Elle se précipita sur lui. Le vieil homme gisait dans une mare de sang, son sang. Elle s’agenouilla et prit sa tête entre ses mains, caressant ses cheveux souillés. Il respirait avec difficulté. Son corps fut parcouru d’un spasme léger, puis, lentement, il ouvrit les yeux : son regard était dur et froid. Il ne semblait pas avoir peur de la mort, ne semblait pas s’apercevoir qu’il était sur le point de partir dans un univers inconnu…

-          Pourquoi m’as-tu abandonné ?

Ses lèvres remuèrent, mais les mots qu’elle entendit provenaient d’ailleurs. Ils étaient partout, nulle part, autour d’elle et en elle. Ils étaient accusateurs. Cruels.

-          Pourquoi m’as-tu abandonné ?

Cette phrase se répéta encore et encore, enfonçant le couteau dans la plaie béante de son âme. Déchirant son cœur, meurtrissant sa conscience. Elle n’était que vérité. Et cela en était insupportable. Sa culpabilité la submergeait, le chagrin s’empara de son visage qui déborda de larmes amères et brûlantes. Lorsqu’elles tombèrent sur le visage aux prunelles d’acier, elles s’évaporèrent, formant un petit panache de fumée, qui étrangement ne disparut pas. Il commença à scintiller d’une minuscule lumière rouge, qui soudain commença à ronger la peau et la chaire de Brom. Elle regarda paniquée le visage se décomposer, s’embraser et disparaître comme une feuille à laquelle on aurait mis le feu. Sa chaire fondait, découvrant ses os d’une blancheur d’albâtre, exorbitant son œil éternellement braqué sur elle. Elle ne comprenait pas ce qui se passait, et cette vision d’horreur ne fit que s’amplifier à mesure que ses larmes aspergeaient le Conteur.

Alors que la dernière trace de muscle se résorbait, elle entendit une fois de plus ces cinq mots :

-          Pourquoi m’as-tu abandonné ?

-          Jéna, Jéna ?!

Elle se réveilla en sursaut, le corps en sueur, le visage dégoulinant de larmes. Elle sentait encore la brûlure de ses pleurs inonder ses yeux, sa gorge obstruée par une boule d’angoisse et de tristesse. Eragon était assis à côté d’elle, l’air inquiet ; visiblement il venait de se réveillé car ses cheveux étaient en désordre.

-          Tu hurlais le nom de Brom, et d’autres choses… murmura-t-il.

-          … Pardon, je, je ne voulais réveiller personne, s’excusa-t-elle.

Elle se redressa sur un coude, chassant de ses pensées cet œil fixé sur elle et scrutant les tréfonds de son âme et s’essuya le visage d’un revers de manche.

Le jeune homme la considéra un moment, il ne savait pas quoi penser de Jéna. Il était évident qu’elle souffrait au moins autant que lui de la disparition du conteur. Il avait trouvé un responsable à sa mort, mais commençait à s’en vouloir que par sa faute elle éprouve des remords qui rongeaient aussi son inconscience. Si chaque nuit était comme celle-ci, tout le monde en souffrirait.

-          Ça va aller ? Demanda-t-il.

Elle hocha la tête le regard dans le vide.

Le jour n’était pas encore levé, mais leur petite troupe au complet était désormais réveillée. Eragon se leva, le visage grimaçant de douleur, et partit de rasseoir contre le flanc de Saphira.

Un peu plus loin, Murtagh les avait observés, mais Jéna n’avait pu voir l’expression de son visage caché dans l’ombre.

Ce jour-là, Eragon vendit Cadoc dans un petit village, cela faisait bientôt deux jours que Brom était mort. Ils étaient assez loin de Dras Leona à présent, mais restaient prudents quand ils croisaient des voyageurs dans cette zone sauvage d’Alagaësia.

