Un chapitre où il ne se passe pas grand chose,
j'en suis navrée, mais il est nécessaire à mon avis.
Le prochain, c'est promis sera plus dynamique !
bonne lecture
- Je le sais, c’est tout. Eragon, se renfrogna, cela faisait une bonne vingtaine de minutes qu’il tannait Jéna pour qu’elle lui dise comment elle avait pu les retrouver, et savoir qu’ils suivaient la piste de l’huile de Seithr qui les amèneraient jusqu’aux Ra’zacs. Brom paraissait bien s’amuser à les entendre se chamailler. « Elle pourrait quand même me le dire, rouspétait-il à Saphira « Chacun à le droit d’avoir ses secrets… « Mais elle vient à peine d’arriver, comme une fleur, elle s’incruste dans notre groupe et voudrait que je lui fasse confiance comme ça ?! « Brom lui fait confiance, n’est-ce pas assez? « Non. Je ne comprends vraiment pas, comment peut-elle savoir autant de chose sur nous ? « Je ne sais pas, elle est peut-être voyante. « Ou bien elle nous suit depuis que nous sommes partis. « C’est impossible et tu le sais bien. Tu trouves ça louche que quelqu’un qui t’es étranger veuille t’aider, c’est tout. « Admets quand même que c’est étrange qu’elle apparaisse d’un coup comme ça. « Elle t’a sauvé la vie… « hufmm « …et tu ne supportes pas qu’une fille t’ait secouru. Eragon sentit l’amusement de la dragonne, il maugréa intérieurement et rompit le contact avec Saphira. Il voulait savoir ce que cachait Jéna, aussi étendit-il son esprit vers le sien. Ce qu’il y trouva était très étrange. Il se trouvait au milieu d’un pré, en pleine nuit, l’herbe ondoyait au rythme d’un vent qu’il percevait. Au milieu il y avait un petit lac, quatre rochers dépassant de l’eau conduisaient à un îlot où poussait un cerisier. Il était en fleur. Mais l’obscurité ambiante rendait ternes les couleurs qu’auraient dut avoir ces pétales. L’endroit était magnifique, mais aussi terrifiant. Terne, froid, gris. Il manquait le soleil, la clarté du jour. « Eragon, ne te perds pas, l’avertit Saphira. Reprenant ses esprits, Eragon retourna dans son propre corps, bouleversé par cette sensation d’égarement qu’il avait ressentie. « Que m’est-il arrivé? « Je ne sais pas, j’ai eu l’impression que tu partais… « C’est étrange… Il considéra Jéna d’un œil suspicieux. Après avoir inspecté, sans succès son esprit, si différent de ceux qu’il avait déjà vus, il la regarda. Elle n’était pas très grande quoique plus âgée que lui de trois ou quatre ans. Sa peau claire contrastait avec le châtain foncé de ses cheveux. Ces derniers étaient tressés et maintenus par un ruban rouge vif; ils descendaient tout le long de son dos jusqu’en haut des cuisses. Elle avait des yeux de chat, légèrement en amande, d’une couleur brune illuminée par des paillettes dorées qui rendaient son visage toujours souriant ou toujours mélancolique, comme humide de larmes. Il était arrondi mais bien dessiné, ses lèvres petites et fines, son nez, aquilin, n’en était par pour autant pointu et agressif. Des cernes de fatigue assombrissaient sa figure mais ne l’enlaidissait nullement. Elle chevauchait avec aisance et dignité, le dos droit mais pas raide, les mains détendues sur les rennes… « …telle une noble » pensa Eragon. De fait, Jéna était belle. Tout simplement. Le jeune homme ne l’avait jamais remarqué. « D’ailleurs, se dit-il, si les gens n’avaient pas eu tant de méfiance à son égard, ils l’auraient certainement constater eux aussi… » « elle te plait ? murmura Saphira dans son esprit « Bien sur que non! Une fois de plus, il perçut le plaisir amusé de la dragonne à comprendre tout ce à quoi il songeait. Il cessa de regarder la jeune fille et se rembrunit plongé dans ses pensées.
