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A Coeurs Perdus : 2e Génération
Par Natalea
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Saint-Valentin

Un chapitre plutôt de transition cette fois, parce que j'adore vous faire patienter =)

Bonne lecture !

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Rose ne pensait pas que sa résolution serait si difficile à tenir. Elle ne pensait pas, en fait, qu’en écartant délibérément Scorpius de sa vie, elle aurait la sensation de s’amputer d’une partie d’elle-même. Pourtant, c’était ce qu’elle ressentait.

Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis cette fameuse nuit où Scorpius et elle s’étaient avoués qu’ils s’aimaient. Plusieurs semaines où Rose avait perçu, avec inquiétude, une pointe lancinante de douleur se former juste au-dessus de son cœur, et grossir jusqu’à devenir une partie intégrante de son corps. Elle éprouvait une véritable douleur physique, aussi concrète qu’une plaie à vif, et qui ne s’apaisait jamais.

La nuit, lorsqu’elle gisait étendue dans son lit, un chassé-croisé d’émotions contraires lui traversait l’esprit, à tel point qu’elle demeurait éveillée jusqu’à l’aube. Elle était convaincue d’avoir pris la bonne décision. Ou plutôt, à défaut de bonne décision, la seule qui était possible à ses yeux. De plus, elle avait de l’expérience lorsqu’il s’agissait de faire abstraction de ses sentiments. L’enfance de Rose lui avait appris à se couper de tout lien émotionnel, à endurer la séparation d’avec un proche lorsque tous les opposaient. Avec sa mère, par exemple, elle avait souffert intérieurement des déchirements qui les divisaient. Elle avait su, à chaque dispute, que chaque parole sortie de sa bouche les éloignerait un peu plus. Mais elle les avait prononcées quand même. Elle était allée jusqu’au bout, parce que ce qu’elle défendait valait plus que ce qu’elle désirait. Pour Scorpius, cela aurait dû être la même chose. Et pourtant, non.

Le plus terrible, avec Scorpius, c’était à quel point il lui manquait. Ron avait eu raison de dire qu’après avoir connu une telle flamme, tout semblait terne et sans goût. Loin de Scorpius, privée de leurs conversations qui étaient devenues l’équivalent d’une drogue, pour elle, Rose tremblait dans le froid. Elle n’arrivait pas à se détacher de cette solitude intérieure qui lui était maintenant devenue insupportable. Elle ne supportait plus d’être seule en elle-même. Elle n’avait été seule que bien trop longtemps. C’était comme si sa propre existence ne lui suffisait plus. Elle était devenue la moitié d’un tout qu’elle avait refusé d’atteindre. Quelle folie…

D’un autre côté, Rose n’avait rien perdu de sa détermination. Elle savait qu’elle pouvait compter sur cet aspect-là d’elle-même. Elle se disait qu’en insistant suffisamment longtemps, qu’en se le répétant suffisamment fort, elle maintiendrait le masque en place et qu’un jour, il cesserait de glisser. Un jour, la douleur s’en irait. Ou alors, elle s’y habituerait. Le vide, le manque. Elle avait déjà tellement pris sur elle… Elle pouvait bien en supporter encore un peu plus.

Mais voilà, la souffrance qu’elle éprouvait n’avait rien à voir avec tout ce qu’elle avait déjà ressenti. C’était un sentiment étranger, dérangeant, particulièrement persistant. Il créait un décalage en elle-même qui accrochait son attention, ses pensées, l’empêchait de s’en détourner. Rose avait la sensation de se tenir au bord d’un grand précipice, le sol ondulant sous ses pieds, requérant toute sa concentration pour ne pas basculer… Elle était malheureuse, tout simplement. Et furieuse de sa faiblesse. Et terrifiée, car cette influence pernicieuse ne cessait d’empirer au lieu de décroître. Combien de temps pourrait-elle encore s’infliger cela à elle-même ? Cela semblait complètement délirant… Mais une fois encore, Rose avait l’habitude de ne pas prendre ses désirs en compte. Non, le pire restait Scorpius…

Car ce qu’elle s’infligeait à elle-même, Rose avait conscience de le lui infliger à lui aussi. Et cette pensée, celle-là au-dessus de toutes les autres, lui était insupportable.