Les deux nuits qui suivirent, Jéna, hantée par le défunt, réveilla ses compagnons. Elle ne s’en rendait pas compte, et à chaque fois Murtagh ou Eragon durent la secouer pour la sortir de ses tourments. Sa souffrance la faisait dépérir plus qu’elle ne le voulait, et alourdissait l’atmosphère autour des voyageurs. Eragon, poussé par Saphira fut obligé d’admettre son erreur, et présenta ses excuses à Jéna pour le mal qu’il lui avait fait en l’accusant de la mort de Brom. Entendre ces mots de la part du dragonnier allégea un peu plus la peine qu’elle ressentait, mais le mal était fait, et même si elle ne se sentait plus si coupable lorsqu’elle était éveillée, son inconscience, elle, semblait refuser de l’admettre. Néanmoins les excuses d’Eragon eurent pour effet de faire cesser les gémissements nocturnes de Jéna et de lui rendre une certaine bonne humeur ou tout au moins de lui redonner des couleurs aux joues.

Ils étaient partis tôt ce jour-là, l’air froid du matin les avait poussés à s’activer, chevaucher était plus agréable que de traîner dans la rosée fraîche. Le  soleil printanier les réchauffait de ses rayons tandis que les trois jeunes gens mangeaient le pain et les fruits secs achetés l’avant veille. Eragon et Murtagh s’étaient trouvés un sujet inépuisable de conversation : la chasse. Ils conversaient avec, sinon entrain, réel intéressement sur les subtilités d’un art qui ennuyait profondément Jéna. Mais au moins, se disait-elle, ces discussions à n’en plus finir permettraient à Eragon d’oublier un instant le chagrin qui le rongeait. Ce dernier s’était d’ailleurs relativement rapproché de la jeune fille, depuis qu’il lui avait présenté ses excuses. Il avait réussi à laisser de côté son orgueil et ses reproches envers elle pour la soutenir, ils partageaient après tout la même peine. Le soir ils discutaient longuement avec Saphira et cela les unissait un peu plus.

Jéna soupira bruyamment, Eragon s’interrompit dans son discours sur les techniques de pistage et la regarda, surpris ; Murtagh quant à lui sourit et dit :

-          La chasse t’ennuie tant que ça ?

-          Je ne vois pas l’intérêt de débattre durant des heures sur la meilleure manière de traquer un lapin, répondit-elle d’un ton ennuyé mais néanmoins légèrement moqueur.

-          Tu n’es pourtant pas mécontente quand Murtagh te le rapporte, ce lapin, rétorqua Eragon un peu brusquement.

Jéna ne se formalisa pas de son ton de voix, elle leva la tête, et s’étira nonchalamment :

-          Manger de la viande ne me dérange pas, mais je ne pourrais pas tuer un animal de sang-froid, même pour me nourrir. C’est trop répugnant.

-          Alors heureusement que je m’en charge à ta place, ironisa Murtagh.

Jéna considéra le jeune homme, étonnée, il n’avait pas encore fait preuve d’autant de familiarité avec eux. Murtagh afficha un immense sourire, puis baissa les yeux et secoua la tête, amusé. Jéna fit la moue mais elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire à son tour.

-          Dissertez sur les meilleures techniques de nous faire un bon repas dans ce cas, on se retrouve plus loin !

Sitôt dit, la jeune fille talonna sa monture et partit au galop, distançant rapidement ses deux compagnons de voyage.

-          Ne t’éloigne pas trop ! lui hurla Eragon.

Mais elle l’entendit à peine, filant tout droit, sans autre but que de se changer les idées. Les quelques jours qui avaient suivis leur escapade à Dras Leona et la mort de Brom avaient été éprouvant autant physiquement que moralement, et Jéna souhaitait décompresser, de plus elle avait suffisamment récupéré pour ne plus se soucier de sa jambe meurtrie quand elle chevauchait.

