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au 31 Mai 21 :
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pour 4075 fics écrites
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Ezéchiel [Sous contrat d'édition]
Par Natalea
Originales  -  Fantastique  -  fr
16 chapitres - Complète - Rating : K+ (10ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
    Chapitre 7     Les chapitres     7 Reviews    
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7. Le Bras-Droit

Cal ouvrit les yeux et plongea immédiatement dans une lucidité glaçante. Ses globes oculaires étaient gelés sous ses paupières. Son corps impatient de quitter le lit, comme s'il y croupissait depuis des heures alors que dehors, il faisait toujours nuit. Pendant un bref instant, il hésita. Mais il n'y eut pas de vision bizarre, pas de lever de soleil en accéléré, rien que la clarté surnaturelle qui précède l'aube, et cette sensation d'être parfaitement réveillé.

Il se redressa, horriblement conscient de la mécanique de ses muscles sous sa peau, les draps glissant entre ses doigts. Son sang reflua brusquement de son cerveau vers le reste de son corps, et le monde sembla osciller entre deux moments différents, deux images superposées espacées d'une seconde, qui se disputaient l'une l'autre pour devenir la réalité. Sa tension finit par se stabiliser et le vertige disparut. Le temps était à sa place ; tout était d'une banalité aberrante.

Cal n'avait qu'à regarder autour de lui pour s'en convaincre. Pourtant, il serra les poings sur les draps au bord du lit, affûtant le moindre de ses récepteurs nerveux, et il oublia de refermer l'annulaire gauche. La présence de son doigt le frappa comme un uppercut en plein visage : soudain il était de trop, il ne savait pas quoi en faire, il avait appris à vivre sans. Certains amputés souffrent de douleurs fantômes, lui c'était l'inverse : il souffrait d'absence fantôme. Le vide entre ses doigts se dérobait à sa perception ; l'espace avait été comblé par cet annulaire qu'il n'avait jamais perdu. Évidemment. Quoi de plus normal ?

Petit à petit, il comprit que les sensations de son rêve le parasitaient : il percevait encore le goût âcre des comprimés dans sa bouche, la brûlure de l'alcool, une odeur de cigarette alors qu'il n'avait jamais fumé de sa vie. Mais il était soudain plus faible, moins corpulent, moins réactif. Bien que parfaitement réveillé, tous ses sens en alerte, l'attitude d'Ézéchiel commençait déjà à le quitter : la lenteur de ses réflexes l'exaspérait, comme son incapacité à aligner une pensée devant l'autre.

Un poids formidable enserrait sa poitrine, une pression de pessimisme dur qui l'empêchait presque de respirer, mais qui se dilua rapidement, comme un galet dans de l'acide sulfurique. Cal redevint lui-même, mais ce qu'il avait été durant ces quelques secondes le terrifia.

— Qu'est-ce qui m'arrive... ?

Même Socrate ne devait pas avoir la réponse à cette question. Le réveil indiquait en lettres digitales : 5 h 15 du matin. Il ne se réveillait jamais aussi tôt d'habitude, et s'il n'y avait que ça... Qu'il fasse un cauchemar, soit. Cela arrivait à tout le monde ; cela devait même être une preuve d'équilibre mental. Un deuxième le soir d'après, pourquoi pas. Mais que les deux soient liés... il ne comprenait pas. Les rêves n'étaient pas censés se compléter les uns les autres, pas vrai ?

— Bon sang, ça ne marche pas comme dans un putain de roman !

Il se rendit compte qu'il avait crié et tendit l'oreille. Aucun bruit. Ses parents dormaient toujours à l'autre bout du couloir, pour autant qu'il puisse en juger.

Cal se prit la tête à deux mains, et il mesura soudain toute la portée de son ignorance, les corrélations qui devaient se nouer chaque soir dans son esprit à l'abri de son inconscience, sans qu'il ne s'en rende compte. Comment pouvait-il affirmer que les rêves ne se passaient jamais ainsi ? Se rappelait-il d'au moins un seul de ses rêves avant aujourd'hui ? Peut-être suivait-il cette histoire de fous depuis des années déjà, sans s'en souvenir.

Il se leva d'un bond avec une irrépressible envie de hurler. Là, il aurait été définitivement bon pour l'asile. Se rendormir, inutile d'y songer. Une douche lui ferait du bien.

Il se lava avec une ardeur impitoyable, parce qu'il se sentait sale à l'intérieur de lui-même. Comme la dernière fois, les images de son rêve lui revinrent par fragments, et il resta obsédé par les yeux de ce petit garçon que le monstre avait tué de sang-froid. Un tel être humain pouvait-il exister ? Comment pouvait-il ressentir tout cela dans son sommeil, être lui ? Pourquoi est-ce qu'il s'imaginait qu'il abattait des enfants dans les bras de leur mère, pour le compte d'une espèce de psychopathe qui se prenait pour un chef de gang ? Il lui suffisait de fermer les yeux pour le voir encore, Ryu, et l'amitié qu'il avait ressentie pour lui. Cet homme lui avait ordonné d'assassiner ces gens, et il avait obéi sans poser de questions.

— Non, Cal ! C'était dans ton rêve ! Tu n'as tué personne, personne n'est mort !

