Elle se réveilla, clignant lentement les paupières, essayant de se repérer dans l’espace et le temps : elle était allongée dans l’herbe ondulant sous la bise fraîche, il faisait encore nuit, l’aube ne paraîtrait pas avant une heure ou deux. Elle se rendit compte qu’elle avait dormi d’une traite, d’un sommeil profond et réparateur qu’aucun rêve n’avait perturbé. Un apaisant sentiment de plénitude la possédait.
Elle se redressa. Murtagh montait la garde au bord du campement, il lui tournait le dos. Doucement elle se leva et, emportant sa couverture sur ses épaules, alla s’asseoir à côté de lui. Il se retourna à peine en la voyant arriver, son regard impassible était tourné vers le champ obscur, il avait une jambe croisée et une relevée sur laquelle son bras tendu reposait. Jéanna ramena ses genoux vers elle et y appuya son menton.
- Tu as bien dormi ? Demanda-t-il.
Elle sourit.
- Oui, mieux que jamais…
Pendant un long moment ils ne dirent rien de plus.
Une gêne s’installa entre eux. Jéanna ne trouvait pas les mots adéquats, elle ne savait plus ce qu’elle voulait lui dire.
Ses pensées passèrent de Murtagh, à son ancienne vie, au soir où ses parents étaient morts… morts. Ils étaient morts. Les deux êtres au monde qu’elle chérissait le plus étaient partis pour toujours, et elle ne s’en souvenait que maintenant, quatre ans plus tard. Elle avait l’étrange impression de les avoir quittés la veille, et des siècles auparavant. Ce sentiment paradoxal était similaire pour Murtagh. Il avait été là, et maintenant, il était toujours là… comme si elle avait fait un saut dans le temps…
Lui n’osait pas la regarder. Sa joie de la voir vivante avait rapidement fait place à l’incertitude, à un doute qui ne l’avait pas quitté. Et qu’allait-il se passer à présent ? Il ne savait que penser de la situation. Etait-il heureux de savoir qu’elle se souvenait enfin de lui ou bien, au contraire, aurait-il préféré qu’elle ne le connaisse qu’en tant que cet inconnu qui les avait sauvés des Ra’zacs. Les mêmes questions qu’ils s’étaient posées en la voyant la première fois il y a un mois, taraudaient son esprit : valait-il mieux qu’elle se nomme Jéna, et non Jéanna… rester inconsciente de son passé n’était-il pas une meilleure solution ? Dans tous les cas, il n’avait rien fait et elle avait fini par retrouver sa vie d’antan seule…
Elle ne disait rien, ne bougeait pas. Finalement il tourna la tête vers elle et ce qu’il vit contracta son cœur déjà si tourmenté. Une larme solitaire perlait sur la pommette de la jeune fille, suspendue au-dessus de la pente douce de sa joue. Il tendit la main et l’essuya délicatement. Jéanna sembla alors se réveiller et entreprit de frotter énergiquement son visage pour en gommer toutes traces de pleurs. Un rire nerveux s’échappa de sa bouche.
- C’est idiot n’est-ce pas, de faire son deuil quatre ans plus tard. J’ai l’impression que ma vie ces dernières années n’a été qu’un rêve, que l’autre jour je me suis réellement réveillée, et qu’alors j’ai appris toutes les mauvaises nouvelles que j’avais ratées.
Elle renifla pitoyablement.
- Je me demandais souvent qui étaient mes parents, je me doutais bien qu’ils devaient être morts, mais cela me laissait presque indifférente, ils étaient de parfaits étrangers pour moi. Je ne percevais pas ce chagrin qui me comprime là, elle serra son poing au niveau du cœur. Mais aujourd’hui je le sens. C’est comme pour Brom… Je n’arrive pas à accepter leur mort…
- Il est peut-être encore trop tôt…
- Oui… et dire que Brom connaissait mes parents. Il savait tout sur moi et ne me l’a jamais dit ! Mais, c’est comme pour toi… comment aurais-je réagi ? Connaître un passé dont on ne se souvient même pas… c’est par trop étrange.
Elle resserra la couverture contre elle. Le vent souffla sur les branches d’un buisson.