Une semaine après leur déclaration, tous deux avaient été forcés de se retrouver pour leur cours commun d’Astronomie. Scorpius n’avait rien dit, du moins rien qui ne sorte du cadre de leur travail. Son visage n’avait affiché ni tristesse, ni reproche, ni colère, rien de très perceptible, en vérité. Mais Rose savait le comprendre à présent. Elle savait que Scorpius était aussi doué qu’elle au petit jeu de la dissimulation. Et elle savait que s’il cachait ses émotions, en sa présence, c’était pour ne pas la blesser. Pour qu’elle ne se sente pas coupable. Evidemment, cela avait produit exactement l’effet inverse. Rose commençait tout juste à prendre la mesure des tourments qu’elle lui avait infligés, pas seulement cette année, mais aussi durant toutes celles qui avaient précédées. Et ces aveux, cet éloignement, c’était pire que tout. Que Scorpius cherche encore à ménager ses sentiments en dépit des siens ne faisait que lui souligner sa propre cruauté. C’était elle qui ne le méritait pas…

Elle était la cause de ses souffrances. Et elle ne pouvait rien y faire. Cela la rendait folle d’impuissance. Jamais elle n’aurait cru possible qu’elle puisse volontairement blesser Scorpius, le laisser souffrir juste sous ses yeux… Mais quel choix avait-elle ?

Au moment de se séparer, il ne lui avait posé qu’une question :

- On ne pourrait pas juste être amis ? lui avait-il demandé.

Rose avait réfléchi quelques secondes, puis, avec toute la douceur possible, et les regrets qu’elle ressentait, elle avait répondu :

- Peut-être un jour, oui. Mais pas tout de suite.

Et il l’avait laissée partir sans la quitter du regard. L’espace d’une seconde, Rose s’était surprise à se trouver déçue qu’il n’insiste pas plus. Qu’il ne se batte pas plus, pour elle. Et puis elle s’était trouvée horrible de raisonner ainsi, horrible de ne pas savoir ce qu’elle voulait, et elle avait fondu en larmes dès qu’elle s’était retrouvée seule.

Une autre preuve que sa détermination ne semblait pas aussi résolue qu’elle aurait dû l’être lui avait été apportée par Emily, quelques jours plus tard. Rose faisait bien évidemment tout son possible pour paraître égale à elle-même au quotidien. Mais la jeune fille brune avait dû voir clair en elle, car un soir, devant la cheminée de leur salle commune, elle lui avait demandé :

- Quelque chose ne va pas, Rose ? Tu as l’air préoccupée ces derniers temps.

Rose avait adopté son masque de réserve :

- Non, tout va bien, avait-elle répondu. Je suis peut-être un peu stressée par les examens, c’est tout.

Emily l’avait observée pendant de longues secondes, comme ce jour où elle lui avait rapporté la rumeur sur Scorpius et Lily, comme si elle hésitait à prendre la parole.

- Ecoute, Rose, avait-elle dit finalement. Je suis désolée si je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais… Il me semble assez évident que vous vous appréciez bien, Scorpius et toi.

Rose avait relevé les yeux sur elle, avec suffisamment de sévérité, espérait-elle, pour la faire taire. Mais Emily n’était pas du genre à se laisser intimider. Surtout pas par elle :

- Je sais que je me suis montrée stupide au début de l’année, avait-elle soudain déclaré. Vraiment. J’ai cru que Scorpius aimait Lily, alors qu’il était évident que… C’était toi, Rose. Ça a toujours été toi. Je peux remercier Albus pour m’avoir ouvert les yeux…

Rose avait roulé des yeux :

- Par pitié, ne mêle pas Albus à tout ça…

- Peu importe. Scorpius est amoureux de toi, Rose ! Et il ne t’est pas indifférent, je le sais aussi, ne prétends pas le contraire !

- Je n’ai jamais prétendu le contraire.

Cette remarque avait eu le mérite de couper Emily, seulement pendant quelques secondes :

- C’est pas vrai, Rose…, s’était-elle exclamé. Je sais très bien ce qui doit se passer dans ta petite tête d’obstinée.

- Ah oui ? Je serais curieuse de l’entendre.

- Tu t’inquiètes à cause de ton père.