Comment pouvait-il en être aussi sûr ? Peut-être parce que dans le cas contraire, la vérité aurait été trop dure à affronter.

Il arrêta l'eau de la douche quand il se rendit compte qu'il s'ébouillantait. Des nuages de vapeur avaient envahi la salle de bains ; ils tourbillonnaient comme des halos de brume dans l'obscurité de la nuit. Cal avait allumé la lumière, mais cela ne faisait que renforcer les ténèbres au-dehors ; elles apparaissaient noir abysse. La buée agrippait les miroirs, ruisselait sur les parois dans un silence étouffant.

Cal s'accrocha au lavabo des deux mains, comme à son dernier point d'ancrage, et l'intégralité du songe lui revint cette fois sans douleur. Avec quelques bonus en prime.

Une fois encore, il savait des choses supplémentaires : l'homme de son rêve s'appelait Ryu Hinata ; il avait vingt-trois ans. Ézéchiel et lui s'étaient rencontrés quand ils avaient douze ou treize ans : une amitié d'enfance. Un peu étrange, puisque dans les souvenirs qui revenaient à Cal en masse, Ézéchiel et Ryu passaient leur temps à se battre comme plâtre.

Ryu était orphelin : un fils de junkies qui ne lui avaient rien laissé d'autre après leur overdose qu'un passé lourd de misère et une enfance détruite. Ézéchiel, lui, avait perdu sa mère très jeune, et il haïssait son père de toutes les fibres de son être. Comme Cal.

Les deux garçons avaient basculé dans le caniveau à peu près au même âge, et ils n'en étaient jamais remontés depuis. Ils s'y étaient trouvés, enfoncés dans une délinquance de plus en plus crasse, du fight club clandestin au passage à tabac en règle entre bandes rivales.

À l'adolescence, Ryu était parti à la capitale pour tenter d'en investir les bas-fonds. Ézéchiel l'y avait rejoint peu de temps plus tard, poussé par une tragédie inconnue, et Ryu avait sauvé la vie de son camarade de rue. Dans quelles circonstances, pour quelles raisons, c'était un mystère que le cerveau de Cal n'était pas décidé à lui délivrer. Du moins, pas aujourd'hui.

Le cœur au bord des lèvres, le visage de Ryu envahit soudain son esprit. Ryu qui prenait la mort par la main comme une vieille amie et l'entremêlait à sa propre vie, Ryu qui dissimulait une âme sans pitié sous son masque de désinvolture monstrueuse, Ryu qu'il connaissait plus que quiconque, et qu'il ne pouvait s'empêcher d'aimer, d'aimer et de haïr tout en même temps, Cal et Ézéchiel réunis. Il se sentait déchiré en deux, infecté d'émotions purulentes qui voulaient s'échapper de lui par tous les pores de sa peau, une folie malsaine qui n'était pas la sienne et qui pourtant le contaminait comme une lèpre.

Cal recueillit son visage entre ses mains en coupe, parvenant sans savoir comment à faire le vide dans son esprit.

— Je ne sais plus qui je suis...

Il se redressa lentement, le dos ankylosé d'être resté courbé. Son reflet lui apparaissait trouble dans le miroir, comme s'il lui dissimulait une vérité insoutenable. Cal effaça la buée d'un revers de la main, et se rendit compte immédiatement que quelque chose clochait dans son regard. Il se rapprocha jusqu'à ce que son nez touche le miroir.

La substance brune était revenue. Une grosse coulée peu engageante, durcie par l'atmosphère. Comme la veille, Cal gratta la surface, essayant de recueillir un peu de matière sur son doigt, mais son souffle dispersa les granules dans l'air. Alors seulement, il releva les yeux sur son reflet, une boule d'incertitude au creux du ventre. Il se contempla sans vraiment se voir, comme on dévisage un inconnu dans la rue. Il déglutit lentement, ramenant sur sa langue le goût de la peur, qui cette fois n'avait plus rien d'irrationnelle. Il porta une main à son visage — la main gauche, avec ses cinq doigts — et il tira doucement sur ses mèches de cheveux noirs, plus longues à la base du cou. Il prit une profonde inspiration pour gonfler sa poitrine au maximum, tendre ses muscles, et lava son visage de toute expression. Voilà. C'était lui.

Les deux images se superposèrent à la perfection, lui debout à moitié nu devant son miroir, et l'homme de son rêve, Ézéchiel, se jetant un bref regard avant de sortir de sa salle de bains en contreplaqué.

Les mains de Cal se mirent à trembler contre le lavabo. Il sentit des larmes piquer ses pointes lacrymales, lui qui n'avait presque jamais l'occasion de pleurer. Il refusait de l'admettre ; il ne voulait pas.

L'homme de son rêve s'appelait Ézéchiel, il avait vingt-trois ans, et c'était un meurtrier. Mais l'homme de son rêve était également son jumeau parfait. Il aurait pu s'en douter dès la première fois qu'il l'avait incarné, mais cette nuit, il s'était vu lui-même en songe, il avait vu son reflet, et cela lui donnait quelque chose de si... tangible.

Cal resta suspendu à son propre regard, avec cette féroce envie de hurler, incapable de croire que son visage pouvait aussi être le sien, à lui, l'autre. Les changements étaient subtils : un doigt en moins, un tatouage en plus, des cheveux plus longs, peut-être quelques centimètres également. Quelle était la différence ? Six années de plus. Cal avait dix-sept ans, l'homme de son rêve vingt-trois. Il pourrait être lui. Il était lui.