- Tu sais, murmura Murtagh, lorsque je t’ai vue, étendue inconsciente et blessée, j’ai cru que j’étais devenu fou. Pour moi tu étais partie, je m’étais presque fait à l’idée que plus jamais nous nous reverrions…
Une vague de larmes envahit Jéanna lorsqu’elle pensa à toutes les attentions que Murtagh avait eues à son égard, à la douleur qu’il avait vécu, une douleur aussi terrible que la sienne, et à ce secret qu’il avait du garder si longtemps.
- Excuse-moi…
- De quoi ?
- De t’avoir abandonné. Et oublié. Toi tu pleurais ma mort alors que je ne connaissais même plus ton existence.
- Tu ne m’as pas abandonné, c’est moi qui aurais du te venir en aide. J’ai tout de suite su qu’il se passait quelque chose d’anormal, je l’ai senti.
Murtagh sortit de sous sa chemise la chaîne en argent, à son bout était accroché un pendentif, représentant un dragon, le même que Jéna. Elle le contempla, puis prit le sien dans sa paume et le caressa machinalement.
- Tu l’as gardé finalement…
- J’ai ressenti ta peur, durant des jours je n’ai pu dormir que lorsque toi aussi tu te reposais, j’en étais malade. Mais je ne pouvais rien faire. Et le pire certainement, c’est que… ne m’en veux pas Jéanna.
- Qu’y a-t-il ? Pourquoi t’en voudrais-je ?
- C’est Tornac qui a dû te poursuivre. C’est lui que le roi a envoyé te traquer avec quelques soldats…
Jéanna resta un moment interdite. L’image du maître d’arme souriant et chaleureux se fit dans son esprit.
- Lorsque j’ai compris qu’il t’arrivait quelque chose, poursuivit Murtagh, je l’ai cherché pour lui en parler, mais il avait disparu. Alors je me suis rendue chez toi. Des gardes se tenaient devant la maison, ils installaient des corps sur un chariot… je les ai reconnus. Mais toi, tu n’étais pas là, tu étais encore en vie, je le sentais. Je ne savais pas quoi faire, j’étais complètement paniqué. J’aurais du partir à ta recherche !
Murtagh se frappa violemment la cuisse, Jéanna perçut sa rage et sa culpabilité. Elle posa alors sa main sur la sienne et le regarda dans les yeux.
- Ce n’est pas de ta faute. Crois-moi, je suis en vie, et toi aussi, c’est tout ce qui compte, articula-t-elle calmement.
Murtagh baissa les yeux et pressa les doigts de la jeune fille avec force. Il continua, sa voix tremblait légèrement.
- J’ai horriblement souffert quand… ton cœur s’est arrêté de battre. Et pourtant, pourtant tu n’étais pas morte…
- Mes souvenirs se sont perdus, mon cœur avec. Je ne peux expliquer ce phénomène que par cela.
- Est-ce que…
- Non, non Murtagh… Pardonne-moi. Pour le moment… je ne sais plus très bien où j’en suis…
- Je ne t’en voudrais jamais, te savoir vivante… me suffit.
Jéanna rougit, mais il ne put le voir dans l’obscurité. Elle avait l’impression que deux vies se disputaient son corps. Etait-elle Jéna ou Jéanna. Fille de personne ou fille de Meryë et Tôcen. Elle reprenait une vie et en continuait une autre à la fois.
- Et Tornac ? Que s’est-il passé à son retour ?
- Il est venu me voir, on lui avait dit que j’avais passé la majeure partie de ses semaines d’absences enfermé dans ma chambre. Je n’avais plus goût à rien. Il a été obligé de me dire que c’était lui qui t’avait poursuivi, je me suis jeté sur lui mais je n’avais plus de forces, et je suis grotesquement tombé par terre. Il m’a raconté que c’était un de ses soldats qui t’avait tuée. Ensuite il t’a arraché le cœur et les cheveux pour prouver au roi ta mort. Je lui en ai voulu longtemps.
- Il t’a menti pour nous protéger tous les deux, c’est sans aucun doute lui qui a simulé ma mort, il ne pouvait pas me tuer.
- Il aurait été tellement heureux de te voir, soupira Murtagh. Il s’est sacrifié pour que je puisse vivre… et toi aussi.
