Bonne année à tous ! Je suis très heureuse de vous retrouver pour cette année 2016, et comme on le dit en ancien égyptien, je vous souhaite "khet nebet neferet ouabet", ce qui signifie : "toutes choses bonnes et pures" =)
Merci de suivre cette histoire, et bonne lecture !
------------------------------------------------------------------------------------------------
Assise à la coiffeuse, dans la chambre de sa mère, Rose faisait son possible pour vaincre la gêne qui plantait ses racines en elle. Elle n’avait jamais mis les pieds dans cette pièce depuis que les Malefoy avaient investi la demeure six ans plus tôt. La salle était grande et claire, haute de plafond. Les murs, dans un ton vert très léger, s’ouvraient sur une grande baie vitrée à l’Est, qui donnait vue sur une roseraie. Rose n’était pas familière de cette partie de la maison.
Le mobilier de la chambre était en bois blanc, vieilli par une patine authentique, de même que le parquet de bois flotté. Un petit salon tendu de vieux rose s’agençait autour d’une table basse en verre, qui laissait entrevoir un tapis persan. Une grande armoire de famille sculptée de rinceaux répondait à la coiffeuse, dans ce même style fleuri d’inspiration Louis XV. Pas de bibliothèques ni d’espace de travail, comme dans la chambre de Scorpius, mais un même lit à baldaquin dressé de voiles transparents, s’agitant doucement dans la brise d’une fenêtre laissée entrouverte. Le couvre-lit brodé d’argent s’accordait aux nuances douces des pastels qui dominaient la pièce. Pour compléter l’ensemble, une psyché à la fois poétique et très simple, et de petits bouquets de roses sur les tables de chevet et la cheminée.
Rose aimait cette pièce. L’atmosphère en était paisible et étonnamment claire. Il y régnait comme dans toute la maison le parfum du passé, fin et suranné, mais aussi l’odeur discrète de sa mère, et celle, moins familière et fraiche, de Drago Malefoy.
Une fois encore, Rose réprima sa gêne. Elle éprouvait un malaise indicible à se trouver dans la chambre que sa mère partageait avec son beau-père. C’était stupide, mais c’était bien là : un nid d’amour et d’harmonie, que Rose avait toujours rejeté, et dont elle entrevoyait le cœur aujourd’hui. Comme si elle s’était soudain retrouvée projetée devant tout ce qu’elle avait toujours reproché à ses ennemis. Leur royaume. Leur bonheur.
Chassant ces préoccupations du mieux qu’elle pouvait – la dernière chose dont elle avait besoin était d’imaginer sa mère dans ce lit avec Malefoy – Rose tenta de se concentrer sur l’instant présent. A savoir, le 31 décembre.
Cela signifiait que le gala de Nouvel An était finalement arrivé, et que Rose s’était vue dans l’obligation de se choisir une tenue pour accueillir l’ensemble de la bonne société britannique. Après quelques hésitations, elle avait découvert que sa mère avait sorti pour elle une robe longue à bustier, d’un profond bleu nuit, semé d’un discret chemin de brillants, comme de petites étoiles par ciel clair. C’était sans aucun doute la parure la plus habillée que Rose ait jamais porté de sa vie, et quand elle s’était pour la première fois tenue devant son miroir, habillée de la sorte, Rose s’était à peine reconnue.
A présent, il ne restait plus qu’un seul détail à régler. Sa coiffure. Rose laissait d’ordinaire ses cheveux lâchés : ils étaient lisses et très fins, particulièrement dociles lorsqu’on les laissait tranquilles. Au mieux, il lui arrivait parfois de se faire une queue de cheval pour dégager son visage. Mais avec une robe de ce genre…
Elle avait vainement tenté de relever ses cheveux en un chignon ramassé, avant de laisser tomber. Au final, elle avait timidement été frapper à la porte de sa mère, sans trop savoir quelle attitude adopter.
Les paroles qu’avaient eues Hermione sur le toit de l’hôpital lui étaient revenues en mémoire. Rose n’avait jamais eu besoin d’aide. D’aussi loin qu’elle s’en souvenait, elle s’était toujours débrouillée toute seule, en tout. Elle n’appréciait pas de dépendre des autres. Demander de l’aide était pour elle un aveu de faiblesse.
Mais là, ce soir…
L’expression sur le visage de sa mère lui avait fait comprendre que son geste, sa demande, était aussi un acte de bonté. Un témoignage de réconciliation. Hermione n’avait soigneusement rien relevé de tout cela, bien sûr, mais elle l’avait aussitôt faite entrer dans sa chambre et à présent, Rose demeurait assise très droite sur le siège de la coiffeuse, interdite, ne sachant pas quoi dire, tandis qu’elle laissait sa mère brosser doucement ses cheveux.
