1er 1998, 8h
Draco n’avait pas dormi de la nuit. A la place, il n’avait cessé de se repasser en boucle les images de la Bataille de l’année passée. Toute la nuit, les hurlements de Vincent l’avaient hanté. Il avait aussi revu Potter revenir vers lui pour le sauver, lui tendre sa main qu’il lui avait refusée des années plus tôt. Et, un an après, il ne comprenait toujours pas pourquoi son ennemi de toujours ne l’avait pas simplement laissé mourir. Et une petite voix dans sa tête l’avait arraché encore plus au sommeil : « Et toi, Draco, pourquoi ne l’as-tu pas laissé mourir quand il était chez toi ? » Et plus Draco s’était empêché d’y réfléchir, moins il avait dormi.
C’est donc avec une fatigue extrême et une colère palpable qu’il s’était rendu dans la Grande salle. Il voulait que cette journée, et surtout la nuit qui allait suivre, se termine au plus vite. Mais il n’était pas dupe. Ce ne serait pas le cas, bien sûr. Tout le monde n’aurait que ce mot à la bouche : « victoire ». Et Draco pensa amèrement que Potter serait encore plus une star que d’habitude, ce qui était pourtant difficilement possible.
Il se laissa tomber entre Pansy et Blaise. Depuis la rentrée, avec la mort de Vincent et l’emprisonnement de Grégory, les Serpentard de huitième année s’étaient soudés, plus que n’importe quelle autre promotion. Même si on pouvait identifier deux trios : Draco, Blaise et Pansy, et Daphné, Théo et Millicent, les six élèves ne se lâchaient pas. Il faut dire qu’ils étaient encore plus exclus qu’à l’ordinaire –et McGonagall qui en était la responsable en ne les ayant pas laissés combattre ne faisait rien pour arranger les choses. En pensant à cela, Draco serra les poings. Il n’avait pas voulu revenir à Poudlard, il aurait voulu finir son apprentissage à Durmstrang où sa Marque aurait eu moins d’importance. Son père, dont il tenait sa lâcheté, avait accepté derechef, il était même pour que Narcissa et lui suivent leur fils. Mais Mrs Malfoy s’y était fermement opposée : « Tu n’as commis aucun crime, mon fils et, moi vivante, tu ne fuiras pas ta patrie. Tu es un Malfoy et un Black, par Salazar, et ce n’est pas à toi de plier devant les autres ». Le ton de sa mère avait été sans appel et Draco savait que ça ne servait à rien de discuter dans ces cas-là. McGonagall s’était d’abord déclarée contre le retour de Draco au Château car elle tenait responsable de la mort d’Albus Dumbledore mais elle avait fini par céder, du jour et lendemain, et c’était encore une chose que Draco ne comprenait pas.
Il en était là de ses pensées quand il en vit l’objet se lever : « Nous y avons tous pensé ce matin en nous levant. –Et le voilà, le fameux discours made in Gryffondor- Il y a un an, jour pour jour, Poudlard s’est transformé en champ de bataille. Certains d’entre vous ont combattu, d’autres ont perdu la vie et nous ne les oublions pas. –Et bah, je me demande quelle mouche l’a piquée pour qu’elle n’évoque pas ceux qui se sont battus du mauvais côté- Je vois dans vos yeux que vous n’avez pas oublié. Vous n’oublierez jamais. On n’oublie jamais ce genre de choses. –Ok, en fait, ça n’a rien d’un encourageant discours gryffondorien- Ce que vous avez vécu, vous n’auriez pas dû le vivre. Vous n’aviez pas l’âge pour et vous étiez simplement à l’école. Vous n’avez pas eu le choix. Tous autant que vous l’êtes –Pourquoi elle me regarde, elle ? Qu’est-ce qu’elle prétend connaître de ma vie et de mes choix ?- vous n’avez pas eu le choix. Que vous ayez combattu ou pas. Cette guerre n’aurait pas dû être la vôtre. Je ne peux pas imaginer ce que vous ressentez. –Non, en effet, tu n’peux pas. Alors, ferme-la.