Le vent sifflait à ses oreilles et faisait voler ses cheveux tressés derrière elle, la vitesse lui procurait un intense sentiment de liberté qu’elle n’avait pas éprouvée depuis fort longtemps. Cette félicité lui fit oublier un moment la douleur de ces derniers jours, et lui donnait envie de vivre et de rire. Le cheval sauta allègrement un ruisseau d’eau vive, à cet instant le cœur de Jéna bondit dans sa poitrine, des frissons de plaisir parcoururent sa peau. Elle étendit son esprit comme on lui avait appris à le faire, s’ouvrant au monde, à la Nature. Des milliers d’impressions, de sensations, de vies communièrent avec elle ; elle ressentait la lutte de chaque être vivant de la prairie, toute cette Vie embauma son âme de joie et d’énergie, faisant naître en elle un désir profond, puissant, une pulsion de vie, qui la ferait aller de l’avant, effacerait ses inquiétudes, surpasserait ses peurs.

L’excitation de Jéna avait du se transmettre, car Puceron accéléra, tout en cabriolant joyeusement. Bientôt, une buse les rejoignit, volant en cercles désordonnés autour d’eux. Le cri du rapace était gai et enjoué et Jéna se mit à rire, réveillant la Nature : des oiseaux chantèrent un peu plus loin, les insectes bourdonnèrent plus fortement, les loups hurlèrent en une symphonie heureuse, des pétales de fleurs tourbillonnèrent en une ronde entraînante. Le passage de la jeune fille avait quelque chose de mystique et de magique…

Sa chevauchée fantastique dura plus d’heure ; une heure durant laquelle Jéna oublia ses tourments et ses angoisses pour ne plus être qu’un être vivant, libre. Mais elle finit par repenser à Eragon, et Murtagh qui devaient être loin derrière à présent, et dut s’arrêter, laissant s’échapper par-là même le vent et le bonheur qui l’avaient accompagnée. Néanmoins un rire, presque nerveux, restait dans sa gorge sèche, trace fugace de sa béatitude.

Elle mit pied à terre, décidée à attendre les deux jeunes gens qui mettraient certainement plusieurs heures à la rejoindre ; elle défit ses sacoches et la selle de Puceron, avant de préparer un feu à l’aide de branches trouvées sous les arbres entourant la clairière dans laquelle elle avait décidé d’installer le campement.

Une fois qu’elle se fut assise, elle sortit de son sac les « chroniques des temps présents » et chercha la dernière illustration. Elle représentait Saphira et Eragon sur le promontoire de gré où gisait Brom. La dragonne posait son museau contre le tombeau, et ce dernier se changeait en diamant !

Jéna passa la main sur la gravure, comme si elle pensait pouvoir toucher une nouvelle fois la tombe. La tombe devenue joyau.

-          Brom méritait une telle sépulture, pensa-t-elle tout haut.

Ses yeux s’embuèrent, mais elle chassa les larmes rapidement, elle ne voulait pas penser à la mort.

Elle referma le livret sans même jeter un coup d’œil aux explications, puis l’enfouit au fin fond de son sac. Elle n’avait pas parlé du livre à Eragon, ne lui avait pas expliqué la façon dont elle avait su où les retrouver, lui, Saphira et Brom. Elle ne savait pas quelle réaction il aurait en apprenant qu’un tel objet existait. Jéna tressaillit : ce livre ne devait pas tomber entre de mauvaises mains, il contenait beaucoup trop d’éléments sur le dragonnier et sa dragonne qui pourraient les compromettre… Elle eut alors une idée, assez simple somme toute, elle reprit le livre entre ses mains, et chercha les mots adéquats afin de le protéger contre toutes intrusions. Cela lui prit peu de temps, mais le manque d’exercice, et l’abattement des derniers temps se firent sentir, car ce sort lui coûta beaucoup d’énergie pour le peu qu’il nécessitait ordinairement. Elle s ‘entraînerait de nouveau un autre jour. Pour le moment, elle devait attendre. Jéna s’allongea sur le dos, et ferma les yeux, écoutant le chant du vent sur la cime des arbres, et tous les petits bruissements de la forêt.

