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La fureur du fleuve
Par SarahCollins
Originales  -  Mystère  -  fr
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Le souvenir de l'ange

5

Le souvenir de l'ange

Il y a l'amour. Et puis, il y a la vie, son ennemie. Jean Anouilh

Les trois hommes, l'adolescent et les deux représentants de l'ordre public, se trouvaient au lycée public de Charlestown. Il n'y avait personne d'autre dans la petite salle de classe.

Quelques minutes plus tôt, le directeur du lycée leur avait dit qu'ils avaient de la chance de pouvoir parler à Johnny. Et pour cause : le jeune homme, bagarreur et réputé réfractaire à toute forme d'autorité, faisait partie des élèves les moins assidus de l'établissement – un groupe de plus en plus fourni, avait encore déploré le directeur.

Sans un mot, Johnny Wright s'était assis derrière une table, comme l'élève qu'il était encore alors que Matt Howard et l'inspecteur Ronald Becker demeuraient debout.

Appuyé contre l'une des tables, Matt laissa le policier mener l'interrogatoire, mal à l'aise dans ce lieu que sa défunte femme avait tant chéri et qu'il cherchait désormais à éviter.

— Depuis combien de temps sortiez-vous avec Michelle Duncan ? commença par demander l'inspecteur Becker.

— Un an, à peu près.

— En continu ou en pointillés ?

— On a rompu plusieurs fois, reconnut Johnny d'un ton maussade.

— Pour quelles raisons ?

— Ses parents le plus souvent. Ils peuvent pas me saquer.

Sa voix était morne, sans entrain. Contrairement à Mary Abbott, David Fitzgerald ou Gregory Dawson, il ne semblait pas s'interroger sur leur présence. Il ne leur avait même pas demandé la raison de cette entrevue, semblable à un interrogatoire. Mais quelque chose lui disait que Johnny avait trop l'habitude de voir débarquer la police pour un oui ou pour un non pour se poser des questions. Pour lui, ce devait être la routine.

Alors il se contentait de répondre à leurs questions d'une voix lasse, pressé d'en fin. Il était pressé d'en finir et ne cherchait même pas à le dissimuler.

— Pourquoi ses parents ne vous appréciaient pas ?

Johnny releva légèrement la tête, il paraissait presque amusé par la question.

— A votre avis, monsieur l'inspecteur de police ? Pour ça.

Il montra sa casquette rouge, signe, Matt ne le savait trop bien, d'appartenance au gang des Black Saints Devils. Il ne la portait pas quand le directeur l'avait amené mais l'avait remise dès que la porte s'était refermée derrière lui. Matt n'avait pas bronché : il était là pour obtenir des informations sur la mort de Michelle Duncan, pas pour faire la discipline.

Quand Johnny croisa les bras sur sa poitrine, Matt remarqua que ses avant-bras découverts et musculeux laissaient entrevoir une série de tatouages entrelacés.

— Le soir de sa mort, Michelle est passée chez vous et elle est repartie vers vingt heures, dit-il.

Le visage impassible et le regard fixé droit devant lui, Johnny hocha la tête.

— Quand vous vous êtes quittés, est-ce qu'elle vous a dit où elle allait ?

— Vous savez très bien que oui.

Pour la première fois, il avait l'air … présent, réellement présent. Il n'était plus le spectateur attentiste, mais un jeune lycéen bouleversé par la question. Il était le petit ami attristé par cette dernière conversation. Par ce dernier mensonge. L'homme comprenait sa peine mais le procureur savait que son travail consistait à obtenir des réponses, pas à compatir.

— Elle vous a dit qu'elle allait chez son amie Mary Abbott pour réviser, reprit Matt. Mais elle n'est jamais arrivée chez elle. En réalité, elle a passé la soirée chez son tuteur David Fitzgerald.

— Puisque vous savez déjà tout ça, pourquoi vous venez m'interroger ?

— Pour avoir votre version des faits, intervint Becker de sa voix grave mais toujours égale, presque douce.

— Vous la connaissez déjà ma version des faits. Michelle m'a menti, fin de l'histoire.

Visiblement, Mary, la meilleure amie de Michelle, avait fini par lui dire la vérité sur les dernières heures de la jeune fille.