Jéna leur avait conté ce qu’il s’était passé à Carvahall depuis leur départ, il y a de ça deux mois et demi environ, c’est-à-dire « rien », selon ses termes. Eragon lui avait posé beaucoup de questions sur son cousin, mais elle n’avait que peu de réponse à lui fournir. - Il était effondré en apprenant la mort de son père, avait-elle dit une note douce de chagrin dans la voix. Maintenant il travaille à la forge. C’est tout ce que je sais, désolée. Puis, il y a trois semaines environ, elle était partie à leur recherche; elle avait acheter un cheval qu’elle avait baptisé Puceron, et avait chevauché une moitié de chaque jour au trot. - Comment se porte ta jambe, lui avait demandé Brom. - Mieux, beaucoup mieux… Mais je ne pouvais attendre plus longtemps à Carvahall, alors je t’ai, disons, désobéi, ce n’est pas de si tôt que je pourrais vous suivre en courant! Avait-elle ajouté un sourire au coin des lèvres. Ensuite elle écouta Brom raconter en détails ce qu’ils avaient fait, leur voyage jusqu’à Teirm, l’entraînement régulier d’Eragon, leur rencontre avec Jeod et la nouvelle destination qu’ils avaient envisager: Dras-Leona.
Ils chevauchaient maintenant depuis près de deux heures. Jéna avait entendu tout ce qu’il fallait sur les aventures de Brom et d’Eragon, et se mit à somnoler sur sa selle, n’écoutant que d’une oreille distraite la conversation des deux hommes. Brom décrivait divers scénarios à Eragon, combinant Saphira, les Urgals et sa magie. Il lui posait des questions souvent compliquées, qui nécessitait une concentration totale et un esprit éveillé. À l’évidence ces points manquaient au jeune garçon. Il paraissait épuisé, et son bras cassé attachait à une attelle devait le faire souffrir, et ne l‘aidait pas pour se concentrer. Néanmoins il ne protestait pas.
L’après-midi se consumait, bientôt le soleil disparaitrait derrière l’horizon et l’océan. Jéna observait Eragon. Il n’était plus le garçon de ferme qu’elle croisait de temps en temps au village. Il avait grandi, et son corps était plus fin et plus musclé qu’auparavant, fruit de ses exercices avec Brom et certainement de son nouveau statut de Dragonnier. Ses traits étaient tirés par la fatigue, mais ce n’était pas la seule cause à ses joues creuses: il n’avait plus l’air d’un enfant. Il n’avait pas encore seize ans, mais des expériences dures et douloureuses imprimaient déjà son regard.
Ils s’arrêtèrent pour la nuit dans un petit bosquet d’arbres, Saphira les rejoignit et s’installa pendant que Brom faisait du feu et qu’Eragon déchargeait les chevaux. Jéna ne savait pas trop où se mettre alors que le petit groupe avait déjà des habitudes bien établies. Elle défit les sacoches et la selle de Puceron et le conduisit près des autres chevaux qui broutaient tranquillement l’herbe au pied d’un arbre. Puis elle se proposa pour le repas prétextant qu’elle était moins fatiguée que Brom ou Eragon, qu’il fallait qu’ils se reposent tous les deux. Tandis qu’elle s’exécutait, les deux autres la regardaient, ses joues étaient en feu: elle n’aimait pas savoir qu’on la fixait.
- Aah, dit Brom en se frottant le ventre, Jéna, ce dîner était merveilleux, nous n’en avons pas eu d’aussi bon lorsque nous étions sur les routes. Ce n’est pas Eragon qui nous préparerait un repas tel que celui-ci n’est-ce pas ? - Vous pouvez parler, rétorqua en souriant le dragonnier, les vôtres sont à peine mangeables! A croire que vous n’avez jamais cuisiné de votre vie! Ils rirent tous les deux à pleines dents, la tension des derniers jours retombant immédiatement. Jéna sourit aussi, un sentiment qu’elle ne connaissait pas se formait en elle, un bien-être immense, l’impression de ne plus être seule…
Cette nuit-là elle réfléchit à ce qu’elle était en train de vivre. Elle voyageait avec un vieil homme, un fermier, et une dragonne. Ils étaient à la recherche des meurtrier de Garrow, pour les tuer, mais après, elle ne savait pas quel chemin ils emprunteraient. Eragon ne pouvait rester neutre dans le conflit qui secouait secrètement ou non l’Alagaësia. Il devait choisir: être avec l’Empire, ou être contre l’Empire. Elle soupira. Elle savait qu’Ils l’attendaient depuis longtemps. Soudain, une interrogation se forma dans son esprit. Pourquoi lui avaient-Ils fait confiance? Ils l’avaient accueillies, parce qu’Ils ne « pouvaient pas l’abandonner ». Mais Ils lui avaient également révélés beaucoup d’informations pour une simple fille… Perplexité. Questions. Machinalement elle effleura le pendentif autour de son cou. Une chaleur réconfortante l’envahit et elle s’endormit d‘un coup, oubliant pour un instant ce doute…