Ils restèrent silencieux. Un oiseau chanta l’arrivée prochaine du jour. Jéanna retira lentement sa main de celle du jeune homme.
- Je crois que parfois je savais que tu pensais à moi, avoua-t-elle.
Murtagh la regarda, surpris.
- Vraiment ?
- Oui, elle tapota son pendentif. Parfois le soir une chaleur réconfortante m’aidait à me calmer.
- Je ne t’ai jamais oubliée.
- … Merci.
- Il t’est arrivée beaucoup de choses depuis quatre ans, tu as vécu chez les Elfes, tu as voyagé avec le premier dragonnier depuis cent ans…
- Et toi ? Qu’as-tu fait tout ce temps ?
Murtagh s’appuya sur ses bras, le visage tourné vers le ciel étoilé.
- Pas grand chose à vrai dire.. J’ai continué de m’entraîner à l’escrime, mais sans toi c’était moins excitant. Et puis à mes dix-huit ans Galbatorix m’a convié à un fastueux repas, il m’a exposé sa vision de l’Empire et m’a demandé si je voulais l’aider dans sa tâche. Tu sais, je ne le haïssais pas d’avoir tué tes parents, et toi. C’est étrange et cruel, mais ils ont baissé dans mon estime lorsque j’ai appris qu’ils étaient des Vardens, après tout, à cause d’eux la paix n’existe…
- Les Vardens ne sont pas mauvais, rétorqua calmement Jéanna, ils aspirent à un monde plus juste, c’est tout.
- Peut-être. Dans tous les cas, j’acceptai. Tu l’as déjà rencontré, et tu sais qu’il est très persuasif et qu’il forge l’admiration… Seulement, j’ai rapidement regretté mon choix. Quelques mois plus tard il m’a ordonné de prendre la tête d’une de ses troupes de soldats et de punir une petite ville au sud où des rebelles devaient séjournés. Il était furieux car les Vardens avaient massacré plusieurs de ses troupes et il avait soif de vengeance. Je lui demandai ce que je devais faire des villageois innocents et il m’a répliqué de tous les exterminer. Alors quand je l’ai quitté, j’ai immédiatement averti Tornac et nous avons décidé de fuir. Mais le roi connaissait déjà notre plan : à la sortie de la ville des gardes nous attendaient. J’ai réussi à passer, pas Tornac. Ensuite je me suis caché chez un ami, et ai eu vent de la mission des Ra’zacs de chercher ou tuer quelqu’un ; j’ai repensé au plan de Galbatorix par rapport aux dragonniers et ai décidé de me mettre en route pour voir si un dragon avait éclos. Et je vous ai trouvés..
- Et sauvés.
Soudain, derrière eux, Saphira se réveilla, bailla allègrement tout en étirant son long corps musculeux. Jéanna se leva alors et retourna préparer un petit déjeuner. Murtagh resta encore assis quelques secondes, l’esprit ailleurs, puis se redressa et rejoignit à son tour le campement.
Ils arrivèrent à Gil’ead au milieu de la journée. La cité, construite non loin du lac Isenstar, n’était pas très belle : un amas de maisons de bois et de pierre entourait une citadelle imposante qui contenait une des garnisons les plus fournies de l’Empire.
La petite troupe établit son bivouac à deux lieues de la ville, à distance suffisante pour observer les allées et venues à l’intérieur de la forteresse sans être vus. Murtagh se proposa de rencontrer Dormnad, la personne qui devait les conduire aux Vardens, à la place d’Eragon ; il courrait moins de risques que le dragonnier dont la survie était cruciale. A contre cœur ce dernier accepta.
- Très bien, dit Murtagh, si tout se passe bien, je serai de retour dans quelques heures, gardez-moi un peu à manger !
Il enfourcha Tornac, mais avant qu’il ne partît, Jéanna posa une main sur son genou :
- Fais attention à toi.
- Promis, assura-t-il.
Alors, il se pencha et embrassa la jeune fille sur le front, et s’en fut au galop.
Elle resta immobile, suivant la silhouette du cavalier s’éloigner. Désormais elle comprenait pourquoi le jeune homme ne la laissait pas indifférente, mais elle ne savait pas encore très bien ce qu’elle ressentait.
Lorsqu’elle se retourna et s’assit devant le feu pour attendre, un délicat sourire faisait briller ses yeux.
