Elle respirait avec difficulté, son cœur frappait si violement sa poitrine qu’il semblait sur le point d’exploser et cela lui donnait une nausée terrifiante. Son corps ne se résumait plus qu’à douleur et engourdissements et son esprit était en proie à une peur vicieuse qu’elle ne parvenait qu’à contenir sans pour autant être capable de l’éradiquer. Elle tenait bon, mais pour combien de temps encore ?
Elle frissonna. Durant un court instant, elle avait perdue toute conscience d’elle-même pour ne plus être qu’énergie, mais cette force la dépassait tellement qu’elle s’était presque perdue en son sein, seul un sursaut de mémoire et d’effroi lui avait fait réintégrer la réalité et ouvrir les yeux. Liberté et victoire s’étaient alors incrustées en elle et grâce au mince espoir qu’elles lui avaient insufflé, elle avait brisé la barrière mentale de ses assaillants. Mais devenir Vent avait laissé des séquelles profondes et un gouffre de doutes et de craintes s’étaient creusés dans son cœur. D’où était arrivée cette puissance ? Comment avait-elle fait pour s’en servir ? La magie ne pouvait s’utiliser qu’en puisant dans son propre corps non ?
Elle fut soudainement interrompue dans ses pensées lorsque le Capitaine, qui peinait à marcher devant elle, s’appuya contre le mur d’une maison et toussa douloureusement. Il avait toujours deux flèches plantées sur lui, une sur l’épaule droite, l’autre apparemment entre deux côtes ; il était vraiment courageux et vigoureux pour résister à ces deux traits qui devaient le faire souffrir bien que la cotte de mailles qu’il portait avait diminué l’impact des traits…
Il voulu faire un pas de plus, mais chancela et s’affala à terre.
Jéanna rengaina son épée et s’agenouilla près de lui, alarmée. Du sans imbibait les mains et les lèvres du jeune homme : ses poumons étaient percés.
- Il faut vous soigner, fit-elle d’une voix soucieuse, une nouvelle panique étreignit subitement son corps.
- Vous n’aurez jamais assez de force pour vous enfuir après, murmura le Capitaine entre deux souffles rauques. Allez-vous-en.
- Je ne vais pas vous laissez mourir, déclara-t-elle vivement en prenant entre ses mains le visage brûlant de Kagan. D’accord ?! Tenez-vous tranquille un instant, je vais extraire la première flèche et refermer la blessure.
- Pourquoi faire cela pour moi ?
Jéanna ne répondit pas ; elle força le blessé à s’appuyer contre le mur, dos en travers de la ruelle, puis empoigna la tige de bois en évitant de la bouger dans la plaie et tira. Kagan étouffa un gémissement, et eut un brusque soubresaut qui lui fit cracher une trop longue giclée de sang. De plus, le filet de liquide vital qui s’écoulait de la blessure s’amplifia, il paraissait noir sous la nuit étoilée. Jéanna déglutit, autant de dégoût que de peur ; elle plaqua avec précipitation et néanmoins douceur, ses mains sur le trou ensanglanté et articula :
- Waise heill.
Elle sentit son énergie couler dans ses veines et être projetée par ses paumes, mais tout ne se passa pas comme prévu. La magie sembla lui arracher trop de forces, son cœur se serra, des larmes de panique se mirent subitement à inonder ses yeux, sa gorge se noua, la peur agita sa chaire, vague de frustration et de picotements qui la paralysa. Ainsi bloquée, elle coupa nette le flux vorace et aspira l’air brusquement, réveillant les courbatures dont son corps était perclus.
Que lui arrivait-il ? Pourquoi ne pouvait-elle lancer un sort si simple en apparence ?
Elle pinça les lèvres.
