Mon père, ce héros.Le seul homme de ma vie, tout ça. De toute la fratrie, j'ai toujours eu le sentiment d'être la moins aimée. J'étais la plus petite, le chouchou oui, mais aussi celle qui l'a le plus déçu.
Le bout de chair dans le berceau, c'est moi. C'est ma naissance. Mon père me prend dans ses bras sous le regard attentif de mes frères. Ma mère sourit, paisible, entourée des siens. Un beau portrait de famille. Et mon père est encore bourré d'illusions à mon égard, mais ça ne durera pas longtemps. Il a de grands projets pour moi ! Née fille au pays des garçons, je suis un être unique. Spéciale, à ses yeux. Je suis sa seule fille, je serais donc forcément différente ! Navrée, cher papa, je sais que je t'ai déçu.
J'ai toujours eu cette sensation d'avoir raté quelque chose. De n'avoir pas fait ce qu'il fallait, ce que j'aurais dû. Cette sensation de n'avoir été qu'une moitié de différence.
Mon père est un passionné de moldus. Les moldus, ce sont les gens qui n'ont pas de magie en eux. Ils sont de l'autre côté de la barrière, c'est peut-être ça qui le fascine tellement. Pour la petite fille que je suis, mon père aurait voulu que je naisse sans pouvoirs magiques. Dans son crâne de passionné c'était sûrement logique : puisque je n'étais pas un garçon, j'étais bien partie pour être différente jusqu'au bout. Quitte à être une fille, autant faire les choses bien, non ? Comme si je l'avais fait exprès.
Si je n'avais pas eu de pouvoirs magiques, mon père aurait eu un sujet d'étude parfait, quelqu'un avec qui partager sa passion. Hélas, j'ai manifesté très tôt un don pour la magie. J'étais même la plus douée de la famille, et je brandissais mes facilités sous le nez de mon pauvre vieux qui n'arrivait pas à être fier de moi. Alors je redoublais d'efforts. À chaque fois, cela nous éloignait un peu plus.
À l'époque, j'aurais donné n'importe quoi pour ne plus être magique, juste pour un vrai sourire de sa part. J'aurais bien aimé qu'il me prenne sur ses genoux sans soupirer.
Un jour, alors que je devais avoir 6 ou 7 ans, je lui posais la question :
- Papa, j'aurai dû être Crackmole ?
À table, grand silence. Puis Weasley père m'avait démentie avec un petit rire gêné. Nous n'avons plus jamais abordé ce sujet. A cet instant, j'étais loin de me douter que je venais de perdre définitivement mon père. Après tout, je demandais cela sans arrières pensées. S'il m'avait dit « oui », je ne me serais plus servie de la magie. Il aurait été heureux, c'était ce que je voulais.
Cependant, non seulement j'avais déçu ses rêves, mais en plus il avait fallu que je l'humilie publiquement sur le sujet. Il ne pouvait plus se cacher, désormais. Tout le monde connaissait son secret.
Je ne me suis jamais sentie vraiment entière. Je ne me suis jamais vraiment intéressée aux moldus. Il aurait prit cette démarche pour de la lèche, et même si je recherchais ses faveurs, je ne voulais pas entrer dans ses bonnes grâces de cette façon. J'ai donc, évidemment, fait exactement l'inverse de ce qu'il avait attendu de moi : j'ai fait de la magie mon atout principal. Incontournable, même. Les enfants sont vraiment tous les mêmes.
Cette situation était ironique : en tant que sorcier, il se devait de saluer mes étonnantes prestations, mais sa passion dévorait tout. Dévore tout, encore maintenant. Quand il me félicite, ses sourires sont creux et ses yeux semblent crier. Son cœur bat pour autre chose, pour cet impossible qu'il n'aura jamais.
Je suis une moitié de différence. Et la magie, qui rend chaque sorcier tellement fier de lui, m'empêchera à jamais d'être à la hauteur aux yeux de mon père. Je suis une fille magique, c'est dans ma nature.
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