- Ne t’inquiète pas, dit-elle au dragonnier soucieux pour leur ami. Il ne lui arrivera rien.
- Espérons…
Eragon observa les branches crépiter un long moment avant de dire :
- Jé… anna ?
Elle releva la tête et sourit.
- Continue de m’appeler Jéna, je suis Jéna.
- Très bien. Dis-moi… es-tu heureuse d’avoir retrouvé la mémoire ? Nous n’avons pas eu l’occasion d’en reparler depuis hier.
La jeune fille était touchée que le dragonnier s’occupe d’elle. Elle avait tellement de choses à dire, et à taire également, elle ne savait pas trop où donner de la tête.
- Oui, je pense être heureuse de me souvenir enfin, même si mon passé n’est pas entièrement fait de lumière… Mais, c’est étrange. J’ai l’impression de ressentir la même chose que lorsqu’on exauce le caprice d’un enfant. J’ai souhaité ardemment connaître mon identité et mon passé, et maintenant que je les connais, leur saveur est moins agréable… tu vois ?
- Hmm. Oui. Ne pas tout avoir est parfois mieux, puisqu’on se crée des rêves.
- Exactement.
- Que vas-tu faire maintenant ?
- Je vais rester avec vous bien sûr ! S’exclama-t-elle. Pourquoi partirais-je ? Ma place est avec vous. Et puis, mes parents faisaient parti des Vardens, je pense qu’il est de mon devoir de prendre leur succession.
« Nous t’en sommes reconnaissants, dit Saphira.
- Oui, ajouta Eragon. Nous avons besoin de toi. Je ne sais pas encore très bien ce qu’il se passera une fois que nous serons chez les Vardens, savoir que tu es à nos côtés jouera peut-être en notre faveur. Ils te feront certainement plus confiance.
- Peut-être. De plus, je ne les laisserais pas vous faire du mal. Comptez sur moi, assura la jeune fille.
- Dis-nous, est-ce que tu étais proche de Murtagh ?
Enfin cette question. Cette question à laquelle elle ne souhaitait pas répondre. Ce n’était pas le moment.
- … un peu, pourquoi ?
- Saphira et moi avions remarqué qu’il semblait préoccupé en ta présence, maintenant tout s’explique puisqu’il te connaissait et te croyait morte… mais… il n’aurait jamais réagi de cette façon si vous n’étiez que de simples connaissances.
- Nous étions bons amis. C’est tout, conclut-elle.
Elle ne voulait rien dire de plus, mais ce n’était pas chose aisée, elle ne pouvait éluder une question si facilement… Eragon n’ajouta rien, même s’il n’était pas satisfait.
« Que nous cache-t-elle ? Dit-il à Saphira.
« Que nous cachent-ils plutôt, tu ne crois pas ?
« Si elle faisait partie de l’entourage du roi, elle devait être très riche, et Murtagh aussi de ce fait… d’où les affaires qu’il porte. Peut-on lui faire confiance ?
« Je ne sais pas, mais pour le moment il a prouvé sa loyauté, et peut-être qu’en réalité il n’est pas noble, qu’il a volé ces armes et vêtements.
« Peut-etre…
« …
Les heures s’écoulèrent.
A mesure que le soleil déclinait, Eragon, Jéanna et Saphira étaient de moins en moins confiants, de plus en plus nerveux. Ils se préparaient psychologiquement à fuir au moindre signe de danger.
Enfin, ils aperçurent un cavalier foncer droit vers eux, c’était Murtagh qui pensait avoir été suivi. Il leur raconta qu’il avait rencontré Dormnad et qu’ils avaient rendez-vous le lendemain sur une colline aux abords de Gil’ead. Cependant Murtagh aurait été reconnu par un homme et il craignait que ce dernier ne parle de lui à tort et à travers.
- Je ne pense pas qu’ils enverront des soldats à ta recherche après la tombée de la nuit, observa Eragon. Nous serons en sécurité au moins jusqu’à demain matin. Et alors, si tout va bien, nous serons partis avec Dormnad.
- Vous partirez avec lui, corrigea Murtagh. Je te l’ai déjà dit, je n’irai pas chez les Vardens.