« Eragon a besoin de toi, et toi de lui » lui avait dit Saphira.

Qui était exactement Eragon pour elle ? Au départ, il avait été le nouvel espoir dont on lui avait tant parlé, puis elle s’était attachée à ce garçon, il était un ami, un ami avec ses défauts, mais peut-être étaient-ce les circonstances qui avaient engendrées sa méfiance à son égard ; il avait aussi des qualités, et leur lien s’était renforcé malgré les ressentiments qu’il avait pus éprouver. Ils étaient plus proches effectivement, mais cela n’allait pas plus loin, Jéna ressentait plus un devoir de protection envers Eragon, comme celui d’une sœur pour son frère. Rien de plus. Elle était heureuse de l’avoir à ses côtés, rester souvent seule durant plus d’un an n’avait pas été toujours très joyeux, même si Jéna ne s’en plaignait pas, vivre était bien suffisant pour elle.

Soudain, l’étreinte de Murtagh s’imposa dans le fourmillement de ses pensées. Une nouvelle fois, elle sentit un feu brûlant envahir son visage. Elle voulait se persuader que ce n’était que la honte d’avoir pleurer dans ses bras qui la mettait dans un tel état, mais sa raison pensait tout autre chose, elle ne pouvait nier qu’elle n’était pas indifférente à la présence du jeune homme. Elle avait l’impression que quelque chose au fond d’elle-même voulait se rapprocher de lui, mais ce n’était pas que physique…

-          Il est gentil, c’est tout, il ne s’intéresse pas à moi ; il faut que je me sorte cette idée stupide de la tête. Si je continue à me mettre dans de pareils états à chaque fois qu’il s’approche, il ne va plus oser me parler, et pour le groupe il vaut mieux que nos relations soient les meilleures possible.

Jéna se releva à moitié ; assise en tailleur, elle tentait de trouver le moyen de contrôler ses émotions, mais sans Murtagh elle ne pouvait rien faire. Seule la « pratique » la ferait avancer sur le chemin de l’indifférence. De frustration elle arracha des tiges d’herbe et entreprit de les découper en morceaux, laissant s’éparpiller les petits bouts verts à ses pieds. Une fourmi grimpa sur sa chaussure, se balada un instant en quête de quelque chose de comestible à rapporter, puis redescendit comme si de rien n’était.

Le temps s’écoula.

Jéna ne pensait plus à rien.

Patience et paix avaient été ses maîtres mots et elle désirait les retrouver.

Alors elle patienta.

Un bruit d’eau la tira de ses rêveries. Elle se leva et tendit l’oreille. Rien. Elle décida d’aller voir.

Un peu plus loin à travers les arbres, au pied d’une colline rocailleuse et à moitié cachée par un rideau de lierre, se tenait une petite mare alimentée par un ruisseau d’onde claire. L’eau miroitait sous le soleil de midi ; une branche morte flottait en son centre, sa chute avait révélé la présence de ce joli bassin. Jéna sourit. Un bon bain était le bienvenu. Une lessive également.

Ils chevauchaient tous les deux depuis maintenant presque quatre heures. Jéna était partie au grand galop sans explications, et ils espéraient qu’elle ne s’était pas perdue trop loin. Murtagh avait eu deux faisans qui s’étaient aventurés trop près des voyageurs, un bon repas en perspective. Au loin se dessina un petit bois au pied d’une colline escarpée.

« Puceron est là-bas, dit Saphira.

« Et Jéna ?

« Aussi. Elle a allumé un feu.

« Très bien, descends, nous arrivons.

Ils aperçurent la dragonne émerger des nuages et descendre en cercle à travers les arbres. Peu après ils atteignirent le campement préparé par la jeune fille. Des braises rougeoyaient au milieu de la clairière, son cheval mangeait de l’herbe sans se soucier des nouveaux arrivant, mais aucune trace de Jéna.

