Pour faire plaisir à Choubaka, je poste la 2e version du chapitre que j'avais écrite :p
Je n'ai jamais été fan des fins alternatives : je trouve que ça laisse un sentiment d'incertitude et d'inachevé, mais comme ça, pour ceux qui le souhaitent, vous pourrez vous faire votre propre avis sur la fin que j'ai choisie ;D
Personnellement, j'aime aussi beaucoup cette 2e version (pour des raisons que l'on comprend facilement ^^) mais je la trouve moins lourde de sens et assez difficile à concilier avec le caractère de Scorpius. Pour la rendre plus crédible, j'aurais eu à la développer sur plusieurs chapitres je pense...
Voilà voilà ^^
Ah, et le début du chapitre est identique à la 1ère version, c'est normal.
Bonne lecture !
Nat'
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Plusieurs mois s’écoulèrent. Rose redécouvrit petit à petit l’habitude d’avoir une famille, des amis, des personnes sur qui compter. Elle prit la résolution d’aller rendre visite à sa mère et à Drago au moins une fois par semaine, idem pour son frère. Elle apprit à connaître Matthew, et fut ravi qu’Hugo ait pu trouver quelqu’un qui prenne autant soin de lui.
Elle profita également du cadre londonien pour fréquenter assidument Albus et Emily. Albus commençait à se faire une petite notoriété dans le monde du théâtre sorcier, et il arrivait désormais que des inconnus le reconnaissent dans la rue. Cela ne cessait jamais de les amuser. Au-delà de la fierté que cela lui procurait, Rose savait qu’Albus était heureux qu’on le reconnaisse enfin pour son talent, et non pour son nom de famille.
A la fin du mois d’août, Emily avait donné naissance à une petite Valeria, et depuis, les deux parents étaient aux anges. Epuisés, mais aux anges. Rose avait été touchée lorsqu’Emily, timidement, lui avait proposé d’être la marraine de l’enfant. Elle avait accepté avec un plaisir immense, et la reconnaissance du pardon que cela représentait. Par cette marque de confiance, Albus et Emily lui signifiaient pleinement qu’elle était revenue dans leurs vies. Rose n’aurait pu en être plus heureuse.
Elle acheva sa première année de Lettres et entama la seconde avec le même enthousiasme. Elle avait conscience de son retard, mais ne s’y arrêtait pas. Son travail au club d’escalade lui fournissait des revenus corrects et l’occasion de belles expériences. En parallèle, Rose travaillait à son premier roman : une fiction, loin de sa vie personnelle et de ses troubles.
Au bout d’un moment, Rose avait même fini par intercéder auprès de Lily. Elle avait raconté à leur famille le rôle que sa jeune cousine avait joué dans son retour. Les efforts qu’elle avait déployés pour la retrouver. Evidemment, tous avaient eu conscience de ce qu’il en coûtait à Rose de plaider en faveur de Lily, aussi avaient-ils pris son geste à sa juste valeur, et réintégré peu à peu la jeune fille parmi eux. Lily aussi devait reconstruire sa vie. Elle n’avait rien fait d’autre que courir le monde et inspecté des clubs d’alpinisme ces sept dernières années. Elle devait réapprendre à vivre. Rose et elle ne seraient jamais proches, ni même amies, mais… en un sens, leur dette était réglée.
Et puis, il y avait Scorpius. D’une façon implicite, Rose avait l’impression que tous deux avaient compris qu’ils ne supporteraient pas de se comporter comme deux étrangers. Comme deux personnes qui s’étaient aimées à un moment donné de leur vie, pour s’ignorer ensuite. Ils étaient plus matures que ça. Ils avaient grandi. Alors, Rose avait pris sur elle et fait des efforts, et elle était certaine que Scorpius aussi. Cela avait nécessité le soutien d’Albus et Emily, d’Hermione et Drago, et même d’Hugo. Rose et Scorpius demeuraient demi-frère et sœur d’alliance, après tout. Par Alice, ils faisaient partie de la même famille. Et Scorpius était le parrain de Valeria. Ils savaient qu’ils ne pourraient passer leur vie à s’éviter, même s’ils le voulaient.