Elle semblait avoir peur d’utiliser la magie après l’étrange phénomène qui lui avait permise de passer le portail de la citadelle. Mais elle n’avait pas le droit d’abandonner Kagan ou elle s’en voudrait le restant de sa vie. Elle devait surmonter cette épreuve ainsi qu’elle l’avait fait en sautant du toit, ainsi qu’elle l’avait fait en survivant il y a quatre ans…
Elle inspira profondément, tâchant de calmer le rythme effréné de son cœur. Elle ne devait pas avoir peur. Elle se remémora le sentiment qu’elle avait ressenti au contact du Vent. Quelle étrange douceur il avait dégagée, puissante, incontrôlable… dangereuse. Ne l’avait-il pas secourue ? Pourquoi être effrayée dans ce cas ?
Se concentrant sur l’idée qu’elle ne risquait rien, que la magie n’était pas une ennemie, qu’elle n’allait pas mourir, Jéanna reformula distinctement les mots panseurs :
- Waise heill.
De nouveau, ses forces décrurent et elle sentit la chaire et les vaisseaux sanguins se refermer sous ses doigts secoués de tremblements. Elle pressa les paupières, essaya de ne pas bloquer sa respiration, elle était épuisée, avait envie de s’endormir pour ne plus se réveiller…
Enfin, la blessure fut entièrement guérie, mais il fallait désormais expulser d’urgence le sang qui allait obstruer les poumons du Capitaine. Elle se concentra alors de nouveau et contrôlant sa panique, souffla « Eyddr ». Elle sentit alors un violent haut le cœur parcourir le corps du jeune homme, et il vomit brutalement un flot âpre qui s’écrasa sur le sol terreux, éclaboussant sur son passage les murs de l’étroite ruelle.
Pendant qu’il toussait et se rétablissait, Jéanna ôta le second trait et referma la blessure avant que l’effroi ne l’envahisse encore. Enfin, elle s’adossa contre la paroi de l’habitation et ferma les yeux. Sa respiration était saccadée et elle ne pouvait maîtriser les spasmes qui agitaient ses mains. Près d’elle, le Capitaine, quelque peu remis, mais toujours épuisé, se laissa également aller contre le mur. Il essuya son visage d’un revers de manche et dit d’une voix enrouée :
- Pourquoi avez-vous tenu à me sauver ?
Jéanna ravala les sanglots qui obstruaient sa gorge puis murmura, une étrange douceur mêlée à la panique faisait vibrer sa voix :
- Je ne souhaite la mort que d’une seule personne. Et surtout pas la votre…
Un profond silence s’abattit. Néanmoins on percevait au loin un bruissement agité, les gardes n’allaient pas tarder à se mettre à sa recherche et à celle de ses compagnons… où étaient-ils à présents ?
Elle avait l’impression de flotter, hors du temps, hors de l’espace, ses pensées étaient de plus en plus brumeuses. Elle ne souhaitait qu’une chose, se reposer, ainsi elle n’aurait plus à réfléchir ni à essayer de se cacher ou de survivre ; mais elle n’en avait pas le loisir, elle devait partir et au plus vite.
Elle se redressa alors avec lenteur, puisant dans les ultimes ressources qui lui restaient, cependant le Capitaine lui attrapa le bras avant et l’attira vers lui. Elle fut contrainte de se pencher, son visage à quelques pouces du sien.
- Pourquoi, surtout pas moi ? souffla-t-il, son visage était tristement émacié, de lourdes ombres assombrissaient ses yeux et ses joues.
Jéanna soupira, lasse.
- En d’autres circonstances nous aurions pu être de bons amis, Kagan. Et je ne veux pas la mort de mes amis.
- Ne comprenez-vous pas ce que je ressens envers vous ? murmura-t-il sans joie.
Des larmes embuèrent soudainement les yeux de la jeune fille qui n’avait pas envie de répondre à la question.
- …On ne tombe pas amoureux de quelqu’un en quelques heures, Capitaine, répondit-elle calmement.
- Il faut croire que si.
- Non, vous pensez m’aimer, mais ce n’est pas le cas. Vous souhaitez simplement capturer ce que vous n’arrivez même pas à effleurer. Vous n’êtes pas habitués à ce que l’on vous refuse quelque chose. C’est tout.