Eragon descendit péniblement de selle, ses côtes cassées le faisaient encore souffrir, cependant il avait refusé que Jéna le soigne, par pur orgueil selon Saphira. Il s’assit contre la dragonne qui s’était couchée de tout son long, laissant à Murtagh le soin d’enlever la selle de Feu de Neige, ce dernier ne se plaignait pas, même si Eragon profitait un peu trop de son état physique pour se faire aider.

Après avoir posé les affaires sur le sol, et déballer couvertures et ustensiles de cuisine, Murtagh dit :

-          Je vais la chercher, tu peux t’occuper des faisans ? Je les préparerai pour ce soir.

-          Très bien.

Murtagh sortit de la clairière, et commença à en faire le tour. Il entendit sur sa droite des clapotis d’eau, et décida d’aller vérifier par-là. Il aperçut un ruisseau qui se jetait un peu plus loin dans un bassin au bord de la falaise. Du lierre barrait le passage, il le souleva, et resta figé.

Son cœur s’emballa.

Sur des branches un peu plus loin, du linge séchait.

Et, au milieu de l’eau, Jéna lui tournait le dos. Ses longs cheveux trempés étaient collés contre son corps nu. Elle ne l’avait pas entendu arrivé. Lentement, elle rassembla sa longue chevelure et la ramena devant en une gerbe de gouttelettes étincelantes. Elle pencha la tête sur le côté. Leva les yeux…

Quand elle le vit son regard s’agrandit par la surprise, un petit sourire gêné embellit son visage ; elle resserra ses bras autour de sa poitrine. Murtagh rougit de plus belle, mais ne se détourna pas, il la contempla, fasciné, son attitude était indécente mais il semblait ne pas s’en rendre compte. Tournée de trois quart, Jéna dit, le rappelant à la réalité :

-          ah, vous êtes arrivés !

-          euh, oui, il y a quelques minutes… je te cherchais. Bien, continua-t-il en baissant les yeux de gêne, à tout à l’heure alors…

Puis, il repartit précipitamment sans oser se retourner..

Quand elle rentra au campement, Jéna trouva Eragon qui somnolait contre le flanc de Saphira, et Murtagh concentré sur un bout de bois qu’il était en train de tailler grossièrement et avec énergie. Il releva la tête et croisa son regard, mais le détourna aussitôt, feignant d’être trop occupé à déchiqueter la pauvre branche. La jeune fille rougit une nouvelle fois, passa prestement près de lui et s’assit loin de la chaleur du feu puis, elle sortit de son sac un carnet et une mine de plomb.

-          Pourquoi es-tu partie comme ça ? lui demanda Eragon.

Il avait rouvert les yeux et fixait Jéna en attente d’une réponse. Elle l’observa un moment, puis traça quelques traits sur sa feuille blanche.

-          J’avais envie de me changer les idées, c’est tout. Cela faisait longtemps que je n’avais pas galopé par plaisir.

Elle faisait naturellement référence à leur fuite précipitée de Dras Leona.

Eragon resta un moment songeur. Puis, montrant d’un signe de la tête le carnet de Jéna lui demanda ce que c’était, pour continuer la conversation. Elle se leva et lui tendit le calepin tout en se posant à côté de lui. Saphira leva la tête et regarda par-dessus l’épaule de son dragonnier.

Il y avait toute une série de dessins au crayon, plus ou moins précis et achevés. Eragon s’arrêta sur le plus beau qu’il trouva : l’esquisse le représentait, adosser au ventre de Saphira qui s’était étalée de tout son long dans une position assez comique. Brom fumait sa pipe, son regard perçant fixé sur le spectateur de la scène. Les personnages étaient très ressemblants, et Eragon eut un léger pincement au cœur en voyant Brom, qui paraissait plus vivant que jamais.

-          Tes dessins sont magnifiques, affirma-t-il.

-          Merci, dit-elle joyeusement. J’aime bien dessiner, c’est relaxant.

