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La fureur du fleuve
Par SarahCollins
Originales  -  Mystère  -  fr
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    Chapitre 4     Les chapitres     2 Reviews     Illustration    
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Attitude suspecte

The Beatles – Michelle

4

Attitude suspecte

 

Une suspicion de tous les instants est une garantie de survie. Edward Bunker

Lundi, en fin de matinée, Matt et l'inspecteur Becker prirent la direction de la très chic université Sullivan Lawrence.

Derrière eux se déployait la ville de Charlestown. Les aciéries rouillaient, les autoroutes bétonnées donnaient au paysage une atmosphère sombre et désolée, et les entrepôts d'Eastern Market attendaient désespérément de nouveaux acquéreurs. Plus près encore, il pouvait apercevoir les rues pavées et le sommet des vieilles maisons du quartier historique de la ville.

Il était presque midi lorsqu'ils arrivèrent dans la pittoresque ville de Camden, à moins d'une heure de Charlestown.

Tandis qu'ils descendaient de voiture, Matt songea tristement qu'à une époque, Charlestown ressemblait à cela. Une charmante ville à taille humaine, dotée d'une vie culturelle trépidante, de magnifiques parcs et de quartiers résidentiels tranquilles. Mais depuis une vingtaine d’années, elle semblait engluée dans d’insurmontables problèmes et aucun des plans de rénovation urbaine depuis entrepris n'y avait changé quoi que ce soit.

Enfin, peu importait, ce n’était pas le moment de penser au devenir de sa ville d’adoption.

David Fitzgerald, vingt-deux ans, était étudiant en dernière année à la prestigieuse université. Membre durant ses trois premières années d'une fraternité aujourd'hui dissoute, il partageait un logement avec son meilleur ami à l'extérieur du campus.

C'était une jolie maison, bâtie sur deux étages et bordée par un jardin verdoyant. On était loin du faste de la propriété de Charlestown, mais la luxueuse voiture garée devant la bâtisse laissait deviner le train de vie du plus jeune des Fitzgerald.

— Un SUV, soupira l'inspecteur. Je ne pouvais même pas rêver d’en posséder un de ce genre à son âge.

Matt sonna et attendit.

— J'espère qu'il est bien chez lui.

Comme si on l'avait entendu, la porte s'ouvrit, laissant apparaître un jeune homme blond et efflanqué. Vêtu en tout et pour tout d'un caleçon et de chaussettes, il semblait tout juste sortir du lit.

— Euh, bonjour … C'est à quel sujet ?

— Je suis le substitut du procureur, chargé des affaires pénales pour le comté d’Orange et voici l'inspecteur principal Becker. Pouvons-nous entrer un instant ?

Après une brève hésitation, il hocha la tête et s’effaça pour les laisser passer. Les deux hommes le suivirent à l'intérieur. Contre toute attente, le salon était plutôt bien entretenu et propre. Une canette de bière à moitié vide traînait sur la table basse mais on était à mille lieues des porcheries que Matt avait connues à la fac.

Ils s'installèrent sur le canapé.

— Nous aurions quelques questions à vous poser à propos de Michelle Duncan.

— Ah bon ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle a ?

Matt et Ronnie Becker échangèrent un rapide regard. Parce qu'il voulait observer sa réaction, l'avocat se lança sans prendre de gants.

— Elle est morte, dit-il simplement. Il y a un peu plus d'une semaine.

David releva brusquement la tête, ses yeux étaient presque exorbités.

— Quoi ? croassa-t-il.

— Vous n'étiez pas au courant ?

Il secoua la tête en balbutiant « non, non ». Ses yeux étaient fermés. Avait-il conscience du regard insistant et peut-être dubitatif de ses deux interlocuteurs ?

— Bon, revenons-en au début, proposa l'inspecteur Becker. Comment avez-vous rencontré Michelle Duncan ?

— J'étais son tuteur.

— Depuis quand ?

— La rentrée. En septembre dernier, je me suis porté volontaire pour travailler dans un programme qui vient en aide aux lycéens des quartiers défavorisés. Pour leur donner davantage de chance d'entrer à l'université.

— C’était un travail rémunéré ?

David secoua la tête.

— C'est très noble de votre part, observa Matt.

Il tâchait de s'exprimer d'un ton neutre mais le regard d'avertissement lancé par Ronnie lui indiqua qu'il n'y parvenait pas vraiment. Il préféra laisser le policier continuer.