— Quand nous sommes allés voir le tuteur de Michelle, il nous a non seulement confirmé qu'elle avait passé la soirée chez lui mais nous a aussi révélé qu'elle sortait avec un de ses amis.

Johnny releva brusquement la tête, dardant sur eux son regard sombre et incrédule.

— C'est n'importe quoi, finit-il par dire, après de longs instants de silence. N'importe quoi.

— C'est pourtant ce qu'il prétend. Son ami, Gregory Dawson, est étudiant à l'université Sullivan Lawrence et confirme ses dires. D'après ce qu'il nous a dit, sa liaison avec Michelle a commencé en janvier et s'est poursuivie jusqu'à sa mort, raconta l'inspecteur Becker, sans le quitter des yeux.

— C'est assez logique si on y réfléchit, dit Matt. Pourquoi Michelle vous aurait-elle caché qu'elle allait réviser avec son tuteur ? Ça n'a aucun sens et vous le savez. Non, Johnny, la raison pour laquelle elle vous a menti, c'est qu'elle allait retrouver son petit ami … enfin son autre petit ami.

Le jeune homme secoua la tête, sans mot dire.

— Deux personnes, assez proches de Michelle, nous ont dit que vous pouviez vous montrer très jaloux alors peut-être ...

— Peut-être que vous avez appris que Michelle vous trompait et que vous avez décidé de lui donner une petite leçon, continua Becker.

— Michelle est tombée du pont, martela l'adolescent. C'était un accident alors pourquoi vous ne nous laissez pas tranquille ? Vous avez interrogé ses parents, ses amis, Mary et Elijah... Pour quoi faire ?

Le substitut du procureur et le policier échangèrent un rapide regard.

— Nous ne sommes pas certains que c'était un accident, justement. Certaines preuves médico-légales laissent penser qu'elle s'est noyée autre part que dans le fleuve – ou que quelqu'un l'a noyée.

— Et vous pensez que ce « quelqu'un », c'est moi ? s'esclaffa Johnny. C'est ridicule. Jamais je ne lui aurait fait de mal. Vous les flics, vous n'allez jamais chercher plus loin que le bout de votre nez, hein ? Vous allez au plus simple, sans réfléchir et vous vous gourez neuf fois sur dix. C’est vraiment dingue, rien ne change jamais dans cette ville.

— Où étiez-vous le soir de sa mort ?

— J'ai traîné avec des amis.

— Où ça ?

Il haussa les épaules.

— Dehors.

— Jusqu'à quelle heure ?

— Pas très tard. Il devait être dans les vingt-trois heures trente, quelque chose comme ça.

L'heure à laquelle Michelle avait quitté la propriété des Fitzgerald, selon les dires de son tuteur. Si on admettait qu'il leur avait dit toute la vérité – ce dont Matt doutait fortement.

— Quelqu'un peut confirmer ? lui demanda Matt.

— Y’avait personne chez moi quand je suis rentré. Désolé de vous décevoir.

— Et vos amis ? insista l'avocat.

D'un ton morne, Johnny leur donna le nom de ces derniers, dont Elijah Williams, un élève du lycée auquel ils venaient de parler.

— Vous avez déjà vu Michelle prendre de la drogue ?

Cette question parut réveiller Johnny qui secoua vigoureusement la tête.

— Quelque chose comme du LSD ? insista Becker.

— Non, jamais, Michelle ne touchait pas à la drogue.

— Elle en a pourtant ingurgité le soir de sa mort.

Mais Johnny continuait de secouer la tête.

— Impossible, certifia-t-il, d'une voix claire et pleine d'assurance. Michelle s'énervait quand j'allumais une clope devant elle, alors le LSD ... C'était hors de question. Ou alors …

— Alors quoi ?

— Elle est allée chez son tuteur, non ? Ce Fitzgerald ? Peut-être que c'est lui qui l'a droguée à son insu. Parce qu'une chose est sûre, elle n'en aurait pas pris volontairement.

Quelques instants plus tard, à court de questions, Matt et l'inspecteur Becker prirent congé.

Le substitut du procureur avait déjà atteint le pas de la porte quand Johnny l'appela. Il se retourna.