-          Il faudrait que tu m’apprennes alors.

-          C’est quand tu veux, nous avons largement le temps, et je dois avoir un deuxième crayon…

Jéna se leva et partit fouiller dans ses affaires, elle revint quelques secondes après, une seconde mine de plomb levée dans la main en signe de victoire, et d’un autre calepin, d’apparence plus neuve.

-          Tu n’as apporté que des cahiers ?! s’exclama Eragon.

-          Eh, il fallait bien que je m’occupe quand je n’étais pas à votre recherche… bon, poursuivit-elle avant qu’Eragon ne lui redemande comment elle les avait retrouvés plus d’un mois auparavant, que veux-tu apprendre ?

Il regarda Jéna qui lui sourit gentiment, et ils commencèrent leur activité.

Eragon n’était visiblement pas très habile avec un crayon, n’ayant que très peu écrit dans sa vie. Cependant il appréciait cette distraction, et la bonne humeur de Jéna était agréable. Il l’avait rarement vu dans un tel état de bien être. Elle lui avait donné comme exercice de reproduire une petite pâquerette poussant devant lui, et il s’était rapidement aperçut que toutes les esquisses qu’il réalisait étaient loin de ressembler à ne serait-ce qu’une fleur. Ils discutèrent un moment, puis Eragon demanda :

-          Quel est cet endroit qui protège ton esprit ?

Jéna ne répondit pas immédiatement, cherchant vraisemblablement de quoi le dragonnier pouvait bien parlé, puis elle leva la tête et agita son crayon :

-          aaah ! l’îlot ! c’est de ça que tu parles. A dire vrai, je ne sais pas trop, je crois que c’est un des seuls souvenirs qui me reste. Ce paysage était déjà là quand je me suis réveillée… mais c’est idiot, je ne me rappelle pas des couleurs qu’il peut avoir le jour. Elles ne doivent pas différer des autres coins de campagne, mais impossible de les retrouver. Alors il fait nuit, un peu comme ce que je ressens lorsque je sonde mon passé…

-          En tout cas, c’est un bel endroit.

-          Oui…

Avec avoir échanger quelques autres paroles, ils retournèrent à leurs travaux.

Pendant ce temps, Murtagh, qui avait lancé depuis longtemps la brindille qui lui restait dans le feu, songeait, allongé sur le dos, les bras croisés derrière la tête. Des dizaines de questions n’avaient cessé de circuler dans son esprit, ainsi que des espoirs qu’il avait cru à jamais perdus ; il essayait de mettre de l’ordre là-dedans, sans grand succès, car il restait une grande part d’ombre qu’il ne pouvait éclaircir seul… Il avait entendu la discussion entre Eragon et Jéna et cela n’avait fait que confirmer ce qu’il savait déjà.

Il ferma les yeux et sourit, tâchant de faire refluer les flammes qui brûlaient son âme. Mais penser ainsi ne fit que les attiser pour son plus grand malheur ou bonheur, il ne savait pas exactement. Néanmoins une certaine frustration comprimait son corps et son esprit, une frustration qu’il ne pouvait guérir sans en assumer des conséquences terribles qu’il regretterait. Il devait se murer dans un silence qui le faisait souffrir plus que jamais et dont le remède était si proche !

Il soupira et tourna la tête vers Jéna. Elle avait levé les yeux de ce qu’elle faisait et prodiguait des conseils au dragonnier.

Elle retourna ensuite à son croquis, et redressa la tête pour regarder Murtagh. Quand elle croisa son regard, elle lui sourit et, il en aurait juré, ses joues rosirent légèrement :

-          Continue de regarder le ciel, dit-elle.

Surpris, il ne comprit pas immédiatement la signification de ces paroles, mais lorsqu’elle tapota son carnet, il acquiesça et se remit dans la bonne position ; des nuages de beau temps flottaient dans ciel, emportés par le vent. Des sensations chaudes à son cœur l’embaumèrent, à cet instant précis il était heureux…