Eragon parut déçu mais ne rétorqua rien ; Jéanna lança un coup d’œil à Murtagh qui l’intercepta, ils se comprenaient, mais dans le cœur de la jeune fille un doute s’insinua, un choix qu’elle ne voulait pas avoir à faire.
***
Jéanna fut réveillée par Eragon :
- Lève-toi, souffla-t-il, je crois que nous ne sommes pas seuls.
La jeune fille prit son épée et se plaça près de Murtagh qui se tenait sur ses gardes. Eragon et lui s’étaient positionnés de chaque côté de Saphira. Soudain, un cri sauvage retentit derrière eux, ils se retournèrent, un Urgal s’élançait sur Eragon qui l’accueillit en utilisant la magie. La créature s’effondra, mais au même moment, d’autres apparurent devant eux, ils étaient tombés dans un piège !
Jéanna se jeta sur le premier Urgal qui l’atteignait, elle sentit son épée fendre la gorge du monstre, suivit d’un immonde bruit de succion et d’une giclée de sang. Un profond dégoût remonta de l’estomac de la jeune fille, mais elle le refoula du mieux qu’elle put. Tuer la répugnait.
Tout à coup, Saphira rugit, Jéanna entendit clairement sa détresse dans son esprit « Eragon ! » Criait-elle. La jeune fille se retourna, deux Urgals emportaient le dragonnier, inconscient, mais elle n’eut pas le temps de lui porter secours, une des immenses créatures lui barra la route, abattant avec force une masse d’arme aussi grande qu’elle ; elle l’évita, mais trébucha, exposant son dos à une nouvelle attaque. L’Urgal leva le bras, mais avant d’avoir pu l’abaisser, s’effondra, une lame venait de lui pénétrer dans le corps et de se retirer vivement. Murtagh l’aida à se relever.
« Vite, montez sur mon dos, leur invectiva Saphira.
- Viens, dit Jéna, emmenant Murtagh par la main, nous pouvons les rattraper par les airs.
Ils grimpèrent sur le dos de la dragonne qui se propulsa de ses puissantes pattes arrières. Elle s’éleva haut dans le ciel encore sombre afin de repérer les monstres. Ils fuyaient vers la cité, montés sur des chevaux robustes et rapides. Jéanna sentait l’envie de la dragonne de plonger pour arracher Eragon de leurs griffes :
- Tu ne dois pas te montrer Saphira, si tu atterris si près de la ville, les soldats nous repéraient tout de suite. C’est une chance qu’ils ne nous aient pas déjà vus, nous ne sommes pas très loin…
- N’y a-t-il pas une autre solution ? Cria Murtagh à travers les bourrasques de vent.
« Regardez »
Jéanna observa les fuyards. Ils s’étaient arrêtés un peu à l’écart de Gil’ead. Elle pointa le doigt vers eux pour que Murtagh remarquât aussi ce qui se passait. Des soldats escortant un homme vêtu d’une cape couleur sable et aux cheveux flamboyants, allèrent à la rencontre des Urgals qui leur donnèrent Eragon contre ce qu’il semblait être de l’argent. Les gardes emportèrent le dragonnier tandis que les autres s’éloignaient vers le Sud.
« Les Urgals travaillent pour l’Empire ? S’étonna Saphira.
- Oui, ce n’est pas normal. Redescendons maintenant. Nous allons trouver un moyen de libérer Eragon.
Une fois à terre, ils rassemblèrent leurs affaires, et levèrent le camp le plus rapidement possible avant que les Urgals survivants ne reviennent s’occuper de leurs morts, si tant est qu’ils le fassent… mais il ne leur était pas permis de se poser des questions au risque d’avoir à les affronter de nouveau.
Ils retrouvèrent Saphira qui les avait devancés pour se cacher dans un fourrée au bord des rives du lac, ses yeux reflétaient l’immense tristesse qu’elle ressentait à cause de la disparition de son dragonnier. Dès que Jéanna mit pied à terre, elle s’approcha d’elle :
- Saphira, nous le libérerons coûte que coûte ! Sois en certaine !
- Ils l’ont emmené dans la ville, ce ne sera pas difficile de trouver les prisons où il doit être retenu prisonnier. Par contre pour le faire sortir… il nous faut un plan !