***
- J’ai fait un rêve étrange l’autre jour, dit Eragon, il y avait une femme, elle était enchaînée dans une cellule, seuls de faibles rayons de soleil passaient à travers des barreaux placés très haut dans le mur. Elle semblait extrêmement triste. Et hier, pendant que je vous attendais dans la clairière j’ai tenté de la visualiser, je voulais savoir si je pouvais invoqué un rêve ou quelque chose d’autre que j’aurais imaginé. - Et ? Demanda Brom. - Je l’ai vue! Elle était bien dans une cellule. Et le plus étonnant, c’est que j’ai l’impression qu’elle m’a vu! S’exclama Eragon subitement surexcité. - Tu dis qu’elle était emprisonnée? Murmura Brom en se caressant la barbe. - Oui. - As-tu vu son visage ? - Pas très bien. La lumière était faible; pourtant, je peux dire qu’elle était très belle. C’est étrange: je n’ai eu aucun mal à voir ses yeux. Et elle m’a rendu mon regard. - A ma connaissance, il est impossible de s’apercevoir que l’on est l’objet d’une visualisation. - Savez-vous qui elle peut être? Demanda Eragon, une note d’impatience dans la voix. - Pas vraiment, avoua Brom. Je pourrais avancer quelques suppositions; mais ce ne serait, justement, que des suppositions. En tout cas, ton rêve est… singulier. Tu as réussi à visualiser dans ton sommeil quelqu’un que tu n’as jamais vu, et cela sans même prononcer la formule appropriée! Les rêve nous mènent parfois dans le royaume des esprits, mais ceci est différent. - Nous n’avons plus qu’à fouiller toutes les prisons et tous les donjons du pays, jusqu’à ce que nous trouvions cette femme! Plaisanta Eragon. Brom souffla un léger rire, et reprit immédiatement les différents exercices qu’il imposait au jeune dragonnier. Jéna les observait, réfléchissant à ce « rêve étrange ». Elle n’était pas mal placée en ce qui concernait les rêves, mais jamais elle n’avait pensé essayer de les visualiser. De plus, elle se posait des questions sur l’identité de cette femme. - Tu as dis qu’elle était comment? demanda-t-elle à Eragon. Ce dernier se retourna, surpris d’entendre Jéna lui adresser la parole, elle était restée discrète toute la journée. - euh… elle avait de longs cheveux noirs, et des yeux en amande, d’une profondeur extraordinaire, dit-il, avec passion (?), mais c’est tout ce que je peux te dire, les images sont trop floues dans mon esprit. Jéna sourit avec un regard qui en disait long, ce qui fit un peu rougir Eragon. - Merci, dit-elle. Des cheveux noirs… Des yeux en amande… Le cœur de Jéna s’accélérait tandis qu’elle tournait en boucle ses deux minces informations. Des cheveux noirs… Des yeux en amande… Mais c’était forcément vrai si Eragon l’avait visualisée. Elle pensa aux deux autres. À Saphira. Il manquait néanmoins un chaînon, la cause…
L’après-midi était déjà bien avancée, le soleil poursuivait sa course lente dans le ciel sans se soucier des évènements qu’il éclairait. La petite troupe s’arrêta près d’un bras du Toark, le fleuve qui se jetait dans l’océan, pour y installer un campement. - Sors ton épée, dit Brom à Eragon, brandissant la sienne fraîchement entourée d’une protection magique. Comme tu ne peux combattre de la main droite, nous nous entraînerons de la gauche! Le dragonnier se mit en garde face au vieil homme. Jéna avait déjà vu le conteur porter un épée; ils avaient tous les deux croisé le fer quelques fois avant de se concentrer sur la magie ou tout simplement la lecture et la discussion. Les coups que portait Eragon de la main gauche étaient maladroits, manquait de précision. Brom lui donnait des conseils tout en le taquinant de la pointe de sa lame. Ils s’entrainèrent ainsi un long moment, Eragon progressait à chaque nouveau coup que lui portait son maître, Jéna était impressionnée par sa capacité d’adaptation, et par la vitesse à laquelle il apprenait. Bientôt il manierait l’épée aussi bien que de la main droite!
