Franck Baudelaire, qui encore trois quarts d’heure plus tôt se trouvait paisiblement assis à sa place préférée de son bistro favori, était à présent sur le bord de la route le menant chez lui, plié en deux et souffrant le martyr. Il se tenait, tel un clown, de sa main gauche au pilier d’une clôture toute branlante, la droite posait sur son bas-ventre qui était traversé de haut-le-coeur à chaque fois que son estomac se contractait et se vidait. De sa bouche, un long filet de vomis s’allongeait jusqu’au sol à la manière d’un fil d’araignée.

 Au bout de quelques dizaines de secondes qui lui parurent durer une éternité, son malaise et ses renvois finirent par se calmer et il put enfin se redresser ; laissant dans le fossé une bouillie digestive fumante plus liquide que solide comme preuve de son passage. Il eut pourtant en suivant un vertige et, si sa main n’avait pas été encore accrochée au pilier, il se serait inévitablement vautré dedans sa propre gerbe ; chose, se pensa-t-il, qui n’aurait pas été facile à cacher aux habitants de la maison qui se dressait maintenant à moins de trois cents mètres devant lui. Tout, autour de lui, tournait, et il voyait les arbres, qui longeaient un côté de la route, comme s’il se tenait sur un carrousel en marche rapide... très rapide. Il resta donc les yeux clos et sans bouger pendant un laps de temps qui lui parut s’éterniser. Puis, le tourniquet s’étant suffisamment ralenti pour lui permettre de se remettre en route sans risquer de finir au fond d’un fossé, il reprit sa marche, faisant la dernière partie de son expédition à la vitesse d’un escargot en rut.

Enfin, quand il arriva devant le portail, non sans peine, il essaya, tant bien que mal et sans trop y parvenir, de se redonner une certaine consistance.

 C’était une vieille maisonnette mal entrenue, à la peinture usagée et toute craquelée, et dont l’herbe du jardin, qui aurait eu besoin d’une bonne tonte, était plus faite de mauvaises herbes que d’une belle pelouse. Elle se tenait au bout d’un chemin en graviers grossiers long de cinq mètres qui rendait la démarche de Franck encore moins assurée, plus titubante que jamais. “ Ils ont pas l’air très soignés les nouveaux proprios, se dit-il intérieurement. Ce qui, au fond, n’est pas plus mal pour moi, vu dans l’état de délabrement où je suis moi-même. Ça devrait passer mieux avec ce genre d’individus peu ordonnés qu’avec des plus méticuleux. ” Encouragé par cette idée, il sonna alors et n’eut pas à insister beaucoup, car, venant de derrière la porte peu étanche, il vit, assez rapidement, une lumière s’allumer et entendit un pas lourd s’approcher.

 Deux secondes plus tard, cette dernière s’ouvrait sur un type d’âge moyen et à l’allure plus que louche. Mais, malgré sa première impression, qui lui conseillait de faire demi-tour, il résista et expliqua ce qui lui était arrivé et suivit l’homme qui lui faisait signe d’entrer. En pénétrant à l’intérieur de la demeure qui était aussi crade que l’extérieur, il se dit qu’il aurait vraiment mieux fait d’attendre son ami Greg une demi-heure de plus...