Hermione était déjà habillée elle aussi : une robe longue à petites manches, dans un élégant doré qui soulignait son teint. Elle pour le coup avait réussi un chignon élaboré, fait de boucles tressées qu’elle avait couronnées d’un serre-tête assorti à sa tenue. Ce détail, ainsi que les pendants d’oreille en or en forme de croissant qu’elle portait, la faisait étrangement ressembler à une déesse toute droit sortie de la mythologie grecque. Cela lui allait bien.
Alors qu’elle l’observait ainsi dans le miroir, concentrée et sereine, Rose fut frappée par la beauté de sa mère. Elle n’y avait jamais vraiment prêté attention jusqu’à présent. Enfant, elle la trouvait belle comme toute petite fille admire sa maman. Puis elle s’était détournée d’elle, allant jusqu’à refuser son regard. Jusqu’à aujourd’hui, dans ce miroir, où elle la dévisageait comme si c’était la toute première fois.
A quarante-deux ans, Hermione n’avait pas encore de cheveux gris dans sa chevelure dense et soyeuse. Son visage fin exprimait pour elle l’immense intelligence dont elle s’était toujours vue gratifier. Son regard ne faisait que confirmer cet éclat, cette vivacité : elle avait les traits d’une personne brillante, droite et fondamentalement juste, un peu sévère peut-être. Mais les quelques rides qui se dessinaient discrètement au coin de ses yeux révélaient en elle une autre facette : une aptitude à sourire peut-être, et la passion profonde qui l’animait.
Oui, Hermione ne laissait pas indifférent, c’était certain. Elle était de ces portraits intenses que l’on pourrait prendre des heures à déchiffrer. Et à l’observer ainsi, Rose se dit soudain que sa mère était une personne bien plus complexe que la caricature à laquelle leur querelle l’avait réduite, à ses yeux, pendant des années.
Rose se laissa dériver dans le fil de cette pensée, ne détachant pas son regard de l’expression comblée de sa mère alors que celle-ci touchait les cheveux de sa fille, peut-être pour la première fois depuis plus de six ans. Rose tremblait à ce contact. Elle n’avait pas été habituée à une telle proximité physique avec Hermione. Pas plus qu’aux effusions émotives. Elle sentait qu’une partie de sa gêne venait de là, mais cette fois, elle ne la refreina pas. Elle se laissa plonger dans l’intimité de l’instant, quelque chose de chaud, rassurant et indéfinissable, comme les bras d’une mère.
Au final, Hermione rassembla ses cheveux en une simple tresse qu’elle fit descendre sur son épaule droite. Elle passa ensuite un diamant solitaire autour de son cou et referma le fermoir, avant que Rose n’ait une chance de protester.
- Maman…
- Tu es très jolie ainsi.
- Tu ne voulais pas les relever ?
Hermione caressa la tresse d’un doigt pensif :
- J’aime le contraste de tes cheveux sur ce bleu, dit-elle. Et puis, ça te donne un petit côté… sauvage.
Elle sourit en disant cela, avec une brève lueur d’inquiétude, que Rose interpréta sans peine. Hermione avait peur qu’elle ne prenne sa remarque pour une pique, une allusion à son caractère. Elle n’en fit rien. Elle aussi aimait beaucoup le résultat.
Drago Malefoy entra soudain à cet instant, les surprenant toutes les deux en pleine contemplation. Il portait son smoking trois pièces garni d’une cravate encore dénouée. Il resta un instant interdit dans l’encadrement de la porte, comme s’il n’était pas sûr de la température de l’ambiance, mais il opta au final pour une arme imparable :
- Vous êtes magnifiques, déclara-t-il. Toutes les deux.
Hermione se fendit d’un sourire radieux, et Rose vit que dans ses yeux, sa mère et elle avaient soudain le même âge.
- Tu n’es pas mal non plus, répondit-elle.
Rose se leva avant d’en entendre plus :
- Oui, nous sommes tous magnifiques, plaisanta-t-elle à demi avant de sortir maladroitement de la chambre le plus vite possible.
Elle vit que sa mère avait peur qu’elle se sente offensée, mais honnêtement, elle était simplement gênée. Cela faisait quelques temps maintenant qu’elle se découvrait de moins en moins réticente vis-à-vis du mariage de sa mère avec Drago Malefoy. Mais si ses convictions s’effritaient et se faisaient plus douces, elle trouvait néanmoins troublant de consentir à cet amour évident qu’ils partageaient. Elle se sentait comme une mère cautionnant la relation de sa fille, sous son propre toit, et même si le petit copain recevait son approbation, cela demeurait tout de même perturbant. Elle songea avec un sourire qu’elle réagissait comme si sa mère était l’adolescente de la maison.