— Tu es debout si tôt ?

Cal sursauta, mais son premier réflexe fut de fermer les poings, réflexe qu'il ne se connaissait pas. Il venait de sentir une décharge d'énergie brutale traverser son corps...

— Maman ! Je t'ai déjà dit de frapper, s'il te plaît.

— Désolée. Tu as encore la migraine ?

Ariane s'approcha. Elle voulut dégager une mèche de son front, mais il détourna la tête, ce qui le fit aussitôt culpabiliser :

— Je viens de prendre une douche, et je suis déjà couvert de sueur..., s'excusa-t-il.

— Tu es sûr que tu te sens bien ?

— Oui, c'est juste...

Il pensa à ses rêves, à ses visions, ses connaissances extralucides, et secoua la tête :

— Je vais très bien. Je dois manquer un peu de sommeil, c'est tout. Si ça se trouve, tu déteins sur moi : je ne supporte plus de me lever tôt. D'ailleurs, qu'est-ce que tu fais debout ?

— Je t'ai entendu prendre ta douche. Vu ce qui s'est passé hier matin, je voulais vérifier si ça allait.

Elle sourit avec une sincérité désarmante. Ariane était la seule personne qu'il connaissait à ne jamais forcer un sourire.

— Bon, et maintenant on fait quoi, jeune homme ?

— Va te recoucher.

— Hum, j'en serais bien capable... Mais toi, quelque chose me dit que tu ne vas pas te rendormir de sitôt. Je vais préparer le petit déjeuner.

— Mais Maman...

— Aucune objection : tu t'habilles et tu descends.

Ariane sortit sans rien ajouter, parfaitement consciente du regard indulgent qu'il lui adressait. Cal se dévisagea une fois de plus. Il était lui et rien que lui. Qu'allait-il donc s'imaginer ? Il posa sa paume contre celle de son reflet, la surface glacée du miroir, comme lorsqu'on laisse effleurer sa main tout contre de l'eau très froide. Du bout des doigts, il suivit le tracé de son bras nu, pâle, sans tatouage, pour remonter jusqu'à son poignet. Il se regarda dans les yeux. Jamais il ne pourrait faire de telles choses.

Ce matin-là se produisit un événement dont Cal ne fut et ne serait jamais averti. Cela se passa dans la cuisine, dans sa propre maison. Ariane préparait du thé en se servant de tous les ustensiles dédiés à cet art : boule percée, composition à base de Darjeeling, sucre de canne artisanal. Pendant qu'elle s'affairait, une jeune fille poussa la porte et vint s'adosser au comptoir de la cuisine américaine. Ses longs cheveux blonds étaient réunis en une natte très serrée.

— Tu devrais faire attention, Anna, lui lança Ariane sans la regarder. Cal ne va pas tarder à arriver.

Elle avait dit cela sans qu'un seul bruit n'ait pu révéler la présence d'un intrus. Derrière elle, Anna se tortilla sur son siège :

— Je le sais bien, répondit-elle. Il ne sera là que dans quelques minutes, nous avons le temps.

— Qu'est-ce qui te préoccupe tellement ?

Ariane s'était retournée pour lui faire face. Sa voix ne trahissait aucune émotion : c'était celle d'un employeur à son subalterne. Anna, elle, tordait ses mains sur le comptoir comme en proie à une torture personnelle :

— Il a commencé à rêver, n'est-ce pas ?

— Oui. Je t'avais dit que c'était inévitable. C'est une des conséquences, il n'y a rien que nous puissions y faire. D'ailleurs, il ne devrait pas tarder à t'en parler, je pense. À toi ou à moi.

— Mais ce n'est pas...

— Ça n'a aucune importance ! Anna ! Il va rationaliser tout seul, ne t'en fais pas. Il va angoisser, se poser des questions, et puis il finira par l'accepter, tout simplement. Notre rôle à toi et à moi, c'est de faire en sorte qu'il n'y pense plus. Tu dois détourner son attention, c'est pour cela que tu es là, je te le rappelle. Tu y arriveras sans doute mieux que moi : tu as une plus grande influence sur lui.

Anna secoua la tête, sourcils froncés, une ride verticale au milieu de son front :

— Que doit-on faire alors ? s'enquit-elle.

— Attendre qu'il nous en parle. L'écouter lorsque ça viendra, lui donner toutes les explications rationnelles auxquelles il pense déjà. Et puis le danger sera écarté.

— Donc il y a un danger !

— Mais non ! Les choses ne peuvent pas se passer autrement, fais-moi confiance.

Ariane avait dit cela, mais sans la moindre douceur pour la jeune femme :

— Tu n'as qu'à jouer ton rôle exactement comme on te demande de le faire, conclut-elle.

Anna acquiesça, guère émue par la froideur d'Ariane. Elle-même observait la mère de Cal avec le regard d'un soldat pour son officier, non pour une femme qu'elle était censée connaître depuis l'enfance.

— Et détache cette natte, tu sais qu'il te préfère les cheveux lâchés !

