Chapitre 12 : Arlesquino de Skipiéa .

- Hey Franz ! Réveilles toi ! Franz ...

J'ouvris un œil , puis deux pour enfin me lever d'un coup pour me recoucher aussitôt . Mais mal de crâne j'avais ... Pire qu'une cuite ! Que s'était il passé déjà ? Ah oui ... on s'était élevé à près de 10000 kilomètres du sol . Je me massai alors la nuque avant de prendre le verre d'eau et la pilule qu'Emiliae me tendit . Apparemment , c'était censé faire disparaitre mon mal de crane .

Après quelques minutes , je me sentis mieux au grand soulagement de celle ci . Nous étions dans une pièce moyenne en bois pleine de trous ça et là , mais soutenu et solidifié par des piliers de verre et caché par des feuilles . Les meubles semblaient eux aussi en bois . C'est en gros une cabane miteuse qui tenait sur pieds par l'immense grâce du destin . Il y avait cependant à l'un des angles un sac qui contenait de nombreux objets en fer ... Bizarre .

- Au fait ... Où est ce qu'il est ce type ?

- Il s'appelle Arles . Fit alors Emiliae . Et ici c'est sa planque .

- Ah ... Et il est où ? Demandais je de nouveau .

- Il a dit qu'il allait nous ramener de quoi manger ...

C'est alors qu'on le vit arriver ...

- Enfin réveillé ? Me fit Arles tandis qu'il revenait avec un sac regorgeant de poissons .

Je le vis ensuite créer une planche de verre sur laquelle il prépara la nourriture . Je fronçais les sourcils . C'était la première fois que je voyais des poissons aux couleurs aussi chatoyantes … Pour répondre à ma question il fit simplement :

- Poissons de la mer blanche .

Il fit alors un feu dans une espèce de trou en verre et fit cuire les poissons dedans . Au bout d'un moment , il en prit un et nous l'imitâmes . Ils étaient peut-être bizarres , mais sacrément bons . J'en repris volontiers , d'autant plus que mon dernier repas avait été recraché 10000 mètres plus bas … Je me mis alors à regarder Emiliae . Elle semblait joyeusement palabrer avec ce gars . Je savais que ce n'était qu'une illusion . Oui , je savais que ce comportement était loin d'être naturel chez elle , bien que je l'ai vu jouer ainsi la comédie durant deux bonnes années , même elle pouvait arriver à une limite . Le tout restait à savoir quand . Quand diable allait elle finir par craquer ? Je n'eus pas à me poser bien longtemps la question . Elle empoigna violemment son épée aiguille et la plaça sous le cou de notre charmant hôte .

- Pourquoi nous aides tu ? Ton fruit du démon aurait été suffisant pour nous tuer . Comme tu l'as fait avec ce navire qui est tombé du ciel . Alors quoi ? Tu nous épargnes parce qu'on a une bonne tête ? Expliques toi !

Je soupirai un bon coup avant de me griller une cigarette . Et voilà , je savais bien que ça finirait par arriver . Pourtant , la scène semblait bien plus silencieuse que prévu … Où étaient les hurlements , les cris d'effroi , bref tout le traintrain habituel ? Je vis avec étonnement que ces deux-là se regardaient dans le blanc de l'œil , en silence . Tous deux jaugeaient l'autre du regard . Ils affichaient un regard si inexpressif qu'il m'en glaça le sang , rien qu'un moment .

- Parce que c'est la première fois … Que je rencontre une personne aussi vide que moi .

Emiliae quitta la pièce . Il me regarda , ennuyé . Au final il me fit légèrement troublé :

- Ai-je dis quelque chose de mal ?

- S'il y a une chose à ne pas faire avec Emiliae , c'est lui dire ce genre de choses …

- Pourquoi ? Fit il alors calmement en inclinant légèrement la tête sur le coté .

- Parce qu'elle pourrait tuer pour moins que ça . répondis-je sérieusement .

- Ah …

En vérité, je n'avais répondu qu'à moitié . C'était pour éviter de la blesser . Je savais que ce type , Arles , n'avait rien fait de mal , mais … Il avait essayé de la connaitre . Et ça c'était interdit . Il ne pouvait que toucher avec les yeux , penser , réfléchir , établir , mais jamais dévoiler . Même pour moi , certains pans de la personnalité d'Emiliae restaient en suspens , mais la dernière fois que j'ai tenté quoi que ce soit à son propos , elle ne m'a plus reparlé un mois durant .

…

Je suis sortie en trombe de la cabane d'Arles . Je ne sais pas ce qui m'a retenu de le tuer . Ah oui … son minois . Il était vraiment mignon avec sa peau pale et ses yeux d'un mordoré si vide . On aurait presque cru à une poupée . Mais ce qu'il m'a dit ne m'amusa pas . De quel droit osait il me qualifier de coquille vide ? Et même si c'était le cas , en quoi ça le regardait ? C'est ma vie , pas la sienne . Je m'arrêta quelques instant afin d'observer les environs . Sa cabane se trouvait sur une immense baie qui faisait face à un nuage habité . J'avais envie d'y aller pour me changer les idées et bannir une fois pour toutes ces ennuyeuses pensées de mon cerveau .