Rose n’avait pas répondu. Malgré tout, Emily avait continué :

- Tu te dis qu’il le vivrait très mal si sa fille sortait avec un Malefoy, après ce qu’il a vécu avec ta mère. C’est pour ça que tu as pris tes distances avec Scorpius depuis quelques temps, je me trompe ? Il s’est passé quelque chose ?

Rose avait soupiré. Après tout, peut-être qu’elle pouvait lui en parler… Peut-être qu’en en parlant, le poids de ces évènements s’envolerait…

- Scorpius m’a embrassée, avait-elle alors avoué. Et il m’a dit qu’il m’aimait.

- Rose !

Emily avait semblé sincèrement surprise, et en même temps, stupidement heureuse, et inquiète. Un mélange plutôt intéressant.

- Et alors… ? Qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Rose avait secoué la tête, les joues rouges tout à coup. Elle ne s’était pas attendue à se sentir aussi gênée. Et une fois encore, elle s’était traitée d’idiote :

- Je lui ai dit que je l’aimais moi aussi, avait-elle dit très vite. Mais qu’on ne pouvait pas être ensemble.

- Mais enfin, pourquoi ?

- Exactement pour les raisons que tu viens d’énoncer.

Emily n’avait pas caché sa consternation. Elle avait pris une grande inspiration, mais n’était pas parvenue à juguler son caractère cavalier :

- Rose, avait-elle enfin repris, doucement mais fermement, du ton d’une mère envers son enfant désobéissante. Je comprends, crois-moi. Et ton abnégation est toute à ton honneur. Mais… tu ne peux pas toujours vivre en pensant à ton père. Tu lui as déjà tellement sacrifié, pendant toutes ces années… Tu ne crois pas que tu as le droit d’être heureuse, toi aussi ? Tu ne crois pas que c’est ce que ton père devrait ressentir, si tu lui disais être amoureuse de Scorpius ? Qu’il devrait vouloir ton bonheur avant tout ? Surtout que Scorpius n’a rien fait de mal ! Il n’a pas choisi son nom de famille.

Rose avait secoué la tête, blessée par ces paroles qui matérialisaient ses espoirs les plus douloureux :

- Mon père a trop souffert pour rationnaliser de cette façon, avait-elle dit. Pour prendre le recul nécessaire… Il le vivra comme une trahison, et dans son état… Je ne peux pas le laisser tomber. Il est tout juste en train de se remettre. Je vais devoir être là pour lui. Ce qu’il vit est infiniment plus grave que mes caprices d’adolescente.

Emily lui avait jeté un regard désespéré, rattrapée par la gravité de l’expression de son amie, par les nœuds qui enchevêtraient sa vie. Et au final, elle n’avait pas insisté.

C’était sans compter sur Albus, évidemment. Quelques jours à peine après la tentative d’Emily, son diabolique de cousin avait coincé Rose à la sortie d’un cours de Métamorphoses, et l’avait entraînée avec lui dans une salle de classe vide. Là, il l’avait prise à partie, mais à la différence d’Emily, il n’avait pas réfréné sa colère :

- Non, mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? s’était-il exclamé sans le moindre préambule. Tu as conscience de l’état dans lequel se trouve Scorpius à cause de toi ? Tu sais qu’il ne dort pratiquement plus, et que je dois le surveiller à chaque fois que je le vois s’approcher d’une fenêtre ?

- Albus…

- Non ! J’en ai par-dessus la tête de ramasser tes conneries. Avant tu ne comprenais rien à rien, et ce n’était pas vraiment ta faute, je te l’accorde. Mais maintenant, tu sais ce qu’il ressent pour toi ! Tu le sais, il me l’a dit !

- Je ne voulais pas lui faire du mal, je te l’assure… C’est la dernière chose que je veux…

- Alors pourquoi est-ce que tu lui as dit que tu l’aimais ?

Cette dernière question avait paralysée Rose. Mais déjà, Albus continuait, impitoyable, fou de rage :

- Si tu savais que tu allais le rejeter, pourquoi tu lui as dit que tu l’aimais ? Hein ? Qu’est-ce que tu croyais qu’il allait se passer ? Comment croyais-tu qu’il le prendrait ?