Anna fit glisser l'élastique de sa tresse, et ses mèches ondoyèrent sur ses épaules avec une sensualité étudiée. Sans un mot de plus pour Ariane, elle passa son sac d'école en bandoulière et sortit de la cuisine.

À peine dix secondes plus tard, Cal descendait l'escalier et jetait son propre sac sur le comptoir, à l'endroit même où Anna s'était accoudée un instant plus tôt. Il prit son petit déjeuner, but le thé que sa mère lui avait préparé, et partit pour le lycée sans que rien n'éveille ses soupçons.

Cal n'avait jamais trouvé une journée aussi épuisante de toute sa vie. Le manque de sommeil embrouillait son cerveau, renvoyait son cauchemar contre les murs de son crâne comme une balle de squash. Il ne pensait plus qu'à ça ; l'image absorbait son esprit jusqu'à la dernière goutte. De minuscules aiguilles irritaient ses prunelles dès qu'il fermait les yeux.

Après les cours, il rentra directement chez lui. Depuis le début de la matinée, Anna semblait s'obstiner à le suivre comme une ombre, un inexplicable air inquiet plaqué sur le visage, et il était content de se retrouver enfin tranquille. Même s'il ne le lui aurait jamais avoué, bien sûr. Assis à son bureau à présent, seul dans sa chambre, il faisait tourner un crayon entre ses doigts sans même y penser. Il fixait le vide, rien en particulier, en proie à une profonde introspection. Il avait peur de découvrir ce qui se cachait au fond de lui-même.

Saisi d'une brutale inspiration, Cal réveilla son ordinateur d'un mouvement de souris et ouvrit Internet. Il inscrivit dans la barre de recherche : « cauchemars violents récurrents ». Il était peut-être un peu tôt pour s'alarmer, mais...

Il n'obtint qu'une série de forums plus insipides les uns que les autres, où des dizaines de personnes énuméraient leurs visions gores au possible.

« Au moins, je ne suis pas le seul dans ce cas... », songea-t-il.

Mais aucun des rêves décrits par ces inconnus n'était aussi précis que le sien, et, paradoxalement, aussi dénué de signification. Là où les uns et les autres finissaient par retrouver derrière leurs visions un souvenir enfoui, une dispute avec un proche, voire une brève envie meurtrière comme il nous arrive à tous d'en avoir, Cal ne retrouvait strictement rien. Il ne connaissait aucune des personnes qui lui apparaissaient dans son sommeil, à l'exception de ce sosie de lui-même. Et encore, il doutait que ce monstre sans conscience lui ressemble vraiment.

Le fait de rêver de parfaits étrangers avait quelque chose de dérangeant, presque surnaturel... Il leur devinait à tous, inconsciemment, une profondeur et une existence qu'un simple songe n'aurait pas suffi à leur engendrer.

Et puis il aurait dû retrouver des symboles, des références plus ou moins cachées à sa vie quotidienne... Ses visions n'étaient pas sombres, confinées et inextricables : tout avait lieu en pleine lumière, sans le souci d'aucune morale, sans le moindre remords de sa part...

Il découvrit sur l'un des sites que la violence exprimait un conflit, antérieur ou pressenti, mêlé à une sensation d'impuissance. Quel conflit ? Pourquoi toutes ces conneries d'émotions refoulées, de désirs inassouvis ? Est-ce qu'il pouvait vraiment vivre dans une tension constante, tirant un peu plus sur la corde chaque jour jusqu'à ce que ses nerfs claquent d'un seul coup ? Tant de violence gratuite... Ces émotions n'étaient pas les siennes.

Dans ses rêves, il ressentait un contraste permanent, partagé entre un plaisir de brutalité éphémère, inconsistant, et une haine sans cible précise, contre lui-même, mais aussi contre tellement plus... Il paraissait plus sûr de lui, mais c'était une confiance froide, quasi scientifique, tournée avant tout vers ses capacités physiques. Mentalement, le paysage était noir. L'homme qu'il incarnait était dérangé. Il souffrait et la colère l'avait dévoré jusqu'à la folie.

Même à présent qu'il était éveillé, Cal percevait ces émotions s'agiter en lui. Il pouvait les faire revivre pour mieux les comprendre, comme s'il avait soudain le pouvoir d'invoquer quelque esprit étranger à l'intérieur de son corps. Il se sentait brusquement l'âme d'un chaman vaudou...

Mais le panorama n'était pas complet : il lui manquait l'atmosphère si froide de son rêve, incontestablement l'hiver, la sensation de se trouver en un lieu bien réel...

Pendant quelques instants, Cal observa son lit. Il envisagea de faire une sieste : s'il fallait partir à la pêche aux indices, autant faire le plongeon tout de suite...

La certitude qu'il ne parviendrait pas à s'endormir lui fit abandonner l'idée aussi vite qu'elle lui était venue. C'était stupide ; il manifestait tous les symptômes du manque de sommeil : mal de tête, yeux irrités, bâillements incontrôlés... Mais quelque chose maintenait son esprit en alerte. Pour quelle raison ? Aucune idée. Au stade où il en était, il ne réagissait plus qu'à l'instinct.

Il y avait un sous-main calé sous son clavier d'ordinateur. Sans chercher à comprendre où cela le mènerait, l'envie de dormir déjà loin derrière lui, Cal raffermit sa prise sur le crayon qu'il tenait et commença l'esquisse d'un ovale, qu'il espérait voir devenir un visage.