- Ce n’est pas un caprice.
La jeune fille poussa un long soupir, autant de fatigue que de dépit.
- Je ne vous aime pas de cette façon. Vous êtes appréciable par bien des aspects, mais un véritable amour ne se repose pas uniquement sur cela. Il outrepasse les qualités et les défauts et s’ancre au plus profond de l’âme, laissant une marque indélébile qui ne peut que croître.
- Vous aimez déjà quelqu’un n’est-ce pas ?
Jéanna le regarda un instant sans répondre puis déposa un baiser sur son front et souffla tristement :
- Dormez maintenant… Slytha.
La magie opéra une fois encore accélérant le cœur de la jeune fille et plongeant le Capitaine dans un sommeil mi-réel mi-artificiel dans lequel il ne ferait aucun rêve.
Jéanna se releva, perturbée par l’aveu du jeune homme. Mais ce n’était pas le moment de s’en préoccuper, elle devait encore rejoindre son cheval situé à une demi-lieue de là et le plus difficile resterait à faire : retrouver Eragon, Saphira et Murtagh.
Elle leva la tête vers le plafond d’obscurité, se repérant grâce aux étoiles. Puis, après un dernier regard vers le corps endormi, continua son chemin désespéré.
Elle courait désormais, certaine que des patrouilles armées avaient commencé à fouiller la ville et ses alentours. Chaque pas était une souffrance supplémentaire, chaque respiration plus douloureuse que la précédente. Sa jambe droite ne la tenait presque plus mais Jéanna n’avait pas le droit de s’arrêter. Ne devait pas s’arrêter. Une peur accrue lui donnait des ailes et l’empêchait de renoncer. Des images de détresse se déversaient dans son esprit, des souvenirs plus douloureux qu’une flèche dans l’épaule lui poignardaient l’âme. Elle pressa son bien si cher dans sa paume, regrettant de ne pouvoir l’entendre. Le vent soufflait toujours mais elle s’était renfermée sur elle-même pour ne plus sombrer dans cet inconnu, afin qu’il n’ait aucune prise sur elle.
Enfin, elle aperçut la colline au sommet de laquelle l’attendait Puceron. Elle élança son esprit vers le bosquet d’arbres et toucha bientôt celui de l’étalon qui semblait se demander pourquoi ses amis étaient partis et pas lui. Lorsque sa cavalière le rejoignit, il renâcla d’impatience et gratta le sol comme pour lui signifier sa joie de la revoir. Jéanna remarqua alors qu’il avait été scellé et qu’un étrange chantier régnait dans la petite clairière : un arbre avait été arraché et gisait à quelques pas du trou où il avait poussé, puis en se penchant un peu plus, elle trouva une flèche ensanglantée laissée par terre et des traces de sabots se dirigeant vers le Sud Sud-Est. Elle n’avait d’autre choix que de se mettre en selle et suivre cette direction.
C’est ainsi, que ne perdant pas une seconde de plus, Jéanna se hissa, tant bien que mal, sur le dos de sa monture et partit au galop, lançant derrière elle un dernier regard à la citadelle d’où s’échappaient des dizaines de points lumineux en quête des fugitifs.
Elle ne savait pas où étaient ses compagnons mais le désir de les retrouver était trop fort pour la décourager aussi décida-t-elle de chevaucher toujours tout droit, le plus longtemps possible. Elle aviserait de la marche à suivre une fois suffisamment éloignée de Gil’ead.