Aussi, leurs proches avaient-ils fait en sorte qu’ils puissent se retrouver de temps à autre, à l’occasion de sorties ou de réunions familiales, mais jamais seuls. Ils avaient ainsi pu se réhabituer à la présence l’un de l’autre. Au fait de se savoir impliqués dans leurs vies respectives. Rose avait fait de son mieux pour réintégrer peu à peu Scorpius dans son cercle de connaissances, sans s’imposer ni perturber Maya. Malgré ces tentatives, il leur restait douloureux de se voir, et le contexte de ces réunions ne les aidait pas à se sentir à l’aise. Leur entourage comme eux-mêmes leur interdisaient de se retrouver seul à seule, même au détour d’un café. Cela aurait pu impliquer trop de choses entre eux. Et Scorpius ne voulait pas inquiéter Maya, ni même se donner l’impression de la trahir, pas même en pensée. Rose comprenait tout cela, mais comme Scorpius, elle réalisait également que cela les empêchait de renouer. Ils ne pouvaient tenir de conversation sincère et privée, comme celle qu’ils avaient eue sur la promenade de la demeure Malefoy. Ils ne pouvaient pas se retrouver.
Rose ignorait si c’était une bonne chose ou non, mais elle le regrettait. Elle avait longtemps imaginé dans sa tête quel pourrait être « l’après », avec Scorpius. Et les difficultés d’une amitié pleine et entière entre eux se concrétisaient à présent sous ses yeux.
Malgré tous leurs efforts, malgré leurs amis communs, leurs réunions finirent par s’espacer. Bientôt, Rose et Scorpius passèrent un mois sans se voir, puis deux, puis trois. Rose n’osait pas demander de nouvelles, il n’en donna pas non plus. Au final, Rose réintégra sa vie, avec l’impression qu’une part d’elle-même était restée sur l’Everest, à huit mille kilomètres de Scorpius.
XXX
Scorpius vécut les six mois qui suivirent le retour de Rose comme une intense période de doute. Peut-être aurait-il dû en concevoir de l’inquiétude, mais il ne ressentait en fait que de l’exaltation. Jamais encore il n’avait eu autant l’impression d’être à un tournant de sa vie, une croisée des chemins qui le conduirait dans des directions radicalement opposées, quel que soit ce qu’il choisirait.
Suite à la présentation de sa thèse, il s’était vu offert un poste permanent à la NASA, aux Etats-Unis, pour contribuer à leur programme spatial et à la toute première mission sur Mars. Scorpius n’avait pas pu refuser. Parallèlement à cela, Maya avait été engagée à Genève par le CERN, où elle étudiait dorénavant les débuts du cosmos grâce à leur monstrueux collisionneur de particules.
Scorpius pouvait transplaner quand cela lui chantait, aussi n’était-ce pas une relation à longue distance à proprement parler. Pourtant, le décalage entre leurs deux modes de vie commença peu à peu à se faire ressentir.
Scorpius ne se l’expliqua pas vraiment. Au fil du temps, et sans raison proprement identifiable, sa relation avec Maya s’effilocha. Comme écartelée entre plusieurs aspirations contraires. Les causes en étaient multiples : l’éloignement, la surcharge de travail, et pour une scientifique moldue comme Maya, la prise de conscience lente mais insidieuse qu’il existait tout un monde au-delà de celui qu’elle avait toujours connu, un univers entier de vérités et de magie auquel elle n’accèderait jamais, et qui remettait en cause tout ce qu’elle avait toujours cru savoir de la réalité jusqu’à présent. Elle s’en était ouverte à Scorpius, qui n’avait pas su comment la consoler. Il comprenait ce que la découverte de l’existence du monde sorcier pouvait impliquer pour Maya, passés la curiosité et l’émerveillement des premiers instants. Tout ce qu’elle étudiait lui apparaissait désormais faux, incomplet, biaisé, et il ne pouvait rien faire pour y remédier.