Il n'était pas bon en dessin. Depuis l'enfance, cet art ne représentait pour lui rien d'autre que de la frustration, et cette fois encore cela ne rata pas : au bout de quelques traits, l'image qu'il visualisait dans son esprit s'évapora dans un entrelacs de formes grotesques. Le portrait était là, dans sa tête, mais impossible de le retranscrire. Sa main ne voulait pas, elle n'en avait pas le pouvoir...

Il ratura son esquisse et en commença une autre, furieux contre lui-même. Cette fois, il versa dans l'abstrait, sans chercher à s'imaginer quoi que ce soit. Il laissa son trait se délier en mouvements gracieux, attentif au frottement du crayon sur le papier qui faisait naître des frissons dans l'ensemble de son corps. Au bout d'un moment, il comprit où son cerveau voulait le mener. Il avait déjà entendu parler de ce phénomène autrefois, mais jamais il n'aurait cru que cela marcherait aussi facilement. L'écriture par libre association. Sauf qu'ici il n'écrivait pas : il dessinait. Ce qu'il avait pris pour des courbes aléatoires reconstituait en réalité un motif qui s'était imprimé comme une tache d'encre dans sa mémoire.

Cal se recula sur sa chaise et considéra son œuvre un instant. Il ne savait pas s'il devait se sentir terrifié ou satisfait. Il parvenait à un état d'aseptisation où aucune émotion ne semblait plus pouvoir germer en lui.

Il fit à nouveau tourner son crayon entre ses doigts. Cette fois, il prit conscience de son geste :

— C'est donc cela que tu m'as légué ? murmura-t-il, à la fois pour lui-même, pour sa main qui obéissait à des réflexes étrangers, et pour le dessin qui le fixait sur le bord de la feuille.

Le tatouage d'Ézéchiel s'épanouissait devant lui. Remis à plat, il formait un réseau de filigranes entrecroisés, une alternance de pleins et de courbes fluides, comme autant de serpents resserrés autour du bras de leur porteur, refermant boucles, spirales, nœuds et contre nœuds, avec une grâce magistrale.

Cal toucha le motif du bout des doigts, le souffle court, comme s'il allait lui transmettre quelque pouvoir occulte par ce simple contact.

Le grain du crayon de papier était doux sous sa peau. Il pouvait suivre les impulsions de sa main lorsqu'il avait tracé chaque aspect de la trame. Il y avait quelque chose de presque végétal dans ce dessin. Comme un boisseau de ronces dissimulant leurs épines. C'était délicat et poétique, et pourtant si fort, puissant, quasiment... clanique.

D'où lui venait cette intuition ? Pourquoi est-ce qu'il pouvait entendre le résonnement grave d'un tambour de cuir tendu à la simple idée de porter ce motif sur son bras, quand il ne s'agissait que des battements de son propre cœur ?

Il ralluma Internet et chercha : « tatouages claniques ».

Les résultats ne furent pas très probants : une fois encore, rien que des inconnus qui exhibaient leurs biceps comme un ensemble de cartes postales reliées pleine peau, et davantage de motifs motards que de majestés comme celle qu'il avait sous les yeux.

Mais, saisi d'une brusque inspiration, il sut soudain ce que ces entrelacs lui rappelaient et modifia sa recherche : « tatouages celtes ».

Cette fois, l'idée y était. Il y avait bien ces courbes imbriquées les unes dans les autres, à tel point qu'il était impossible de savoir où elles commençaient et se terminaient, comme un ouroboros sans fin. Mais rien de comparable au dessin qu'il avait vu. Il l'avait restitué à la perfection malgré ses piètres talents artistiques, comme si quelque chose d'autre avait guidé sa main. Cette main qui faisait tourner des stylos comme un voltigeur de haut niveau, la main qui recevait le tatouage dans son rêve...

Sans céder au pressentiment qui le gagnait, à la sensation de plus en plus poignante que ses membres ne lui appartenaient plus, Cal tenta de trouver des significations dans ces labyrinthes infernaux. Ils étaient captivants, capturaient le regard telles une illusion d'optique, une hypnose...

« Tu en fais trop, Cal. »

Il sut soudain où il devait aller. Cette fois, pas de prédiction étrange : c'était simplement son bon sens qui le guidait. Enfin, s'il en avait toujours un...

Cal déchira la feuille du sous-main à la hâte, sans froisser le tatouage, qu'il glissa dans son sac en bandoulière. Puis il sortit par la cuisine pour récupérer son vélo et deux minutes plus tard, il filait vers le centre-ville, vers une petite enseigne peu fréquentée dont le néon clignotant rose fluo annonçait : « Lenny's Tattoo ».

Si la ville où il avait grandi comportait une rue mal famée, c'était bien la rue où se dressait fièrement le Lenny's Tattoo. Il n'y avait personne, des monceaux de papier journal éparpillés sur le sol, des générations de sacs-poubelle délaissés par les éboueurs, et une rance odeur d'urine incrustée. La boutique où il se rendait ne répondait pas aux clichés du genre, pourtant. Cal n'aurait jamais pensé y mettre les pieds un jour. Pas tant qu'il dépendait toujours de ses parents pour financer ses études, en tout cas...