- Vous étiez des enfants, et en une nuit, en une nuit tragique, vous êtes devenus des adultes. Vous ne le vouliez pas, vous ne vous y attendiez pas, mais vous n’avez pas eu le choix. D’autres ont décidé pour vous. –Ok, super. C’est fini, on peut s’casser ?- Je ne veux pas que vous soyez ici ce soir. Les Septième et Huitième années, je ne veux pas que vous soyez ici ce soir. Le Magicobus viendra vous prendre aux portes de Poudlard et vous amènera à Pré-au-Lard, à Magical Nights. Ce n’est pas optionnel. »
Quoi ? QUOI ? Qu’est-ce qu’elle vient juste de dire ? Draco s’était tendu, il l’avait senti. Ça ne pouvait pas être vrai, n’est-ce pas ? Elle ne les envoyait pas fêter la victoire comme une vulgaire célébration quelconque. FETER la Victoire. Et eux, les Serpentard, n’avaient pas été retirés de l’équation. Mais comment peut-on avoir envie de fêter un truc pareil ? Draco n’y comprenait rien. Pour lui, cette Victoire ne lui rappelait que des mauvais souvenirs et il n’avait aucune envie de célébrer ça.
***
I got a hangover, whoa! J'ai la gueule de bois, whoa! I've been drinking too much for sure J'ai trop bu, c'est clair I got a hangover, whoa! J'ai la gueule de bois, whoa! I got an empty cup Mon verre est vide Pour me some more Redonne-moi à boire
- Un Wishy pur feu !
- Je pense que t’en as eu assez pour la nuit, gamin.
- Non mais de quoi je me mêle ! Vous êtes ici pour me servir, alors servez-moi.
Avec un soupire d’exaspération, l’elfe de maison claqua dans ses mains et un énième verre apparut devant Draco Malfoy. Celui-ci se retourna vers la salle en buvant pour voir ce que faisaient les autres.
Il vit d’abord Finnigan qui se trémoussait au milieu de la piste entouré d’une dizaine de filles. Finnigan était trempé d’alcool et devait puer. Draco avait croisé l’Irlandais plusieurs fois au bar. Il avait dû boire encore plus que lui. Draco ne savait pas ce qu’était l’étrange alcool que buvait le Gryffondor (une espèce de moitié de Bièrraubeurre si on en jugeait par le nom) mais il s’en mettait partout dessus à chaque pas qu’il faisait. Pitoyable. Un peu plus loin, il vit Blaise qui était aussi bien entouré que Finnigan, mais Merlin qu’il avait plus de classe. Pansy était avec Millicent et Daphné et elles pouffaient dans un canapé. Elles devaient se moquer des Poufsouffle qui dansaient comme des blaireaux devant elles. Draco les aurait bien rejointes mais il avait à faire au bar. Sans le vouloir, ses yeux cherchèrent une tignasse noire et des yeux verts avant qu’il se souvienne qu’il ne les trouverait pas. Saint-Potty n’avait accepté de venir que s’il y allait sous couverture. Les traitements de faveur que recevaient ce type étaient abjectes ! Sous prétexte que sa célébrité lui pesait –pauvre chou, on allait le plaindre- il avait eu le droit à prendre du Polynectar dans le Magicobus. Et lui, alors ? Personne ne s’était demandé si ça n’allait pas être dur pour lui et sa Marque de se retrouver dans un endroit plein de gens qui fêtaient leur fichue Victoire ? Non, le Héros avait le droit d’être caché mais le vilain Mangemort devait assumer les conséquences de ses actes.
De rage, Draco jeta son verre contre le mur.
So I can go until I blow up, eh Pour que je puisses boire jusqu'à ce que j'explose And I can drink until I throw up, eh Et jusqu'à ce que je vomisses And I don't ever ever want to grow up, eh Et je ne veux jamais avoir à grandir, eh I wanna keep it going, keep keep, keep it going, going, going, going.... Je ne veux pas m'arrêter, m'arrêter, m'arrêter, m'arrêter...