— Donc Michelle était votre élève. Vous l'avez vue samedi soir ? demanda Becker d'une voix abrupte.

— Ce samedi ? Non, je suis resté à ...

— Non, pas ce samedi, elle était déjà morte depuis un bout de temps à ce moment-là. Je parlais du précédent.

— Ah … Euh, ouais, on s'est vus. On devait étudier ensemble chez moi, expliqua David.

— Chez vous ? Et pourquoi pas à la bibliothèque par exemple ?

David haussa les épaules mais il paraissait mal à l'aise. Fuyant leur regard, il passa la main dans ses cheveux blond clair coiffés en brosse.

— C'est ce qu'on faisait d'habitude mais la maison, c'était plus … je ne sais trop en fait...

— Vous voulez dire que c'était plus convivial peut-être ? proposa Becker.

— Euh, ouais … Je suppose que c’est ça.

L'inspecteur principal lui lança un regard indéfinissable, comme s'il le mettait au défi de continuer à mentir. Matt vit David déglutir.

— Vous étiez seuls ? demanda-t-il.

— On étudiait ensemble mais Gregory Dawson, mon meilleur ami, était avec nous.

— Pourquoi donc ? voulut savoir Matt. Il l'aidait à étudier lui aussi ?

— Non, pas vraiment. Michelle et Greg sortent … enfin ils sortaient ensemble depuis ...

Soudain, d'une manière presque comique, l'expression du visage de David changea. Ses yeux bleu candide fixaient un point derrière eux.

D'un même mouvement, Matt et Becker se retournèrent.

Au milieu des escaliers, se tenait un séduisant jeune homme. Tandis qu'il descendait les marches avec la grâce d'un danseur étoile, le procureur eut tout le loisir d'apprécier la finesse des traits de son visage, tout en contraste avec son corps, qu'il devinait fort et robuste, sous les vêtements de marque.

Gregory Dawson se présenta et sans se départir de son sourire, leur serra la main à tour de rôle.

Un peu décontenancé par cette apparition soudaine, le jeune avocat laissa l'inspecteur de police reprendre l'interrogatoire. Il en profita pour observer discrètement les deux étudiants. Gregory s'était assis juste à côté de son meilleur ami.

Était-ce une vue de son esprit où David semblait avoir repris du poil de la bête depuis l'arrivée de son colocataire ? Son teint était indéniablement plus coloré que quelques minutes auparavant, remarqua Matt.

Gregory manifesta la même surprise que David à l'annonce du décès de Michelle.

Une dizaine d’années de pratique du droit ne lui avait hélas pas appris à déceler à vue d’œil les mensonges. Il n'aurait su dire si le jeune homme ignorait réellement la mort de la jeune fille mais à n’en pas douter, il y avait chez lui quelque chose de profondément … faux. Sa réaction ne sonnait pas juste, Matt en était convaincu.

— Il y a quelque chose que j'ai du mal à saisir dans votre réaction, commença Becker en relevant la tête de son calepin. Ou plutôt votre absence de réaction. Comment se fait-il que vous ne vous soyez pas inquiétés quand vous n'avez pas eu de nouvelles de Michelle ? Vous n'avez pas essayé de l'appeler après votre soirée ensemble ? C'était votre petite amie pourtant.

Gregory secoua la tête, grimaçant.

— Je crains que vous ayez mal interprété les propos de David, inspecteur Becker.

— Vraiment ?

— Oui. En réalité, Michelle n'était pas ma petite amie. Enfin, pas vraiment … Nous nous sommes rencontrés par l'intermédiaire de David en début d'année. Je crois que c'était vers le mois de janvier. Bref. Nous nous voyions de temps à autres mais nous n'avions pas de relation à proprement parler, expliqua-t-il.

— Oh, je vois. Et cette non-relation incluait-elle des rapports sexuels ?

Greg hocha la tête.

— En sachant que vous risquiez d'avoir des ennuis si ça venait à se savoir ?

— Écoutez, j'ai conscience d'avoir fait quelque chose de stupide. J'ai agi sans réfléchir aux conséquences mais je doute que notre … aventure soit liée à sa mort.

— Qu'en savez-vous ? lui demanda Matt à voix basse, d'un ton presque menaçant.

Cette fois, Gregory eut la sagesse de se taire.

— Pour votre gouverne et puisqu'aucun de vous ne l'a encore demandé, Michelle Duncan a été retrouvée noyée dans l'Hudson dimanche dernier, au petit matin. C'est-à-dire le lendemain de votre petite soirée ensemble. Il est possible qu'elle soit tombée du pont en rentrant chez elle.