Il n’en était rien pourtant. Alors qu’elle remontait droit vers sa chambre pour peaufiner les derniers détails de sa tenue, Rose se dit que non, c’était bien elle l’adolescente, et les jours qui venaient de s’écouler s’étaient bien chargés de le lui rappeler.
De retour devant son miroir, Rose poussa un soupir devant ses cernes, souvenirs de ses heures d’insomnie. Rien à faire pourtant, elle avait beau avoir fait le tour du sujet au moins mille fois, son cœur continuait stupidement à battre la chamade chaque fois qu’elle repensait à sa dernière entrevue avec Scorpius, sous le kiosque, au Soleil sous le chant des oiseaux.
Elle avait compris ce qu’elle ressentait pour lui à cet instant, mais elle refusait de s’y confronter. L’idée même représentait pour elle un dilemme insoluble : Rose Weasley ne pouvait pas aimer Scorpius Malefoy. C’était impossible. Pas dans un monde où Hermione Weasley s’appelait désormais Hermione Malefoy. Pas dans un monde où son père gisait dans un lit d’hôpital à cause de cela.
Non, cet amour, c’était pour Rose comme un coup de poignard venu de son propre cœur, de ses émotions qu’elle ne contrôlait pas. C’était immoral, honteux et traitre. Mais irrépressible.
Rose se retint de presser ses mains contre son maquillage et se résolut à prendre une profonde inspiration. Elle n’était arrivée à rien dans le méli-mélo de ses pensées depuis cette matinée au kiosque. Tout juste avait-elle réussi à éviter Scorpius du mieux qu’elle le pouvait. Aussi avait-elle décidé, en désespoir de cause, d’attendre le gala. De se confronter pleinement, réellement à lui, lors de cette soirée où l’attroupement général l’empêcherait de déraper. Là, elle pourrait prendre la mesure de ce qu’elle ressentait vraiment. De ce qu’elle pourrait faire pour y remédier. Mais voulait-elle y remédier ?
Sa poitrine se contracta rien qu’à cette pensée, aussi la refreina-t-elle aussitôt pour faire le vide, ne plus rien planifier, se laisser porter. Dans le grand hall d’entrée, l’horloge sonna 21h. Cela signifiait que le gala pouvait commencer.
Le flot d’invités se déversait déjà en un torrent ininterrompu. Rose descendit se joindre à la foule, espérant profiter de l’agitation générale pour passer inaperçue. Elle trouva quelques visages familiers qu’elle vint saluer : l’ancien Premier Ministre Kingsley Shacklebolt, la directrice de Poudlard Minerva McGonagall, et évita autant que possible les quelques journalistes qui s’étaient glissés dans le cortège. Harry et Ginny étaient là eux aussi, sans leurs enfants – un grand soulagement pour Rose. Ginny lui adressa un clin d’œil discret et la complimenta sur sa robe. Harry, lui, trop occupé à affronter les dignes héritiers de Rita Skeeter, se contenta de s’enfuir dans les étages à la recherche des toilettes. Cela fit rire Rose, mais elle se contint. Quelques invités lui demandèrent timidement si elle était bien la fille d’Hermione, ce à quoi elle répondit poliment. Mais contrairement à son oncle, elle avait l’avantage d’avoir encore un visage relativement inconnu du grand public, aussi ne l’importuna-t-on pas plus que cela.
Un peu nerveuse à présent, Rose scrutait l’assemblée qui passait du hall au salon, du salon au hall, dans un interminable chassé-croisé mené par les petit-four et le pas cadencé des musiciens. On avait installé l’orchestre, un ensemble majoritairement composé de cordes, dans la salle de réception étirée en longueur qui donnait sur le parc à l’arrière de la maison. Là, des tables avaient déjà été dressées pour le buffet, et une armée de serveurs appelés en renfort virevoltaient entre les groupes pour distribuer du champagne.
Rose se laissa porter par le courant inconscient de la foule, à la recherche d’une conversation intéressante ou d’un visage à peu près du même âge que le sien. Le visage de Scorpius, peut-être ?
La jeune fille eut envie de se taper sur les doigts. Son raisonnement se tenait cependant. Scorpius était d’une nature ponctuel, il y avait fort à parier qu’il était déjà descendu. Mais elle ne l’avait trouvé nulle part, et refusait de s’avouer qu’elle le cherchait. Revenant près du grand escalier, Rose aperçut enfin sa mère et son beau-père qui descendaient : Pâris et Hélène de Troie. Les invités applaudirent, tandis qu’Hugo s’extrayait de la foule pour les rejoindre, suivi de près par une haute silhouette blonde.
Rose demeura en retrait. Scorpius ne l’avait pas encore vue, et, sans vraiment s’expliquer pourquoi, elle appréciait le fait de pouvoir l’observer à la dérobée. Inconscient de son regard, loin d’elle.