La lune était réapparue, éclairant d’une lueur blafarde la nature ; le vent était tombé, mais la course folle de l’étalon brassait l’air autour des fuyards, faisait siffler les oreilles de Jéanna et valser sa longue natte dans son dos. Elle ressassait la folle initiative qui l’avait mise dans une telle situation : sans cette décision impulsive ils ne s’en seraient pas sortis ; leurs quatre vies contre la sienne… Un juste prix à payer selon elle, mais si elle s’était faite capturée, le penserait-elle ainsi ? Ne subissait-elle pas maintenant les effets de son sacrifice ? Son corps était encore bouleversé à cause de ses actes et ses frayeurs et sa conscience apeurée face à la magie et aux puissances du monde qu’elle avait rencontrées… De plus, elle était désormais seule et se sentait désarmée sans ces compagnons qu’elle avait côtoyés tant de temps. Si elle devait faire un choix pour le long terme sans doute tenterait-elle sa chance chez Eux, mais à court terme son destin était d’être avec eux…
Des pensées tumultueuses se bousculaient dans son esprit :
« Arya.. » pensa-t-elle intérieurement. « Que faisais-tu là-bas ? Comment a-t-on pu t’emprisonner, et les autres, que sont-ils devenus ? Pourquoi ? »
Le visage sombre de Kagan ressurgit brusquement. Ses mots l’avaient touchée mais elle ne pouvait les partager. Un vide immense envahit ensuite son cœur mais néanmoins renforça sa détermination.
Ils ne pouvaient pas être si loin tout de même !
Les heures s’écoulèrent lentement, difficilement. Jéanna peinait à se maintenir éveillée et ralentissait petit à petit. Elle apercevait toujours loin derrière - mais cependant trop près - les lumières vacillantes des flambeaux que tenaient les soldats à sa recherche.
Le soleil finalement apparut à l’Est, rouge, illuminant les collines verdoyantes.
Jéanna s’arrêta scrutant le ciel avec l’espoir d’entrevoir les écailles brillantes de Saphira, mais seuls quelques nuages décoraient l’infini plafond bleu.
Elle ferma les yeux et se détendit, calma les craintes qui fourmillaient sous sa peau et ouvrit son esprit au monde faisant fi de la plainte de la fine brise chatouillant ses joues. Une idée germa alors en elle. Une observation simple qu’Ils lui avaient enseignée il y a si longtemps semblait-il… Elle espérait que cela fonctionnerait.
Elle expira une fois paisiblement et étendit sa vision spirituelle par delà les différentes collines et vallées qui l’entouraient, touchant les consciences sauvages de centaines d’animaux, effleurant les essences ralenties de milliers de plantes et d’arbres jusqu’à trouver ce qu’elle cherchait intensément. La réponse lui vint par bribes de sensations confuses et difficilement déchiffrables pour qui ne s’était jamais penché sur le sujet : crainte, admiration, joie, pétillement de lumière, bourrasques subites de vent, saveurs puissantes, parfum de pin, traces de magie si ancienne et si pure, foisonnement de vie et d’énergie… !
Jéanna rouvrit subitement les yeux, piquée au vif par une espérance joyeuse et un soulagement indescriptible. Elle talonna Puceron sans attendre et ils s’élancèrent vers une falaise au pied de laquelle bifurquait un petit cours d’eau. Elle se concentra d’avantage sur cet endroit tentant de contourner la roche épaisse afin de savoir s’ils étaient bien là. Mais elle ne pouvait douter de ce qu’elle avait ressenti : la nature entière le lui avait dit par son étrange fébrilité et son extraordinaire félicité.
Elle se rapprochait rapidement, la fatigue disparue et le sourire aux lèvres. Son cœur pulsait avec une ardeur renouvelée et même Puceron semblait comprendre ce qui se passait car il accéléra et bientôt ils se retrouvèrent au pied du haut promontoire rocheux. C’est alors qu’une présence familière percuta son esprit aussitôt suivie d’une bouffée de bonheur et d’une voix que la jeune fille doutait d’entendre jamais plus :
« Jéna !? S’exclama Saphira.
« Oui, c’est bien moi !
Un flot de souvenirs l’inonda : survol de Gil’ead, douleurs provoquées par l’assaut de piques-de-bois-au-bout-de-fer, une charge trop lourde, sentiment d’abandonner une amie, peur, une elfe mystérieuse, atterrissage, départ précipité, que faire pour Jéna-au-regard-brillant-tel-le-soleil, au pied d’une falaise près d’une petite rivière-à-l’onde-claire, Eragon soignant l’elfe-qui-ne-se-réveille-pas…
« Nous sommes heureux que tu nous aies retrouvés, Murtagh arrive à ta rencontre, il était très nerveux… Eragon t’attends aussi avec impatience.
