Jéna sortit de l’inconscience, une douleur cuisante au tibia. Elle avait la langue pâteuse et les idées floues. Où était-elle? Elle était étendue par terre, sur le côté, des mèches de cheveux voilaient son visage. Que c’était-il passé? Elle n’arrivait pas à se souvenir. Son esprit était trop embrouillé. Elle ouvrit les yeux. La lumière d’une lanterne l’éblouit. Elle ferma les paupières par reflexe, les entrouvrant petit à petit pour s’habituer à la lueur. Elle se trouvait dans une sorte de campement. L’air était frais, agréable. Un peu plus loin deux hommes étaient installés, dos à dos. Le plus jeune était éveillé. Face à lui, un… une étrange créature l’observait, le sens des mots qu’il sifflait lui échappait, mais Jéna sentait qu’il était ravi. Quelque chose bougea à leur gauche. Une deuxième créature enfilait une muselière à un dragon, bleu, entravé par de lourdes chaînes qui le maintenaient au sol. Il regardait désespérément le jeune garçon. Puis, son regard croisa le sien. Ces yeux d’un bleu profond, firent ressurgir en elle un flot de pensées. Ils avaient été capturés par les Ra’zacs! Eragon était tombé, le second Ra’zac avait surgit de la nuit et assommé Brom sans que ce dernier n’ait pu réagir. Saphira avait rugit et s’apprêtait à se jeter dans une bataille pour défendre son dragonnier lorsque le Ra’zac avait menacé de tuer Eragon. Elle avait grogné, mais n’avait plus bougé, s’avouant vaincue. Pendant ce court lapse de temps, Jéna avait attrapé son épée et s’était lancée contre l’une de ces créatures. Mais la fatigue du jour l’avait ralentie, son adversaire avait vu sa faiblesse à la jambe, et s’était fait une joie de lui porter un coup à cet endroit. Jéna s’était effondrée, abrutie par la douleur. Puis plus rien…
Les Ra’zacs regardaient à présent l’épée d’Eragon. Zar’roc, une épée de dragonnier, d’un rouge de sang. Ils narguèrent son propriétaire, avant de s’avancer vers Brom qui était en train de se réveiller. L’un d’eux le souleva: - Tuons-le plutôt, il nous a causé assez d’ennuis comme ça. Jéna fut saisie d’effroi. Ils ne devaient pas toucher à Brom! Ils l’amenèrent au centre du campement. Le plus petit tira la tête du conteur en arrière, approchant une lame effilée contre sa gorge. Ils ricanèrent. Soudain, un sifflement fendit l’air, une flèche se planta dans l’épaule d’un des Ra’zacs. Bientôt, des traits fondirent sur les créatures qui coururent se cacher derrière des rochers. Il y eut une accalmie, puis une autre volée de flèches fusèrent de la direction opposée. Attaqués par un ennemi invisible, les Ra’zacs décidèrent de fuir, l’un bouscula Eragon sur son passage, tandis que l’autre, après une brève hésitation, lança sa dague dans la direction du dragonnier. - Non, gémit Jéna. Elle ne vit pas ce qu’il se passât alors, le Ra’zac, passant près d’elle, heurta, volontairement son ancienne blessure. Une douleur irradia sa jambe toute entière, des éclairs lancinant lui traversèrent les paupières et les tempes. Et tout redevint vide.
L’étranger s’avança près de Brom. Il ne savait visiblement pas par où commencer sa tâche. D’ailleurs, quelle tâche? Il s’agenouilla près du vieil homme, la dague l’avait touché sur le côté du ventre. Il la retira doucement, un flot de sang s’en échappa. Il déchira un morceau de sa tunique pour lui faire un bandage. Il s’approcha ensuite d’Eragon. Elle grogna. Gesticulant du mieux qu’elle pouvait. L’homme la fixa; crainte, respect, et interrogation se mêlaient sur son visage. Elle s’énerva, un panache de fumée sortit de ses narines. Lentement, il s’approcha d’elle, il défit la muselière. Elle claqua des mâchoires violemment. Il recula, puis, contournant sa tête avec précaution, défit les énormes chaînes qui la retenaient prisonnière. Elle remua, impatiente. Le jeune homme avisa un coup d’œil inquiet vers elle. Il enleva les liens qui entravait son cou et ses pattes. Elle se releva brusquement, dégagea avec force les derniers remparts vers sa liberté, et bousculant au passage son libérateur, attrapa délicatement Eragon dans ses griffes, et le traîna à l’écart, le regard tourné vers l’étranger tombé par terre. Elle n’osait s’envoler de par l’état de son dragonnier, mais aussi parce qu’elle ne voulait abandonner Brom et Jéna. L’homme se releva, dardant sur elle un regard indescriptible. Il se dirigea de nouveau vers Brom, coupa les cordes qui nouaient ses mains dans son dos, puis l’allongea correctement. Il se tourna vers Jéna.