Et puis, bien sûr, il y avait Rose. Malgré toute sa force de caractère, malgré la complicité qu’il y avait entre eux, Maya ne pouvait s’empêcher de se sentir inquiète étant donné ce que Scorpius lui avait raconté de son amour pour Rose. Elle ne doutait pas de l’honnêteté ou de la loyauté de Scorpius, bien au contraire. Mais elle savait quelles pensées devaient traverser son esprit. Elle savait que, consciemment ou non, il ne pouvait s’empêcher de se poser cette question toute simple : « Et si ? », et cela la torturait.
- Le problème, c’est que votre histoire ne s’est jamais vraiment achevée, lui avait-elle dit un jour. Vous n’avez pas rompu. Vous n’avez jamais cessé de vous aimer. Vous n’avez jamais eu votre « au revoir » en bonne et due forme, et je ne sais même pas si vous en voudriez.
Scorpius avait tenté de la rassurer du mieux qu’il l’avait pu. Mais il n’avait pu se résoudre à lui mentir et à lui dire qu’elle avait tort. En vérité, il repassait sans cesse le sermon que son père lui avait adressé au mariage d’Albus et Emily dans sa tête, et il parvenait désormais à une conclusion toute simple : Drago et lui n’avaient pas vécu la même chose. Son père n’avait jamais dû faire face à Daphnée Greengrass revenant auprès de lui, disponible, amoureuse et libre. Daphnée avait aimé son mari et une seconde chance avec son père n’avait jamais été possible. Drago n’avait jamais eu à vivre avec cette interrogation lancinante : « Qu’est-ce que cela donnerait entre nous ? ». Car pour lui, cela avait tout bonnement été impossible. Entre Scorpius et Rose, en revanche…
Ce doute impossible à refreiner, ainsi que leur éloignement, avait déchiré Scorpius et Maya. Scorpius avait aimé la jeune femme. Il avait appris à l’aimer, et cela rendait leur relation plus difficile, plus complexe que celle qu’il avait vécue avec Rose. Il savait Maya trop amoureuse de lui pour le quitter par abnégation. Jamais elle n’aurait la force de lui dire : « Je sais que si tu ne tentes pas ta chance avec elle, tu le regretteras toute ta vie, te demandant sans arrêt ce qu’il serait advenu s’il en avait été autrement. Alors, vas-y, pars et tente ta chance ». Non, il ne pouvait pas exiger un tel sacrifice de la part de Maya…
Et dans le même temps, il ne voulait pas la quitter. Parce qu’il l’aimait, parce qu’il ne voulait pas la faire souffrir, et parce que ça aurait été de la folie de l’abandonner pour l’espoir incertain de retrouver Rose, de l’aimer et d’être heureux avec elle comme ils l’avaient été autrefois…
Scorpius éprouvait le besoin égoïste d’être sûr de lui-même. D’apprendre à connaître à nouveau Rose avant de se décider. Mais ce simple désir inavoué lui donnait l’impression de trahir Maya, et il se détestait pour cela. Jamais il n’aurait cru devoir subir les affres d’aimer deux personnes en même temps…
Au final, un jour, Maya l’avait surpris. Elle pleurait. Elle faisait des efforts pour essayer de le cacher, mais deux petites larmes traitresses étaient venues se frayer un chemin le long de ses joues. Elle lui avait dit : « Je ne veux pas que tu restes avec moi par obligation. Je ne veux pas être celle qui t’aura fait manquer le seul grand amour de ta vie. Tu rejetterais la faute sur moi, avec le temps. Ne dis pas le contraire. Tu ne le penses peut-être pas maintenant, mais dans dix ans, vingt ans… Tu m’en voudras. Tu m’en tiendras pour responsable. Je ne le supporterai pas. Je t’aime, et rien ne me déchire plus, ne me terrifie plus en ce monde, que la perspective de te perdre. Mais parce que je t’aime, je refuse de te faire souffrir, et encore plus de t’enchaîner. »
Elle avait pleuré de nouveau en disant cela, et puis murmuré :
- J’aimerais être de celles qui ont suffisamment de force pour dire… « Si tu pars, ne reviens jamais ». « Si tu tentes ta chance avec elle, et que ça ne marche pas, ne reviens pas auprès de moi en pleurant ». Mais je suis incapable de te dire ça. Puisque tu dois choisir… Choisis en toute connaissance de cause. Tente ta chance avec elle… Et moi, que je le veuille ou non, je t’attendrai.