Jéanna retint son souffle, les pulsions énergiques de son cœur se répercutèrent jusque dans ses tempes, elle refoula les larmes de joie qui embuaient ses yeux. Saphira disait vrai, quelques instants plus tard, Murtagh arriva sur Tornac monté à cru. Elle s’arrêta, soudainement frissonnante et attendit que le jeune homme la rejoigne. Il mit pied à terre et s’approcha d’elle, une ride soucieuse barrait son front, ses yeux habituellement si pures étaient assombris par l’inquiétude. Jéanna lui fit face et s’apprêtait à descendre lorsque le jeune homme la prit par la taille et la souleva jusqu’à terre. Il plongea ensuite son regard dans le sien, sa main fraîche caressant sa joue brûlante, l’autre enserrant sa taille avec douceur comme s’il s’était agi d’un objet fragile. Elle rougit de cette proximité sachant qu’il le sentirait, ce qui ne fit qu’augmenter encore son malaise ; des souvenirs brumeux et ensoleillés à la fois refirent surface en elle. Il approcha son visage jusqu’à ce qu’elle sente sa respiration sur sa peau, mais elle baissa le regard, lui signifiant clairement ce qui ne fallait pas faire. Après un infime temps d’arrêt, Murtagh déposa un baiser sur ses cheveux, un baiser tendre et agréable, puis il enlaça ses épaules et l’étreignit avec rage et force sans se soucier d’appuyer ou non sur son épaule blessée. Jéanna étouffa un gémissement qu’il n’entendit pas et passa à son tour ses bras autour de son dos, savourant ce contact, enfouissant son visage contre sa poitrine, écoutant son cœur si réconfortant battre à vive allure…
Ils restèrent ainsi l’un contre l’autre en silence, durant plusieurs minutes, puis Murtagh s’écarta gentiment de Jéanna et murmura d’une voix émue :
- Ne refais plus jamais ça.
Elle le considéra et sourit faiblement.
- Excuse-moi.
Il lui sourit également puis jugea son apparence.
- Tu es blessée ! S’écria-t-il.
- Ce n’est rien, j’ai eu quelques difficultés à descendre du toit, dit-elle en souriant.
- Viens, je vais laver la plaie avant qu’elle ne s’infecte. Il te reste des bandages ? Les nôtres ne sont plus en très bon état et nous ne pouvons faire de feu sinon tout l’Empire saura où nous nous trouvons…
- Oui. Et Arya, comment va-t-elle ?
- Arya ?
- L’elfe !
- Tu la connais ?
- Oui, je n’ai pas eu le temps de vous le dire cette nuit…
- Je vois… Elle ne se réveille pas, on ne sait pas pourquoi ; Eragon est en train de la soigner car elle est couverte de blessures, je n’imagine même pas les horreurs qu’ils ont pues lui faire là-bas…
- Allons-y alors.
Murtagh acquiesça et aida Jéanna à remonter en selle avant de lui montrer le chemin du campement. Ils chevauchèrent au pas, côte à côte. Un bien être immense émanait du jeune homme qui lui raconta ce qui s’était passé en son absence ainsi que l’inquiétude qu’elle leur avait fait ressentir à tous. Enfin il finit par avouer :
- Sans ton geste je ne sais pas comment on s’en serait sorti, Saphira a déjà eu des difficultés à transporter trois personnes…
Il se tourna vers elle :
- Merci, Jéanna.
Elle hocha la tête.
- Je suis contente que nous nous en soyons tous sortis.
