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La fureur du fleuve
Par SarahCollins
Originales  -  Mystère  -  fr
24 chapitres - Complète - Rating : T (13ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
    Chapitre 17     Les chapitres     2 Reviews     Illustration    
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Quand le passé ressurgit

Bruce Springsteen — The price you pay

17. Quand le passé ressurgit

 

Quand on renie le passé, on perd l’avenir. Dulce Maria Cadoso

— En fait, on peut dire que vous lui avez sauvé la vie, finit par déclarer Jenny. Madame Simmons vous doit une fière chandelle.

Daniel Ariyoshi garda le silence. Visiblement mal à l’aise, il regardait ailleurs. Elle l’observa plus attentivement, détaillant ses yeux rougis et ses joues mal rasées. Il paraissait hagard.

Mais on le serait à moins, songea Peter.

Cet après-midi même, quelques heures plus tôt à peine, il s’était rendu au cimetière de Charlestown pour visiter la sépulture de Mark Simmons. Lorsqu’il était arrivé, il n’avait pu que constater que quelqu’un s’y trouvait déjà. Seule devant la tombe de son patron et amant, Barbara Simmons se recueillait.

Conscient de la délicatesse de sa situation, il avait aussitôt rebroussé chemin quand il avait entendu plusieurs détonations. Des coups de feu, il en était certain. Il s’était précipité vers la tombe de Mark Simmons et avait forcé sa veuve à se jeter au sol.

Le tireur avait sans doute cru avoir atteint sa cible car une voiture avait ensuite démarré en trombe. Barbara Simmons et Daniel Ariyoshi avaient alors pu se redresser et appeler la police.

Ni lui ni la vieille dame n’étaient gravement blessés mais Mme Simmons, qui était encore sous le choc d’après les médecins, allait passer une partie de l’après-midi à l’hôpital.

— Vous êtes sûr que c’est madame Simmons qui était visée ? Et pas vous ?

— Sûr et certain. C’est dans sa direction qu’on tirait, je l’ai bien vu. D’ailleurs, le premier coup de feu a été tiré avant même que je ne m’approche d’elle. J’étais encore plusieurs mètres derrière elle. Il aurait fallu que le tireur soit aveugle pour viser aussi mal.

— ça ne peut pas être un hasard, déclara Jenny pour ce qui lui paraissait être la centième fois de la semaine. D’abord Mark Simmons, ensuite sa femme …

— Au cimetière, devant sa tombe, qui plus est, ajouta Pete.

— Vous avez raison : ce n’est pas une coïncidence. Celui qui a fait ça voulait faire passer un message et j’ai bien peur d’être le prochain sur sa liste. Alors, il n’est pas question que je reste ici, les bras croisés à l’attendre, décréta Ariyoshi.

— Vous pensez qu’on va essayer de s’en prendre à vous ?

L’air très agité, le dirigeant de Save Children se leva et se mit à faire les cent pas dans son bureau.

— Oui, c’est évident. Quelqu’un en veut à notre association.

— Ah vraiment ? Et vous ne savez pas pourquoi ? demanda Peter d’un ton ouvertement narquois.

— Non. Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, monsieur Westerfield.

Peter le regarda fixement pendant quelques instants. Il venait de se rappeler qu’aux débuts de Save Children, à l’époque des adoptions frauduleuses, Daniel Ariyoshi était sans doute encore à la fac. Il avait toujours supposé qu’il l’avait appris par Mark Simmons mais en réalité, il n’en savait rien. Peut-être s’était-il trompé.

Jenny devait penser la même chose car prenant les devants, elle se jeta à l’eau et lui révéla toute la vérité.

Il vit le visage de Ariyoshi se figer au fur et à mesure qu’elle avançait dans son récit et que celui-ci se faisait plus dur.

A la fin, il secoua la tête, l’air incrédule. Il avait arrêté de faire les cents pas.

— Non, murmura-t-il sans les regarder. C’est … c’est impossible. Mark et Barbara n’auraient jamais …

Ces nouvelles révélations et la récente fusillade au cimetière semblaient être beaucoup à encaisser pour Ariyoshi qui se laissa tomber plus qu’il ne s’assit sur une chaise.

— Ecoutez, madame Simmons m’a elle-même avoué que c’était vrai. Je suis navrée mais vous devez me croire. Je vous dis la vérité.

— Bien sûr, ces derniers mois, j’avais entendu parler de ces rumeurs de maltraitance et de ce documentaire mais Mark m’a … m’avait toujours assuré que ce n’étaient que des racontars, leur confia l’homme visiblement bouleversé. Des bobards répandus par des personnes malfaisantes et pleines de jalousie, voilà ce qu’il disait à chaque fois.