Scorpius n’avait pas su quoi lui répondre. Le courage et l’amour même que Maya lui témoignait par ce seul discours l’émouvait jusqu’au creux de ses os. Et pourtant, une petite voix en lui ne pouvait nier qu’elle avait raison. Il avait besoin de savoir. Le seul fait de l’admettre était un motif suffisant pour qu’ils rompent. Plus tard ce jour-là, Scorpius avait rendu visite à Hugo pour s’ouvrir à lui et lui demander conseil, et Hugo l’avait contemplé d’un air mature, indulgent :
- Tu t’en veux parce que ton amour pour Maya ne se révèle pas inconditionnel, lui avait-il dit. Mais l’amour n’est pas inconditionnel, Scorpius. Heureusement, car sinon, nous n’en guéririons jamais. Ton père n’aurait jamais épousé ma mère. Tu n’aurais jamais aimé Maya. Je n’aurais jamais connu Matthew.
Il lui avait adressé un petit sourire en disant cela, et Scorpius avait eu honte de lui, tout à coup. Il avait trop souvent tendance à oublier que les tourments par lesquels il était passé, Hugo les avait également vécus, à cause de lui.
- Mon père se targuait d’un amour inconditionnel pour ma mère, avait soudain repris Hugo, sans cacher son mépris. Regarde où ça l’a mené. Tu trouves toujours ça noble de se morfondre et de mourir par amour ?
Il avait soupiré, et conclu simplement :
- Il y a de bonnes et de mauvaises façons d’aimer, Scorpius. Tu as aimé Rose, tu voudrais savoir si tout est encore possible entre vous. C’est un besoin légitime. Personne ne peut t’en vouloir pour ça, pas même Maya. Si tu me demandes mon avis… Je pense que c’est le bon moment pour vous. Tu as prouvé que tu avais pu te reconstruire sans elle. Tu n’es plus l’adolescent transi prêt à se jeter à ses pieds pour une caresse. Vous êtes tous les deux capables d’exister pour vous-mêmes, et je crois que c’est ce que Rose voulait.
- Oui… Elle me l’a dit.
Hugo avait souri :
- Vas-y alors. Va la voir. Je suis sûr qu’elle n’attend que ça.
Mais Scorpius n’avait pu s’y résoudre. Il n’aimait pas l’idée d’aller rendre visite à Rose pour lui dire : « J’ai rompu avec Maya, retentons notre chance ». En plus de manquer de subtilité, c’était profondément incorrect. Au final, il décida de rester seul quelques temps, pour réfléchir à ce qu’il ressentait.
XXX
S’enfonçant dans les escaliers du métro, Scorpius réfléchissait. Il ne prenait pas souvent le métro : le réflexe de n’importe quel sorcier aurait été de transplaner. Mais ce jour-là, Scorpius avait rendez-vous avec son ancien directeur de thèse moldu à la sortie de la station Euston Square, aussi ne pouvait-il faire autrement que de sortir en chair et en os de ladite station.
Tandis que la rame s’arrêtait devant lui, Scorpius réfléchissait au meilleur moyen de limiter les immenses charges de radiation auxquelles les astronautes seraient exposés lors de leur voyage vers Mars. Il travaillait déjà sur un projet de sortilège qui n’attendait plus que les phases de test. Il devrait attendre d’être de retour aux Etats-Unis pour confirmer ses hypothèses.
Par simple caprice, Scorpius avait choisi de conserver son appartement à Londres. Maya n’y vivait plus, et chaque jour lui rappelait son absence, mais… le jeune homme préférait infiniment garder un pied-à-terre dans son pays natal plutôt que de s’installer pour de bon aux Etats-Unis. Le pays des Yankee était tout simplement trop moderne pour lui. Trop colossal, trop titanesque, trop… trop. Il lui manquait une âme. La vieille âme de l’Angleterre, avec son passé, ses poètes, sa magie ancestrale. Même la pluie de Londres lui plaisait. Oui, Scorpius transplanait chaque soir pour dormir chez lui de l’autre côté de l’Atlantique, et cela lui donnait la sensation de rester proche de ses amis et de sa famille.
