De nouveau un court chapitre (quoiqu'un peu plus long que les tout premiers peut-être) que j'adore x) J'ai pris beaucoup de plaisir à l'écrire, j'espère que vous en aurez autant à le lire !
Bonne lecture
Jéanna se réveilla, tout aussi épuisée que lorsqu’elle s’était endormie. Il ne faisait pas encore jour mais l’anxiété l’avait tirée de son sommeil déjà agité. Désormais ses nuits n’étaient plus hantées par de sombres pensées, mais uniquement par des fragments fugaces et insaisissables de souvenirs entrecoupés, mêlant sentiments de peur et de joie, de tension et de volupté… Néanmoins, elle ne parvenait pas à déchiffrer leurs significations ni même à saisir avec précision les images qui défilaient la nuit dans sa tête ; elle comprenait la teneur de ces songes sans pouvoir mettre dessus les mots qui lui auraient révélés leur véritable sens.
Elle se redressa et avisa Murtagh qui veillait assis sur un rocher en retrait du campement. Il fallait qu’elle lui parle, elle en avait envie mais seul le courage lui manquait. Jadis, elle n’aurait jamais hésité de cette façon, elle y serait allée et lui aurait avoué sans honte ce qu’elle avait sur le cœur ; cependant les temps avaient changé, elle n’était plus vraiment la même. Mais les évènements s’enchaînant avec frénésie, des préoccupations inévitables émergeaient, des abcès qui devaient être crevés…
Finalement elle se leva et s’approcha de lui en silence ; son pas boitillant n’en était pas moins discret et aucune brindille ne craqua sous ses pieds. Murtagh ne la remarqua pas. Elle resta un long moment à écouter sa respiration apaisante légèrement honteuse de ne pas se manifester, l’impression désagréable de l’épier à son insu. Puis avec douceur, elle effleura son dos de l’épaule droite à la hanche gauche. Murtagh se raidit brusquement sous le contact et se retourna vivement, l’épée au clair. Surprise et inquiétude se lisait sur son visage éclairé par la lueur des dernières étoiles. Son regard s’attarda sur Jéanna, mais il ne dit rien et finit par reprendre sa position initiale sans perdre de sa raideur. La jeune fille soupira et déclara :
- Tôt ou tard tu devras le leur dire. Et je pense que le plus tôt sera le mieux.
- Sinon quoi, maugréa-t-il. Tu le feras à ma place ?
- Non, c’est à toi de le faire Murtagh. Ils doivent savoir…
Elle leva la main et osa prendre une mèche de ses cheveux dans ses doigts, la triturant distraitement comme elle le faisait autrefois.
- Ils ne me feront plus confiance ensuite. Saphira n’hésiterait pas à me déchiqueter si elle craignait pour Eragon et je ne souhaite pas mourir aujourd’hui, crois-moi !
- Tu ne seras pas seul. Jamais je ne les laisserais te faire du mal. Si tu leur expliques ils comprendront et t’aideront à trouver une solution à…
- Mon petit problème ? Lâcha Murtagh ironiquement.
- Ce n’est pas drôle…
- A qui l’dis-tu. Cela me concerne, moi uniquement.
- Justement non.
- Tu ne peux pas quitter Eragon.
- Et pourquoi ça ? Dit Jéanna en haussant légèrement le ton.
- Parce qu’il a besoin de toi pour veiller sur lui, même avec un dragon à ses côtés il ne parvient pas à se défendre, je l’ai déjà dit l’autre fois.
Elle caressa ses cheveux aussi noirs que l’obscurité, une sourde tristesse ravageant son cœur. La nuit leur rendit l’écho de leur mutisme.
- Tu penses que j’ai eu tord n’est-ce pas ? Demanda soudainement Murtagh, le ton dur et cassant.
- De ?
Il passa son doigt sous sa gorge d’un coup sec.
- Pour Torkenbrand… dit Jéanna.
- Je n’ai pas supporté la façon dont il t’a traitée. Je me suis peut-être laissé emporter trop rapidement.
- C’était sans doute nécessaire, même si je n’ai pas apprécié la manière dont tu l’as fait…
Le corps de sa mère tombant sous la lame du roi ressurgit devant elle en un éclair glacé.
- Je ne t’en veux pas mais je ne t’approuve pas non plus ; seulement, de nous trois c’est toi qui as toujours eu le plus à te méfier de ton entourage, tu savais à quoi nous étions exposés.
- Je suis soulagé que tu ne me haïsses pas, souffla-t-il amèrement.
- Comment pourrais-je te détester, tu es mon unique et dernier lien avec qui j’étais, suis…
Elle s’interrompit, incertaine. Que dire à présent ? Elle avait tant de fois sonder son âme, son cœur, ses souvenirs, sa vie, ses doutes…
- Suis-je seulement cela à tes yeux ? Ton unique lien…
Elle ôta sa main de ses cheveux d’ébène et le contempla, déconcertée par sa voix grave et triste. Son cœur se mit à palpiter une fois de plus mais plus intensément, plus douloureusement que précédemment ; il semblait vouloir sortir d’elle, lui donnant ainsi l’envie féroce de l’arracher pour qu’il cesse de battre et de la faire souffrir. Des pulsations éprouvantes assaillirent ensuite son crâne, martelant ses parois avec force, l’étouffant sans l’empêcher de respirer.
- Tu ne réalises encore pas que…
Murtagh se retourna alors et emprisonna ses mains entre ses doigts frais, son visage en face du sien.
- Je t’aime. Je t’aime depuis toujours et n’ai jamais cessé de t’aimer, même lorsque tu n’étais… plus ?