Le jeune détective repensa à ce que lui avait confié la réalisatrice Sophia Boyle. A la fin de leur entretien, elle avait comparé Mark Simmons à un véritable gourou. Désormais, en considérant le désarroi qui tendait les traits séduisants de Ariyoshi, le voyant au bord des larmes, il comprenait ce qu’elle avait voulu dire.

— Monsieur Ariyoshi, est-ce que Mark Simmons ou sa femme avait déjà parlé de Sally ou Ned Quinn devant vous ?

— Seulement la veille de votre venue.

— Que vous avaient-ils dit ? le pressa Jenny.

— Que votre tante avait travaillé pour SC quelques années et qu’elle était décédée récemment en même temps que son mari.

— Rien d’autre ?

— Non, c’est tout.

Peter intervint.

— Est-ce que vous avez vu Mark ou Barbara Simmons passer un appel qui sortait de l’ordinaire la veille de leurs morts ?

— Ils ont téléphoné comme d’habitude, répondit-t-il en haussant les épaules, mais je n’avais aucun moyen de savoir à qui. Des clients ou des donateurs, c’est ce que j’ai pensé. D’ailleurs, je n’y faisais pas spécialement attention. Je n’étais pas là pour les espionner et j’avais d’autres choses à faire. Mais attendez un peu ... vous ne pensez tout de même pas que Mark était mêlé aux morts de Sally Quinn et son mari !

Ni Jenny ni Peter ne prirent la peine de répondre. A vrai dire, ils ne savaient plus que croire.

OooOo

Ce fut un coup de fil des plus inattendus qui interrompit leur entrevue avec Daniel Ariyoshi.

Jenny s’excusa et quitta le bureau pour la quiétude toute relative, il fallait bien le reconnaître, du couloir.

En regardant l’écran de son portable, elle crut reconnaître le numéro mais cela faisait tellement longtemps. Et puis, pour quelle raison l’appellerait-il d’ailleurs ? Présenter ses condoléances ? Non, s’il avait voulu, il l’aurait fait avant.

Elle sortit de sa rêverie et décrocha enfin.

— Jennifer ? C’est Bruce … Bruce Vaughan.

Elle ne s’était pas trompée. Il s’agissait bien de l’ex-mari de sa tante Sally.

— Qu’est-ce que tu veux ? Et d’abord, comment as-tu eu mon numéro ?

— Gail Sanchez me l’a donnée, après les funérailles. Il faut vraiment que je te parle. Est-ce que tu serais disponible aujourd’hui ?

— Aujourd’hui ? répéta-t-elle. Rien que ça ... Non mais qu’est-ce que tu crois ? Que je suis à ta disposition, c’est ça ?

— C’est vraiment très important. Je ne t’aurais pas dérangée sinon, tu le sais bien.

Son ton était si implorant qu’à sa grande surprise, avant même d’avoir listé toutes les raisons pour lesquelles elles devaient refuser, elle s’entendit accepter. Ils se donnèrent rendez-vous dans un café non loin de l’hôtel où Peter et elle séjournaient.

Elle n’avait pas vraiment eu le temps de se préparer à cette rencontre pour le moins imprévue. Mais qu’est-ce qui aurait bien pu la préparer à revoir l’homme qui avait tant fait souffrir sa tante et ressurgissait maintenant des limbes de son passé ? Lors de l’enterrement, elle était si bouleversée qu’elle n’avait même pas remarqué sa présence dans l’église.

Et aujourd’hui, elle ne savait pas à quoi s’attendre.

Bruce avait bien vieilli. Bien sûr, ses cheveux étaient maintenant plus blancs que blonds, sa silhouette s’était un peu épaissie et des rides sillonnaient son visage mais il demeurait séduisant. Presque aussi séduisant que le jour où il avait quitté tante Sally et la petite Jenny, récemment orpheline, parce qu’il n’avait jamais voulu être père et n’avait pas l’intention de le devenir par la force des choses.

Inutile de préciser qu’elle ne lui avait jamais pardonné son départ abrupt.

Elle commanda un café et toisa l’ex-mari de sa tante avec tout le mépris dont elle était capable.

— Je vais sans doute me répéter mais qu’est-ce que tu veux ? Je ne sais pas si tu t’en rappelles mais je suis en période de deuil. Entre autres, le deuil de la femme que tu as épousé, juré d’aimer et de chérir jusqu’à la fin de ta vie puis lâchement quittée. Ça te dit quelque chose ?