- Je n’ai pas réfléchi, je… C’était la vérité, je l’aime ! Que voulais-tu que je fasse, que je lui mente ?

- Oui ! Oui, nom de Dieu, oui ! Si tu comptais lui dire que vous ne pourriez jamais être ensemble, autant tuer ses espoirs dans l’œuf une bonne fois pour toutes ! Si tu étais trop lâche pour essayer d’avoir une relation avec lui, tu aurais au moins dû lui rendre sa liberté, sa dignité, lui permettre de rester ton ami, pour l’amour du ciel !

- Je ne suis pas lâche ! s’était écriée Rose, que ces reproches en cascade bouleversaient elle aussi. Tu crois que c’est facile pour moi ? Tu crois que j’ai rejeté Scorpius par plaisir ? Je n’ai pas peur d’une relation avec lui : je ne peux pas être avec lui. Tu as pensé à mon père une seconde ? Tu as la moindre idée de ce que cela pourrait lui faire ?

Albus avait sifflé entre ses dents, comme si cette seule idée lui semblait négligeable :

- Ton père est un adulte, avait-il simplement déclaré.

Puis, après quelques instants de silence :

- Je comprends ton dilemme, avait-il concédé. Je n’y suis pas insensible, crois-moi. Mais ton aveuglement, ton obstination me sidèrent… Tu ne connais pas Scorpius.

- Si, je pense que…

- Non, tu ne le connais pas comme ça. Pas comme moi. Tu ne réalises pas le mal que tu lui as fait, et que tu continues à lui faire…

Il s’était interrompu, furieux contre lui-même :

- Je ne dis pas ça pour t’accuser. Ou peut-être que si, je n’en sais rien… Jusqu’à cette année, j’avais toujours pensé que Scorpius perdait son temps avec toi, et j’avais peur pour lui, mais… Maintenant que tu me dis que tu ressens la même chose… Ҫa me met en rage que tu trouves encore le moyen de tout faire foirer. Et il ne se battra pas pour toi, tu sais. Si c’est ce que tu penses, tu peux laisser tomber cette idée tout de suite. Ce n’est pas l’envie ou le courage qui lui manquent, c’est juste que… Il s’imagine te connaître, lui aussi. Et tu sais ce qu’il pense, Rose ? Il pense que quand tu as pris une décision, il est impossible de te faire revenir dessus. Il pense que tu as moralement raison, et qu’il n’a pas le droit de te demander de trahir tes principes… Vraiment, s’il y a bien quelqu’un d’intègre ici, c’est Scorpius, pas toi.

Rose n’avait rien trouvé à lui répondre. La sincérité d’Albus la terrifiait purement et simplement. L’intensité de ses émotions… Jamais elle n’aurait cru qu’Albus puisse s’attacher aussi loyalement à quelqu’un.

- Tu comprends, Rose, avait repris son cousin avec une gravité qui ne lui était pas familière. Scorpius a toujours eu une assez mauvaise estime de lui-même. Est-ce que tu sais pourquoi ?

- Non, avait fait Rose silencieusement.

- Parce que pendant toute son adolescence, il a vu la fille qu’il aimait le mépriser. Et il pensait qu’elle avait raison de le faire. Tu comprends, Rose ? Scorpius s’est toujours positionné en fonction de l’estime que tu avais pour lui. Tu es celle qu’il a choisie comme repère, dans sa vie, et… il n’a plus aucun amour-propre aujourd’hui. Il réagit comme… comme Pluton, et tu es son putain de Soleil. Il pense qu’il ne mérite pas de te tourner autour, il ne mérite pas ta lumière, même à des milliards de kilomètres…

Rose avait secoué la tête, laissant échapper ses larmes :

- Je n’ai jamais voulu ça, avait-elle répondu. Je pensais avoir corrigé mes erreurs envers lui cette année, mais il a fallu qu’on se conduise comme des enfants…

Albus l’avait interrompue, furieux de la voir retomber dans un discours d’auto-flagellation :

- Tu sais, quand je t’ai parlé de Scorpius et Lily, en haut de la tour d’Astronomie, avait-il dit, plus sérieux que jamais. Je t’ai dit qu’en moi-même, je savais que Scorpius n’aurait jamais fait ce qu’il disait avoir fait. Je le savais. Jamais. Tu sais pourquoi ?