Le soir après le dîner, Brom s’installa à côté de Jéna, pendant qu’Eragon, le regard vide, devait s’entretenir avec Saphira. - Je suis désolé, dit-il, je ne t’ai pas parlé depuis longtemps. - Tout le monde était trop fatigué hier, je comprends. - Oui, mais je voulais dire que je t’ai laissée seule, je n’aurai pas du je pense, s’excusa-t-il. - Le moment n’était pas opportun, je me demande même s’il l’est aujourd’hui. Eragon ne me fait confiance qu’à moitié, et encore… - Ne t’inquiète pas pour ça, crois-tu qu’il m’ait accueilli à bras ouverts quand nous avons quittés Carvahall? Sans compté que tu as déjà la confiance de Saphira. Jéna soupira. Elle regarda la dragonne assise en face d’elle. Ses yeux bleus rencontrèrent les siens, deux océans sans fond, emplis d’une intelligence et d’une forme de puissance sauvage à faire frémir les plus courageux. Elle sourit à ces facettes scintillantes. - J’ai une question Brom. Non plusieurs… - Je t’écoute, répondit-il de sa voix profonde. - Je ne sais pas pourquoi je ne m’en suis pas aperçus plus tôt, pourquoi est-ce que les El…, Ils, m’ont emmenée chez eux, et surtout, pourquoi m’ont-ils révélée tant de choses, murmura-t-elle enfin. Brom ne répondit pas immédiatement; il sortit sa pipe de sa poche et entreprit de l’allumer. Il tira une ou deux bouffées du tabac avant de faire des ronds de fumée dans l’air. Jéna savait qu’elle ne tirerait rien de lui avant qu’il ne se décide à parler, alors elle attendit, une pointe de curiosité et d’impatience dans son maintien. - Je pense, commença-t-il, que le fait que tu connaissais mon nom en te « réveillant » ait beaucoup joué dans cette affaire. Pourquoi devais-tu te rendre auprès de moi, qui t’as donner cette information, tout cela est un mystère. Même en sondant ta conscience, ce qui est un acte trop important pour ne pas réfléchir au pour et au contre avant, je ne suis pas certain qu’on y découvre qui tu es et quel est ton passé. L’esprit nous joue parfois des tours et reste insondable pour le plus expert d’entre nous. Puis, toujours d’après moi, « Ils » ne pouvaient te cacher grand-chose: ce sont les-seuls-d’entre-eux-qui-parcouraient-l’Alagaësia qui t’ont trouvée, tu devais être mise au courant des raisons, de toutes les raisons, tu devais donc tout savoir. Et puis, tu n’es pas ordinaire Jéna, dit-il en la fixant, un sourire bienveillant sur le visage, et ça, Ils le sentaient aussi. Elle ne put s’empêcher de sourire, même si dire qu’elle « n’était pas ordinaire » lui plaisait peu, elle aurait préféré être comme tout le monde. - Je me demande si … est-ce qu’Ils savent qui je suis ? - Je ne sais pas. Comme je te l’ai déjà dit, même s’Ils le savaient, ce ne serait pas à eux de te divulguer ton passé, ton identité. Tu aurais des renseignements sur ta propre vie mais tu ne t’en souviendrais pas pour autant. Du moins est-ce mon avis. - Tu as sans doute raison, pourtant, j’aimerais tellement, retrouver la mémoire, connaître mon passé pour mieux comprendre mes actes, mon avenir! Dit Jéna, une note de détresse dans la voix. Ses yeux s’embuèrent alors qu’elle ne voyait, ne ressentait que du vide en elle, qu’elle n’était habitée que par une obscurité sans fin, dans laquelle des sons, des impressions se mêlaient parfois, ainsi qu’une peur. Une peur qui dominait tout. Qui l’avertissait d’un danger dont elle ne se souvenait pas. Cette peur qui chaque nuit la réveillait. Qui parfois sans préavis surgissait de son inconscient et frappait son corps, son âme. Une tétanie qui, les premiers mois de sa nouvelle vie la poursuivait sans relâche, puis, qui s’était calmée, qui semblait disparaitre, avant de refaire surface et de l’emmener au bord de l’abîme. De l’abandon. Du néant. Brom passa un bras autour de ses épaules. L’embrassa sur le front comme le ferait un père pour sa fille. Des battements réconfortants pulsèrent dans son être. Venus de nulle part. Elle sourit. D’un vrai sourire, doux, reconnaissant, pas un de ces sourires sans joie, uniquement là pour faire plaisir à ceux qui réconfortent. Elle mit de côté son passé.
Eragon et Brom dormaient, Saphira restait éveillée pour surveiller les alentours. Jéna écoutait les respirations différentes de ses compagnons. Elle repensait à ce que lui avait dit Brom « tu devais donc tout savoir ». Elle n’était pas pleinement satisfaite de cette réponse, et le vieil homme le savait également. Savaient-ils tous qui elle était ? Brom ne l’avait pas réfuté…
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