Comme d’ordinaire, il dégageait un charme magnétique, d’autant plus puissant qu’il était spontané. Et pourtant, tout en retrait… Là résidait une autre différence entre Drago Malefoy et son fils. Malefoy avait ce petit quelque chose d’irrésistiblement arrogant, dans sa manière d’être, sa façon de parler, qui mettait en lumière ses origines et l’éducation princière qu’il avait reçu. Même s’il avait quitté cet univers depuis longtemps, Drago Malefoy avait été élevé avec la certitude que le monde lui appartenait, et cela avait laissé des traces sur sa manière souveraine de se comporter.
Scorpius, lui, était tout en humilité. Son regard ne cherchait pas l’assemblée qui le contemplait, et il se concentrait sur son père, tel un fils conscient de son devoir envers sa famille. Il ne s’affichait pas ici pour parader, ni pour bien paraître, il espérait seulement tenir sa place, avec toute la dignité qu’on lui avait enseignée. Et il y réussissait à merveille.
Rose s’avança enfin, voyant que sa mère attendait sa présence. Elle fendit discrètement le premier rang pour se ranger à ses côtés. Son regard croisa celui de Scorpius, et ses défenses se dressèrent aussitôt face aux éventuelles émotions que cela pourrait lui inspirer.
Il lui sembla qu’elle se contenait à la perfection. Elle ne rougit pas, ce qui était le risque le plus immédiat, et s’autorisa même un petit sourire. Scorpius ne lui répondit pas tout de suite. Il la dévisageait sans rien laisser transparaitre, si ce n’était ce regard qu’il posait sur elle, intense, profond, indécent, sur son visage et rien d’autre. Encore une fois, Rose se sentit percée à jour, jusqu’au creux de son être, comme cette fois où elle lui avait demandé pardon dans le hall de Poudlard, et elle tremblait à l’idée de ce que Scorpius pourrait lire en elle. Car à cet instant, elle l’aimait, elle aimait la force exprimée dans ce seul regard, et elle aurait tout donné pour s’y raccrocher.
Quelle cruauté… Elle n’avait jamais prié pour une telle flamme. Elle n’avait rien demandé. Et pourtant, à cet instant, son cœur palpitait douloureusement en elle, parfaitement conscient de désirer ce qu’elle ne pouvait obtenir.
Sa mère entama son discours et la priva de ses réflexions. Peu après, le Premier Ministre enchaîna, puis il serra la main d’Hermione et de Malefoy – un message fort – et tous durent se regrouper pour les photographes de la Gazette.
Rose hésita. En temps normal, elle aurait refusé tout net d’apparaître sur une telle photo. Mais ce n’était plus son combat ce soir. Elle était distraite, plus douce : elle prit place avec Hugo aux côtés de Malefoy, tandis que Scorpius accompagnait Hermione, Alice au centre. Ainsi, quel magnifique portrait de famille unie ils formaient…
Mais Rose ne pouvait voir que les yeux verts de Scorpius, et elle dut se faire violence pour contempler les objectifs.
Alors on les libéra, enfin. Les invités se ruèrent sur le buffet, tandis que les musiciens entamaient une musique plus enjouée. Rose redoutait ce moment, car elle savait que Scorpius viendrait lui parler. Bien sûr, cela ne manqua pas. Il l’approcha de sa démarche maîtrisée, sans fuir son regard une seule seconde :
- Bonsoir, dit-il doucement.
- Salut, répondit-elle.
Lui aussi portait un smoking noir, garni d’un nœud papillon, plus habillé que celui de la fête de l’Union, et par conséquent, plus intimidant. Ou était-ce à cause de ses sentiments que Rose le trouvait soudain plus intimidant ? Depuis quand l’aimait-elle, au fait ? Elle avait peur de répondre à cette question. Une petite voix lui souffla la réponse cependant : « Mars », et elle ferma les yeux au souvenir de cette première conversation sur la planète rouge, où Scorpius l’avait sublimée.
- Tu ne t’ennuies pas trop ? demanda-t-elle à défaut d’autre chose.
- Plus maintenant. Tu es magnifique.
Il se tendit tout à coup, et Rose s’en voulut de cette réaction. La dernière fois que Scorpius avait tenté de lui faire un compliment, elle l’avait remballé plus que froidement :
- Merci, répondit-elle alors sincèrement. Ton père a dit la même chose.
Scorpius se montra surpris, mais ne posa pas de question. Dédaignant l’alcool, il leur attrapa à chacun un petit-four et désigna le buffet d’un signe de tête :
- Tu as faim ? demanda-t-il.
- Pas vraiment.
C’était la vérité. Depuis qu’elle était descendue, Rose avait l’estomac si nouée qu’elle n’aurait rien pu avaler, même si sa vie en dépendait.