Il s’adressa à un autre elfe de maison pour son nouveau verre, il savait que le premier refuserait de le servir sans avoir à le supplier. Et jamais ô grand jamais, Draco Malfoy ne s’abaisserait à supplier un elfe de maison, surtout un qui osait se prétendre libre –comment si ces viles créatures pouvaient être l’égal des Sorciers.
Draco décida qu’il avait passé suffisamment de temps sans Zabini et le rejoint. Finalement, une fois debout, il comprit la saleté du pull de Finnigan. Ce n’était pas facile de marcher avec un verre à la main quand on se faisait bousculer –non, pas quand on titubait. Un Malfoy ne titube pas, par Salazar !
- Zabini, t’es en chaleur ! hurla-t-il.
- Et toi, tu es saoul.
Draco grinça des dents. Il n’était pas saoul. Pas le moins du monde. Un Malfoy n’est jamais saoul. Il fallait se défendre.
- Pas de ma faute. Faute de la guerre.
Oups. Probablement pas la bonne réponse.
- Hein ?
- Eloquence, Zabini. Tu es un aristocrate et les aristro… astrio… aristo… bref, on doit mieux parler.
- Je vois ça…
- Cette fête est affligeante !
- Tu as pourtant l’air de bien en profiter.
Draco aimait Blaise. C’était son meilleur ami. Il l’aimait sincèrement –même si c’était récent. Mais parfois, Merlin, qu’il avait envie de le tuer !
- Je n’en profite pas, je noie mon chagrin dans l’alcool, nuance !
- Malfoy, arrête de t’apitoyer sur ton sort et viens danser !
- Je devrais savoir tenir l’alcool. J’aurais dû apprendre avec mon père, à 15 ans, comme tous les aristo… Bref, comme tous les gens comme nous.
- Et moi qui croyais que t’avais enfin coupé le cordon…
- Non mais tu comprends pas !
Draco était très énervé, il savait que c’était l’alcool mais il continua.
- J’suis pas triste parce que j’ai bu mon premier verre sans mon père, j’suis triste parce que c’est à cause de cette putain de guerre et que j’ai raté plein de trucs dans ma vie !
- Eloquence, Malfoy, se moqua Zabini. Et justement, profite, t’as la soirée pour vivre ta vie. T’as goûté aux joies de l’alcool, profites-en pour goûter aux joies de la danse et du sexe. Ça te fera du bien, crois-moi.
I got a little bit trashed last night, night Je me suis un peu bourré hier soir, soir I got a little bit wasted, yeah yeah Je me suis un peu soûlé, ouais, ouais I got a little bit mashed last night, night Je me suis pas mal défoncé hier soir, soir I got a little shitfaced, yeah yeah Je me suis défoncé la geule, ouais, ouais Oh oh oh oh oh Oh oh oh oh oh I'm on the roof Je suis sur le toit If you don't know Si tu l'ignorais Well now you know Eh bien, maintenant, tu le sais
Draco prit un air outré et, encore sans le vouloir, et surtout sans le comprendre, il se prit à chercher à nouveau la tignasse noire et les yeux verts.
Drink up, cause a party ain't a party til you ride on through it Finis ton verre, parce que c'est pas une vraie fête si t'es pas bourré End up on the floor, can't remember you clueless Si tu finis pas par terre et que t'as pas les idées embrouillées Officer like what the hell is you doin' Monsieur l'agent, mais qu'est-ce que vous foutez Stopping it, trouble it, you know you know what? Come again? Vous gâchez notre fun, vous savez quoi, vous savez quoi? Qu'est-ce que vous dîtes?
