Bonjour ami lecteur.
Cette fiction est la suite directe de mon autre fanfic intitulée « A Cœurs Perdus ». Je ferai mon possible pour rendre l’histoire accessible à tous, mais dans un souci de compréhension, je vous encourage fortement à lire « A Cœurs Perdus » avant de vous embarquer dans l’aventure…
Sur ce, bonne lecture !
Nat’
XXX
C’était le début de l’après-midi, et le parc irradiait de beauté. Une lumière chaude inondait l’atmosphère, colorait les ombres, transformait chaque gouttelette de rosée en une trainée d’or, comme pour compenser la froideur de l’automne. Au seuil de son agonie, la nature semblait resplendissante de vie, baignée d’une force bienfaisante qui la rendait belle et chaleureuse. Rose adorait l’automne.
Son carnet coincé sous le bras, elle traversait la pelouse comme à son habitude pour se perdre dans le sous-bois, au fond du parc, là où personne ne pourrait la voir depuis le domaine. Comme chaque après-midi, la forêt l’accueillit de son univers de sons et de parfums uniques. Le monde semblait prendre une autre dimension ici. Une porte donnant sur un écrin de paix, d’harmonie, de sérénité, tout ceci livré à la liberté sauvage de la nature. Parfois, Rose s’enfonçait plus loin qu’elle ne l’avait prévu, dans l’espoir inavoué de ne jamais revenir, de faire partie à tout jamais de cette mécanique parfaite, pour disparaître, tout simplement, en pleine vérité.
« La beauté est vérité, la vérité beauté. C’est tout ce que vous savez sur Terre. Et c’est tout ce qu’il faut savoir. »
Rose s’accorda un faible sourire. Comme toujours, les vers de John Keats lui venaient à l’esprit lorsqu’elle entrait dans le sous-bois.
Enjambant un tronc déraciné par la dernière tempête, elle se fraya un chemin à travers les feuilles mortes et les ronces écrasées, témoignage de son passage fréquent. Elle écarta quelques branches récalcitrantes, prenant garde à ne pas déchirer les toiles d’araignée : véritables œuvres d’art luisant à la faveur d’un rayon de Soleil. Enfin, elle aperçut les ruines, et la lumière plus abondante qui marquait la lisière de la forêt.
Emergeant d’entre les arbres, Rose se retrouva au sommet d’un gigantesque panorama, une pointe de roche dénudée au-dessus d’une falaise à pic, tombant droit sur la forêt profonde en contrebas, la rivière, et les montagnes au loin. Les ruines attendaient là, comme toujours, compagnes silencieuses et fidèles de ses pensées. Rose avait fait quelques recherches dans les archives de la demeure et à la mairie du village, pour finalement découvrir qu’autrefois, la demeure originelle s’était dressée au sommet de cette colline, dominant le paysage, une grande maison victorienne qui avait brûlé du grenier aux fondations presque deux cents ans plus tôt. Il n’en restait plus aujourd’hui que quelques marches, un perron, et le grand kiosque qu’elle visitait tous les jours, seul rescapé du chaos, solitaire et laissé pour compte, juste comme elle.
Rose gravit les marches et fit le tour de la balustrade, puis elle se figea.
D’ordinaire, elle se serait assise sur la rambarde de pierre, face au Soleil descendant, et elle aurait contemplé le paysage jusqu’à ce que l’inspiration lui vienne. Elle aurait laissé son regard courir sur les versants escarpés de la forêt, sur la splendeur des hauteurs au loin qui se dérobaient à elle, sur la magnificence absolue de la nature, qui enroulait ses lambeaux de brume tel un drapé précieux. Peut-être aurait-elle fini par ne rien écrire. Peut-être aurait-elle passé l’après-midi à ressasser les pensées qui l’habitaient, approfondissant la colère et la mélancolie en elle, aiguisant ses sentiments à la pierre nue de sa réflexion, qu’elle savait cynique et dépourvue d’espérance. Peut-être aurait-elle écrit quelques lignes finalement, ou quelques vers, personnels ou non. Peut-être aurait-elle sorti son volume relié de Keats, qu’elle ne quittait jamais. Dans tous les cas, elle se serait assise sur cette balustrade, mais aujourd’hui, la place était déjà prise.
- Qu’est-ce que tu fais là ? cracha-t-elle, essoufflée par sa marche.
D’abord, l’intrus ne leva pas les yeux. Il semblait plongé dans sa lecture, déterminé à finir sa page, indifférent à sa présence. Alors seulement, il redressa la tête, retira ses lunettes, et la gratifia de son regard posé :
- Je lis, répondit-il simplement.