« Lenny », même si tout le monde en ville savait qu'il s'appelait en réalité Gilles Kleber, s'était installé dans cette rue depuis presque dix ans. Il avait repris l'ancienne boutique de tatouage, devenue un taudis abominable fermé par l'inspection sanitaire, et était demeuré un an en travaux, portes closes.

Monsieur Kleber n'avait donné aucune explication. Pendant toute la durée du chantier, les vitrines avaient été recouvertes de peinture blanche, et, s'il se montrait poli et étrangement banal pour un écorcheur de chair, Kleber n'avait manifesté aucune intention de se lier avec sa nouvelle clientèle. Jusqu'au jour où des ouvriers avaient dressé des échafaudages pour refaire la façade, et là, il était devenu évident que le Lenny's Tattoo — à l'époque le Kevin's Tattoo, comme quoi les modes ne changeaient pas — allait connaître une véritable renaissance.

Aujourd'hui, le Lenny's était reconnu par la majorité des autres commerçants de la ville. Kleber avait longtemps irrité par son mutisme buté, mais son talent avait vite coupé les langues de fourche. Il travaillait lentement, avec soin et dans la plus grande hygiène, si bien que Cal avait entendu sa mère le qualifier un jour de « tatoueur respectable », ce qui n'était pas peu dire quand on connaissait son aversion pour les dessins organiques.

Cal poussa la porte de la boutique, qui carillonna comme un tintement d'apothicaire. Encore un choix plutôt curieux, mais c'était le cadet de ses soucis. Gilles Kleber était seul à son comptoir, penché sur des livres de comptes rédigés à la main. Un haut-parleur diffusait de la musique rock à l'autre bout de la boutique, dans une pièce qu'il ne pouvait pas voir. Il savait que Kleber engageait un apprenti à mi-temps, un jeune homme couvert de tatouages, comme il se devait, alors que son patron n'en portait aucun. Du moins aucun de visible.

Monsieur Kleber était petit, enrobé, âgé mais bien portant, le crâne totalement chauve souligné par des lunettes rondes. Il avait l'air à cent kilomètres de la discipline qu'il s'était choisie.

— Je peux faire quelque chose pour toi ? demanda-t-il à Cal de sa voix calculée, sans une inflexion au-dessus de l'autre.

Une parfaite voix de commerçant.

Cal se frotta la tête, par nervosité, sans vraiment savoir ce qu'il était censé dire.

— Je voudrais juste un renseignement en fait, Monsieur... Lenny.

Le visage de Kleber ne changea pas d'expression :

— OK, approche.

— Voilà...

Cal défit son sac, de plus en plus mal à l'aise, et en sortit la page déchirée qu'il posa à plat sur le comptoir, sans toucher au livre de comptes.

— Je voudrais savoir si... si vous pouviez me dire à quoi vous fait penser ce genre de tatouages.

Monsieur Kleber considéra la feuille un moment, leva sur le garçon un regard circonspect, puis la tourna dans l'autre sens.

— Non, c'est dans ce sens-là que...

— Je m'en doute, petit. Laisse-moi regarder maintenant.

Cal ravala sa salive, se sentant rougir. Kleber rajusta ses lunettes et déclara, après quelques secondes de réflexion :

— C'est un motif celte.

— J'avais cru reconnaître ça moi aussi...

— Non, ce que je veux dire, c'est que c'est un véritable motif celte. Pas une espèce de symbole tarabiscoté comme on en fait beaucoup maintenant. Deux-trois spirales enroulées, quelques arabesques à droite à gauche, et tout devient celte. Tu peux me croire, j'en vois beaucoup défiler. C'est plutôt populaire en ce moment.

— Et qu'est-ce que ça signifie ?

— Eh bien à la base, ça servait à marquer les guerriers de chaque tribu. Comme tous les tatouages claniques, d'ailleurs. Tu avais des marques pour les guerriers, pour le chef, pour le chaman... Aujourd'hui, je ne peux pas te dire ce que celui-là signifie en particulier. Ils ont perdu tout leur sens avec le temps. Ils se sont transmis de peau en peau, si tu vois ce que je veux dire. Maintenant, on ne les choisit plus que pour leur côté esthétique.

— Est-ce que...

Cal hésita, mais il devait poser la question :

— Est-ce que ce serait le genre de tatouages qu'on pourrait trouver chez un gang ?

Kleber plissa ses petits yeux ronds, qui paraissaient minuscules derrière ses lunettes en écaille :

— Les gangs aiment bien ce genre de motifs, c'est vrai, répondit-il avec prudence. Les symboles celtes, chrétiens, ou alors asiatiques.

— Et donc ça voudrait dire quelque chose ? Vous savez, comme les tatouages qu'on se fait en prison, les trucs comme ça...

— Tu regardes un peu trop de séries télé, toi.

— Non, mais sérieusement ! Si un type avait ça sur son avant-bras droit, est-ce que ça voudrait dire quelque chose ?

— Tu sais, je ne suis pas un tatoueur de gang, rétorqua Kleber sans plus cacher une pointe d'ironie. Je ne suis même pas sûr qu'il y ait un gang dans cette fichue ville. Franchement, tu as vu où on est ? Tu veux faire quoi, petit ? Tu es le fils de Victor Calbot, c'est ça ? Tu veux monter ton groupe, jouer les durs et faire peur aux riverains sur ta bécane à roulettes ?