Scorpius embarqua dans le train et laissa son regard dériver tandis que les stations défilaient. A Liverpool Street, une chevelure rousse attira son attention et soudain, il se figea.
Rose le vit instantanément. Elle faillit rester coincée entre les portes tant le choc la saisit sur place. Mais le wagon finit par se refermer sur eux, et alors, l’espace de quelques secondes absurdes, tous deux restèrent immobiles sans bouger, debout de part et d’autre de l’habitacle.
Scorpius se répétait dans sa tête : « C’est impossible ! ». Et en esprit, il pensait à son père. Son père et Hermione, qui s’étaient retrouvés dans une rame de métro, plus de vingt ans auparavant.
Timidement, Rose finit par approcher :
- Salut, dit-elle.
- Salut, répondit-il par réflexe.
Il n’arrivait toujours pas à y croire. Depuis trois mois qu’il avait rompu avec Maya, il avait attendu une occasion comme celle-ci. Qu’un dîner de famille, une sortie avec Albus, ou n’importe quel autre prétexte, les amène à se retrouver naturellement. Mais jamais il n’aurait cru que l’univers puisse se montrer aussi joueur.
Avec un sourire pour lui-même, Scorpius contempla les traits de Rose qui s’étaient tant affinés avec les années, la rendant à la fois plus posée, plus belle et plus sage. Ses cheveux toujours longs soulignaient sa silhouette délicate. Ses grands yeux sombres étaient levés sur lui, intenses, avec cette espèce de volonté farouche qui semblait vouloir percer tous ses secrets, sans y parvenir.
- Qu’est-ce que tu fais ici ? lui demanda-t-elle avec un sourire.
Elle semblait aussi surprise que lui, mais plus douée pour le contenir. Sans doute parce que lui avait appréhendé de la voir des semaines durant, alors qu’elle avait dû cesser d’attendre…
Calmement, Scorpius lui expliqua les raisons de sa présence dans le métro. En retour, elle lui raconta comment elle était censée retrouver ses élèves du cours d’escalade dans un parc non loin de Buckingham Palace. C’était les vacances scolaires, et ils organisaient un grand goûter pour fêter cela.
Décontenancé, encore perdu et totalement bouleversé, Scorpius voyait les stations défiler avec cette certitude déchirante de devoir la quitter bientôt, d’abandonner ce fragment de hasard et d’étrange qui les avait fait se retrouver, telles deux âmes en peine dans le métro de Londres.
Avec une bravoure qui lui faisait honneur, Rose finit par lui demander ce qu’il n’osait lui dire :
- Comment va Maya ?
Scorpius se passa la langue sur les lèvres, mais n’évita pas son regard. Il avait toujours beaucoup trop respecté Rose pour éviter son regard.
- Elle vit à Genève, répondit-il enfin. Nous avons rompu il y a quelques mois.
Rose le dévisagea, surprise. Scorpius vit arriver l’avant-dernière station avant qu’ils ne se séparent :
- Ecoute, dit-il alors rapidement. Je vais devoir y aller. Mais j’ai été… heureux de te revoir. On devrait faire ça plus souvent.
- Oui…, acquiesça-t-elle, indécise.
- Demain soir ? demanda-t-il.
Rose sembla réfléchir, prise de cours, et les portes s’ouvrirent sur la station Euston Square :
- D’accord, demain soir ! lança-t-elle.
Scorpius sortit. Par les battants entrouverts, il l’aperçut encore quelques secondes, tout juste le temps de lui crier :
- Je t’écrirai !
XXX
Rose reçut la lettre de Scorpius le lendemain. Elle était brève, mais toujours de cette écriture déliée qu’elle avait toujours admirée. En la recevant, Rose n’avait pu empêcher son cœur de battre plus vite. Tout comme il avait battu plus vite lorsque Scorpius lui avait dit s’être séparé de Maya. Rose s’en était voulue, bien sûr. Elle n’avait jamais souhaité leur malheur. Mais elle se disait que maintenant, peut-être, après tout ce temps… Leur chance était enfin venue.