Rose faillit bouillir de rage. Elle déploya tous ses efforts pour se contenir, mais comme à chaque fois, son tempérament la trahit :
- Arrête de me prendre pour une idiote ! Je vois bien que tu lis. Qu’est-ce que tu fais ici ?
- C’est ma propriété autant que la tienne. J’ai le droit d’être ici.
Avant qu’elle ne perde définitivement son calme, il leva à son égard une main apaisante :
- Je me demandais où tu disparaissais tous les après-midi. J’ai fini par trouver.
Puis il retourna à sa lecture, comme si la réponse au mystère l’avait satisfait.
Rose demeura plantée devant lui. Elle ne voulait pas faire demi-tour et lui concéder la victoire. D’un autre côté, sa seule présence lui était insupportable. Il fallait faire un choix :
- Scorpius, dit-elle comme si ce prénom l’avait personnellement insultée. C’est mon endroit ici. Ça me plait. C’est le lieu où je me retire pour être un peu seule, pour réfléchir, pour…
- … Nous éviter ?
Elle se sentit rougir, mais elle ne fit rien pour l’empêcher. Avec un teint pâle et des cheveux roux comme les siens, elle ne pouvait rien y faire.
- S’il te plait, lâcha-t-elle à contrecœur. Laisse-moi tranquille. Ne viens pas ici. N’en parle pas aux parents.
Il la dévisagea pendant de longues secondes. Rose détestait ça. Depuis sa plus jeune adolescence, elle faisait tout pour éviter le moindre contact, quel qu’il soit, avec les membres de sa belle-famille. Mais Scorpius Malefoy, tout comme son géniteur dont elle tairait le nom, avait cette habitude exaspérante de fixer les gens dans les yeux, jusqu’à les rendre mal à l’aise, jusqu’à leur retirer toute substance de dignité ou d’estime de soi, jusqu’à ce qu’ils aient clairement établi leur supériorité et leur territoire sur la chose qu’ils convoitaient. En l’occurrence aujourd’hui, l’enjeu était le kiosque.
Scorpius joua un instant avec les branches de ses lunettes, fit mine de les chausser puis, comme s’il avait fait le tour de la question, il plongea à nouveau ses terribles yeux verts dans les siens et répondit :
- Non.
Son visage semblait conclure : « C’est tout ».
Il retourna à sa lecture comme si le problème était réglé. Rose se sentit dévorée par une haine si féroce qu’elle faillit le frapper. Le pire était l’expression de son visage. Calme, lisse, inexpressif. Il n’y avait aucune méchanceté dans ses yeux, aucun désir de la blesser ni de la provoquer. Il parlait d’une voix plate et trainante, la même intonation que son père, comme si rien ne lui importait. Il ne cherchait pas à la contrarier en venant ici, du moins pas consciemment. Pour son esprit, elle n’était qu’un insecte qu’il pouvait chasser à loisir, et non un problème digne d’être traité.
Et bien soit. Il voulait squatter ici ? Grand bien lui fasse. Elle allait lui faire regretter sa présence.
Elle s’assit sur la rambarde opposée, face au Soleil déclinant, et garda son carnet compulsivement serré contre son corps. Il n’y avait pas de raison qu’il l’ait remarqué, mais la dernière chose dont elle avait besoin aujourd’hui, c’était de la curiosité d’un Malefoy.
Il n’en témoigna aucune. Il continua simplement de lire, comme si elle n’existait pas. Le Soleil colorait ses joues d’un rose peu soutenu. Comparé à lui, elle devait paraitre rouge pivoine. Rose laissa tomber ses cheveux pour dissimuler son visage et tenta de se perdre dans l’horizon, pour recouvrer son calme.
D’ordinaire, elle avait toujours laissé le sujet de sa belle-famille de côté. Pourtant aujourd’hui, malgré toute sa volonté, elle sentait bien que les Malefoy ne voudraient pas s’effacer de son esprit. Sa haine pour Scorpius n’en fut que plus vive. Il avait réussi à violer le dernier bastion de paix qu’elle s’était découvert… Le seul endroit où l’existence des Malefoy ne lui sautait pas constamment à la figure. Plus jamais elle ne pourrait considérer ce lieu comme elle le faisait encore la veille. Le souvenir de Scorpius s’y était incrusté, et comme tout ce qu’il touchait, il l’avait pourri, détruit.
Rose fut soudain prise d’une violente envie de pleurer. Des larmes de rage. Elle ne pleurait que ça depuis l’âge de onze ans. Elle se laissa glisser de la balustrade et marcha droit sur Malefoy :
- C’était trop te demander, n’est-ce pas ? N’avoir ne serait-ce qu’un soupçon de considération pour les autres ? Tu ne t’es jamais dit que j’avais besoin d’un endroit à moi, pour être seule, pour ne pas avoir à vous supporter toi et toute ta famille de rats ?