Tandis que Scorpius exprimait à son tour son dédain envers la nourriture, la musique s’interrompit tout à coup et Rose vit le chef d’orchestre faire signe à sa mère. Malefoy invita alors la femme du Premier Ministre à danser, tandis qu’Hermione recevait elle-même la main du politicien, et que les accords reprenaient sur une valse solennelle.
Scorpius et Rose les observèrent évoluer quelques instants, tandis que des couples se formaient pour se joindre aux danseurs. Rose se félicitait de cette distraction, car elle n’avait rien à dire et trouvait son esprit désespérément vide. C’était stupide. Elle n’avait jamais manqué de mots face à Scorpius. Au contraire, c’étaient leurs conversations mêmes qui l’avaient fascinée. A présent, elle se trouvait idiote, persuadée d’être à côté d’un esprit infiniment plus brillant que le sien, et qui ne tarderait pas à remarquer son trouble.
« Dis quelque chose », supplia-t-elle Scorpius en esprit. « Je t’en prie, dis quelque chose… »
Et Scorpius finit par parler. Tandis qu’une deuxième valse succédait à la première, plus mélodieuse et plus tendre, il se tourna vers elle avec un sourire rentré :
- Une danse ? proposa-t-il.
Rose en tomba des nues. La moitié de ses atomes brûlait d’accepter, l’autre moitié de s’enfuir en courant. Pouvait-on aimer et craindre à ce point ? Pouvait-on éprouver des désirs aussi contradictoires, tout en même temps ? Apparemment, oui. Mais Rose n’était pas sûre de survivre longtemps à ses déboires amoureux.
Contemplant la foule des danseurs qui valsaient, et le sourire de Scorpius qui ne se fanait pas, Rose bafouilla :
- Je… Je ne sais pas danser ça.
- Avec un bon cavalier, n’importe quelle jeune fille sait danser la valse, argumenta-t-il de ce ton assuré qu’elle lui avait reproché autrefois.
Cet air qu’il arborait lorsqu’il présentait ses vues sans tenir compte des siennes. Elle ne le lui reprochait plus aujourd’hui. Elle y voyait une volonté nécessaire face à sa propre ténacité, parfois mal placée et toujours difficile à faire tomber.
« Qu’est-ce que tu attends ? » soufflait déjà la petite voix traitresse dans son esprit. « Ne dis pas que tu n’en meurs pas d’envie, ce serait mentir. Tu y penses depuis que tu l’as vu danser avec Lily à la fête de l’Union. Ne dis pas que tu n’as jamais imaginé être à sa place. Savoir ce que ça fait. Tu veux tester tes sentiments ? Assume, va jusqu’au bout. Autrement, tu le regretteras. »
La voix avait raison. Mais c’était précisément ce qui terrifiait Rose. Jamais elle ne s’était mise d’accord avec la voix de sa conscience jusqu’à présent.
Alors, Scorpius se pencha vers elle et lui retira doucement le petit four intact des doigts :
- Je ne te laisserai pas tomber, promit-il en affrontant directement son regard, comme lui seul savait le faire.
Rose céda. Comment aurait-elle pu faire autrement ? Elle referma sa main sur celle de Scorpius et le laissa l’entraîner vers la piste de danse, tremblante dans son cœur et dans son corps. Pourvu qu’il ne sente pas les frissons de peur et d’émotion mêlées qu’il lui inspirait…
Scorpius passa doucement mais fermement son bras autour de sa taille, et Rose dut se souvenir de respirer. Elle n’avait pas sursauté, c’était déjà ça.
- Pose ta main sur mon épaule, lui indiqua-t-il gentiment.
Rose se traita une nouvelle fois d’idiote et tendit timidement la main vers lui. Le costume était soyeux sous ses doigts, mais c’était le cadet de ses soucis. Tout ce qu’elle sentait, c’était le bras de Scorpius autour d’elle. Tout ce qu’elle voyait, c’était ses yeux clairs dans son beau visage pâle, et leurs corps tout proches, si proches…
- Ecoute la musique, murmura-t-il à nouveau de cette voix très douce et très basse. Ce n’est pas compliqué. Laisse-toi guider.
Rose fut tentée de fermer les yeux, mais alors, elle ne le verrait plus. D’une légère pression, Scorpius l’entraîna vers la droite, et alors, elle le suivit.
Cela ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait imaginé. La voix dans son esprit avait eu raison : elle l’avait imaginé. Des dizaines de fois. Mais jamais comme ça. Scorpius ne la quittait pas des yeux : attentif, rassurant, de ce regard intense qui lui donnait l’impression que plus rien d’autre au monde n’existait, qu’elle était la chose la plus belle et la plus précieuse qu’il ait jamais découvert sur cette Terre.