Il décida que reprendre un verre –à combien en était-il déjà ?- était une bonne idée parce que franchement, son cerveau fonctionnait bizarrement. En chemin, il croisa des Gryffondor qui dansaient comme des animaux en chaleur –merde… venait-il vraiment de faire un rapprochement entre ces débiles de lions et son meilleur ami ? Il avait décidément besoin d’un verre, son cerveau faisait des choses étranges ! Il vit aussi ses amies se lever pour aller danser. Il irait les rejoindre une fois qu’il aurait son verre. Il aperçut au loin la bande de héros. Potter était le seul qui avait bu du Polynectar : était-il vraiment si stupide pour croire qu’on ne le reconnaîtrait pas au milieu de ses imbéciles de potes ? Visiblement, oui. En tout cas, il n’avait pas l’air en meilleur état que lui et voir le Survivant se noyer dans l’alcool, au lieu de le ravir le déçut. Quoi ? Non ! L’énerva. Bien sûr, ça l’énervait. Toujours en train de se faire remarquer ce connard de Gryffondor ! Et voilà qu’en plus il devenait impoli. Mais franchement, Potter le mettait en rogne. Il avait vraiment besoin d’un verre. C’était vital.
Give me Henn, Give me gin, give me liquor, give me champagne! Donne-moi du Henn, donne-moi du gin, donne-moi de l'alcool, verse-moi du champagne! Bubbles to the rim Remplis-moi ce verre à ras-bord What happens after that? If you inspired then tell a friend Qu'est-ce qui se passe après ça? Si tu t'amuses, appelle tes copines Like oh my homie Taio, we can all sip again, again and again Avec mon pote, Taio, on peut tous s'amuser et continuer à boire ensemble
Son verre en main, il vit les demi-dieux de son cul -les amis du balafré quoi- quitter leur leader pour se rendre sur la piste de danse. Depuis quand les Gryffondor –et Luna « lionne-refoulée » Lovegood- lâchaient-ils leur Grand-Ami-l’Elu-de-service ? Bon en fait Draco s’en foutait royalement de savoir ce que faisaient ou ne faisaient pas les Rouge et Or. Blaise avait raison, il devrait profiter de la soirée à fond.
Wasted, so what? Irrelevant On est sôuls, et alors? Pas rapport We're kicked to the head, who's selling it? On est défoncé, qui est-ce qui en vend? I got the hangover, that's my medicine Je l'ai, la geule de bois, c'est mon médicament Don't mean to brag or sound too intelligent Je dis pas ça pour me vanter ou bien, me penser bon
Mais en réalité, la seule chose qu’avait envie de faire Draco, c’était d’aller faire chier Potter. Surtout que là, c’était facile, il était seul et en position de faiblesse. Il suffirait à Draco d’aller le voir en hurlant son nom et le Sauveur-de-ses-deux sortiraient de ses gonds. Parce que leurs joutes verbales –et pas que verbales d’ailleurs…- manquaient cruellement à Draco s’il devait être honnête –et il avait comme l’impression que l’alcool le poussait à l’être. Draco avait envie d’aller voir le Merveilleux-Héros-du-monde-sorcier et de le secouer comme un prunier –sérieusement ? d’où sort-il cette expérience de paysan ?- et lui demander de le regarder comme il le faisait avant. Potter et lui ne s’étaient pas adressés la parole depuis un an. Pas depuis la rentrée, non. Depuis un an. Précisément. Les derniers mots qu’ils avaient échangés, Draco s’en rappelait avec une clarté qui l’angoissait quand il y pensait un peu trop longtemps : « Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu fais ?! La porte est par là ! » Encore ces fichus souvenirs… Où est son verre ?
A little Jack can't hurt this veteran Mais peu de Jack ne me fera pas de tort, je suis fait fort I show up but I never throw up Je fais le show mais je ne vomis jamais So let the drinks go up, go up... Alors continuons de boire, de boire...
Déjà vide ? Où est l’elfe de maison ? Draco commanda ce qui lui sembla être son centième verre de la soirée. Après celui-ci, il irait voir Potter. Il était temps qu’ils s’expliquent.
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