— Au fait, est-ce que vous êtes de la famille de Teresa Howard ?

Matt ferma brièvement les yeux.

— Oui. Je suis … Terry était ma femme.

— Ouais, c'est ce que je me disais. Je suis désolé de ce qui lui est arrivé. Elle était cool … Enfin pour une prof.

Matt hocha la tête et quitta rapidement la pièce, sans demander son reste.

— Vous allez bien ? lui demanda Becker d'une voix douce quand ils furent dehors.

Il se contenta d'un hochement de tête. Non, il n'allait pas bien et ce, depuis presque trois ans.

OOoOo

Contre la pierre tombale de sa jeune épouse, des fleurs fraîches reposaient. La mère de Terry les avait sans doute déposées avant de regagner New York. Professeur dans un lycée, comme sa fille qui avait hérité de sa passion pour l'enseignement et les livres, elle résidait à Manhattan depuis plusieurs décennies.

N'eut été sa petite-fille Kayla et Matt, elle n'aurait probablement jamais remis les pieds à Charlestown. Qui aurait pu la blâmer ? Elle y avait perdu un mari, puis une fille.

Mais quand elle leur rendait visite, et elle le faisait régulièrement, elle venait toujours se recueillir au cimetière. Elle lui avait d'ailleurs plusieurs fois proposé de l'accompagner mais il avait toujours décliné l'offre.

Il ne venait presque jamais ici. Seul ou accompagné de sa belle-mère, pour lui, c'était du pareil au même. Depuis l'enterrement, il pouvait compter sur les doigts d'une seule main le nombre de ses visites.

Certains de ses amis, le peu qu'il fréquentait encore régulièrement, disaient qu'il était toujours dans sa phase de déni, qu'il n'avait toujours pas accepté pas la mort de Teresa.

Et il ne pouvait pas nier. Il n'y songeait même pas. Ses amis avaient raison : il n'acceptait pas la mort de Teresa. Comment aurait-il pu ?

Tout allait bien. Ils avaient tout ce dont ils avaient toujours rêvé. Tout ce que lui, il avait attendu des années durant sans trop oser formuler ce vœu pieu à haute voix. Une famille, une femme aimante et intelligente, une fille adorable.

Kayla venait de fêter son quatrième anniversaire. Terry et lui, plus amoureux que jamais et épanouis dans leur vie professionnelle, évoquaient la possibilité d'avoir un deuxième enfant.

Et puis, c'était arrivé. La fusillade.

Comment les policiers appelaient ça déjà ? Ah oui. Des victimes collatérales. Terry était une victime collatérale, rien de plus. Elle s'était trouvée au mauvais endroit au mauvais moment.

C'était l'après-midi, les cours venaient de s'achever, les élèves sortaient du lycée. Une voiture avait brusquement démarré. Des coups de feu, des tirs, des hurlements. Heureusement, la plupart des élèves et des professeurs avaient eu le réflexe de se jeter à terre. Le bilan aurait pu être plus lourd encore, répétait-on en ville. Deux lycéens avaient été blessés mais avaient survécu. Sa Terry était morte, presque sur le coup.

Il n'était pas là au moment de la fusillade bien évidemment, mais avait tout vu. Quelqu'un, peut-être l'un des types dans la voiture, avait mis la vidéo sur Internet quelques jours après le drame. Par pure masochisme, il l'avait regardée. À plusieurs reprises même, buvant le calice jusqu'à la lie, jusqu'à ce que sa vision soit brouillée par les larmes. Jusqu'à la limite du supportable.

Ensuite, il était resté enfermé dans son petit bureau à l'étage, incapable de penser. Il lui avait fallu beaucoup de temps, des mois en fait, pour reprendre le cours de sa vie. Des semaines durant, Matt avait été incapable d'accomplir les tâches quotidiennes, même les plus simples comme répondre au téléphone, faire la cuisine, se rendre au travail. Ou s'occuper correctement de sa fille.

On ne lui en tenait que rarement rigueur. Mais lui, il ne se le pardonnerait jamais. Comme si son incapacité à protéger Terry, son échec en tant que mari, ne suffisait pas, il avait ensuite failli comme père, au moment où Kayla avait le plus besoin de lui.