Rose se sentit soudain rougir sous la force de ce regard, mais elle n’y pensa pas. Son cœur battait en écho contre sa cage thoracique, comme s’il voulait en sortir, et elle se demanda si Scorpius pouvait le sentir à travers sa robe. Son cœur battait-il, lui aussi ? Rose n’avait aucun moyen de le savoir. Elle sentait les doigts fins de Scorpius entrelacés aux siens, avec un tel naturel, comme s’ils avaient enfin trouvé leur juste place.
Rose ne voyait même plus les autres danseurs autour d’eux. Elle n’osait pas regarder la salle de peur de perdre l’équilibre, emportée par le tourbillon doux dans lequel Scorpius la guidait. Une petite part d’elle avait néanmoins conscience de sa prévenance envers elle. Son pas était mesurée, délicat, adapté à l’inexpérience de Rose. Un élément de plus en faveur de cette estime immense qu’elle concevait pour lui, pour sa justesse, sa correction, ce mélange de respect et d’assurance qu’il exprimait.
Elle se souvenait avoir pensé que la valse était une danse parfaitement adaptée au caractère de Scorpius : à la fois élégante, séduisante, courtoise, et en même temps, si froide et distante envers les deux partenaires. Aujourd’hui, Rose réalisait à quel point elle avait pu se tromper. Dans les bras de Scorpius, elle ne ressentait aucune distance, mais au contraire la chaleur de sa peau, la proximité de son corps, juste assez pour la tenter jusqu’à la torture, et le piège de ce regard qu’elle n’osait ni soutenir, ni éviter.
Qu’est-ce qui pouvait bien lui passer par l’esprit à cet instant ?
- Tu vois, tu ne t’en sors pas si mal, finalement, lui dit-il comme s’il avait pu lire en elle.
- Uniquement grâce à toi, répondit-elle.
- Merci.
Il semblait sincèrement touché par cet aveu, ce qui la troubla. Mais comme toujours, Scorpius ne baissa pas la garde bien longtemps. Il avait l’art de se montrer vulnérable aux moments où elle s’y attendait le moins, pour qu’ensuite elle demeure captivée. Comme un papillon pris au piège de la lumière. Lavant son visage de toute expression, Scorpius lui demanda avec une fausse gravité :
- Alors. Quand pourrai-je lire d’autres nouvelles ?
Rose rit :
- Je n’en sais rien. Je n’avais jamais fait lire ce que j’écris à qui que ce soit jusqu’à présent.
- Jamais ?
- Jamais.
- Alors, me voilà très honoré.
Rose ne répondit rien. Elle le contemplait, pensive, oubliant même qu’ils dansaient. Ce profond sentiment de familiarité s’était à nouveau coulé en elle, comme lorsqu’ils discutaient tout en haut de la tour d’Astronomie : le sentiment qu’ils pouvaient se parler sans réfléchir, et que leur présence se répondait naturellement l’une à l’autre, comme s’ils se connaissaient intimement depuis très longtemps. C’était troublant, d’éprouver cela pour une personne qu’elle avait haïe pendant la majeure partie de sa vie. Mise au pied d’une telle erreur, Rose se trouvait plus déstabilisée que jamais, et cela la poussait à remettre tous ses acquis en question. Quelles autres erreurs pouvaient bien parsemer encore la vie qu’elle avait choisie ? En tout cas, malgré ses doutes, Rose était heureuse d’avoir au moins ouvert les yeux sur celle-ci.
- J’espère que mes commentaires ne te dissuaderont pas de faire partager tes autres écrits, poursuivit Scorpius sans soupçonner ses pensées.
- Oh non, absolument pas.
Rose eut un sourire gêné :
- J’ai simplement peur que le reste ne soit pas à la hauteur, du coup… C’est tout.
- Je ne vois pas comment ce serait possible.
Rose s’accorda un petit rire sarcastique :
- Ce n’est pas toi qui disais ne pas avoir foi en l’individu ?
- J’ai foi en toi.
- Pourquoi ?
Scorpius haussa les épaules, et Rose eut l’impression qu’elle l’avait soudainement pris au dépourvu :
- Je te connais, répondit-il alors simplement. Je sais de quoi tu es capable.
La musique s’acheva sur cette déclaration. Rose eut du mal à revenir à l’immobilité, à revenir au monde réel, après cet étrange moment d’intense qu’ils avaient traversé. Une bulle d’éternité, rien qu’à eux. Un souvenir partagé.
Scorpius dut percevoir son trouble, à moins qu’il ne soit troublé lui aussi, vu le rose de ses joues, aussi la libéra-t-il sans lâcher sa main :
- Tu veux prendre un peu l’air ? demanda-t-il avec cette irrépressible réserve qui donna brusquement à Rose envie de l’embrasser.
Au lieu de cela, elle acquiesça :
- Oui, allons sur la terrasse, dit-elle.