- Et plus d’informations, nous ne connaissons pas Gil’ead, ni les habitudes des gardes. Si nous y allons sans plus amples renseignements cela revient à se jeter dans la gueule du loup.
Jéanna déballait quelques affaires tout en parlant tandis que Murtagh allumait un feu. La tension se sentait dans leur voix et leurs gestes, mais ils semblaient décidé à agir au plus vite.
- Les soldats seront certainement bientôt tous au courant qu’un prisonnier important est enfermé dans une de leurs cellules.
- Mais ils ne le révèleront pas à moins que je ne pénètre dans leur esprit, ajouta Jéanna.
- C’est bien trop dangereux, le plus simple serait de saisir une de leur conversation, mais cela risque de prendre des heures avant de tomber sur la bonne. Si on pouvait parler directement à l’un d’eux sans qu’il ne se doute de quoique ce soit…
La voix de Murtagh se perdit, il dévisagea Jéanna, hésitant. Elle l’observa un instant, sans comprendre, puis ses yeux s’agrandirent, elle rougit.
- Non, non, non non non ! Ça ne va pas ? Cria-t-elle. Je n’aime vraiment pas ton idée. Comment peux-tu ne serait-ce qu’y penser !
« Qu’y a-t-il ? Demanda Saphira, ses yeux passant alternativement de l’un à l’autre.
Jéanna ouvrit la bouche, mais sa réponse se confondit dans un rire quelque peu nerveux. Arrachant des touffes d’herbe elle dit articulant lentement :
- Murtagh suggère que je soutire des informations aux gardes.
- Ce soir.
- Ce soir. … Non, tu es fou ?! Se précipita-t-elle de reprendre.
- Plus tôt on saura, plus on aura du temps pour réfléchir à un plan.
- Mais je ne sais pas faire ça !
- Nous n’avons pas d’autres solutions. C’est la plus efficace. Tu es jolie, personne ne se méfiera !
La discussion tournait à la dispute, Murtagh et Jéanna se criaient presque dessus, la jeune fille était bouillante, autant de mécontentement que de honte. Soudain, Saphira grogna, suffisamment fortement pour interrompre les deux jeunes gens.
« Je ne comprends pas ce qu’il y a de si perturbant.
Jéanna soupira :
- Les hommes parlent facilement, entre eux ou pas, en présence de filles de joie…
« Oh, je vois…
- Tu comprends donc que je ne veuille pas y aller.
« Oui. Je ne souhaite pas que tu fasses quelque chose contre ta volonté Jéna. Y a-t-il d’autres moyens ?
- Sûrement, mais celui-ci est le plus, simple. Et le moins risqué, enfin en théorie. Personne ne me soupçonnera.
- Alors tu y vas ?
- Je n’ai pas vraiment le choix, ironisa-t-elle. Je déteste ton idée, elle me répugne, mais pour sauver Eragon, je dois le faire.
- Je viendrai avec toi et resterai à proximité si tu veux, proposa Murtagh.
- Non, ça ira, je ferai attention.
L’après-midi, Murtagh se rendit en ville acheter des provisions et se renseigner, au cas où, sur la présence d’un prisonnier important. Il apprit uniquement que la prison se trouvait dans les sous-sols de la citadelle, et que c’était là qu’on enfermait les ennemis de l’Empire.
Quand il revint au campement, Jéanna s’était changée, elle avait troqué sa robe contre une chemise d’homme et un pantalon rentré dans ses bottes.
- Tu veux faire fuir les gardes ? Ironisa Murtagh.
- Je serai plus à l’aise comme ça.
- Mais ce n’est pas très…
- Qu’importe, le coupa-t-elle, un sourire mi-amusé mi-énervé sur les lèvres.
Il leva les bras, résigné.
- Tu as trouvé quelque chose, demanda-t-elle une note d’espoir dans la voix.
- Il y a une prison dans la citadelle, Eragon doit être là-bas, mais je ne sais pas le chemin pour y aller, et on ne peut pas se permettre de fouiller chaque couloir, cela prendrait trop de temps. Par contre j’ai appris que les soldats aimaient passer leurs soirées dans une auberge en centre ville…
- D’accord. Ça me donne une idée…
- Laquelle ?
- Je te le dirais si elle fonctionne, dit-elle, énigmatique.
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