— Jenny, je sais que tu m’en veux mais …

— Que je t’en veux ? l’interrompit-elle. J’étais une gamine à l’époque. Mes parents venaient de mourir. Et pour quelle raison ? Parce que je ne supportais pas de rester à la maison avec une baby-sitter et que j’ai insisté pour qu’ils rentrent de leur conférence. Ce qu’ils ont fait, en pleine nuit, et malgré le mauvais temps. Et ils en sont morts. Tout d’un coup, je me suis retrouvée dans une ville inconnue et au moment où je commençais enfin à m’acclimater, toi, tu t’es fait la malle parce que tu ne supportais pas ma présence. A ton avis, quel effet ça m’a fait à l’époque ? lui lança-t-elle.Quel effet ç'a fait à tante Sally ?

— Je sais que pour toi, je serais toujours le méchant de l’histoire, et peut-être que je le suis effectivement, mais il faut que tu saches que Sally et moi, on s’était mis d’accord pour ne pas avoir d’enfant. On voulait garder notre indépendance alors quand toi, tu es arrivée dans nos vies …

— Parce que tu crois qu’elle l’a fait exprès ? Qu’elle a voulu la mort de sa sœur et de son beau-frère et mon « arrivée » comme tu dis ? Ça lui est tombé dessus tout autant que toi Bruce, crois-moi mais elle, elle a choisi de se conduire en adulte, contrairement à toi.

Consciente que sa voix montait dans les aigues et qu’au moins la moitié des clients devaient les entendre, elle se tut et prit une profonde inspiration.

Vaughan en profita pour reprendre la parole.

— Je ne suis pas là pour ressasser le passé Jennifer.

— Ouais, je m’en doute bien. Ça n’a jamais été ton genre de toute façon. Alors, tu es là pourquoi au juste ?

— Il y a quelque chose que je dois te dire. Je n’ai pas voulu t’en parler lors des funérailles parce que ce n’était pas vraiment le moment. Ça me paraissait déplacé.

Si même Bruce trouvait cela déplacé, elle pouvait craindre le pire.

— Voilà le topo, ta tante m’avait emprunté de l’argent. Euh … Beaucoup d’argent.

Elle haussa un sourcil moqueur. Certaines choses, ou plutôt certaines personnes, ne changeaient décidément jamais.

— Et tu veux que je te rembourse, c’est ça ?

— Non, non …

— Combien ? insista-t-elle, prête à sortir son chéquier de son sac.

Il l’arrêta d’un geste.

— Je ne veux pas d’argent Jennifer. Je voulais juste te mettre au courant. Sally est venue me voir à plusieurs reprises au cours des derniers mois et m’a demandé de l’argent à chaque fois.

Pour la énième fois, Jenny se demanda pourquoi sa tante ne lui avait pas parlé de cela la dernière fois qu’elles s’étaient vues. Elle n’était pas riche, loin de là entre son loyer exorbitant, le crédit pour ses études et les dépenses quotidienne dans une ville comme New-York, mais elle vivait bien et aurait peut-être pu l’aidé, au moins sur le plan financier. Mais non, Sally avait préféré se tourner vers son ex-mari honni. Ce qui en disait long sur ses relations avec sa nièce.

— Et ma tante ne te disait pas pourquoi elle en avait besoin ? demanda la jeune femme.

— Non, jamais.

— Et toi, tu ne le lui as jamais demandé ? insista Jenny, de plus en plus surprise. Elle t’appelait et toi, tu te pointais et lui donnais la somme qu’elle voulait, sans poser la moindre question.

— C’est à peu près ça, oui. Tu ne vas peut-être pas me croire mais c’est la vérité. Et, pour être honnête, je me sentais un peu coupable de la manière dont les choses s’étaient finies entre nous.

— Vraiment ? Alors, tu regrettes tous tes laïus à propos de l’indépendance et de ton refus de fonder une famille ?

— Non, c’était un choix de vie valide et je ne le regrette pas.

— Mais ?

— Mais je n’aurais pas dû partir de la manière dont je l’ai fait, en laissant …

— Un simple mot sur le réfrigérateur, termina la jeune femme à sa place. Non, tu n’aurais pas dû, en effet.

Son ancien oncle par alliance hocha distraitement la tête avant de tourner son regard vers la fenêtre. A l’extérieur, une jeune mère, visiblement débordée, courrait après l’un de ses quatre enfants. Elle semblait plus jeune que Jenny de plusieurs années.

— Et ce n’est pas tout, finit par avouer Bruce. Ce n’est qu’une supposition de ma part mais j’ai l’impression que Sally avait des ennuis financiers dont elle ne parlait pas à son mari. Comment s’appelait-il déjà ? Ed ou bien Ted, je ne sais plus …

— Ned, le corrigea Jenny entre ses dents serrées. Il s’appelait Ned.

— Ouais, eh bien en tout cas, je crois qu’elle s’est tournée vers moi parce qu’elle ne pouvait pas lui parler de ses problèmes.