Elle n’eut pas l’occasion de continuer et de partager ce qu’elle avait vécu car ils arrivaient au bivouac de fortune près du mince cours d’eau. A leur approche, Saphira leva la tête et poussa un fort ronronnement pour signifier sa joie. Eragon était agenouillé auprès du corps inerte de l’elfe, il se retourna et son regard fatigué croisa celui de Jéanna. Il étendit alors son esprit vers la jeune fille ce qui lui prendrait moins de temps que d’aller la voir et de lui parler. Il toucha sa conscience et fut surpris de ce qu’il y découvrit. Le paysage autrefois plongé dans l’obscurité qui était l’univers protecteur de Jéanna était désormais baigné de lumière. L’eau du lac scintillait de milles paillettes changeantes reflétant les délicats pétales blancs et roses du cerisier, l’endroit était enchanteur, reposant, il aurait voulu le contempler des lunes…
« Eragon ? Comment vas-tu ? L’interpella soudain la voix de Jéanna, le rappelant de la sorte à la réalité.
« Bien. Tu es folle de nous avoir quittés de cette façon ! Tu te rends compte si tu t’étais faite capturée, ou tuée ?!
Jéanna mit pied à terre avec l’aide de Murtagh. Ils échangèrent un mot puis ce dernier prit une des sacoches attachées à la selle de Puceron et l’accompagna près d’Eragon.
- Je suis soulagée de te retrouver aussi, répondit-elle à voix haute.
- Excuse-moi… Tu nous as fait extrêmement peur, à tous les trois.
- Je sais. Je vous raconterai tout plus tard, je pense qu’il est plus urgent de la soigner avant, déclara-t-elle en désignant Arya du menton. Je l’ai déjà annoncé à Murtagh : elle s’appelle Arya. C’est elle qui m’a retrouvée et sauvée il y a quatre ans, mais à cette époque elle était accompagnée de deux autres elfes.
La révélation surpris Eragon qui jeta un profond regard à l’elfe qui gisait près de lui.
- Arya… souffla-t-il, une intense lueur s’alluma dans ses yeux. Tu sais pourquoi elle ne se réveille pas ?
- Non, désolée. Elle est peut-être trop affaiblie… Je ne sais pas.
- Et que faisait-elle prisonnière à Gil’ead ?
- Aucune idée, fit Jéanna d’une voix hésitante. Mais il faut qu’elle survive, on ne peut pas laisser mourir une elfe, surtout pas elle.
Eragon opina et se remit à ses soins alors que Jéanna se faisait sommairement soignée par Murtagh ; elle refusait d’user de la magie pour refermer sa blessure, préférant préserver ses forces pour aider Arya. Ensuite, elle s’agenouilla près de l’elfe à la chevelure d’ébène et remplaça Eragon le temps qu’il récupère et mange quelque chose.
L’état de la jeune femme était déplorable : son corps était recouvert d’ecchymoses, de croûtes épaisses aux étranges couleurs, de plaies encore ouvertes et suintantes, pas le moindre pouce de peau n’était sain. Jéanna effleura la joue anormalement froide de l’endormie, lui promettant de faire tout son possible pour améliorer sa condition et malgré la fatigue et la crainte persistante de ne pas contrôler totalement la magie, commença à soigner Arya.
Les deux jeunes gens échangèrent ainsi leur place à tour de rôle durant plusieurs heures. Enfin, estimant qu’ils avaient fait de leur mieux, ils rhabillèrent l’elfe et soufflèrent un peu. Il était déjà presque midi.
Jéanna bu une gorgée de vin tiède ; elle était éreintée mais tentait de ne pas s’assoupir au risque de ne jamais pouvoir se relever.
- Maintenant dis-nous, reprit Eragon, blême, un quignon de pain dans la main. Comment as-tu fait pour sortir et nous retrouver ?
Elle se frotta le visage pour chasser les traces de fatigue et narra ses aventures avec une certaine ironie qui inquiéta plus ses amis qu’elle ne les amusa. Comment elle avait inconsciemment sauté du toit et s’en était sortie, puis sa rencontre avec le Capitaine Kagan, leur petit duel, sa tentative de fuite, le chantage qu’elle avait effectué… Elle omit de mentionner les magiciens pour ne pas à avoir leur raconter son expérience sous la puissance du Vent, de peur de susciter trop de questions embarrassantes auxquelles elle n’avait que peu de réponses.