— Non ! protesta Cal, de plus en plus désemparé par le tour que prenait la conversation. Je suis juste curieux, c'est tout.

Monsieur Kleber jeta de nouveau un œil sur le dessin, comme s'il l'aspirait, lui aussi.

— Où tu l'as vu, ce tatouage ? demanda-t-il finalement.

— Sur le bras d'un type.

— Et il faisait partie d'un gang, ce type ?

— Je n'en sais rien ! Vous l'avez dit vous-même, il n'y a pas de gang dans cette ville. Ça m'a juste marqué, c'est tout.

Cal se sentait hors d'haleine, hors de lui, mais il ne pouvait pas en dire plus. Il espérait seulement que Kleber ne répandrait pas la rumeur du fils Calbot magouillant avec des zonards dans toute la ville.

— Bon, écoute, reprit le tatoueur. Et ça, n'importe qui pourrait te le dire, d'accord ? C'est de la pure logique... Les gangs ont une hiérarchie, pas vrai ?

— Je suppose...

— Les mecs qui se font tatouer comme ça, ils ont leur propre langage, ils donnent le sens qu'ils veulent aux symboles. Mais ce qui compte le plus, c'est la localisation.

— Comment ça ?

— Ton type s'est fait tatouer ça sur l'avant-bras droit : logique. C'est un bras droit. Un second.

— Vous croyez vraiment que ça pourrait être aussi simple ?

— Tu me demandes des réponses, petit. Moi je te dis juste ce que j'en pense. Et puis, j'ai beau ne pas verser dans les gangs, je connais des mecs qui le font. Un chef se ferait tatouer quelque chose de bien central : ici par exemple.

Il pointa la poitrine de Cal, qui recula inconsciemment.

— Mais celui-là, c'est un sacré beau tatouage, ajouta Kleber en revenant au dessin. Je pourrais te le faire, si tu veux.

Cal en resta muet. La proposition le frappa de plein fouet, tentante, irrésistible. Il pourrait demander à monsieur Kleber de le lui faire. Là, tout de suite. Ce serait tellement facile, tellement facile de devenir lui...

Pendant quelques secondes, Cal s'imagina lui-même, et non plus l'homme de son rêve, ce tatouage sur le bras. Il n'aurait plus qu'à se laisser pousser les cheveux, et d'ici quelques années...

Le motif lui plaisait ; il le voulait, même si tout ce qu'il y avait de raisonnable en lui se dressait contre cette seule volonté. Que dirait sa mère, que diraient ses proches, et puis pourquoi, au nom du ciel, voudrait-il un tatouage pareil ?

Il revit son reflet dans le miroir, ce matin, et le reflet dans son rêve. Cela provoqua quelque chose en lui, quelque chose qui resta bloqué dans sa gorge, qui délivra ses pensées du carcan de ronces où elles s'étaient repliées :

« Ce serait comme ça que tout commencerait... » songea-t-il sans se soucier de s'il parlait à voix haute ou non. « Ce serait la première étape pour devenir lui. Je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas laisser cela arriver ! »

Il se rendit compte qu'il haletait, et que monsieur Kleber le fixait d'un œil inquiet derrière son comptoir :

— Tu sais, tu n'as pas à avoir peur, tenta de le rassurer le petit homme. Ce ne sera pas agréable, pour ça je ne peux pas te mentir, mais si des dizaines de personnes le supportent, tu peux bien y arriver.

Cal baissa les yeux :

— Non... Il faut que je parte...

D'un seul geste, il récupéra la feuille sur la table et la fourra dans son sac sans plus se soucier de la froisser.

— Attends ! s'écria Kleber. Tu pourrais me la laisser comme modèle ?

— Certainement pas !

Cal ne s'entendit pas répondre : il se rua dehors, enfourcha son vélo et sortit aussi vite qu'il le put de la ruelle. Il avait l'horrible sensation de s'être trouvé au bord d'un grand précipice. D'avoir failli basculer dans quelque chose de sombre, innommable et sans fond.

Comment décrire cette attraction magnétique qui l'avait saisi dans la boutique de tatouage ? Ce besoin irrépressible de porter ce motif sur sa peau, comme si c'était là qu'il devait se trouver ?

En rentrant chez lui, sa mère le cueillit dans la cuisine, et Cal dut faire un effort surhumain pour se contrôler :

« Je suis en train de devenir complètement psycho... »

— Cal, tu es sûr que ça va ? s'enquit aussitôt Ariane.

— Non, je vais...

La recette du parfait mensonge : incorporer une dose de vérité pour le faire avaler :

— J'ai foiré la biologie ce matin.

Ariane parut sincèrement surprise, et même inquiète :

— Assieds-toi, raconte-moi tout, lui intima-t-elle.

Cal fit le tour de la table, réticent, mais il finit par obéir avant qu'elle n'insiste :

— J'étais déconcentré, c'est tout. J'avais beau réfléchir, mon esprit restait blanc.

— Ça fait deux nuits de suite que tu ne dors pas bien ! Tu n'aurais pas dû y aller.

— Maman, je ne suis même pas malade !

