., balbutie l'un des garçons. On voulait juste s'amuser un peu.

Ryu lui balance un coup de poing qui doit lui décrocher la mâchoire. Quant au deuxième, il s'enfuit sans demander son reste. Ryu ne s'en inquiète pas. Ses hommes doivent déjà l'attendre au bout de la rue.

Il s'approche de la fille, doucement. Elle tremble sans pleurer, comme un animal blessé. Il est suffisamment observateur pour voir qu'il ne s'est rien passé de grave.

— Est-ce que ça va ? lui demande-t-il d'une voix basse.

Elle se recule aussitôt :

— Ne t'approche pas de moi !

— Du calme. Je ne vais pas te faire de mal.

Il la regarde de haut en bas, et il se sent désolé pour elle. Ce n'est pas de la pitié, c'est juste... Il est en colère. Il n'a jamais aimé les victimes inutiles. Quelle bande d'imbéciles.

Il enlève sa chemise, qu'il avait laissée ouverte sur un T-shirt à l'emblème du Renaissance :

— Tiens, couvre-toi.

Elle le regarde à son tour. Elle n'a pas la réaction qu'il escomptait :

— Je n'ai pas du tout envie de porter ça ! s'écrie-t-elle. Fiche-moi la paix !

Elle rassemble son maillot autour d'elle et tente de s'enfuir :

— Attends ! la retient Ryu. Je t'ai sauvée !

— Je n'ai besoin de l'aide de personne. Maintenant, laisse-moi tranquille !

— Tu ne veux pas que je t'aide à rentrer chez toi ? Tu n'as personne à prévenir ? Tu as vraiment envie de partir toute seule dans l'état où tu es, après ce qui s'est passé ? Regarde-toi !

Elle attrape sa chemise et la lui balance à la figure :

— Va te faire foutre !

Puis elle disparaît sous ses yeux ébahis. Ryu s'avance pour la suivre du regard, piétinant au passage les fragments de bois éparpillés par terre. Une corde crisse sous sa semelle. Cette fille, longs cheveux auburn, couleur rare...

Ryu sourit, avec l'étrange pressentiment qu'il finira par la revoir.

 

 
 
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