C'était principalement pour cette raison que la mère de Teresa était venue s'installer avec eux. Mais peut-être avait-elle également besoin de compagnie après la mort de son enfant unique, peut-être la présence de son gendre dévasté par le chagrin et de son seul petit-enfant lui avait apporté un semblant de réconfort dans ces terribles moments. Il l'espérait de tout son coeur.

Jeannie était restée avec eux quelques mois. Avant de rentrer à New York, elle lui avait demandé de l'accompagner, parce que plus rien ne le retenait dans cette « ville de malheur », selon ses propres termes.

Et il avait refusé. Parfois, il lui arrivait de le regretter sa décision mais elle n'avait pas insisté.

Debout devant la tombe de sa femme, Matt se rappela ses derniers instants.

Elle les avait vécus loin de lui, loin de sa famille, mais près du lycée qu'elle chérissait tant. Terry aimait tellement enseigner. Ses grands yeux sombres et mutins se mettaient à briller quand elle évoquait ses élèves avec lui. « Quand je suis au lycée, devant tous ces gosses, j'ai l'impression de faire quelque chose de vraiment utile. De leur donner ce que j'aurais aimé avoir à leur âge. C'est aussi simple que ça », lui avait-elle un jour expliqué.

Quand était-ce ? Quelques semaines avant son décès, si sa mémoire, si précise durant ses études de droit et si confuse dès lors qu'il s'agissait de sa femme, ne le trahissait pas.

Le principal du lycée lui avait plus tard confié que la jeune femme respirait à peine à l'arrivée des ambulanciers. Elle était déjà morte quand lui était arrivé. Les policiers venaient de jeter un drap blanc sur son corps quand, ayant entendu parler de la fusillade par un collègue avocat, il s'était précipité sur les lieux.

Le cœur au bord des lèvres en avisant l'expression désolée de l'inspecteur Becker, Matt s'était approché. Quelqu'un avait essayé de l'arrêter mais il avait continué sa route. Et il avait soulevé le drap.

Quelque part, il savait. Il savait ce qu'il allait découvrir avant même de voir le corps. Mais rien, ni dans ses expériences personnelles, ni dans son travail de procureur, ne l'avait préparé à ça. Le visage de Terry était intact mais elle semblait si ... vide. Sa Terry n'était déjà plus là. Ce qu'il avait sous les yeux, ce n'était qu'une coquille vide, tellement éloignée de la frondeuse ingénue qu'avait été son épouse que c'en était douloureux.

La police n'avait jamais arrêté les coupables. Ce qui n'était pas surprenant en soit. Tout s'était passé trop vite. Personne n'avait rien vu, rien entendu. La plupart des habitants de la ville et les policiers s'accordaient à dire que Terry n'était que l'innocente victime de la guerre des gangs. La faute à pas de chance, d'une certaine manière.

Plusieurs membres des BSD fréquentaient le lycée. C'était eux les proies désignées de ce jeu de massacre mais c'était Terry qui avait reçu le coup de feu fatal.

Comble de l'ironie, Johnny Wright était sans doute lui-même membre du gang. Si le destin s'acharnait contre Matt jusqu’au bout, il finirait pas découvrir qu'il faisait partie des cibles de la fusillade, trois ans plus tôt. Ce ne serait même pas étonnant. On était à Charlestown après tout.

Il ne resta pas longtemps. Quelques minutes plus tard, Matt jetait un dernier regard à la tombe de son épouse et remonta en voiture.

OOoOo

— Donc, nous voilà avec trois hypothèses intéressantes, résuma l'inspecteur Becker. Soit Michelle Duncan a fait une mauvaise rencontre en rentrant de chez les Fitzgerald. Soit Johnny Wright a appris qu'elle le trompait et l'a tuée dans un accès de colère. Soit ...

— David Fitzgerald et Gregory Dawson l'ont fait, compléta Matt. Mais il y a un problème avec chacune de vos hypothèses.

— Lequel ?

— Toutes reposent sur le fait que Dawson et Fitzgerald nous ont dit la vérité. Ce qui est loin d'être certain.