« Tu as pris trop de risques Jéna, mais nous t’en sommes reconnaissants, déclara Saphira.
- Le principal est que nous réussissions à échapper aux soldats du roi maintenant, dit Jéanna.
- Oui, et nous ferions mieux de partir, conclut Eragon. Nous n’avons que trop traîné.
- Non ! Protesta Murtagh, vous avez besoin de repos.
- On, on dormira en selle tour à tour alors. On ne peut se permettre de rester ici, pas avec tous ces gardes à nos trousses.
- Très bien, concéda Murtagh, je vous guiderai au début alors, vous êtes trop épuisés pour vous permettre de rester éveillés plus longtemps.
Après avoir sellé leurs chevaux et installer Arya sur Saphira, ils levèrent le camp et partirent au galop. Toute la journée ils firent des détours pour donner le plus de fausses pistes aux patrouilles accompagnées de chiens, et ne s’arrêtèrent qu’au coucher du soleil, exténués et plus tendus que jamais. Ils discutèrent longuement sur la suite des évènements : qu’allaient-ils faire maintenant qu’il étaient traqués et transportaient une elfe qui était plus un fardeau qu’autre chose… La seule véritable solution était de quitter l’Empire mais impossible d’essayer d’aller chez les Elfes, même avec Jéanna ils craignaient de ce qu’ils y découvriraient et s’ils seraient bien reçus par ces êtres fabuleux et si mystérieux. Il ne leur restait donc plus que deux choix : se réfugier au Surda ou chez les Vardens ; pour ce faire il leur faudrait soit traverser l’Alagaësia et éviter toutes les villes soit passer par le désert du Hadarac situé à l’Est.
- Mais l’eau ? Comment la transporter ? Remarqua Murtagh. Les tribus de nomades qui errent dans le Hadarac ont l’habitude de dissimuler leurs puits et leurs oasis pour qu’on ne leur vole pas leurs réserves. Pensez à ce que Saphira doit avaler ! Elle consomme plus d’eau en une journée que nous n’en buvons en une semaine. Sans compter les chevaux…
Effectivement, l’eau était un problème. Pour tenter de le résoudre, Eragon partit s’isoler avec Saphira. Murtagh resta un moment pensif, ses yeux perdus dans les braises qu’ils avaient allumés au risque de se faire remarquer. Il souffla un rire sans joie.
- Tu sais Jéanna, commença-t-il. Tu as retrouvé quelque chose en pus de ta mémoire.
- Quoi donc ? Demanda-t-elle en esquissant un sourire sur son visage fatiguée.
- Ta spontanéité ou, comment dire… Avant, reprit-il sérieusement, il t’arrivait parfois d’agir sans réfléchir, simplement par impulsion. Comme ça. Regarde, tu nous as tous sauvés en sautant sur le toit, tu t’es jetée dans le vide et as affronté pas moins d’une trentaine de gardes armés toute seule ! Tu avais perdu cela en plus de la mémoire je crois…
Jéanna rit, amusée, elle ne se rappelait pas de ce trait de caractère, à moins qu’elle ne l’ait jamais remarqué. Elle allait répliquer quelque chose lorsqu’Eragon revint vers eux, déterminé.
- Alors, nous as-tu ouvert les portes du désert ? Lança Murtagh.
- Oui, affirma le dragonnier. Je pense pouvoir remonter l’eau des nappes phréatiques en suffisamment grande quantité pour nous tous. Bien sûr, ajouta-t-il à l’adresse de Jéanna, si tu pouvais m’aider nous aurions plus d’eau.
- Je le ferais, affirma-t-elle.
- Dans ce cas, à nous le Hadarac ! S’écria Murtagh d’un ton faussement réjoui.
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