Il s’avança vers la jeune fille; elle était étendue au sol, la jambe gauche vers l’arrière du corps, tandis que la droite était légèrement recroquevillée contre elle. Une cascade de cheveux bruns lui cachait le visage. Il se pencha vers elle, sa respiration était sereine et régulière; il inspecta la blessure qu’elle semblait avoir à la jambe, sa botte de cuir et de tissu était un peu déchirée. Il posa deux doigts dans le trou, du sang mélangé à un étrange liquide noirâtre suintait. Il retira la botte et réprima une grimace de dégoût. Une entaille d’où coulaient cette substance épaisse et foncée mêlée au vermeille du sang, souillait la douce blancheur de la peau. Le poison se répandait autour de la blessure, formant une ecchymose violette où la peau était dure, enflée, et chaude. Tout comme pour Brom, il déchira un pan de sa robe pour bander son tibia blessé, malade. Il défit les nœuds qui entravaient ses poignets, mais pour se faire, il dut la retournée, faisant basculer une rivière de cheveux devant ses yeux. Il voulut ensuite examiner son visage caché par cette chevelure infinie, savoir à quoi ressemblait cette étrange fille qui accompagnait un dragon et son dragonnier ainsi qu’un vieil homme… mais quelque chose l’intrigua, arrêta son geste. Il écarta le col de la robe, découvrant un pendentif en argent qui représentait un dragon.
Il était comme figé. Elle ouvrit la gueule, humant l’odeur que dégageait l’étranger. Son cœur d’humain s’était soudainement accéléré, mais elle ne percevait pas pourquoi.
Il effleura le collier, le prit entre ses doigts, le soupesa, Puis, tendit la main vers le visage de l‘endormie; il repoussa les mèches de cheveux sur le côté… un mot sortit de sa bouche… il toucha ses joues, doucement, c’était presque une caresse.
Il passa ses bras sous son dos et ses genoux et la souleva. Ses yeux ne la quittaient pas. Il l’emmena au centre du campement, pas très loin de Brom, et la déposa délicatement sur le sol. Il prit soin de disposer ses cheveux de chaque côté de son visage, derrière ses oreilles, les soulevant sur les épaules, la poitrine. Il aligna ses bras le long du corps, rangea ses jambes dans un axe parfait. Il ne semblait pas savoir qu’elle l’observait. Elle ne comprenait pas son comportement.
Elle s’était sentie ballotée, un parfum réconfortant l’avait enlacée, une chaude présence avait fait naître en elle un bien-être poignant, si fort qu’elle avait senti ses yeux brûler sous les larmes. Elle avait replongé dans l’inconscience…
Elle entendit des voix, des bruits de pas. - Jéna. Ce nom sembler faire partir de ses rêves. - Jéna, réveille-toi. La voix se fit plus insistante. Une main appuyée sur son épaule la secoua gentiment. Un feu crépitait à côté d’elle. Les sons étaient plus distincts. Elle ouvrit les yeux, battant des paupières lentement. Eragon était près d’elle, son regard était éteint, épuisé, inquiet. Il l’aida à se redresser. Son visage se crispa quand la douleur se raviva, elle contempla sa jambe: elle avait été pansée. - Est-ce que tu vas bien ? Lui demanda Eragon. Elle se tourna vers lui. Une lueur incrédule dans les yeux. - Eragon, comment… je pensais que tu avais reçu ce poignard, tu, tu n’as rien? Le visage du jeune homme s’assombrit. - Ne t’inquiète pas pour moi, je m’en remettrai, mais, c’est Brom qui a prit le coup. Il, s’est jeté sur la trajectoire de l’arme, je… il ne va pas très bien. - Où est- il? Elle tourna la tête dans tous les sens afin d’apercevoir son ami. Il était étendu un peu plus loin, inerte. Sa poitrine se soulevait avec difficulté. - Que s’est-il passé Eragon, qui à fait fuir les Ra’zacs ? - C’est lui. Eragon se décala légèrement, son regard tourné vers un jeune homme accroupi près du feu, en train de préparé un repas. - Je te présente Murtagh, c’est lui qui nous a