Je me mis donc à faire le tour de la baie , jusqu'à apercevoir au loin un pont fait de nuages . Curieuse , je me permit d'emprunter ce passage pour me rendre sur l'autre rive . C'était Angel Island . Une ville où vivait les anges . La ville était toute blanche , parfaite , éthérée , comme au paradis . Et tandis que je me promenais le long des boutiques , je pus tout de suite affirmer que je n'y était pas du tout à ma place . Cet endroit semblait bien trop beau pour être vrai . Les gens étaient trop heureux , trop souriant ... A moins que ce ne soit moi qui soit trop sombre , trop désabusée pour cet endroit ... Après tout , ils vivaient bien au dessus du monde dans lequel je viens , bien au dessus des lois et des règles des hommes . C'était étrange ...

- Bonjour ... Euh ... Désolé nous sommes fermés . Fit alors la vendeuse .

Je venais d'entrer dans une boutique de fringues et j'étais certaine que celle ci était ouverte . Je fronçais les sourcils . Maintenant que j'y pensais , tout les gens que j'ai croisé dans la rue me regardait bizarrement ... Ils m'évitaient ou quoi ? Pour quelles raisons , je l'ignorais . Mais s'ils croyaient que j'allais me laisser faire , ils se trompaient lourdement . Je me servis donc de mon fruit du démon et exigea qu'on m'offre les vêtements de mon choix et de bonnes explications . Je souris enfin lorsque la vendeuse cracha le morceau .

- C'est ... C'est à cause d'Arlesquino ! Il ... Il ... C'est un démon ! Le démon de Skypiéa !

Et je ne chercha pas à la retenir lorsque je la vit s'enfuir par l'arrière boutique . Je regardai alors ma main quelques instants , celle avec laquelle cette prétendue ange m'avait touché ou que j'avais touché dans une brève retenue . Et je me mis à sourire . Apparemment , il y avait là un loup déguisé en mouton . Un démon mangeur d'ange . Arlesquino .

Finalement , il était un peu plus intéressant que je l'avais cru au prime abord ... Et cela avait de quoi me plaire .

Après quelques minutes , je sortis de la boutique vêtue de mes nouveaux vêtements . Désormais , moi aussi j'étais déguisé en ange . Et ce n'était pas si désagréable . Comme si j'avais revêtue la peau de quelqu'un d'autre ou encore que l'on ait ajusté ma vue avec des verres révélateurs de tragédie . Voir des secrets m'amusait . Surtout si c'était des cadavres planqués dans des tiroirs . C'était un passe temps comme un autre ...

Et c'est là que je le vis . Lui . Arles ou bien , Arlesquino pour s'en tenir à la réalité des choses . Je ne savais pas comment il avait réussi à arriver aussi vite mais ... Il m'attendait . Je le vit accoudé à un muret non loin , perdu dans ses pensées . Et lorsqu'il me vit venir à lui , il se redressa immédiatement sans se défaire de son sourire . Je savais qu'il était sincère . J'avais apprit depuis bien longtemps à faire la différence entre tous les sourires possibles et inimaginables . Je pourrai même finir par en écrire un livre , si je n'avais rien de plus intéressant à faire bien entendu . Et pourtant , bien que son sourire soit sincère , ses yeux restaient vides . Je me mis à soupirer . Ce type avait raison de me considérer aussi vide que lui . C'était peut être pour cela qu'il était là , à m'attendre , à espérer quelque chose de moi . Il voulait créer un lien ? Comme si j'en avais envie ... Le seul à s'accrocher à cette idée stupide était Franz . Et cette contrainte était déjà bien assez suffisante pour moi .

- Salut . Fit il alors

- Salut . Lui répondis je rayonnante . Mon expression dut le surprendre . C'est vrai que j'étais assez bipolaire quand je m'y mettais .

- Je ... Si je t'ai blessé , j'en suis désolé . Fit il platement .

- Ne t'inquiètes pas ... Fis je avec le sourire . Tu ne m'as pas blessé . J'avais juste envie de prendre l'air .

Un léger silence se créa entre nous . Nous mentions tous les deux . Et du coup , je me posai la question suivante : Que faisait il ici ? En quoi consistait cette relation qu'il voulait silencieusement établir entre nous ?

- Tu veux te balader ? Je connais cette île mieux que personne .