— Ça suffit maintenant, écoute-moi. Tu vas aller dans le salon te mettre un film, et tu ne bouges plus. J'appelle Anna pour qu'elle vienne. Le dîner sera bientôt prêt, et ensuite, je t'envoie directement au lit.

— Tu n'as pas besoin d'appeler Anna !

— Allons donc. Tu as mauvaise mine, je le vois. Les mères sentent ce genre de choses.

Ariane le fixa un instant dans les yeux, sans ciller. Cal eut l'impression qu'elle voulait lui transmettre quelque chose par ce simple regard.

— Tu sais que tu peux tout me dire, Cal, reprit-elle très doucement.

« Elle se fait du souci à cause de moi... Non, mais quel idiot je fais ! »

Cal lui prit la main, si petite entre les siennes :

— Tout va bien, Maman, la rassura-t-il. Tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ?

Elle secoua la tête avec un sourire :

— Pas quand il s'agit de mon fils.

Puis, d'un air plus ferme :

— Allez, file !

Cal se déroba dans le salon pendant qu'il l'entendait presser les touches du téléphone mural. Voilà qu'il allait aussi devoir jouer la comédie devant Anna...

Mais Cal était forcé de l'admettre, sa mère avait raison : il se sentait mal. Un mal-être intérieur, et non une douleur physique. Une pensée de son alter ego lui revint soudain en mémoire : « Je me suis fait une raison depuis longtemps, mais l'esprit humain, lui, ne renonce pas à se torturer. Alors j'ai tué mon esprit ».

Il comprenait à présent l'origine d'une telle réflexion, et cela ne fit que le déprimer encore plus.

Il ignora le canapé et se laissa tomber dans un pouf, rien de plus qu'un grand sac de toile rempli de billes de polyester, qui prit immédiatement la forme de son corps. Il se rendit compte qu'il avait allumé la télévision sur les dessins animés seulement quand il entendit le rire d'Anna qui l'espionnait depuis l'encadrement de la porte :

— Tu retombes en enfance ? le taquina-t-elle. Ta mère a raison, tu dois vraiment être fatigué.

Elle prit place sur le pouf à côté de lui, avec grâce, comme toujours. Puis elle saisit sa main dans la sienne, et il ne put se résoudre à l'ignorer plus longtemps :

— Je sentais bien que quelque chose n'allait pas aujourd'hui, commença-t-elle avec un petit sourire d'excuse. Je suis désolée, j'aurais dû te demander.

— Mais arrêtez tous de vous en faire pour rien ! s'exclama Cal en se retenant d'exploser. C'est de la paranoïa !

Elle éclata de rire, puis fit tomber son pouf sur le sien avant qu'il n'ait le temps de réagir. Tous deux roulèrent aussitôt sur le plancher, emportés par leur élan, jusqu'à ce qu'Anna immobilise Cal en pesant de tout son poids sur sa poitrine :

— Tu devrais être content qu'il y ait autant de gens qui s'inquiètent pour toi, objecta-t-elle.

— Ça m'énerve plus qu'autre chose.

— Cal, s'il te plaît.

Il vit qu'elle était sérieuse, alors il la laissa continuer :

— Tu ne t'en ferais pas pour moi, si tu me voyais errer toute la journée comme un zombie ? Ose le nier.

Il poussa un profond soupir, puis glissa une main dans ses longs cheveux blonds. Elle allait réussir à le rendre coupable, en plus de tout le reste.

Anna baissa la tête pour écouter les battements de son cœur. Il l'enlaça tout contre lui, et ils auraient pu s'endormir ainsi si le temps s'était arrêté.

— Je suis désolé, murmura Cal au bout d'un moment. Mais je n'ai rien, vraiment.

Cela l'affligeait de lui mentir, mais... tant qu'il n'avait aucune réponse, qu'aurait-il bien pu lui raconter ? Cela ne ferait que l'inquiéter encore plus, et sans raison valable.

— Les enfants, à table !

Cal et Anna se redressèrent aussi vite que l'éclair, pas suffisamment pour éviter Ariane qui les fixait d'un air entendu :

— Anna, tu manges avec nous ?

— Bien sûr.

Les deux femmes disparurent dans la cuisine, et Cal ressentit soudain l'envie de ne pas se retrouver seul. Il avait pris leur présence pour une nuisance, alors qu'en fait... elles le réconfortaient. Le dîner fut un vrai soulagement, à tous points de vue. Victor Calbot ne rentrerait pas avant tard le soir ; Ariane et Anna se renvoyaient la balle pour savoir qui devait rester au chevet de Cal ; c'était un repas chaleureux. Assez pour dissiper tous ses troubles de la journée.

Cal se mit au lit tôt ce soir-là, comme sa mère le lui avait recommandé. En vérité, il attendait l'heure du coucher depuis déjà bien trop longtemps. Depuis qu'il avait ouvert les yeux ce matin, peut-être bien. Son cœur palpitait d'anticipation, parce qu'il savait que d'une façon ou d'une autre, le sommeil lui apporterait des réponses. Si les forums qu'il avait consultés dans l'après-midi disaient vrai, ses rêves étaient un message de son subconscient, qui se répéterait tant qu'il ne l'aurait pas compris.

Il était temps d'aller voir ce que son esprit avait à lui dire.

 

 
 
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