sauvé. Jéna considéra l’étranger qui s’était relevé à la mention de son nom. Il était assez grand, vêtu d’habits usagés mais vraisemblablement de très bonne qualité. Ses cheveux, noirs, tombaient presque sur ses épaules. Ses yeux étaient d’un bleu très clair, magnifique, aussi pur que l’eau vive d’une rivière au fond de galets polis. Il croisa son regard illuminé d’or, son cœur se serra dans sa poitrine, il ne savait pas exactement ce qu’il attendait, ce qu’il espérait. Elle lui sourit, d’un sourire sincère, accentuant son malaise. Il voulait… il voulait… - Je te remercie de nous avoir secouru, Murtagh. Je m’appelle Jéna, mais Eragon a déjà du te le dire… Déception. Un mélange confus de frustration, de colère, d’incompréhension l’envahit à l’annonce de ces quelques mots. Il hocha la tête: - Je t’en pris. Sa voix était basse, douce, étrangement émue. Jéna ne saisit pas le délicat frisson qui parcourut son corps. - Aide-moi, s’il te plait Eragon, il faut que j’aille le voir, dit-elle en se détournant de Murtagh. Eragon essaya de la relever, mais les forces lui manquaient. - Désolé, j’ai du soigner la plaie de Brom, je n’ai plus d’énergie, murmura-t-il. - Je vais t’aider, proposa Murtagh. Il s’approcha de Jéna et lui demanda de passer un bras autour de ses épaules. Il la prit par la taille et la souleva. Il la mena ensuite jusqu’à Brom; elle avançait avec difficulté, ne faisant qu’effleurer le sol avec son pied droit. Le Conteur était en mauvais état, il avait un peu de fièvre et sa respiration était sifflante. - Tu peux faire quelque chose pour lui? Souffla Eragon qui s’apprétait à manger un bol de potage fumant. Jéna chercha dans sa mémoire les mots adéquats. Elle fronça les sourcils face à l’effort. Rien ne lui revenait. Elle secoua la tête: - Non, je ne sais pas, tout est embrouillé dans mon esprit, dès que j’aurai les idées plus claires j’essaierai de faire quelque chose. Eragon se rembrunit. Jéna resta près de Brom, lui tenant la main pour lui signifier qu’elle était avec lui, au côté de cet homme qui était comme un père pour elle. Murtagh lui apporta de quoi se restaurer, elle le remercia à peine tant elle était préoccupée par l’état de Brom. Elle souhaitait faire quelque chose, mais pour le moment, ne pouvait rien. Eragon et Murtagh discutaient. Les Ra’zacs s’étaient enfuis il y a quelques heures déjà, et risquaient de revenir avec des renforts. Il fallait reprendre la route. Ensemble, les deux jeunes hommes fabriquèrent un brancard avec deux troncs d’arbre fins et une couverture, et y installèrent le blessé. Saphira le prit entre ses serres et s’envola. Jéna réussit à se relever seule, ramassa les quelques affaires qu’elle avait, et se hissa tant bien que mal sur Puceron. Eragon n’était pas plus en forme qu’elle. - Merci pour ton aide, dit-il à Murtagh. Tu ferais mieux de partit, maintenant, et de t’éloigner le plus possible de nous. Tu seras en danger si les soldats de l’Empire nous retrouvent. Nous ne pourrons pas te protéger, et je n’aimerais pas qu’il t’arrive malheur par notre faute. - Tu parles bien, s’exclama Murtagh en éteignant le feu. Mais où irez-vous? Y a-t-il un endroit près d’ici pour vous servir de refuge? - Non… - Dans ce cas, je pense que je vous accompagnerai jusqu’à ce que vous soyez en sécurité. Je n’ai pas de destination précise. Et puis, si je voyage avec toi, j’aurai peut-être une chance de tuer les Ra’zacs plus sûrement que si je restais seul. Il se passe toujours des choses intéressantes aux côtés d’un dragonnier. Eragon hésitait. Il regarda Jéna, sa propre condition physique… il haussa les épaules: - Joins-toi à nous si le cœur t’en dit… Murtagh acquiesça et enfourcha sa monture grise. Ils partirent au pas, chevauchant sous une lune pâle et froide.
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