L’air était très froid en cette dernière nuit de l’année. Le ciel était clair, délivrant un superbe velours de joailler, et la neige tombée dans la journée formait un parterre très pur à toute cette beauté. Mais Rose parvenait à peine à prêter attention au panorama, tant les dernières paroles de Scorpius résonnaient dans sa tête. Que pouvait-il connaitre d’elle ? Que pouvait-il penser d’elle ? Pendant toutes ces années, elle n’avait été que cette ado revêche qui le traitait comme le dernier des parias. Un pestiféré, avait dit Drago Malefoy. Quels sentiments avait-il pu concevoir pour elle alors ?
Scorpius n’avait pas un caractère porté sur la rancune, elle avait déjà pu le constater. Mais il n’empêchait… Que ces émotions chaudes que Rose ressentait pour lui, cette complicité qu’elle croyait les voir partager… Elle était probablement la seule à les éprouver. Cela paraissait déjà suffisamment insensé que Rose Weasley soit amoureuse de Scorpius Malefoy, alors que Scorpius Malefoy aime Rose Weasley… On ne pouvait pas demander trop de folies à l’univers.
Rose n’aurait su dire si elle se sentait triste ou soulagée en arrivant à cette conclusion logique : elle n’avait rien à décider, et ses sentiments ne comptaient pour rien, puisque Scorpius ne l’aimait pas… Cela lui ôtait un poids des épaules. Là où il n’y avait pas de choix à faire, il n’y avait pas de dilemme. Et pourtant, elle sentait toujours les doigts de Scorpius entre les siens, et elle avait la sensation qu’elle mourrait si on venait à les séparer.
Elle fut prise d’un grand frisson, et Scorpius crut qu’elle avait froid.
- Tiens, dit-il en retirant son veston, qu’il passa sur ses épaules.
Il lâcha sa main en faisant cela, et Rose n’osa pas la lui reprendre. A défaut, elle resserra les pans du vêtement autour d’elle, bien trop consciente de l’odeur marine qui y était attachée. L’odeur de Scorpius. Elle vit tout à coup que ses cheveux trop longs s’étaient à nouveau pris dans le revers de son col, et elle ne put résister :
- Attends, dit-elle, et la seconde d’après, elle s’approchait de lui pour dégager doucement ses mèches rebelles.
Elle se trouva idiote à la seconde où elle fit cela. Scorpius allait finir par croire qu’elle était obsédée par ses cheveux. S’il savait la vérité…
- Merci, répondit-il simplement, avec toujours cette façon dérangeante de la dévisager, bien trop intensément pour son propre bien.
N’avait-il pas conscience des tourments que cela lui infligeait ?
Scorpius ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais le compte à rebours les interrompit à cet instant. Dans la salle de réception, tous les invités levaient déjà leur verre derrière les baies vitrées. Dans dix secondes, il serait minuit.
- Viens vite, rejoignons-les, dit Scorpius, mais Rose le retint.
- Non, reste, dit-elle. Restons ici.
Elle lui avait repris la main.
Scorpius l’observa sans comprendre, mais obtempéra. Il revint auprès d’elle, et ensemble, ils observèrent la pleine Lune tandis que l’église du village sonnait minuit.
- Bonne année…, murmura Rose.
- Bonne année, sourit Scorpius en la regardant, comme s’il était lui-même stupéfait de se trouver là à cet instant.
Et Rose n’aurait pu être plus heureuse. Toutes ces réflexions étaient momentanément passées aux oubliettes. Une nouvelle année venait de commencer, et elle l’avait entamée main dans la main avec Scorpius.
- Quelles bonnes résolutions vas-tu prendre ? lui demanda-t-il d’un air taquin.
Rose n’y avait pas vraiment réfléchi.
- Être meilleure que l’année passée, répondit-elle au bout d’un moment.
- Voilà un défi difficile à relever.
Scorpius avait-il saisi la gravité de ces mots ? Elle l’ignorait. Elle se trouvait toujours aussi incapable de lire en lui.
- Et toi ? demanda-t-elle à défaut.
Il soupira, regarda ailleurs quelques instants :
- Être à la hauteur, déclara-t-il finalement.
- De quoi ?
- De ce que je désire.
Il paraissait lutter avec ses propres mots. Rose se rappela ce qu’Emily lui avait rapporté des paroles d’Albus. Que Scorpius était quelqu’un de torturé, sous pression, car sans la moindre confiance en lui-même. Faisait-il référence à cela ? Avait-il peur de ne pas être à la hauteur de ses fantastiques projets ? Si tel était le cas, Rose souffrait de le voir se maltraiter ainsi. Comment un jeune homme tel que lui pouvait-il se sous-estimer à ce point ? Cela lui donnait envie de le secouer pour lui faire entendre raison, mais elle n’était pas sûr qu’il apprécierait. De toute façon, pourquoi l’écouterait-il ?