Scorpius lui avait donné rendez-vous dans un quartier proche de l’observatoire. Le soir venu, ils allèrent simplement dîner, afin de pouvoir se parler comme ils avaient voulu le faire depuis presque une année entière. Ils parlèrent de Valeria, de la NASA, de Mars, des études de Rose, d’escalade, et de tous les voyages qu’elle avait faits. Ils parlèrent de l’Everest et de la sensation que l’on éprouve lorsque l’on se retrouve sur le toit du monde. Bientôt, Scorpius viserait encore plus haut.
Lorsqu’ils ne purent plus rien avaler, ils sortirent simplement pour se promener à la faveur des étoiles, le long de la Tamise. Scorpius parla de Paris et d’à quel point le charme de la capitale française supplantait la capitale anglaise. Ils rirent aux éclats en se moquant des Américains, et Scorpius raconta comment le University College lui manquait, parfois. Ils parlèrent un peu de Maya. Mais pas des raisons qui les avaient séparés. Il était encore trop tôt pour cela.
Le lendemain, Rose osa prendre son papier à lettre et écrire à côté de l’adresse d’un petit café : « 17h ? ». Scorpius transplana à l’heure dite. Ils se retrouvèrent à nouveau pour parler comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis des années. Et, à bien des aspects, c’était le cas.
Au fur et à mesure, Scorpius et Rose prirent l’habitude de se voir plusieurs fois par semaine. Au début, ils ne faisaient que manger et discuter. Rattraper tout ce temps qu’ils avaient perdu, si éloignés l’un de l’autre. Et puis, petit à petit, ils osèrent planifier des sorties. Ils allèrent à l’observatoire contempler les étoiles d’un peu plus près. Ils s’improvisèrent critiques de cinéma, et allèrent également assister à plusieurs pièces d’Albus, sans l’avertir. Ils allèrent ensemble faire du shopping lorsque la petite Valeria fêta son premier anniversaire. Les nombreuses expositions et musées de Londres n’eurent plus de secrets pour eux. Bientôt, tous deux ravivèrent au détour de leurs conversations des échanges qu’ils avaient eus étant plus jeunes, sur leurs goûts et sur l’art, sur ce qui les touchait et les passionnait dans la vie.
Lentement, ils s’ouvraient l’un à l’autre. Un observateur extérieur aurait pu dire qu’ils se tournaient autour comme deux animaux blessés. Désireux de s’approcher, de se toucher, encore un peu plus près, mais… Terrifiés par ce qu’ils ressentaient. Par les morsures qu’ils s’étaient infligés. Par l’idée de perdre à nouveau ce qu’ils pourraient reconstruire…
Oui, Scorpius et Rose avaient conscience de s’apprivoiser l’un l’autre, de se redécouvrir l’un l’autre, avec une infinie douceur, une patience que n’importe qui d’autre aurait trouvé lassante, mais qui leur convenait parfaitement. Ils devaient apprendre à être amis, avant d’être amants. Savoir s’ils pouvaient encore s’aimer. Si la personne qui se tenait en face d’eux n’était pas devenue un parfait étranger…
En l’occurrence, Scorpius découvrit Rose comme il ne l’avait encore jamais connue. Elle n’était plus une adolescente, et lui non plus : là résidait toute la différence. Il pouvait la voir avec la richesse et la subtilité d’un adulte. Il pouvait lire les changements qui s’étaient opérés en elle, et prendre suffisamment de recul pour juger ce que cela lui inspirait.
Au bout de plusieurs mois de leur petit manège, il fut forcé de l’admettre : il était subjugué. Pas comme l’enfant de onze ans terrassé par un coup de foudre sur le quai d’une gare. Mais subjugué par une admiration réelle, concrète, vécue, passée au filtre de l’expérience et de l’estime de soi. Scorpius regardait Rose, et il ne voyait plus la seule ancre susceptible de lui donner goût à la vie sur Terre : il la voyait elle, pour ce qu’elle était vraiment, et non pour ce qu’elle pouvait lui apporter. Il l’aimait parce qu’elle était merveilleuse, et pas parce qu’il avait besoin d’elle. Il l’aimait parce qu’elle avait su rester passionnée, mélancolique, lyrique, rêveuse, déterminée et farouche, mais aussi parce qu’elle était devenue plus mesurée, réfléchie, plus forte, et parce que dans son regard, elle n’exprimait que le potentiel qu’ils pouvaient réaliser ensemble.