Une fois encore, Rose avait fait non de la tête. Mais elle avait peur de la réponse. Alors, Albus avait dit :

- Parce que c’est toi qu’il aimait. C’est toi, qu’il a toujours aimée. Il me l’avait dit. Il n’en parlait pratiquement jamais, mais je savais ce que ça signifiait pour lui. Tu devrais le savoir, toi aussi. Scorpius ne s’attache pas facilement aux gens. Mais toi… Ҫa a toujours été toi. Va savoir pourquoi…

Il avait repris, haussant les épaules :

- Ne te méprends pas. Je pense que tu pourrais être une fille géniale. Mais pas tant que tu continueras à te couper de tout ce qui te touche d’un peu trop près. Au stade où tu en es en ce moment… Tu ne le mérites pas.

Et Albus l’avait abandonnée là, tremblante de colère et de chagrin, plus coupable que jamais. Elle lui en avait voulu, pendant des semaines. Que s’imaginait-il, au juste ? Qu’elle ne se sentait pas déjà suffisamment affreuse comme cela ?

Mais en elle-même, elle savait ce qu’Albus avait cherché à faire : la faire réagir, et malgré le poids qu’il avait ajouté sur ses épaules, elle avait tenu bon.  

Elle aurait peut-être pu tenir bon, si son frère n’était pas venu lui apporter le coup de grâce. Plus d’un mois s’était écoulé depuis la déclaration de Scorpius. C’était le 14 février, et Rose luttait contre une furieuse envie de s’enfermer dans son baldaquin avec un pot de crème glacée. A défaut, elle travaillait d’arrache-pied, et son frère était venu la trouver à l’une des tables de la bibliothèque, pratiquement déserte à cette heure tardive. Presque tous les élèves étaient déjà descendus dîner. Hugo s’était assis et dans un premier temps, il n’avait rien dit, se contentant de la regarder écrire jusqu’à ce qu’elle lève les yeux sur lui.

Rose lui avait trouvé l’air soucieux. Elle n’échangeait pas souvent avec son frère, du fait qu’ils n’étaient ni dans la même année, ni dans la même maison, mais elle avait toujours eu la sensation qu’ils étaient liés par une proximité implicite. Une confiance par laquelle ils pouvaient tout se dire, se réconforter, voire même se comprendre par un simple regard. Ce soir-là cependant, elle ne le comprenait pas. Elle ne s’attendait même pas à ce qu’il lui parle de Scorpius, en fait, jusqu’à ce qu’il ouvre la bouche :

- Tu ne devrais pas rejeter Scorpius, lui avait-il dit simplement.

Rose avait senti son sang bouillir dans ses veines. Assez !

- Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! s’était-elle écriée, s’attirant les foudres de Mme Pince. Et puis d’abord, comment tu sais pour Scorpius ?

- Franchement, il n’y avait que toi pour ne pas t’en rendre compte, avait-il contré, ironique.

Rose s’était trouvée stupéfaite de ne pas savoir quoi lui répondre. Alors, il avait continué :

- Scorpius est quelqu’un de bien. Il t’aime, et tu l’aimes toi aussi. Il ne mérite pas d’être traité comme tu le traites.

En temps normal, Rose aurait été scandalisée par son aplomb, mais il y avait quelque chose, justement, dans les traits et la voix de son frère, quelque chose de grave qu’elle n’avait encore jamais vu auparavant. Hugo paraissait beaucoup plus âgé que ses quinze ans, tout à coup… Et cela l’inquiétait. Il y avait une tristesse derrière son sérieux qu’elle ne s’expliquait pas.

- Tu as pensé à papa ? avait-elle simplement répondu. A ce que ça lui ferait si…

- J’emmerde papa !

Hugo avait crié, le visage rouge, les traits contractés, puis il avait poursuivi dans un murmure fou furieux :

- C’est quand la dernière fois que papa a pensé à nous ? Qu’il a fait quelque chose pour nous ? Hein ? Dis-le moi ! Il n’en a rien à foutre de nous ! Il ne s’en préoccupe pas, autrement, il se serait sorti le cul de son lit d’hôpital depuis longtemps, et à l’heure qu’il est, il aurait refait sa vie, au lieu de gâcher la nôtre ! 