Moins d'une heure après sa visite au cimetière, il était de retour au travail, frais et dispos. Du moins l'espérait-il. Becker n'avait fait aucune remarque à son retour et les deux hommes s'étaient enfermés dans son bureau.

Le procureur Clemmons n'était pas là. D'après sa secrétaire, une sexagénaire à la langue bien pendue, il était sorti déjeuner avec son directeur de campagne. Ensuite, il prononcerait un discours devant un quelconque syndicat. Tant mieux. À ce stade de l'enquête, il n'avait pas (encore ?) tenté de leur mettre des bâtons dans les roues mais les conclusions tirées par Matt ne lui plairaient pas, c'était certain. Il ne fallait pas non plus s'attendre à ce qu'il les encourage dans cette direction.

Dans cette affaire, il avait bien plus à perdre qu'un éventuel procès ou l'approbation de son supérieur, il n'en était que trop conscient.

— Quel serait leur mobile à votre avis ? lui demanda l'inspecteur de police, l'arrachant à ses sombres réflexions.

— La faire taire. On ne sait pas vraiment ce qui s'est passé dans la propriété des Fitzgerald en-dehors de ce qu'ils ont bien voulu nous dire. En revanche, on sait qu'elle a ingurgité de l'alcool et du LSD ce soir-là. Ce qu'elle ne faisait jamais d'ordinaire. Je pense que Johnny n'a pas tort quand il dit qu'elle a pu en prendre à son insu, qu'ils auraient pu la droguer.

— Pour quelle raison ? Abuser d'elle ?

— Oui, quelque chose dans ce goût-là. Je sais que le LSD n'est pas considéré comme une « drogue du viol » à proprement parler mais si Michelle n'en avait jamais pris, Dieu seul sait quel effet ça a pu lui faire. Elle était faible et vulnérable, face à deux jeunes hommes plus forts qu'elle et en pleine possession de leurs moyens.

Il s'arrêta quelques instants avant de reprendre :

— Je sais qu'il n'y a pas de preuves d'agression sexuelle mais admettez que l'hypothèse d'une liaison entre Greg et Michelle est difficile à avaler. Surtout quand personne, à part ces deux-là, n'était au courant de cette soi-disant relation. Ça n'a pas de sens : si Michelle sortait réellement avec Gregory Dawson, elle se serait confiée – à sa mère, à sa meilleure amie … je ne sais pas, quelqu'un. Ou alors on les aurait surpris ensemble. Ce n'est pas possible autrement, conclut-il.

Ni l'un ni l'autre ne parlèrent pendant quelques minutes, comme pour prendre conscience de la difficulté de la tâche qui les attendaient.

— Vous avez raison, finit par déclarer l'inspecteur Becker.

— A propos des deux étudiants ?

— Non, ça, seul le temps nous le dira. Je pensais plutôt à ce que vous venez de dire sur la liaison qu’auraient entretenue Michelle et Gregory. Si cette histoire est vraie, quelqu'un devait être au courant. Sur le campus de Sullivan Lawrence ou ici, à Charlestown. Comme Matt acquiesçait, il continua d'une voix plus déterminée encore. Je pensais me rendre à la fac, poser quelques questions.

— C'est une bonne idée, approuva l'avocat. Et j'en ai une autre. Peut-être pourriez-vous demander à certains de vos hommes d'aller à la pêche aux infos. Il y a pas mal de gens qui traînent près du pont. Des sans-abris et des prostituées surtout. Ils auront peut-être vu quelque chose.

— Comme quoi ? Fitzgerald et Dawson en train de se débarrasser du corps ?

— Ça ou Johnny et Michelle en train de se disputer, peu m'importe. J'ai mon idée sur ce qui s'est passé mais pas d'œillères, Ronnie. Je garde l'esprit ouvert.

Becker eut une sorte de moue mais finit par opiner du chef.

— Je vais voir ce que je peux faire mais je ne vous promets rien. Les SDF et les prostituées, c'est un peu comme certains habitants du South Side. Ils ne voient jamais rien et n'entendent jamais rien non plus.

Le jeune substitut grimaça : c'était, à peu de choses près, ce qu'il lui avait dit après la mort de Terry dans cette fusillade insensée.

