Quand Greg Cornebuse s’arrêta pour la seconde fois, il était dans une rage folle. Une demi-heure à peine s’était écoulée et Greg, qui avait pour habitude de prendre un raccourci qu’il connaissait bien, se planta pourtant de route. Ce soir-là, dans une nuit sans lune et la tête légèrement embrumée par les bières qu’il avait bues, il prit la mauvaise bifurcation et ne s’en aperçut que dix kilomètres plus loin, au moment où il dût stopper, car, pour couronner le tout, un de ses pneus avait crevé. Un problème n’arrivant jamais seul, il se souvint alors qu’il n’avait plus de roue de secours pour le remplacer, l’ayant utilisé deux semaines plus tôt. Il fulminait en sortant de son véhicule et, vidant cul sec la canette à moitié pleine qu’il tenait alors, il la jeta violemment sur le bitume où elle éclata en mille morceaux. Puis il alla examiner le caoutchouc formant une bouée sous la jante rouillée. Et, tout en le traitant à tue-tête de tous les noms d’oiseaux qui lui passèrent par la tête, il le frappa et le refrappa encore et encore, allant jusqu’à s’en faire mal au pied, ce qui eut au moins l’avantage de le calmer. Son sang-froid partiellement retrouvait, il se dit, toujours à voix haute : “ Où vais-je bien pouvoir trouver une putain de roue de rechange dans ce coin paumé ! Déjà qu’en plein jour il ne doit pas passer grand monde sur ce chemin de merde. Alors là, en pleine nuit, autant dire qu’il doit être aussi fréquenté qu’une église en pleine semaine. Mon pauvre Greg, je crois que t’es bon pour te taper une putain de marche, surtout que je ne sais même pas ni à combien, ni vers où se trouve le patelin le plus proche. ”

 Après quelques minutes de réflexions et l’ouverture d’une nouvelle bière, il se décida et choisit de continuer dans la direction qu’il avait suivie jusque-là. Ça lui semblait le meilleur choix possible, vu que dans l’autre, celle d’où il venait, il n’avait pas souvenir d’y avoir croisé ni chemins pouvant mener à une maison isolée, ni bâtisse bordant la route. “ Allez ! faut que je prenne mon courage à deux mains (et le pack aussi) et que je me mette en route si je veux pas être encore là demain matin, se motiva-t-il. Et avec un peu de chance, je trouverais une baraque habitée avant d’être arrivé chez moi. ”

 Il se pencha dans l’habitacle de sa voiture pour y attraper le pack, ses clefs et son blouson, avant de la verrouiller et de se mettre en route. Il pensa alors à son ami Franck qui devait l’attendre accoudé bien au chaud au comptoir de leur bar  en train de siroter paisiblement un whisky, et se dit qu’il ne le rejoindrait certainement pas ce soir...