- Hugo, tu ne devrais pas parler comme ça…

- Mais c’est ce que je pense ! Et je ne comprends pas que tu ne ressentes pas ça, toi aussi ! C’est lui l’adulte, bordel de merde ! Tu es sa fille ! Laisse-toi vivre, arrête de le laisser dicter ta conduite, tu ne lui rends pas service en faisant ça !

Rose avait secoué la tête, au bord des larmes.

- Tu te fais souffrir pour rien, et Scorpius aussi, avait conclu Hugo en faisant mine de se relever.

Mais Rose avait contré avec la seule arme qu’il lui restait :

- Tu peux me dire en quoi ça te regarde, exactement ? avait-elle demandé.

Hugo avait stoppé son geste. Ses mains avaient tremblé, l’espace d’une seconde. Alors, il s’était mis bien en face de Rose, et il avait déclaré :

- Ça me regarde, parce que tu es stupide, bornée et égoïste. Tu n’as pas idée de ce que certains donneraient pour être à ta place. De ce que je donnerais… pour être à ta place.  

Rose était demeurée figée. Incertaine de ce que son frère tentait de lui faire comprendre. Hugo n’avait pas laissé place au doute :

- Scorpius est quelqu’un de formidable, Rose, avait-il dit d’un air à la fois résigné et très digne. Mais moi, je n’ai aucun espoir. Tu comprends ? Aucun. C’est comme ça. Ce n’est la faute de personne. Toi, tu en as un. Tu as une chance. Scorpius t’aime, tu as la chance d’avoir son amour, et toi tu… Tu lui craches dessus. Franchement, si tu n’étais pas ma sœur, je ne sais pas ce qui me retiendrait de t’étrangler…

- Hugo…

Rose était bouleversée, à cours de mots :

- Tu lui en as parlé ? Est-ce qu’il le sait ?

- Evidemment qu’il le sait, avait répondu Hugo en évitant son regard. Je n’ai même pas eu besoin de le lui dire.

- Et…

- Et quoi ? Que veux-tu qu’il y fasse ? A part être toujours aussi… correct, parfait, et trop poli pour me prendre en pitié ? Trop poli pour changer son attitude vis-à-vis de moi ?

- Hugo, je… Je ne sais pas quoi dire. Tu en avais déjà parlé à quelqu’un avant ?

- Non. Tu es la seule. Alors tu dois comprendre, je suppose, ce que ça représente pour moi… De te dire tout ça.

Hugo avait secoué la tête, cherchant ses mots, gêné. Il s’était relevé tout à coup et avait déclaré simplement :

- Si tu comprends, alors par respect pour moi, par égard pour ce que je ressens, ne lui tourne pas le dos. Tu es ma sœur. Scorpius mérite d’être heureux, et toi aussi. Réfléchis-y.

Puis il s’était retourné, mais Rose l’avait retenu :

- Hugo ! Attends ! Si tu as besoin d’en parler…

- Je sais. Merci.

Et il était parti sans lui dire un mot de plus.

Cette dernière confrontation avait bouleversé Rose. Ebranlé une fois de plus la vision qu’elle croyait avoir de sa vie, et de sa famille. Comment avait-elle pu être aussi aveugle ? Aussi stupide ? A la culpabilité qu’elle ressentait à l’égard de Scorpius s’ajoutait à présent la culpabilité à l’égard de son frère. Elle n’osait imaginer ce qu’Hugo avait éprouvé dans l’ombre pendant si longtemps… Ce que cela avait dû lui coûter de lui en parler, à elle, sa sœur et celle que Scorpius aimait, pour le remettre entre ses mains…

En ce 14 février au soir, Rose était définitivement perdue. Toutes ses chances de maintenir sa façade intacte s’étaient envolées sous la pression de son entourage. Elle ne s’était jamais sentie aussi seule, indécise et coupable. Elle ne savait plus quoi faire.

Jusqu’à minuit, étendue dans son lit, elle attendit sans trop savoir pourquoi un signe de Scorpius. Mais, comme Albus le lui avait prédit, il ne se manifesta pas.  

 

 
 
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