Les larmes lui montèrent immédiatement aux yeux sans qu’elle put les contrôler ou les refluer. Entendre ces mots, ses sentiments dont elle n’avait jamais été dupe, les entendre effectivement, enfin, était bien plus difficile que tout ce qu’elle avait pu imaginer.
- Pourquoi ? Continua Murtagh visiblement libéré d’un poids insoutenable. Pourquoi refuses-tu d’admettre que je ne te suis pas indifférent ? Même quand tu ne te souvenais pas de moi, tu sentais bien au fond de ton âme que j’étais quelqu’un d’important pour toi ? Tu ne peux nier que tu ne ressens rien à mon égard !
- Tu, tu ne peux pas comprendre, articula Jéanna, perdue.
- Qu’est-ce que je ne peux pas comprendre ? Souffla-t-il exaspéré. J’en ai assez d’attendre !
- Mais tu ne peux pas me forcer à t’aimer ! S’offusqua-t-elle, les joues de plus en plus brûlantes, les idées de moins en moins claires.
- Je ne te force pas, c’est toi qui ne veux pas te rendre à l’évidence.
- Les choses ne sont pas aussi simples que tu sembles le croire Murtagh !
- Qu’est-ce qui n’est pas aussi simple ?! Je vous ai observé avec Eragon, je sais que j’ai plus que toutes mes chances !
- Tu nous… quoi ? Pensais-tu réellement qu’Eragon ou moi éprouvions quelques sentiments de ce genre l’un envers l’autre ? S’écria Jéanna toujours à voix basse, éberluée par les propos que lui tenait le jeune homme.
- Je ne sais pas, chuchota-t-il. Peut-être. Mais maintenant je ne doute plus. Et toi non plus, tu ne douteras plus…
Et sans attendre qu’elle ne réplique, Murtagh descendit souplement le long de son piédestal et l’attira à lui, l’enserrant de ses bras musclés d’où elle n’avait aucun espoir d’échapper. Il l’embrassa avec fougue et violence, ses lèvres rencontrant les siennes humides de larmes. Jéanna tenta de le repousser mais il était bien trop fort et resserra son étau comme un serpent enroule son corps sinueux autour de sa proie jusqu’à ce qu’elle étouffe ; elle était sa victime, sa prisonnière.
Le baiser furieux qu’il lui imposa cessa cependant rapidement, la laissant hors d’haleine et le cœur chamboulé ;
Murtagh appuya son front contre le sien brûlant, sa respiration accélérée refroidissait les larmes versées sur ses joues.
- Arrête de résister, implora-t-il. Je t’en prie.
Jéanna fermait les yeux, les poings pressés contre le torse du jeune homme ; l’organe de vie coincé à l’intérieur pulsait avec fièvre, l’appelait à lui. Le chagrin et le vide l’envahirent soudain, elle se rappelait le froid de son cœur d’argent, le toucher glacial et éteint de ce bien si cher auparavant si vivant et chaud. Des larmes ardentes embrasèrent ses yeux avant de s’écouler en un flot amer et désolé le long de son visage blanc et doux. Un fort désir se raviva alors en elle, une envie puissante à laquelle elle ne pouvait plus résister.
C’est alors que lentement, avec hésitation et crainte, Jéanna fit glisser ses mains sur la poitrine puis les tempes de Murtagh et approchant sa tête de la sienne chuchota :
- Pardonne-moi.
Elle déposa ses lèvres sur la bouche du jeune homme, de son plein gré, de tout son cœur.
La flamme qui s’était allumée en elle s’attisa alors explosant en une gerbe de vie qui inonda son corps ; elle parcourut ses veines avec exaltation, s’infiltrant au plus profond de son véritable être, réveillant ce qu’elle n’aurait jamais du oublier. Ce déchaînement de bonheur qui la submergea atteint enfin son apogée et tout s’arrêta !
Son cœur rata un battement indispensable et une douleur fulgurante la frappa soudain de plein fouet comme un poignard à la lame glacée transperçant sa chaire ardente. Elle voulut hurler, mais seul un gémissement s’échappa de sa gorge, un gémissement ténu qu’il aspira violemment, essayant d’étancher la soif qui le rongeait depuis si longtemps.
Boum boum.
Elle sursauta, un frisson de frayeur remonta le long de son échine.
Boum boum.
Une ancienne sensation plus vivace que jamais captura son corps, une félicité impétueuse, exponentielle dont elle ne pouvait se passer.
Les battements continuèrent communiquant leur passion et leur joie extraordinaire ; ils semblaient provenir d’elle et pourtant ce n’était pas les siens.
Elle se détendit définitivement dans l’étreinte de Murtagh, prenant le dessus sur leur baiser langoureux afin de rattraper tout ce qu’ils avaient perdu, tout ce qu’elle avait refusé. Elle pressa les doigts sur ses cheveux soyeux, désirant ce qu’il désirait, saisissant sa respiration haletante à travers sa gorge avide, se délectant du goût salé de ses propres larmes et de la saveur de ses lèvres sucrées. Une intense volupté les irradiait, irradiait de leurs êtres réunis.
La pression qu’il exerçait dans son dos se raffermit comme s’il avait encore peur qu’elle s’enfuie, il l’écrasait contre lui mais elle ne s’en plaignit pas, appréciant plutôt leur proximité et la fureur passionnelle et passionnée qui les animait.
Au bout d’un temps interminable mais qui leur parut trop court, Murtagh desserra sa prise et ils se séparèrent à contrecœur. Jéanna leva ensuite les yeux et se plongea dans ceux pétillant du jeune homme. Son rythme cardiaque était encore enflammé et elle était essoufflée mais une allégresse sans nom la possédait.
Boum boum.
Son cœur battait contre le sien, ils étaient enfin réunis.
Elle lui sourit. Il la trouva belle, aussi rayonnante que le soleil en plein été.
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