Cette dernière affirmation n’étonnait pas la jeune femme. Depuis que Bruce lui avait parlé des emprunts de sa tante, elle s’était remémorée une vieille conversation avec la serveuse du Quinn’s. Celle-ci lui avait confié que, quelques jours avant son décès, elle avait entendu Sally se disputer avec quelqu’un par téléphone.

Je ne pourrai pas payer indéfiniment, lui avait-elle alors dit. Jenny n’avait pas bien compris le sens de cette phrase mais désormais, avec la révélation de Bruce et ce qu’elle savait de Save Children, elle ne pouvait conclure qu’une seule chose : quelqu’un faisait chanter tante Sally. Et nul doute que chantage était lié à son nébuleux passé au sein de Save Children.

OooOo

Jenny semblait perturbée lorsqu’elle rentra. Peter et elle discutaient avec Daniel Ariyoshi lorsqu’elle avait reçu un appel de provenance inconnue et s’était éclipsée après lui avoir expliqué qu’elle devait voit quelqu’un.

Peter avait bien remarqué à la pâleur de son visage et la façon dont elle pinçait les lèvres qu’elle paraissait mécontente et un brin décontenancée mais ne il lui avait pas posé de questions. Elle était partie en coup de vent et lui avait rapidement pris congé du dirigeant de Save Children. Le pauvre Ariyoshi était au moins aussi retourné par la fusillade qu’il venait d’essuyer que les derniers secrets sur ses patrons et leur manière toute ...personnelle de diriger leur association.

Les deux amis se retrouvèrent à l’hôtel.

Aussitôt rentrée, la jeune femme se débarrassa de ses chaussures avec un soupir de fatigue.

— Tout va bien ? s’enquit-t-il.

Elle haussa les épaules, visiblement incertaine.

­— J’étais avec mon ...

Elle se tut, à la recherche du mot le plus juste pour définir son lien avec la personne qu’elle venait de voir. Peter haussa un sourcil.

­— Je suppose que le terme le plus juste est ancien oncle par alliance.

— Ah, l’ex-mari de ta tante ! se souvint le jeune détective. Qu’est-ce qu’il te voulait ?

Quelque chose lui disait que ce dernier ne s’était pas manifesté par simple devoir. Il était peu probable qu’il ne l’ait appelée que pour lui présenter ses condoléances.

— Il avait quelques trucs intéressants à me dire mais je pense qu’il voulait s’excuser, et Dieu seul sait que j’en suis la première surprise, confia-t-elle.

Elle paraissait confuse lorsqu’elle s’installa sur le lit, à ses côtés.

— On a un peu parlé de ce qui s’est passé quand ma tante et lui ont divorcé. Son départ de la maison, nos relations, sa fameuse note qui a plus ou moins fait office de demande de divorce ...

Peter fronça les sourcils. Il n’avait pas la moindre idée de ce à quoi elle pouvait bien faire référence.

Elle avisa son expression perplexe et un sourire amer vint étirer ses lèvres.

— C’est vrai que je ne t’ai jamais parlé de ce glorieux épisode. Mais c’est comme ça, avec un simple mot sur le frigo, que mon oncle a mis fin à plusieurs années de mariage.

Peter émit un long sifflement. Ses relations avec son ex-femme avaient été déplorables, surtout l’été précédant leur divorce et il avait beaucoup de grief envers elle et la surprendre dans les bras d’un autre n’avait d’ailleurs pas aidé, mais jamais, au grand jamais, il ne lui serait venu à l’idée de faire une chose pareille. Partir en ne laissant qu’un mot de quelques lignes étaient le comble de la cruauté et de l’irrespect à ses yeux.

A présent, il comprenait mieux l’animosité que Jenny envers le premier mari de sa tante.

Soudain, elle secoua la tête et se redressa un peu.

— Enfin, ce n’est pas le plus important. Figure-toi que ce cher oncle Bruce m’a raconté que tante Sally lui avait emprunté de grosses sommes d’argent avant sa mort. Il est convaincu qu’elle avait des problèmes financiers dont elle ne parlait pas à Ned. J’ai réfléchi en rentrant et je pense vraiment que quelqu’un la faisait chanter à propos de son passé avec Save Children, expliqua Jenny.

Il hocha la tête.

— Dans ce cas, il serait logique qu’elle n’en ait pas parlé à son mari. Franchement, qui avouerait avoir participé à un trafic de bébés qui s’est terminé par la mort d’une jeune femme innocente ?

— Maintenant, on n’a plus qu’à découvrir l’identité de ce maître chanteur, conclut la jeune femme d’une voix ferme et déterminée.



 
 
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