Mais peut-être sa résolution cachait-elle aussi autre chose. Peut-être parlait-il de Lily. Peut-être nourrissait-il le vœu pieu de laver cette estime de lui-même, qu’il croyait avoir perdue…
Rose était fatiguée de supputer ainsi. L’amour ne lui réussissait pas. D’ordinaire, elle se posait déjà une infinité de questions, mais là… Elle avait la sensation de décortiquer et d’analyser la moindre réaction de Scorpius. Exactement comme Emily avec Albus. Seigneur, elle n’allait pas devenir aussi éprise qu’Emily… si ?
Au final, Rose secoua la tête :
- Je te souhaite le meilleur, dit-elle en pressant doucement ses doigts entre les siens.
Il sourit :
- Moi aussi.
Alors, Rose se risqua à déposer un baiser sur sa joue très froide. Son corps se hérissa à ce contact, l’impulsion du moment…
Scorpius n’en revint pas lui aussi, mais avant qu’elle ne se recule, il l’embrassa à son tour sur la joue, doucement, plus longtemps que nécessaire. Rose trembla lorsque leurs visages se frôlèrent…
Puis Scorpius la relâcha brusquement :
- On devrait retourner à la fête, dit-il.
Rose sentit la magie se briser. Mais ce n’était pas grave. Elle avait obtenu plus que tout ce qu’elle aurait jamais osé demander. Ils rentrèrent à l’intérieur, dans la chaleur étouffante, où des hôtes différents les séparèrent aussitôt pour le reste de la soirée. Rose entretint la conversation du mieux qu’elle le pouvait. En secret, son visage la brûlait, là où les lèvres de Scorpius l’avaient effleuré.
Elle ne le revit pas jusque tard dans la nuit, lorsque la majorité des invités fut partie, alors qu’elle montait se coucher en tenant ses chaussures à talon d’une main. Elle l’aperçut dans le corridor qui menait à sa chambre, au deuxième étage, juste avant qu’il n’entre. En la voyant, il lui offrit un sourire fatigué, et ses lèvres articulèrent silencieusement : « Bonne nuit ».
- Bonne nuit, murmura Rose, et elle eut le sentiment que la porte se refermait sur un secret interdit.
Quelques minutes plus tard, allongée en travers de son lit, encore toute habillée, Rose ne pouvait se départir des sentiments merveilleux qui l’avaient animée tout au long de la soirée. Aucun doute, être amoureuse était une expérience nouvelle pour elle, et elle n’excellait pas en la matière… Être amoureuse était épuisant. Et aussi agaçant, angoissant, stupide et prise de tête. Mais cela lui donnait aussi la sensation d’être en vie. Plus que tout ce qu’elle avait jamais éprouvé dans sa vie entière.
Pouvait-elle s’en départir ? Non, elle ne croyait pas en avoir le choix, ni l’envie. Pouvait-elle espérer plus ? Non, mieux valait ne pas se donner de faux espoirs, pas plus que de fausses inquiétudes. Une relation avec Scorpius Malefoy était illusoire. Cela ne lui apporterait que des ennuis en cascade, et elle en avait déjà suffisamment comme cela.
Mais que faire alors ?
« Pourquoi ne pas s’en tenir à cette soirée ? » murmura la petite voix dans sa tête. « Rester en équilibre, sur le fil de l’incertitude, exactement comme cette nuit. Assumer pleinement ton amour. Aimer Scorpius Malefoy de tout ton cœur. Mais se contenter de ce que tu obtiens. Rien de plus. L’aimer à distance, en secret, pour toi, pour la satisfaction de ton cœur et rien d’autre. Savourer son attention lorsqu’il te l’accorde. Être heureuse du seul amour qu’il t’inspire, tout simplement. »
Rose demeura songeuse dans l’obscurité de sa chambre. Malgré le sommeil qui l’appelait, elle s’efforça de prendre du recul. Il était vrai que c’était son premier amour, et elle était aux anges. Mais il ne fallait absolument pas qu’elle s’emballe. Rien ne l’obligeait à prendre les choses aussi sérieusement. Après tout, elle n’avait que seize ans, bientôt dix-sept. Elle avait l’âge de s’enticher d’un garçon. Elle avait l’âge d’aimer stupidement, de guetter son passage et de rougir à ses moindres regards. Cela n’avait pas besoin d’aller plus loin. Cela n’avait pas besoin d’être plus que cela.
Un rien rassurée, Rose ferma les yeux et se laissa bercée par le souvenir de sa valse avec Scorpius. Cela lui convenait ainsi. Oui, elle pouvait se contenter de l’aimer en groupie, comme n’importe quelle fille de son âge devant son béguin de jeunesse. Et un jour, l’âge adulte les emporterait tous les deux, et cet amour impossible avec lui. |