J’ai toujours été jolie. Rousse, avec des tâches de rousseurs parsemant mon visage comme un champ fleuri, des yeux pétillants. Un regard profond. Je crois qu’au fond de moi, je l’ai toujours su ; mais bon, je n’allais tout de même pas hurler à la cantonade « je suis trop belle !! » Surtout que j’avais cinq ans. Evidemment, je n’en avais pas conscience. C’est vrai qu’en grandissant j’aurais pu cesser de me trouver des défauts absurdes mais que veux-tu, on est tous influençables. Et c’est à la mode, de se trouver moche. Je n’étais pas amoureuse du premier garçon que j’ai embrassé. Je me souviens bien de ce jour : celui de mon premier baiser. Il faisait beau, j’étais en maternelle, c’était la récréation. Je jouais avec les autres enfants, mes cheveux couleur d’écorce clair brillaient, et je riais avec eux. Il y avait un garçon, dont je tairais le nom, qui jouait avec nous tous. Il n’était pas beau, sans pour autant être totalement repoussant. Il ne me plaisait pas. C’était le genre de gamin assez mal vu en général, qui mange des fourmis et des fleurs, et dégage une impression qui met tout le monde mal-à-l’aise : la sensation pathétique de vouloir être admirer sans pouvoir y parvenir. Il était blond avec des lunettes et des yeux bleus. C’est tout ce dont je me rappelle. Je jouais sur le toboggan qui se trouvait dans la cour. Etait-il bleu ou rouge ? Je ne sais plus. Sûrement un peu des deux. Des balais miniatures volaient, chevauché par des mini-aventuriers hilares, des objets improbables et incongrus lévitaient sans le consentement explicite du lanceur de sort. A cet âge là, on ne contrôle pas sa magie. Les adultes avaient fort à faire avec tous ces braillards incontrôlables… Avec la fraîcheur des enfants, je lui ai demandé très simplement s’il voulait m’embrasser avec la langue. « Pour faire comme les grands ». Cette phrase résonne dans ma tête creuse, même après toutes ces années passées à grandir. Pourquoi n’ai-je pas été capable de l’oublier ? Aujourd’hui, cette phrase et ce que j’ai fait ce jour là m’embarrasse horriblement. Pourquoi lui, cet affreux nabot bizarre ? Si seulement il avait été mignon, la coqueluche des couches culottes, j’aurai pu en tirer de la fierté ; mais non, il a fallu qu’il soit lui ! Juste lui… Même maintenant, lorsqu’il m’arrive de raconter cet épisode de ma vie, je dis uniquement : «La première fois que j’ai embrassé un gars, j’étais en maternelle. » Cela sonne différemment, hein ? J’aurai bien voulu occulter cet épisode qui me fais honte, mais comme toujours, rien ne se passe jamais comme prévu. Ce baiser m’a peut-être traumatisée, qui sait. Je ne me rappelle plus avoir aimé ou non, mais la sensation de ma langue dans sa bouche a choqué mes souvenirs pendant très longtemps. Tout ce qui reste de cette expérience, qui à l’époque me paraissait somme toute normale, c’est cette sensation de vide intense. Dans sa bouche, il n’y avait rien. Je ne sais plus où était sa langue, mais ce qui est sûr, c’est que la mienne explorait une caverne immense. Comme si ses lèvres, fermées sur les miennes, m’enfermaient dans leur infinité, et que j’aurais pu fouiller cette cavité sans fond de dents de lait sans trouver jamais le chemin de la sortie. En y repensant, c’est assez effrayant. Toute mon enfance a été bercée par cette certitude : les baisers sont vides. |