Je me mis alors à le suivre , à déambuler dans les rues de l'île céleste . Je mis en suspend mes interrogations afin de profiter du temps présent . Les gens ne faisaient plus attention à nous , ils nous ignoraient et ce fut comme si nous n'étions que tous les deux , à explorer tel des enfants un lieu si atypique . Et notre comédie allégea la pression si finement présente . J'eus même le droit de gouter à de la vraie barbe à papa de nuages ... Le pied ! C'était amusant .

Et au final , après une bonne journée à s'amuser , nous finîmes par rentrer . Nous marchions sur l'eau à travers une épaisse couche de verre et je me surpris à me perdre dans l'étrange contemplation des poissons de lumière , si familiers des lieux . Et alors que nous étions en train de rejoindre la planque , je lâchai telle une bombe dans l'océan :

- Que comptes tu réellement faire de nous , démon de Skypiéa ?

Nous restâmes là à nous regarder , à nous dévisager . Durant un bref moment , je vis ses yeux se rétracter . Puis il se mit à éclater de rire tandis que je me figeais . C'était dangereux .

- Alors ils ont finis par l'admettre . Bien ... Bien ! Il se rapprocha alors de moi et me fit : Et toi ? Tu n'as pas peur de moi ? Si je le voulais ... commença t'il alors qu'il se mettait lentement à caresser ma joue ... Il se pencha alors à mon oreille . Je frissonnais malgré moi dans l'attendre . Je savais déjà ce qu'il avait en tête . Il se disais qu'il pourrait facilement me faire tomber dans l'eau et me regarder me noyer avec délectation . Juste pour m'amuser . Sauf que moi aussi j'aimais beaucoup m'amuser . Et que son plan ...

- Et si tu nous ramenais gentiment sur la berge ? Ordonnais je alors .

Je le vis écarquiller les yeux et faire malgré lui ce que je lui ai demandé . Une fois sur la rive , il me fit , surprit :

- J'avais raison ... Toi aussi , tu es un démon . ( Je souris à pleine dents tout en le laissant continuer ) Sais tu pourquoi les gens de Skypiéa me surnomment Arlesquino ? A cause de mon fruit du démon . Grâce à lui , je peux prendre le visage de n'importe qui et même disparaitre si je le veux . Disparaitre est amusant , si en contrepartie on finit par réapparaitre un jour dans la peau de quelqu'un d'autre .

Je compris ce qu'il semblait dire . Cet homme semblait avoir changé d'apparence tellement de fois que son existence même semble avoir été détruite . Comme un oiseau dont le seul but serait de voler bien au dessus des hommes alors que ses ailes auraient été coupées depuis bien longtemps déjà . Non ... Ce n'était pas ça . Cet homme ne semblait plus s'intéresser au passé ni au présent et encore moins à l'avenir . Il ne faisait que survivre de pirouettes et d'amusements , tel un arlequin maléfique niché dans la comédia del arte .

- C'est vrai . Fis je alors . Je suis un démon . Et après ? Dans le monde où nous vivons il arrive parfois que les démons montent au ciel et que les anges déchantent . Tout ça ne veut strictement rien dire .

- Manger un fruit du démon , c'est accepter d'être damné pour le restant de ses jours . Fit il gravement . C'est ainsi que pour moi , ce paradis est devenu un enfer . Les anges haïssent les possesseurs de fruit du démon et continueront à me persécuter , même si Dieu leur ordonnait de cesser .

- Donc tu préfères jouer ton rôle de démon et t'amuser de leur réaction ? Stupide . Et pathétique . Rajoutai je alors . Tu n'as qu'à descendre de ton perchoir et arpenter la mer bleue . Là bas , les gens comme toi et moi sommes considérés comme normaux . Et le monde continue à tourner avec ou sans nous . Fis je en souriant et en tournant sur moi même . La conversation était terminée et je ne voyais pas quoi dire d'autre à son sujet . Après tout , s'il est descendu du ciel pour venir jusqu'à nous , c'est qu'il voulait s'enfuir . Je vis alors Franz . Il tentait sans succès de s'initier à la pêche . Et à en juger par son humeur , il devait en avoir eu assez pour la journée . Je me mis diaboliquement à sourire . Et si j'allai le charrier ? Vu son niveau d'exaspération , ce serait un jeu d'enfant de le faire sortir de ses gonds .

- Une seconde . Fit alors le prétendu démon . Ce que tu as fais sur l'eau était anormal . Quel fruit du démon as tu mangé ?

Je me mis à rire de plus belle . Puis je lui murmurai à l'oreille , de la même manière qu'il l'avait fait avec moi sur l'eau quelques minutes plus tôt :

- Un fruit qui te ferait avoir des cauchemars la nuit et qui te ferait pleurer comme un bébé , monsieur le démon .

Je lui fit un rapide bisou sur la joue avant de m'élancer vers Franz avec l'envie irrésistible de l'enquiquiner . Quant à Arlesquino , il resta planté là , rouge comme une pivoine , les yeux suspendus dans le vide .

Décidément , je ne cessais de m'amuser !

à suivre ...