Il resta muet de stupeur. Le livre abandonné sur ses genoux, complètement désarmé. Cette image de pure innocence qu’il s’efforçait de donner la mit en fureur :
- Je suis déjà obligée de venir ici ! On m’impose votre présence, jour après jour, sous le même toit que vous ! Je ne veux pas être ici, je ne veux pas te voir, et je veux que tu dégages, espèce de sale enfoiré !
Elle attrapa le livre pour le balancer au loin :
- Non !
Comme une statue venant soudain de prendre vie, Scorpius Malefoy lui courut après. Il y avait au moins vingt bon mètres jusqu’au précipice. Rose l’atteignit bien avant lui, et juste avant de lancer l’ouvrage dans le vide, elle jeta un coup d’œil à la couverture. « Hypérion ».
Son geste s’interrompit net, et elle faillit en perdre l’équilibre. Scorpius l’attrapa par le bras pour la tirer violemment en avant. Il avait une force surprenante, mais elle n’était pas en état de s’en rendre compte.
- Tu lis « Hypérion » ? s’entendit-elle demander.
Il paraissait essoufflé, et guère remis de sa surprise, mais il sourit de son air stoïque :
- Oui.
- Tu lis du John Keats ?
- Ah…
Il éclata d’un rire léger, calme, insouciant :
- Non. « Hyperion » de Dan Simmons. C’est largement basé sur le poème de Keats, mais… C’est de la science-fiction.
Il dit cela avec une étrange réserve, comme s’il était à la fois fier et honteux de ses goûts littéraires. Rose ne comprenait pas ce qu’il disait. Ses émotions paraissaient toujours en vase clos, comme très éloignées de lui-même, enfouies sous la surface, et elle n’était pas capable de les déchiffrer. Elle haïssait sa tenue parfaite et ses manières irréprochables, rien que de l’hypocrisie à ses yeux. Rien ne semblait pouvoir l’atteindre. Elle aurait voulu le secouer et le jeter dans le vide, si cela avait pu provoquer la colère qu’elle escomptait. Rose avait besoin d’un affrontement. Il y avait trop de fureur en elle depuis trop longtemps. Elle voulait le gifler, le frapper, provoquer la guerre qui romprait cette cohabitation absurde que le juge leur avait imposée.
La moitié des vacances chez chacun de leurs parents respectifs. Pour Rose et Scorpius en cette période de Toussaint, cela signifiait une semaine de cohabitation forcée depuis que leurs parents, Hermione et Drago Malefoy, s’étaient mariés presque six ans plus tôt. Heureusement, Rose entamait sa dernière année à Poudlard. Bientôt elle serait majeure, et ce calvaire serait terminé.
Reprenant ses esprits, la jeune femme secoua ses cheveux lisses. Une fois de plus, Scorpius la dévisageait patiemment, comme s’il attendait qu’elle parle. Autant s’adresser à un bloc de glace. Il la prit à contrepied en s’exprimant le premier :
- Nous ne sommes pas obligés d’être ennemis, Rose, dit-il doucement.
C’est qu’il se croyait sincère, ce salaud ! Elle pouvait le lire dans ses yeux. Ce ton conciliant, presque attristé…
- Tu n’as jamais été habitué à ce qu’on te prenne ce que tu avais de plus cher au monde, n’est-ce pas ? s’entendit-elle demander avant même de réaliser qu’elle parlait.
La vérité s’échappait tout simplement d’elle, et avec elle, toute sa frustration, sa rancœur, et son désir de justice :
- Tu as toujours obtenu tout ce que tu voulais sans te poser de questions ! Tu as des parents aimants, des beaux-parents aimants ! Tu n’as jamais eu le moindre nuage dans ta vie ! Tu ne sais pas ce que c’est qu’un problème, ou le besoin vital de trouver un refuge, d’avoir la sensation que le monde coure trop vite pour toi et que tu ne pourras jamais rien faire pour l’arrêter ! Avoir la sensation que ton bonheur te glisse entre les doigts, que tes parents se trahissent, se déchirent et dépérissent, alors que tu es totalement impuissant et que tous les autres s’en foutent… Tu ne sais pas ce que c’est que d’avoir mal…
Elle le plaignait presque en disant cela. Avec tout son désespoir, elle leva le bras et jeta le livre dans le vide :
- Maintenant tu sais, dit-elle.
Et elle partit. Elle ne pouvait plus cacher qu’elle pleurait. De rage certes. Mais surtout de détresse. |