Franck Baudelaire, assis au comptoir du bar où il passait la plus grosse partie de ses soirées, buvait un Xe verre de whisky de sa bouteille, presque vide, se trouvant sur le contrebas du zinc, côté barman.
Il avait trente-huit ans, avait été marié à une superbe femme pendant plus de cinq ans, mais qui avait fini par le quitter voilà trois ans, emportant avec elle leurs deux filles ; et pour cause, buvant parfois plus que de raison, il arrivait, de temps en temps, qu’il soit violent avec elle, allant même jusqu’à la battre. Depuis, il buvait encore plus et était devenu le parfait alcoolique.
Il se leva pour se diriger, en titubant, vers les toilettes où il urina la plus grande partie de ce qu’il avait déjà bu.
Franck Baudelair picolait même l’après-midi depuis qu’il n’avait plus de boulot. Sa boîte, où pourtant il tenait un poste de maintenance depuis plus de six ans, ayant dû faire un licenciement économique groupé pour éviter la faillite qui lui pendait au nez et qui avait, pourtant, fini par avoir lieu. Son patron le congédia donc, le remerciant pour ses loyaux services en ajoutant, à l’indemnité obligatoire, une prime de dédommagement plutôt conséquente. Il lui avait aussi assuré, qu’étant dans la force de l’âge et vu ses bons états de services, il n’aurait pas de mal à retrouver un autre emploi. Mais deux ans plus tard, à part des petits jobs en CDD mal payés, il en était toujours au même point. Résultat, cela ajouté à ses malheurs matrimoniaux et familiaux, il sombra encore plus profondément dans son vice, tétant de plus en plus aux goulots de boissons de plus en plus fortes. Franck n’avait plus trop d’espoir de voir son existence reprendre le bon chemin, et, au fond, il ne le souhaitait pas vraiment. De toute façon il savait qu’il ne vivrait certainement pas beaucoup plus d’années dans ce monde, ses organes étant ravagés par l’abus d’alcool et de cigarettes, l’autre de ses vices.
Sa vessie vidée, il essaya de tirer la chasse, qui ne répondit pas, et laissa donc tombé l’idée pour s’en retourner, de la même démarche chaloupée qu’à l’aller, reprendre sa place attitrée sur le tabouret faisant l’angle du comptoir, et dos à la porte de l’endroit susnommé. Toujours le même depuis les longues années qu’il squattait là, dans ce petit troquet de sa commune d’Ustaritz où il habitait depuis sa plus tendre enfance. Il bloqua la pendule qui prenait la poussière entre les bouteilles et les verres sur le mur du comptoir. Et, après avoir lutté avec sa vue troublée par la boisson et qui lui faisait voir quatre aiguilles au lieu des deux qui s’y trouvaient vraiment, il vit qu’elle marquait neuf heures un quart. Tout en attrapant sa bouteille et en la vidant d’une traite dans son verre, il pensa à son ami parti pour Bordeaux le matin même et se demanda s’il en reviendrait avant qu’il ne soit trop bourré pour pouvoir en partager une autre avec lui ; il ne doutait pas que ce dernier ferait un détour par ici avant de rentrer chez lui, il savait comment il fonctionnait, le côtoyant depuis suffisamment longtemps... |