— Je vous assure qu'elle était toujours en vie quand on s'est quittés, certifia le jeune Dawson.

— A quelle heure était-ce ?

La question s'adressait à David, que Matt regardait sans détour, mais une nouvelle fois, ce fut son ami qui répondit :

— Je ne suis pas certain. Je pense qu'il devait être vingt-trois heures, peut-être vingt-trois heures trente même.

— C'est long pour de simples révisions, fit remarquer l'inspecteur Becker.

— Je ne trouve pas. Michelle est arrivée un peu après vingt heures trente. Le temps qu'ils se mettent au boulot, il devait être presque vingt-et-une heures. Ce n'est pas si long, deux heures et demi de révision, quand on est une élève aussi sérieuse qu'elle.

Comme galvanisé par les explications de son acolyte, David ouvrit enfin la bouche.

— En plus, c'était la dernière fois qu'on devait se voir avant son test d'évaluation. J'étais certain qu'elle allait réussir mais elle était très stressée.

Décontenancé par le verbe et l’aplomb du nouvel arrivant, Matt en avait presque oublié que c'était David le tuteur de Michelle, et non Gregory Dawson.

— Vous étiez le tuteur de Michelle mais vous n'avez même pas essayé de prendre de ses nouvelles depuis ce fameux test, qui a pourtant eu lieu il y a quelques jours, asséna d'un coup l'inspecteur Becker. On aurait pu croire que vous l'appelleriez, au moins pour savoir comment elle s'était débrouillée, à défaut de prendre de ses nouvelles.

— Nous étions accaparés par la préparation de nos propres examens, répondit Gregory d'un ton sans appel.

Une nouvelle fois, Matt s'interrogea. Etait-il possible que les deux étudiants ignorent la mort de Michelle, pourtant survenue plus d'une semaine auparavant ?

Apparemment, Becker avait dû poser la même question car lorsqu'il revint au moment présent, Greg expliquait que les médias n'avaient pas parlé de la mort de Michelle à Camden. Ils n’avaient donc aucun moyen de le savoir.

Le jeune substitut dut acquiescer. Il doutait que la mort par noyade d'une adolescente ait dépassé les frontières médiatiques de Charlestown.

— Mais en fait, pourquoi la police s'intéresse au décès de Michelle ? s'enquit Gregory. Je veux dire, c'était un accident, n’est-ce-pas ?

— Vous croyez ?

— Mais … oui. Vous avez vous-même affirmé qu'elle était tombée du pont en rentrant chez elle.

— Et à votre avis, comment est-ce arrivé ? David ?

— Je ne sais pas mais … Il n'y a pas de lumière sur le pont et elle est partie assez tard.

— Pourquoi ne l'avez-vous pas raccompagnée puisque vous saviez qu’il était dangereux d’emprunter le pont la nuit ? Devant le silence des deux garçons, il enfonça le clou : Et que vous aviez bu en plus ?

— Il s'agissait juste de quelques bières enfin ! se justifia Gregory. Elle était loin d'être ivre. Si on avait su qu'on faisait quelque chose de dangereux ou qu'il risquait de lui arriver malheur... L'un de nous l'aurait raccompagnée chez elle bien entendu.

— Bien entendu.

L'inspecteur Becker hocha la tête comme s'il abondait dans leur sens, comme si leurs arguments l'avaient convaincu.

— Après le départ de Michelle, vous n'êtes pas ressortis ? Vous êtes restés chez les Fitzgerald ?

— Non, nous ne sommes pas ressortis.

— Pourtant, quelqu'un vous a vu vous garer devant la maison vers une heure du matin, dit-il d'une voix douce.

David regarda son meilleur ami, la bouche bêtement entrouverte mais celui-ci ne lui accorda pas la moindre attention, ne lui fit pat l’aumône d’un seul regard.

— Oh oui, je me souviens maintenant … On est allés boire un verre après les révisions. Pour décompresser vous voyez.

— Où ça ?

— Euh … Dans un bar de South End.

— Comment s'appelle-t-il ?

— Le Stripp … enfin, je crois.

— Très bien, on vérifiera dans ce cas. Au fait, est-ce que vous avez une idée de ce que Michelle pouvait bien faire sur le pont, si loin de chez elle ? Ce n'est pas sur son chemin.