Rose, quant à elle, tremblait en elle-même. Scorpius était devenu plus intimidant, plus grave, plus sombre. Les sourires s’attardaient moins sur son visage doux. L’âge adulte lui avait apporté encore davantage de profondeur si c’était possible, à tel point que parfois, Rose avait le vertige à l’idée de s’y perdre, de découvrir toutes les dimensions de cet être étrange dont elle s’était éloignée pendant si longtemps, au point peut-être de ne plus jamais pouvoir le rattraper…
Mais Scorpius avait vite dissipé cette impression. Au détour de leurs conversations, Rose avait retrouvé cette complicité étrange qui les avait unis, à Poudlard tout en haut de la tour d’Astronomie. Cette réserve d’inspiration bouillonnante qui l’avait fascinée et subjuguée, tel un papillon à la lueur d’une flamme. Par moments, Rose regardait Scorpius, et elle réalisait à quel point elle était heureuse de se trouver avec lui, ici à cet instant même, et à quel point il lui avait manqué, et son cœur se serrait presque jusqu’à éclater.
Elle s’en était sortie seule pendant si longtemps… Depuis son retour à Londres, elle avait tenté de reconstruire sa vie comme Scorpius avait reconstruit la sienne. Elle avait noué quelques relations, qui n’avaient jamais duré plus de quelques mois. Au bout d’un moment, Rose avait fini par se dire que peut-être, elle n’était pas faite pour aimer. C’était toujours elle qui partait. Toujours elle qui finissait par manquer d’air et par dire « Stop ». Mais avec Scorpius… Elle se sentait respirer. Enfin. Elle se sentait plus vivante qu’elle ne l’avait jamais été. Même si elle était capable de s’en sortir seule, Scorpius était le seul à lui inspirer ces sentiments, à lui donner la sensation de vivre, et plus seulement de survivre.
Un soir, Scorpius refusa de lui dire où il l’emmenait. Il saisit sa main et la fit transplaner dans le noir. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, Rose se retrouva à Poudlard, tout en haut de la tour d’Astronomie :
- Comment as-tu fait ça ? s’exclama-t-elle, émerveillée.
- Apparemment, ça compte d’avoir des Potter parmi ses relations, sourit-il.
Elle resta sans voix quelques instants, absorbée par le panorama qui s’étendait sous leurs pieds. Le souvenir de leurs plus belles conversations lui revint brusquement en mémoire, des années après. Les larmes aux yeux, Rose se rendit compte qu’aujourd’hui, ils s’étaient forgés de nouveaux souvenirs, aussi beaux et éclatants que ceux de leur adolescence. Et qu’ils pouvaient s’en créer de nouveaux tous les jours, jour après jour, si tel était leur souhait.
Scorpius vint s’accouder à côté d’elle. Il ne contemplait pas le ciel : il la regardait elle, de ces yeux vert pâle que Rose avait toujours adorés. Lorsqu’il posa sa main sur la sienne, il ne tremblait pas :
- Je t’aime, dit-il alors doucement. Je t’aime plus que je ne t’ai jamais aimée… Et je refuse de perdre une seconde de plus sans toi.
Alors, Rose ne put retenir un sanglot. Elle sourit entre ses larmes, et murmura :
- Tu ne peux pas savoir depuis combien de temps j’attends ce moment…
Tous deux savaient que c’était de bonne guerre. Ils avaient passé tant de temps à s’attendre…
- Je suis désolée…, balbutia encore Rose, rattrapée par ses regrets, mais Scorpius saisit son visage entre ses mains et la fit taire d’un baiser.
Cette nuit-là, Scorpius et Rose s’embrassèrent sous le ciel clair, comme ils l’avaient fait pour la toute première fois, à dix-sept ans, presque dix ans plus tôt. A l’époque, ils n’étaient que des enfants, qui ignoraient tout de l’amour.
A présent, ils savaient.
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