Les deux hommes se quittèrent quelques instants plus tard, l'inspecteur Becker retournant à Sullivan Lawrence et Matt mettant de l'ordre dans ses autres affaires en cours.

Il fut occupé une bonne partie de l'après-midi : réunion avec les membres de son département afin de passer en revue les procès en cours, audience préliminaire et un entretien d'embauche.

Fran Lansky, jeune inspectrice récemment promue, revint avec de surprenantes nouvelles du bar Stripp. David et Gregory prétendaient y être passés après le départ de Michelle, samedi soir, et Matt voulait vérifier leurs dires. Simple précaution.

— J'ai parlé avec quelques serveurs, monsieur et aucun ne se rappelle avoir vu Dawson ou Fitzgerald samedi soir.

— Ils travaillaient samedi ?

— Certains, oui, et aucun n'a reconnu les deux gars sur les photos. Par mesure de précaution, on a embarqué les enregistrements de vidéo surveillance pour les analyser, ajouta-t-elle.

Il hocha la tête, approbateur.

— Excellente initiative. Je pensais pouvoir les éliminer de la liste des suspects mais si, en plus de tout le reste, ils nous ont aussi menti sur leur présence au Stripp ce soir-là, ils vont se retrouver aux places une et deux.

Fran Lansky quitta son bureau et il se remit au travail.

Mais Michelle Duncan demeurait dans un coin de son esprit. Et il avait raison car, quand la nuit tomba sur Charlestown, la jeune fille était revenue au centre de toutes les préoccupations.

— Vous avez du nouveau ? demanda-t-il au jeune policier qui venait d'entrer dans son bureau.

— Ouais, plutôt deux fois qu'une et je crois que ça va vous plaire.

Matt releva la tête de l'épais dossier qu'il lisait et adressa un sourire prudent à l'officier de police.

Justin Wyatt avait la réputation d'être excessivement ambitieux, ce qu'il pouvait difficilement lui reprocher, mais également très individualiste. L'avocat, qui savait que Becker n'appréciait guère ce jeune loup aux dents longues, était surpris qu'il lui ait confié cette mission avant de partir pour l'université. Mais peut-être n'avait-il pas eu le choix.

La voix légèrement nasillarde de Wyatt (il avait grandi dans une ferme du Mid-Ouest) le ramena au moment présent.

— On est allé traîner près du pont, comme l'inspecteur Becker nous l'a demandé. Evidemment, au début, personne ne voulait nous parler. Vous savez ce que c'est là-bas. Mais une pute ...

— Une prostituée, corrigea Matt, en se retenant de lever les yeux au ciel.

— Ouais, c'est ça. Cette prostituée nous a dit d'aller voir un SDF. Un type que tout le monde appelle Boone et qui vit sous le pont depuis un bail.

— Donc, vous êtes allés voir ce Boone. Que vous a-t-il appris ?

— Le samedi de la mort de la gosse, enfin dans la nuit de samedi à dimanche, il était sous le pont, en train de cuver son vin sans doute, quand il a vu une voiture s'arrêter, raconta l'officier Wyatt. Deux personnes en sont descendues, ont sorti un truc enroulé dans une couverture ou un tapis du coffre avant de le balancer dans le fleuve et de repartir avec leur couverture.

Le cœur battant un peu plus vite, Matt se redressa.

— Deux personnes ? Etait-ce deux hommes ? demanda-t-il, sans oser y croire.

— D'après Boone, oui.

— Mais il avait bu ce soir-là. Et il faisait noir, fit remarquer Matt avec pragmatisme.

Il imaginait déjà les objections que pourrait lever un avocat de la défense, voire celles du procureur Clemmons.

— Il n'est pas sûr de ce qu'il a vu, monsieur, c’est vrai, reconnut en grimaçant Wyatt.

— Bon ... Et la voiture ? Est-ce qu'il a pensé à relever la plaque d'immatriculation ? Ou bien a-t-il vu quelque chose d'autre qui pourrait nous aider à l'identifier ?

— Non mais il dit que c'était un SUV. Noir.

Cette fois, le doute n'était plus permis. Matt se rappelait clairement du SUV noir garé devant la maison de David Fitzgerald et Gregory Dawson, quand ils les avaient interrogés la veille.

 
 
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