Ronnie Becker se tourna vers David mais celui-ci secoua la tête, sans mot dire.

— Vous savez, aucun des proches de Michelle n'a parlé de votre liaison quand on les a interrogés, fit alors remarquer Matt qui commençait à avoir faim.

— C'est parce qu'on se cachait. J'ai une petite amie sur le campus et Michelle a ... avait quelqu’un aussi. Il a toujours été très jaloux d’après ce qu’elle m’a dit. Je crois même qu'il fait partie d'un gang. Franchement, reprit-il d'une voix hésitante, ...

— Oui ?

— Michelle n'arrêtait pas de répéter qu'on devait être discret, qu'il péterait les plombs s'il découvrait quelque chose. Si quelqu'un lui a fait du mal,… Enfin, finit-il par ajouter dans un soupir, je ne le connais pas donc je ne vais pas l'accuser sans preuves.

Il eut un haussement d’épaules fataliste tandis que Matt lui lançait un regard dubitatif.

— Alors, qu’est-ce que vous pensez de tout ça ? lui demanda Becker, quelques minutes plus tard, tandis qu'ils remontaient en voiture, à la recherche d'un endroit où se restaurer.

— Je suppose qu'on va devoir s'occuper du petit ami de Michelle, Johnny Wright. C'est la deuxième fois qu'on nous dit qu'il est très jaloux. Mais, ajouta-t-il après un court silence, j'aimerais surtout pouvoir interroger David Fitzgerald en tête-à-tête, sans son acolyte pour lui dicter les réponses. Il n'a pas l'air de quelqu’un qui a la conscience tranquille, vous ne trouvez pas ?

OOoOo

Quelques heures plus tard, Matt arriva juste à temps pour récupérer sa fille à la sortie de l'école. D'ordinaire, c'était la baby-sitter qui s'en chargeait mais méchamment grippée, celle-ci avait dû rester chez elle.

Il savait que s'il arrivait en retard, on ne lui en tiendrait pas rigueur mais préférait ne pas trop abuser de la bienveillance du personnel de l'école et des mères de famille du quartier. S'il oubliait de faire un mot pour l'institutrice ou laissait le goûter de Kayla sur la table de la cuisine, elles trouvaient cela attendrissant. À sa place, une mère célibataire ou pire, divorcée serait taxée de négligence, c'était certain.

Arrivé à la maison, il aida Kayla pour ses devoirs puis la laissa jouer avec ses poupées, sa préférée étant celle de Dora bien entendu. Et ce petit monstre parlait en plus.

Redescendu dans le salon, Matt appela le docteur Lang. Après les salutations d'usage, il lui posa la question qui le taraudait depuis sa drôle d'entrevue avec Gregory Dawson et David Fitzgerald.

— Je me demandais … Selon vous, est-il possible que quelqu'un est maintenu Michelle sous l'eau avant de se débarrasser du corps dans le fleuve ?

— C'est possible mais il n'y avait pas de preuves à l'autopsie. Cela étant, ça ne veut pas dire grand-chose, révéla-t-il. Au bout d'un certain nombre d'heures après le décès, la putréfaction commence. Des ampoules se forment sur la peau qui commence à se décoller. Le visage présente un aspect boursouflé, avec la langue qui ressort.

Le téléphone contre l'oreille, Matt ne put s'empêcher de grimacer.

— Bref, conclut le docteur Lang. La putréfaction fait, en partie ou complètement, disparaître les hématomes et les ecchymoses pouvant orienter vers des coups et blessures criminels. Et qu'on s'attendrait à trouver sur le buste de Michelle si quelqu'un l'avait noyée.

— Bon, soupira le substitut procureur, déçu, nous voilà revenu à la case départ.

— Pas tout à fait. Si vous êtes à court de questions, moi, j'ai quelque chose à vous apprendre.

— Je vous écoute. ?

— Je viens de recevoir les résultats des analyses sanguines de la jeune Duncan. Et elles se sont révélées plutôt concluantes.

— Qu'avez-vous trouvé ?

— Une substance nommé diéthylamide de l'acide lysergique.

Matt se leva et commença à faire les cent pas dans son séjour.

— Qu'est-ce que c'est que ça exactement ?

— Oh, je suis sûr que vous avez déjà entendu parler dans votre boulot ou pendant vos jeunes années folles. Mais je pense que vous vous devez la connaître sous l'appellation de psychotrope hallucinogène. Ou de LSD.

 
 
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